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La discipline et la profession archivistiques ont subi de nombreuses mutations depuis leurs débuts jusqu’à nos jours. Ce recueil propose un panorama de cette évolution en 19 chapitres portant sur autant de sujets écrits par 24 auteurs, professionnels et chercheurs québécois et européens. Le livre se veut aussi un hommage à Carol Couture, qui a été archiviste, professeur et directeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) et conservateur et directeur des Archives nationales du Québec (AnQ). Membre actif, entre autres, de l’Association des archivistes du Québec (AAQ) et du Conseil international des archives (CIA), Couture s’est engagé pendant plus de 40 ans dans le milieu archivistique. Le panorama se divise en quatre parties : 1) les témoignages ; 2) les archives ; 3) l’archivistique ; et 4) les archivistes.

En première partie, des témoignages de collègues et amis de Carol Couture nous permettent de retracer les principales fonctions et contributions de sa carrière. Jacques Boucher souligne son apport à la modernisation et au rayonnement de l’archivistique au Québec et dans le monde. Marcel Lajeunesse évoque sa participation à la mise en place du programme d’archivistique à l’EBSI et ses contributions à la recherche et l’enseignement. Lise Bissonnette témoigne de la participation de Couture à la création de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et Louise Gagnon-Arguin décrit son implication dans diverses associations liées à l’archivistique.

La deuxième partie s’ouvre avec un texte presque polémique de l’historien Yvan Lamonde sur la mémoire, où l’auteur explique le manque de conscience historique des Québécois par le sentiment de défaite répété depuis la Conquête et le sentiment d’inachèvement historique. Il évalue ensuite la patrimonialisation comme méthode pour se réapproprier le passé, solution qu’il juge inefficace lorsqu’elle se limite à inventorier des objets anciens sans explications. Il met finalement en avant plan l’importance de l’analyse et de la critique historiques qui permettent, selon lui, de fournir une réelle compréhension du passé.

Dans un texte à forte teneur historique, James Lambert analyse l’évolution de la figure de Monseigneur François de Laval, fondateur du Séminaire de Québec en 1668, à travers les moments de commémoration à l’Université Laval, qui a été créée sur les bases de l’ancien séminaire. Ainsi, Lambert explique comment l’évêque, évoqué comme modèle de spiritualité durant le premier siècle de l’université, perd de son importance au cours des années 1960, puis regagne de l’intérêt en offrant un prestige historique à l’université.

Diane Baillargeon et Denys Chouinard témoignent de la rédaction et de la diffusion de la Déclaration québécoise des archives, projet né du contexte de suppression de programmes pour le traitement et la valorisation des archives, qui a mobilisé associations et regroupements d’archivistes. Mettant l’accent sur les retombées positives du projet malgré son rejet à l’Assemblée nationale du Québec, les auteurs montrent comment le projet a essaimé à l’international pour devenir la Déclaration universelle des archives puis être adapté dans plusieurs pays.

Yvon Lemay résume en quatre points les travaux menés depuis 2007 sur l’exploitation des archives à des fins de création : 1) la définition du phénomène tant du point de vue archivistique qu’artistique; 2) les conditions d’utilisation des archives ainsi que leur dimension émotive; 3) le lien entre mémoire et archives, et les types d’utilisation et milieux; et 4) le cycle de vie et la vision dialectique. Ce texte ouvre des perspectives de collaboration entre artistes et archivistes.

Mario Robert aborde l’utilisation pratique des médias sociaux par les centres d’archives québécois. L’auteur souligne la mise en place souvent intuitive de ces outils de diffusion par les institutions, puis présente la plateforme de diffusion et les médias sociaux utilisés aux Archives de la ville de Montréal. Robert analyse les expériences réalisées sur Twitter, Facebook, Flickr et YouTube en en soulignant les retombées et avantages pour les centres d’archives et les usagers.

Le texte d’Hélène Cadieux examine la situation actuelle des archives privées au Québec à la lumière des objectifs définis lors de l’adoption de la Politique concernant les archives privées de 1989. Cadieux fait un bilan des objectifs de collaboration et de concertation régionales, de création du réseau d’archives privées avec le programme d’agrément, de partage des acquisitions et des autres objectifs d’aide et de soutien professionnel, technique et financier.

La troisième partie s’ouvre avec un texte de Theo Thomassen. L’auteur se penche sur l’évolution, depuis la fin des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, de l’enseignement de l’archivistique à l’international, et plus particulièrement aux Pays-Bas. L’importance de la Section pour l’enseignement de l’archivistique et la formation des archivistes du Conseil international des archives et du rôle de Carol Couture sont mentionnés.

