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Introduction

Les programmes de formation académique doivent s’ajuster s’ils veulent demeurer pertinents en regard des réalités professionnelles, de l’évolution des connaissances et des changements technologiques, sociologiques, économiques et politiques. Le programme Techniques de la documentation, qui vise à « former des spécialistes capables de répondre aux besoins d’information des différentes clientèles des bibliothèques, des centres de documentation, des centres de gestion de documents administratifs et des centres d’archives » (Compétence Québec 2015), n’échappe pas à cette obligation.

Le devis ministériel de ce programme a été élaboré en 1995 à partir d’une analyse de la situation de travail impliquant divers intervenants des milieux documentaires au Québec. Ce devis faisait suite à trois refontes de programme préparées respectivement en 1967, 1975 et 1982 (Chiasson & Manseau 1997). Le devis actuel du programme, implanté dès 1996 dans le réseau collégial, est découpé en 26 compétences balisées par des contextes de réalisation, des objectifs spécifiques et des critères de performance (Compétence Québec 2015). Les cégeps sont responsables de l’élaboration des programmes par la prise en charge du développement des activités d’apprentissage visant le développement et l’atteinte des compétences (Demers 2014).

Le programme Techniques de la documentation est offert dans six cégeps localisés à Gatineau (Cégep de l’Outaouais), Montréal (Collège de Maisonneuve et Collège John-Abbott), Sainte-Thérèse (Collège Lionel-Groulx), Trois-Rivières (Cégep de Trois-Rivières) et Québec (Cégep Garneau). Ces collèges offrent tous un programme qui vise le développement et l’atteinte des mêmes 26 compétences, mais avec des particularités locales sur le plan de la séquence des cours, du nombre d’heures attribuées au développement de certaines compétences, de l’appariement cours-compétence et d’autres aspects reliés au contenu précis de chaque cours. Cette flexibilité permet aux équipes d’enseignants de faire évoluer localement le programme et d’apporter des ajustements adaptés aux réalités locales. En guise d’exemple, les emplois en gestion des documents administratifs sont plus importants en proportion dans la région de Québec que dans d’autres régions de la province pour les diplômés du programme. La grille de cours proposée par le Cégep Garneau, en raison de la localisation de celui-ci près de l’appareil étatique provincial, reflète cette réalité et ce besoin spécifique du marché du travail.

Au Collège de Maisonneuve[1], depuis 1996, des ajustements majeurs ont été apportés dans les différents cours du programme. L’évolution fulgurante du réseau Internet, des ressources informationnelles numériques et des outils informatiques sont des facteurs importants qui ont guidé l’évolution des contenus enseignés. Médias sociaux, métadonnées, GED (gestion électronique de documents) et RDA (Ressources : Description et accès) ne sont qu’une petite portion des éléments ayant influencé fortement les contenus enseignés au cours des dernières années. Dans certains cas, il s’agit de savoirs et de savoir-faire qui en remplacent d’autres (par exemple, le catalogage avec la nouvelle norme RDA), dans d’autres ce sont plutôt de nouveaux outils qui s’amalgament à des processus existants (par exemple, l’utilisation de Twitter en veille informationnelle ou de Facebook pour la promotion des services et des activités). C’est parfois aussi l’importance relative de certains contenus dans le programme qui est à remettre en question (par exemple, la gestion des documents papier versus les documents numériques).

Ces modifications ponctuelles ont permis d’améliorer le programme. Toutefois, afin de maintenir un haut niveau de pertinence des contenus enseignés et d’assurer l’adéquation aux besoins du marché du travail, un projet d’actualisation locale du programme a été lancé en 2014 au Collège de Maisonneuve. Ce projet d’actualisation devait permettre d’apporter des ajustements de plus grande envergure, tels que des ajouts et des retraits de cours, mais toujours à partir des 26 compétences visées par la formation (Tableau 1). Notons que le devis ministériel demeure inchangé. Les 26 compétences identifiées vers la fin des années 1990 sont toujours les mêmes et, malgré certains anachronismes, leur libellé suffisamment générique permet une interprétation et une relecture appropriées à la réalité actuelle. Des projets d’actualisation locale du programme Techniques de la documentation ont déjà été réalisés dans d’autres cégeps du réseau, notamment à Garneau et à Trois-Rivières[2].

