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L’avenir des bibliothèques repose-t-il sur la médiation à l’heure du « big bang du monde de l’information »[1]? Les bibliothécaires deviendront-ils des médiateurs en vue de contrer le phénomène de la désaffection envers la fréquentation des bibliothèques traditionnelles perçues comme des antres du savoir d’antan? La relation établie entre le lecteur qui vénère le livre et le bibliothécaire reconnu pour ses précieux conseils de lectures n’est-elle pas en train de disparaître au profit d’un autre type de relation à l’ère d’Internet qui met l’immédiat au coeur des processus d’acquisition des savoirs?

Bertrand Calenge, directeur des études à L’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) et auteur de plusieurs ouvrages et articles sur les politiques documentaires et les bibliothèques publiques, démontre dans cet ouvrage que la légitimité des bibliothèques au sein de la société de l’information repose plus que jamais sur leurs capacités de médiation de nature à en faire des passeurs de savoirs, des collaborateurs, voire des éditeurs de contenus.

Tout comme chez les didacticiens et les philosophes, la notion de médiation est ici étroitement associée à un processus créateur ou bien à un phénomène évolutif impliquant un aspect relationnel qui est avant tout affaire de comportement et d’attitude puisque la médiation est plus qu’une simple relation entre un document, un usager et un bibliothécaire. Elle s’inscrit dans un passage entre un objet mémoriel, tel que défini par Jean-Michel Salaüm, destiné à être transféré à un lecteur et un passeur de savoir et de connaissances qu’est le bibliothécaire.

Reconnaissant qu’aujourd’hui, il est devenu plus facile de retrouver des informations utilitaires sur Internet que dans les bibliothèques, l’auteur établit la légitimité de la médiation en faisant référence au passage essentiel du document aux savoirs et à la connaissance sous l’impulsion du numérique. Un passage irréversible qui entraîne une profonde mutation des pratiques établies dans le processus de diffusion de l’information. Plutôt que de donner priorité à la mise à disposition de l’information en fonction de publics potentiels, une approche axée sur le soutien au passage des savoirs et des connaissances en tenant compte d’une diversité des pratiques cognitives chez les individus est ici favorisée. L’importance d’être imaginatifs pour les bibliothécaires au moment où les modes d’acquisition des connaissances sont de plus en plus éclatés à l’ère numérique et à celle des réseaux sociaux est soulignée en rappelant que notre époque est marquée par l’hybridation de l’information, une forme de stratification des supports à l’information qui correspond au croisement de plus en plus répandu des collections imprimés et numériques au sein de nos espaces documentaires.

Le directeur des études à l’Enssib n’hésite pas à affirmer que les métiers de l’information doivent se confronter à une vive concurrence et que les spécialistes de l’information sont tenus d’acquérir de nouvelles connaissances afin d’être eux aussi des navigateurs magiciens comme Google en structurant l’information de manière à créer un objet signifiant pour l’usager desservi.

La médiation des connaissances est un dispositif humain, fonctionnel, et continu, activement organisé pour l’accroissement des connaissances d’une population, mobilisé par l’identification des besoins cognitifs des personnes concernées, et s’inscrivant dans leurs pratiques et dans la communauté qu’elles constituent.

Calenge 2015, 38

Après avoir clairement établi que la médiation s’inscrit dans une dimension transactionnelle ayant pour effet de transformer le métier de bibliothécaire, Calenge consacre un chapitre entier de son ouvrage à définir le concept de médiation afin de nous permettre de savoir de quoi il s’agit puisque, comme le mentionnait Michel Foucault, dans les mots, il y a aussi les choses. Les manières et les rôles de la médiation sont cernés explicitement en tenant compte des dimensions humaines et fonctionnelles toujours à partir « d’un point de vue délibérément orienté usager ». Les pages consacrées à l’analyse de la plus-value de la médiation apportée aux bibliothécaires dans l’exercice de leur profession rendent justice à un métier dont les pratiques sont guidées par des principes d’intégrité et de neutralité. Tout comme Abdelwahed Alouche, aux yeux de Calenge, la médiation n’est pas une tâche, mais une mission. Le conservateur général des bibliothèques de France va même jusqu’à prôner la renaissance de l’éducation populaire afin de favoriser l’apprentissage tout au long de la vie au lieu de miser uniquement sur les volets loisirs et culture, axes traditionnels du développement des bibliothèques publiques depuis des décennies.

Afin de promouvoir et d’appliquer la médiation, il est requis de faire appel à de nouvelles stratégies. Un chapitre entier est consacré aux diverses dimensions à considérer dans l’adoption de stratégies en vue d’inscrire la médiation des connaissances au coeur du projet de l’établissement.