Robert Nahuet s’interroge sur la pertinence de la notion de fonds d’archives et du principe de respect des fonds à l’heure du Web 2.0. L’auteur revient sur les fondements théoriques de cette notion et de ce principe pour examiner leur applicabilité par rapport à la réalité des organisations et de l’environnement numérique actuels.

Sabine Mas souligne le changement de rôle de la classification archivistique dû à l’évolution des contextes de création et d’utilisation des documents, puis résume une douzaine d’années de recherche sur la classification des documents numériques en trois points : 1) la gestion personnelle de l’information et son impact sur le repérage; 2) les classifications à facettes et hiérarchique; et 3) le plan de classification institutionnel dans les espaces personnels. Des avenues futures de recherche en classification sont esquissées.

Basma Makhlouf Shabou fait un court bilan des développements, puis expose les enjeux actuels et futurs liés à la fonction d’évaluation des archives. Sont abordés 1) les nouvelles tendances technologiques, soit l’automatisation de l’évaluation, les qualités des documents numériques, l’infonuagique et les mégadonnées; et 2) les prochains défis de l’évaluation sous les aspects des normes et de la gouvernance de l’information.

À travers leurs expériences professionnelles, Normand Charbonneau, Florian Daveau, François David et Frédéric Giuliano examinent l’évolution parallèle de la diffusion et de la mise en valeur des archives et du rôle de l’archiviste de référence au cours des 30 dernières années. Ils dénotent l’impact du numérique sur les relations entre archiviste et usagers, et l’émergence de nouvelles clientèles, puis proposent une vision de l’archiviste de l’avenir.

Cynthia Couture et André Gareau revisitent l’ouvrage phare de Carol Couture et Jean-Yves Rousseau Les archives au XXe siècle : une réponse aux besoins de l’administration et de la recherche paru en 1982. Considérant les liens entre archives et société, administration et recherche, les auteurs mettent en perspective l’évolution de la profession d’archiviste, des fondements théoriques et des fonctions archivistiques depuis trente ans. Ils réaffirment la pertinence des grands principes énoncés par Couture et Rousseau.

Bruno Delmas résume les origines et les premiers développements de la diplomatique, témoigne de la création de la diplomatique contemporaine et projette l’avenir de cette discipline. Les documents scientifiques et techniques, audiovisuels et électroniques et la diplomatique numérique sont exposés comme des champs d’application en mutation. Delmas démontre l’importance de la mise en place d’une diplomatique numérique pour répondre aux défis archivistiques actuels de préservation.

Dans le premier texte de la quatrième partie, Paul Servais analyse l’organisation des Journées des Archives de l’Université catholique de Louvain, créées en 2001, et tente de voir une évolution dans les préoccupations des archivistes à travers les programmes proposés. Servais peine à montrer de réelles transformations, mais dresse un portrait de la profession pour en dégager trois caractéristiques particulières : la diversité des archivistes, leur quête identitaire et une remise en question constante des fondements et de la formation.

En neuf points, Didier Grange défend la force du phénomène des associations professionnelles d’archivistes dans le monde et retrace l’historique de leur évolution. Il présente les particularités des associations de certaines régions et il relève l’importance des associations internationales. Grange souligne la mobilisation récente des archivistes dans l’espace public, l’enjeu de leur formation ainsi que la collaboration essentielle entre les associations et avec les autres professions.

Panorama de l’archivistique contemporaine s’adresse à la communauté archivistique québécoise et internationale, plus particulièrement à un public de professionnels, de chercheurs et d’étudiants. Cependant, il pourrait moins soulever l’intérêt du grand public, de par son propos plus spécialisé.

L’ouvrage répond bien à la visée de dresser un portrait de l’évolution de la discipline et de la profession. Malgré le caractère hétéroclite de l’ouvrage, assumé par l’expression « mélanges », ce recueil paru dans la collection «Gestion de l’information» permet de faire le bilan sur de nombreux enjeux en archivistique et propose des pistes d’avancement pour l’avenir de la profession et de la discipline. De par la qualité du propos et la variété des auteurs, professionnels et chercheurs, ce livre offre un point de vue diversifié et pertinent sur l’archivistique d’aujourd’hui. Il en ressort un accent sur l’histoire et le développement du milieu archivistique québécois — et, dans une moindre mesure, internationale — des trente à quarante dernières années, dont Carol Couture a été un des acteurs notables. On aurait cependant aimé une plus grande cohérence des parties du panorama et entre les sujets traités qui parfois se recoupent.