Tableau 1

Liste des 26 compétences visées par le programme de techniques de la documentation

Liste des 26 compétences visées par le programme de techniques de la documentation

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Cet article présente les nombreux défis, les grandes orientations et les principales caractéristiques du programme actualisé de formation aux techniques de la documentation du Collège de Maisonneuve. Les contenus, les titres de cours et tous les autres aspects du programme qui sont mentionnés dans ce texte sont spécifiques au Collège de Maisonneuve[3]. Évidemment, plusieurs similitudes existent entre les programmes offerts dans les six collèges. Toutefois, ce texte ne met pas de l’avant les multiples initiatives locales des cégeps qui offrent le programme, mais présente plutôt une des nombreuses réalités vécues sur le terrain à Maisonneuve.

Dans le cadre de l’actualisation du programme, le département a identifié plusieurs défis de la formation aux techniques de la documentation. Ces défis s’articulent autour de sept grands axes : le traitement documentaire, les services au public, la gestion des documents administratifs, les systèmes documentaires informatisés, la gestion de projet, les attitudes professionnelles et les stages. Notre article propose un survol général de ces défis et présente certaines pistes de solution choisies par le département des techniques de la documentation de Maisonneuve. Au terme de ce survol, le lecteur aura une idée plus juste de la réalité collégiale du programme Techniques de la documentation, des nombreux défis dans la formation des techniciens et des solutions qui se dessinent.

Mais avant d’exposer ces défis, il nous apparaît essentiel de dresser un portrait sommaire des étudiants en techniques de la documentation. Ce portrait est un élément essentiel qui vient influencer et colorer les solutions proposées. 

Qui sont les étudiants en techniques de la documentation?

Les étudiants qui s’inscrivent au programme Techniques de la documentation possèdent un bagage académique et professionnel très diversifié. La plupart des étudiants que nous accueillons ont déjà un parcours académique et professionnel important. La très grande majorité d’entre eux ont une expérience préalable de l’enseignement supérieur; certains ont commencé un programme d’études collégiales sans le compléter, certains ont en poche un diplôme d’études collégiales (DEC) et environ 20 % des nouveaux étudiants ont un diplôme universitaire. Les femmes constituent environ 75 % du corps étudiant. La moyenne d’âge des futurs techniciens au moment de l’entrée au programme est d’environ 27 ans. Pour la majorité des étudiants, l’intérêt pour le programme Techniques de la documentation se fait sentir bien après la fin des études secondaires.

Les futurs étudiants prennent connaissance de l’existence du programme par de l’information disponible dans le réseau scolaire et sur Internet. Toutefois, pour 25 % d’entre eux, c’est par l’intermédiaire d’une personne qui est déjà technicien en documentation qu’ils découvrent le programme. Le bouche-à-oreille, amplifié par les réseaux sociaux, contribue à faire connaître ce programme d’études collégiales qui accueille très régulièrement des personnes travaillant en tant que commis de bibliothèque et aspirant à la profession de technicien en documentation[4].

Les parcours professionnels des nouveaux étudiants sont variés. Certains font un retour aux études après avoir occupé un emploi stable durant plusieurs années. Pour d’autres, le retour aux études se fait après avoir expérimenté divers emplois. Être étudiant, jumelé à la conciliation travail-famille, est l’un des défis que chacun d’entre eux a à relever. Dans ce contexte, environ 20 % des étudiants décident d’ailleurs d’échelonner leur formation sur quatre années au lieu des trois années prévues.

Au moment de l’entrée au programme, les nouveaux étudiants manifestent généralement une préférence pour travailler éventuellement dans les bibliothèques et ils ont une certaine méconnaissance de la gestion des documents administratifs. Derrière ces généralités se cache toutefois une riche diversité d’individus motivés qui aspirent à relever les défis de la profession de technicien en documentation.