Aussi, il apparaît indispensable que l’organisation de la bibliothèque encourage le travail dit de « front-page », directement au contact avec le public, et amenuise autant que possible le travail souterrain du  back-office.

Calenge 2015, 59

Une typologie des dispositifs de médiation démontre clairement que les bibliothèques doivent établir des relations étroites avec leur public et favoriser une participation dynamique de l’usager dont la présence sur les réseaux sociaux ne peut être ignorée. Ces dispositifs de médiation à l’ère du Web social induisent une nouvelle dimension dans l’offre de services : accompagner plutôt que prescrire en respectant l’autonomie du lecteur. Cette nouvelle dynamique d’acteurs exige des changements structurels au sein de l’environnement informatif mis à la disposition des usagers desservis et, en ce sens, Calenge souligne avec justesse que la dimension formatrice des bibliothécaires doit être reconnue et valorisée. Cette dimension pédagogique revêt toute son importance dans les bibliothèques universitaires et de recherche à la suite du constat que les étudiants éprouvant des difficultés à réussir leurs études sont de plus en plus nombreux. Rappelons que la réussite scolaire est étroitement liée à l’inscription de l’étudiant à un projet de formation documentaire constitué en fonction de son programme d’études.

À ce chapitre, ce promoteur de la médiation des connaissances dans le milieu des bibliothèques fait référence à des pratiques exemplaires dans le domaine de médiation des connaissances au sein des bibliothèques académiques. Mentionnons ici les dépôts d’archives et les services d’accompagnement offerts par les bibliothécaires aux enseignants-chercheurs dans le processus complexe d’appropriation des outils numériques et des nouveaux modes électroniques de transmission du savoir.

 Les bonnes bibliothèques aident les institutions à recruter et à garder les meilleurs chercheurs et les bibliothèques aident les chercheurs à gagner des bourses et des contrats de recherche.

Calenge 2015, 77

Le travail hors les murs qui s’inscrit dans une logique partenariale est perçu comme un facteur de réussite dans la mise en oeuvre de dispositifs et de services associés à la médiation des connaissances, et cela dans tous les milieux documentaires. Des pratiques exemplaires accompagnent cet exposé.

Le dernier chapitre de cet ouvrage est consacré à la production de contenus par les bibliothécaires invités à ajouter de nouveaux savoirs aux collections de manière à mieux répondre aux besoins des usagers et à enrichir la médiation auprès des publics desservis. Le champ de la production intellectuelle des bibliothécaires doit s’élargir en faisant appel aux opportunités du numérique comme celles offertes par les médias sociaux et les services de questions – réponses en ligne. À travers les expositions, les conférences, les spectacles ou autres manifestations culturelles organisés par les bibliothèques, il y a également lieu de produire des contenus à valeur ajoutée pour établir un dialogue avec les publics et les collections existantes.

Dans le milieu des bibliothèques académiques, les bibliothécaires ont un rôle important à jouer au niveau de la diffusion des savoirs et de la valorisation de la recherche en faisant appel aux nombreux dispositifs de la médiation des connaissances. Ainsi, comme le mentionne celui pour qui il faut inventer de nouveaux chemins pour mettre en scène les connaissances, avec les dépôts institutionnels, elles « se trouvent au carrefour des nouveaux usages de la recherche ». D’autres opportunités émergent en lien avec la gestion des données numériques, principalement en matière de stockage afin d’en assurer la pérennité et de favoriser une meilleure diffusion.

Les collections patrimoniales doivent également être sérieusement prises en compte dans la médiation des connaissances. Au cours des dernières années, de nombreux projets de numérisation de collections patrimoniales ont été réalisés par les bibliothèques nationales et les grandes bibliothèques publiques. Ces productions numériques accessibles sur Internet, en plus de cristalliser la mémoire des évènements, donnent lieu à des actions culturelles sous forme d’expositions interactives ou de jeux qui rejoignent un vaste public.

En terminant, dans cet ouvrage, Bertrand Calenge démontre que la médiation des connaissances offre de merveilleuses opportunités pour ancrer la bibliothèque dans son milieu et lui permettre d’être de son temps en offrant aux usagers des activités interactives au sein d’espaces de travail collaboratif ou bien encore en faisant appel aux réseaux sociaux en ligne. Nous terminons cette lecture avec le sentiment que les services axés sur les diverses formes de la médiation des connaissances, qu’elle soit documentaire, sociale, culturelle, numérique ou technologique sauront rejoindre un vaste public. Le recours à la médiation des connaissances pour se lancer à la conquête de leurs publics est très certainement une voie d’avenir pour tous les types de bibliothèques.