Ces réalités multiples sont à la fois un défi et une richesse inestimable. Cela représente également un facteur dont il faut tenir compte et qui a coloré l’ensemble de la réflexion portant sur les défis de la formation en techniques de la documentation et sur l’actualisation du programme.

Le traitement documentaire

Le technicien en documentation assume une grande variété de responsabilités dans le cadre de ses fonctions. Dans le milieu des bibliothèques, il est d’usage de catégoriser les responsabilités du technicien en deux grandes familles, soit celles qui ont trait aux services techniques et celles qui visent les services au public. Les services techniques concernent, entre autres, le traitement documentaire, donc les opérations de catalogage, d’indexation et de classification. Ces opérations, adaptées aux technologies en place et aux documents numériques, demeurent un champ de compétence qui imprègne fortement le programme puisque environ 25 % des heures d’enseignement leur sont consacrées. Aux outils et normes documentaires spécialisés comme les RCAA2/RDA, le MARC 21, le Répertoire des vedettes-matière de l’Université Laval, la Classification de la Bibliothèque du Congrès (LCC) ainsi que la Classification décimale de Dewey (CDD), s’ajoutent des outils plus récents comme Delicious, Diigo, ou Zotero, qui ont vu le jour respectivement en 2003, 2006 et 2008.

Un des défis importants des dernières années en matière de traitement documentaire a été le passage de l’enseignement des RCAA2 à celui des RDA. Initié à l’hiver 2014, l’enseignement des RDA a exigé une refonte des 125 heures de cours consacrées au catalogage. La préparation de ce nouveau contenu a nécessité des activités de formation approfondies sur le sujet, dont une activité intercollégiale qui s’est tenue en janvier 2014 et à laquelle a participé la majorité des professeurs de catalogage dans les programmes Techniques de la documentation du Québec. À Maisonneuve, la transition vers les RDA est complétée et les étudiants sont maintenant formés à la nouvelle norme[5].

L’enseignement des pratiques en vigueur s’accompagne d’une analyse critique et constructive de celles-ci. Quelle est la pertinence d’indexer avec un vocabulaire contrôlé précoordonné, développé pour des catalogues sur fiches alors que les catalogues sont maintenant informatisés? Doit-on assigner un indice de classification à des documents numériques? Ces questionnements sont des plus pertinents pour clarifier la valeur ajoutée réelle du traitement analytique. De plus, un souci persiste concernant l’efficience dans l’atteinte des objectifs visés par le traitement documentaire et l’adéquation de ces objectifs aux besoins des clientèles. Les besoins des usagers sont de plus en plus pris en compte dans les choix faits en matière de traitement documentaire. Les Principes internationaux de catalogage (IFLA) élaborés en 2009 établissent d’ailleurs le confort de l’usager comme principe ayant priorité sur tout autre. En matière de catalogage, chaque décision du catalogueur doit être prise avec ce principe en tête.

Il est important de mentionner que le traitement documentaire n’est pas exclusif au milieu bibliothéconomique. La gestion des documents administratifs et des archives implique également un traitement intellectuel ayant ses propres méthodes, ses propres outils et son vocabulaire. Mais certaines notions abordées dans les cours de catalogage, d’indexation et de classification peuvent néanmoins être exploitées et adaptées dans les cours consacrés à la gestion des documents administratifs et des archives.

Les services au public

Les postes de techniciens en documentation entièrement consacrés aux services techniques se font de plus en plus rares. En 2015, les milieux de travail préconisent plutôt une diversification des tâches qui se traduit entre autres par une augmentation des responsabilités en matière de services au public ou, du moins, par des exigences plus explicites dans ce domaine. Lors de l’actualisation du programme en 2014, une enquête a été réalisée auprès de 60 employeurs de techniciens en documentation, auxquels il a été demandé de se prononcer sur l’importance des tâches et des fonctions des techniciens dans leur milieu respectif. Près de 90 % d’entre eux ont mentionné que « gérer des situations avec des clientèles difficiles » était une responsabilité très importante ou importante pour un technicien en documentation[6]. Cette tendance nous apparaît majeure, car elle sollicite une mobilisation de savoirs, de savoir-faire et surtout de savoir-être différents de ce qui est traditionnellement attendu chez un technicien affecté à des tâches techniques.

Les tâches propres aux services au public regroupent diverses responsabilités qui impliquent une interaction directe avec la clientèle, soit virtuelle ou physique, telles que l’accueil, la référence, la veille informationnelle, les activités de formation et d’animation, etc. Les habiletés en matière de communication et d’interaction sociale sont donc au coeur des services au public et les programmes de formation doivent prendre acte de cette réalité afin de bien répondre aux besoins exprimés par les milieux.

La perception de la profession de technicien en documentation par les étudiants et par les acteurs pédagogiques, les conseillers en orientation notamment, se doit d’être juste et adaptée à la réalité. Pendant longtemps, la profession a été qualifiée de peu interactive, solitaire et cérébrale. La base de données REPÈRES, qu’utilisent les conseillers en orientation, spécifie que la profession de technicien en documentation s’adresse à des individus aimant travailler avec les gens et collaborer, être en contact avec les personnes ou les aider (GRICS 2015). Cependant, c’est l’intérêt pour les tâches répétitives, simples et précises, également mentionnées dans REPÈRES, qui retient davantage l’attention. Ainsi, le matériel d’information disponible doit mieux refléter la réalité du futur technicien. Il est donc prévu de préparer et d’offrir du matériel promotionnel et informatif qui colle mieux à la réalité d’aujourd’hui. L’étudiant intéressé par le domaine et les spécialistes en information professionnelle et scolaire seront donc informés plus clairement des exigences de la profession, entre autres sur le plan du savoir communiquer et des habiletés en matière d’interaction sociale.

L’enseignement et l’évaluation de ces habiletés recherchées et prisées par les employeurs n’est pas chose simple. Le programme actualisé présente rapidement les nouvelles réalités de la profession aux étudiants. Ainsi, dès la première session du programme, ceux-ci sont initiés à l’accueil des clientèles et au fonctionnement d’un comptoir de prêt dans le cadre du cours « Environnement professionnel ». Par la suite, le cours « Communication et travail en équipe », sous la responsabilité d’un enseignant du département de psychologie, permet aux étudiants de développer des attitudes et des comportements favorisant la communication et la collaboration avec différents usagers-clients de divers milieux documentaires.

Les cours de recherche d’information, soit « Sources et recherche d’information 1 », « Sources et recherche d’information 2 » et « Référence et veille informationnelle », ainsi que le cours « Promotion documentaire et animation des clientèles » abordent directement des notions connexes aux services au public. Toutefois, c’est par l’entremise de mises en situation propres aux services au public, d’activités d’évaluation en équipe, d’exposés oraux et d’exigences élevées en matière de français écrit et parlé, et par l’utilisation d’une large palette d’outils de communication, dont les médias sociaux et le courriel, que les étudiants ont de multiples occasions, tout au long de leur formation, de tester leur savoir-communiquer et leurs habiletés en matière d’interaction interpersonnelle.

La gestion des documents administratifs

Le programme Techniques de la documentation offre une formation reconnue qui permet aux étudiants de développer les compétences attendues dans tous les milieux documentaires, aussi bien dans les bibliothèques et les centres de documentation que dans les centres de gestion de documents administratifs et d’archives. Les bibliothèques et les centres de documentation demeurent les principaux employeurs des diplômés du Collège de Maisonneuve. Toutefois, on remarque une hausse significative du nombre d’offres d’emploi pour les techniciens dans le domaine de la gestion des documents administratifs (GDA); 25 % des offres d’emploi dans la grande région montréalaise en 2014 intégraient des éléments liés à la GDA et, pour les emplois d’été, la proportion est encore plus significative. Parmi ces offres d’emploi, certaines sont hybrides, exigeant aussi bien des compétences propres au milieu des bibliothèques qu’aux services de GDA. Cette observation, combinée à la perception des enseignants, des employeurs et des étudiants, a amené le département à accorder plus d’importance à l’enseignement de notions propres à la GDA, afin d’augmenter la qualité de la formation dans ce domaine. Ceci s’est traduit, entre autres, par l’ajout d’un cours portant essentiellement sur la typologie des documents administratifs, et ce, dès la première session du programme. Au début de leur cheminement académique, la majorité des étudiants ont une connaissance limitée des compétences rattachées à la GDA. Le fait d’offrir un cours sur le sujet en tout début de programme permet de clairement positionner l’importance de ce secteur tout en outillant les étudiants pour les nombreux emplois d’été dans le domaine.

Il est également bon de noter que les étudiants qui détiennent un diplôme de 1er cycle universitaire reconnu en GDA, le certificat en archivistique de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal ou le certificat en gestion des documents et des archives de l’UQAM par exemple, peuvent se voir créditer jusqu’à quatre cours et un stage parmi les 26 cours et les deux stages qui constituent le programme.

Les systèmes documentaires informatisés

Au coeur des opérations dans les milieux documentaires, on retrouve divers systèmes documentaires informatisés. On pense entre autres aux systèmes intégrés de gestion de bibliothèques (SIGB) comme Koha, REGARD ou Biblionet, aux outils de découverte comme Summon ou Primo implantés récemment dans les universités, aux solutions de gestion intégrée des documents comme IntelliGID, Documentik ou Ultima et même aux logiciels bibliographiques comme Endnote ou Zotero. Le programme Techniques de la documentation vise à développer une variété de compétences qui préparent les diplômés à devenir des utilisateurs performants de systèmes documentaires informatisés. Les étudiants sont formés à la création d’une base de données documentaire, au paramétrage de divers systèmes (par exemple, l’actualisation d’une politique de circulation des documents dans un SIGB ou des règles de conservation dans une solution de gestion intégrée des documents), à la réalisation de différentes opérations de la chaîne documentaire, à la formation et au soutien des utilisateurs de ces systèmes, et à l’évaluation et à l’implantation d’une solution informatique.

Ces objectifs d’apprentissage s’inscrivent dans un contexte où les milieux utilisent plus d’un outil (chiffrier électronique, logiciel de création de bases de données, médias sociaux, etc.) pour effectuer diverses opérations de gestion et d’opérations spécifiques aux milieux documentaires. En tant qu’utilisateurs aguerris de ces outils, les techniciens sont amenés à offrir du soutien de première ligne, mais aussi une expertise lorsque se posent des problèmes plus complexes au moment des mises à jour ou de l’implantation de nouveaux systèmes.

L’apprentissage des notions spécifiques aux systèmes documentaires se fait à l’intérieur de cours consacrés à ces notions, comme « Traitement et manipulation de l’information numérique », « Systèmes documentaires informatisés » et « Informatisation des milieux documentaires », mais aussi dans les multiples cours consacrés au traitement des documents, à la GDA, à la gestion des collections, aux acquisitions, à la recherche d’information et à la veille informationnelle. L’omniprésence du numérique influence fortement la façon de présenter les étapes de la chaîne documentaire et du cycle de vie des documents. Ce défi, par la nature même de la profession, est intégré depuis longtemps dans le cursus de l’étudiant. L’actualisation du programme a simplement verbalisé et officialisé un état de fait. Le nombre d’heures consacrées implicitement aux systèmes documentaires informatisés a été bonifié substantiellement, se chiffrant à un peu plus de 60 heures supplémentaires réparties dans différents cours.

La gestion de projet

Les diplômés des programmes de maîtrise en sciences de l’information (MSI) et de techniques de la documentation sont amenés à travailler dans des milieux documentaires très similaires. Une question fréquemment posée par les étudiants porte sur les responsabilités habituellement attribuées respectivement aux bibliothécaires et aux techniciens. Nous ne tenterons pas ici de répondre de façon détaillée à ce questionnement, mais il faut signaler que l’étude de Bilodeau et Poirier soulève une nuance importante quant au modèle classique voulant que les bibliothécaires soient les interlocuteurs administratifs des techniciens en documentation :

Si les bibliothécaires supervisent régulièrement le travail des techniciens (dans 57 % des cas), ces derniers doivent également traiter avec des gestionnaires qui n’ont pas de formation spécifique liée à la documentation : c’est le cas pour environ 33 % des répondants.

2012, 180

Ce constat soulève des défis tant pour les enseignants que pour les étudiants. Les enseignants doivent préparer leurs étudiants à des responsabilités de coordination, de supervision de personnel, de gestion budgétaire, de gestion des opérations, de planification, de développement de services et d’évaluation.

Les responsabilités de gestion sont donc explorées dans le programme collégial. D’ailleurs, quelques-unes des compétences du programme sont orientées en ce sens (voir Tableau 1). Les concepts de gestion sont abordés dans différents cours sous la forme de projets spécifiques, comme l’implantation d’un système documentaire, la numérisation d’une collection papier, l’aménagement d’un espace ou le développement et la prestation d’une activité d’animation dans un milieu réel. En fin de programme, les étudiants récupèrent les notions des cours précédents et s’exercent à jouer un rôle de consultant en gestion documentaire dans le cadre du cours « Projet d’intervention ». Ils doivent mener à terme un projet d’envergure dans un milieu réel ayant un besoin lié à la documentation, comme la mise en place d’une base de données documentaire, la conception ou l’implantation d’un plan de classification et d’un calendrier de conservation, le développement d’une cellule de veille informationnelle, etc. Les principales étapes de ce projet sont l’évaluation des besoins, l’élaboration d’un plan d’intervention, le développement d’une solution et l’établissement d’un bilan. Ce projet peut se faire aussi bien dans un organisme sans but lucratif ou une entreprise privée que dans un milieu documentaire traditionnel. Si l’encadrement d’un professionnel de la documentation n’est pas requis, la disponibilité d’un répondant local au fait des besoins de l’organisation est nécessaire à la réalisation du projet d’intervention. Ce projet, qui constitue l’épreuve synthèse du programme, une exigence ministérielle de tous les programmes collégiaux visant à évaluer l’atteinte de l’ensemble des objectifs et des standards déterminés pour ces programmes (Québec (Province) 2015), est bien ancré dans la réalité du terrain. En effet, par une situation authentique, les étudiants sont amenés à proposer des solutions réelles, efficaces et efficientes. Le technicien peut également ajouter une corde à son arc et mieux répondre aux demandes des milieux en acquérant une expérience concrète et pratique.

Les attitudes professionnelles

Au collégial, il est d’usage de fragmenter chacune des compétences d’un programme en savoirs, savoir-faire et savoir-être ou attitudes à développer pour l’atteinte de ladite compétence. Ces trois grands types de savoir s’entremêlent et exercent une influence sur le niveau de performance attendu de l’étudiant pour chacune des compétences à atteindre. En pratique, les attitudes sont parfois perçues comme accessoires et sont plus difficiles à enseigner et à évaluer que les savoirs et les savoir-faire. Dans le programme actualisé du Collège de Maisonneuve, les attitudes occupent maintenant une place plus explicite dans le contenu des cours. Ce sont les exigences des employeurs, qui veulent des techniciens compétents d’un point de vue technique, mais également détenteurs d’un éventail large et diversifié d’attitudes, qui ont motivé ce choix[7].

Quelles sont les attitudes professionnelles attendues d’un technicien en documentation qui viendrait tout juste d’obtenir son diplôme d’études collégiales? À Maisonneuve, le département a identifié huit attitudes importantes, et ce, à partir de l’analyse d’offres d’emploi, de la consultation d’employeurs, de la documentation officielle sur le programme, du code de déontologie de l’Association professionnelle des techniciennes et techniciens en documentation du Québec (APTDQ)[8] et d’une consultation des enseignants. Le Tableau 2 présente les huit attitudes en question, avec une brève définition et une mise en contexte de leur applicabilité dans le cadre du travail d’un technicien en documentation. Ces huit attitudes sont présentées aux étudiants dès leur entrée au programme et elles sont abordées en profondeur de manière graduelle et sélective dans d’autres cours. Des enseignants du département ont développé des indicateurs de performance qui permettent de nommer et de baliser les comportements attendus pour chacune des attitudes (Pilon, Ratté & Simard 2013). Cet outil servira de canevas pour l’évaluation des stages. Un objectif central de ce projet est de permettre aux étudiants de se positionner par rapport à chacune de ces attitudes et d’identifier des stratégies propices à leur développement. L’environnement collégial, où l’équipe d’enseignants côtoie les étudiants pendant trois ans, est propice à l’offre d’une rétroaction constructive à ces derniers sur le plan des attitudes qu’ils devraient avoir développées à la fin de leurs études.

Tableau 2

Attitudes professionnelles attendues d’un diplômé en techniques de la documentation

Attitudes professionnelles attendues d’un diplômé en techniques de la documentation

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Le profil de sortie du programme Techniques de la documentation, tel que présenté dans le cahier de programme, place également les attitudes au centre des préoccupations du programme (Figure 1). Les attitudes sont donc au coeur de la formation offerte aux techniciens en documentation.

Figure 1

Version schématique du profil de sortie du diplômé en techniques de la documentation

Version schématique du profil de sortie du diplômé en techniques de la documentation

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Les stages

Durant la dernière session du programme, les étudiants doivent compléter deux stages de quatre semaines dans deux milieux documentaires distincts. Ils peuvent ainsi mettre en pratique leurs apprentissages, et les enseignants peuvent mesurer auprès d’employeurs l’adéquation de la formation aux besoins. Un des buts recherchés est d’offrir un stage en bibliothèque ou dans un centre de documentation, et un autre dans un service de gestion de documents administratifs ou d’archives. Les stages se font sous la supervision d’un technicien en documentation, d’un bibliothécaire ou d’un archiviste. Au cours de son stage, l’étudiant est amené à se familiariser avec les différentes pratiques des milieux ainsi qu’avec leurs outils spécifiques tout en manifestant les attitudes professionnelles attendues chez un technicien en documentation. En fait, les attitudes professionnelles sont les principales composantes de l’outil d’évaluation du stage. En supervisant un stagiaire, les professionnels peuvent bénéficier des savoirs et des savoir-faire des étudiants, lesquels bénéficient à leur tour de l’expertise des professionnels. L’évaluation et le suivi des stagiaires par les enseignants leur permettent d’actualiser les cours du programme pour que ces derniers reflètent les meilleures pratiques en vigueur. La générosité et l’enthousiasme des professionnels sont un facteur clé pour le maintien d’un réseau de stages diversifié et suffisant pour accueillir tous les étudiants.

Conclusion

Le maintien de la pertinence et de l’adéquation des contenus aux besoins du marché du travail demeure au centre des préoccupations des enseignants du programme collégial de techniques de la documentation. Au Collège de Maisonneuve, le projet d’actualisation locale du programme a permis des ajustements substantiels pour répondre aux défis de cette formation. Les partenariats avec les employeurs et la mise en commun des pratiques et des perspectives des enseignants oeuvrant dans les cégeps qui offrent le programme représentent d’autres défis à relever pour maintenir une cohérence interinstitutionnelle arrimée aux besoins des milieux documentaires locaux. Il faut saluer l’initiative de l’APTDQ qui a organisé, en avril 2014, une rencontre entre les coordonnateurs des départements de techniques de la documentation. Les défis sont nombreux, complexes et impliquent une multitude d’acteurs provenant tant des milieux professionnels qu’éducatifs. Le programme Techniques de la documentation actualisé répond mieux aux besoins des milieux professionnels, mais il doit également demeurer vivant et ne cesser de se remettre en question afin de demeurer ancré dans la réalité et de répondre aux nouveaux défis qui se pointeront.