Article body

Un espace savant métamorphosé!

En 2009, l’Université Laval recevait du Programme des infrastructures du savoir du gouvernement fédéral une subvention de plus de huit millions de dollars pour débuter la rénovation de la Bibliothèque de l’Université Laval (BUL), soit le quatrième étage (5 000 m2) de la Bibliothèque des sciences humaines et sociales (22 000 m2), première étape d’un projet global de réaménagement de cette bibliothèque et de la Bibliothèque des sciences (4 200 m2).

Inaugurée en 1969, la Bibliothèque des sciences humaines et sociales (BSHS) n’avait bénéficié d’aucun réaménagement important depuis. Conçue selon les critères et la vision de l’époque — un étage public avec comptoir de prêt et des étages de magasins pour les collections —, la bibliothèque nécessitait un réaménagement majeur afin de mieux répondre aux besoins des étudiants d’aujourd’hui. La réflexion du projet de réaménagement s’est déroulée sur plusieurs années : depuis un premier besoin, en 2004, de revoir l’organisation du quatrième étage où étaient logées les collections spéciales et de réunifier les multiples comptoirs de service jusqu’à la réflexion globale sur les espaces de la BUL qui se finalisera en 2010. Le concept retenu : un lieu de savoir et d’apprentissage, vivant, moderne et convivial, dont les espaces sont variés et lumineux.

Un « parti bibliothéconomique » en amont des espaces à créer : une vision à partager

Si le milieu de l’architecture parle de parti architectural pour un bâtiment, par analogie, la BUL a utilisé le terme de parti bibliothéconomique. Avant de se déployer dans l’espace, un projet architectural doit s’exprimer dans une vision claire et porteuse de sens, un concept fonctionnel qui répond aux besoins des usagers. C’est le rôle du bibliothécaire. Tout comme celui de partager, éduquer, expliquer et communiquer le projet.

Pour la Bibliothèque de l’Université Laval, il s’agissait de revoir son concept de service et de s’assurer que les espaces soient en concordance avec ce dernier. La BUL a d’abord choisi de mettre le lieu physique (et simultanément virtuel) au coeur du service et de l’accès aux collections par le biais de sa mission :

Infrastructure de recherche, lieu de savoir et d’apprentissage, la Bibliothèque de l’Université Laval offre et favorise l’accès au savoir à la communauté universitaire grâce à ses collections diversifiées, son personnel compétent, ses technologies performantes, ses locaux modernes et conviviaux et aux liens solides et féconds qu’elle tisse avec ses partenaires, tant internes qu’externes, et ses divers publics.[1]

Illustration

BSHS de l’Université Laval, vue d’ensemble

Photo : Claude Mathieu PUB PHOTO

-> See the list of figures

Illustration

BSHS de l’Université Laval, labo géomatique

Photo : Claude Mathieu PUB PHOTO

-> See the list of figures

Illustration

BSHS de l’Université Laval, bouts de rayonnage

Photo : Claude Mathieu PUB PHOTO

-> See the list of figures

Ensuite, il fallait qualifier le lieu et développer un concept de service clair et inclusif qui ancre les services dans cet espace à réaménager : lieu vivant de recherche, d’apprentissage et de médiation des savoirs; lieu central et ouvert où les espaces sont collaboratifs, modernes, adéquats et accueillants; espace offrant des collections riches, considérables et valorisées, et ayant un mandat de conservation du patrimoine documentaire universitaire; un service offert par un personnel qualifié et courtois; un niveau de service professionnel et personnalisé; un service appuyé par des technologies performantes.

Le projet, intégrant un agrandissement mineur en regard de la surface globale de la bibliothèque, devait rééquilibrer les espaces pour les usagers et ceux dévolus aux collections. La priorité est allée aux usagers. La bibliothèque a créé un Centre de conservation où sont logées les collections moins utilisées. Le choix de ces collections de conservation a été effectué en collaboration avec chacun des départements impliqués.

Des collections vers la connexion

Les espaces devaient être repensés en fonction des nouvelles donnes sociales et technologiques : meilleure synergie collections/usagers; création de zones disciplinaires afin de favoriser le sentiment d’appartenance; regroupement des services et des ressources; places de travail nombreuses et variées; collections les plus utilisées et pertinentes en accès libre; espaces de conservation pour les collections semi-actives et fragiles; facilité d’accès aux documents sur demande; espaces pour étudiants diplômés redéployés pour une optimisation de l’utilisation, etc.

Quand les expertises dialoguent

À l’Université Laval, les projets architecturaux sont sous la responsabilité du Service des immeubles, qui travaille en étroite collaboration avec le service auteur du projet. Tous deux sont identifiés à titre de clients du projet par les architectes. Selon le mode du processus de gestion intégré, un comité de suivi est mis en place et présidé par le chargé de projet, généralement la firme d’architectes retenue à la suite de l’appel d’offres. Ce comité regroupe les divers spécialistes embauchés par l’Université (ingénieurs, architectes, spécialistes en analyse sismique, en économie d’énergie, etc.) ainsi que les « clients ». Les membres de l’Université représentés au comité ont des niveaux de responsabilités différents qui peuvent complexifier le dialogue avec les architectes.

Illustration

BSHS de l’Université Laval, vitrine cinéma et secteur cinéma fauteuil

Photo : Claude Mathieu PUB PHOTO

-> See the list of figures

Illustration

BSHS de l’Université Laval, secteur musique, présentoir

Photo : Claude Mathieu PUB PHOTO

-> See the list of figures

À l’Université, si une partie de la communauté de chercheurs a tardé à adhérer au parti bibliothéconomique des nouveaux espaces malgré l’enthousiasme de certains, les acteurs impliqués dans la réalisation du projet ont aussi dû s’adapter à une nouvelle vision innovante qui entrait en contradiction avec leur vision plus traditionnelle de la bibliothèque : Service des immeubles, Service des finances, architectes et ingénieurs.

Illustration

BSHS de l’Université Laval, salle animation jeunesse

Photo : Claude Mathieu PUB PHOTO

-> See the list of figures

Les différents acteurs du projet ont donc dû cheminer en se ralliant à la nouvelle vision bibliothéconomique et en comprenant son impact sur l’aménagement des espaces et sur les coûts. Dans ce contexte, il était primordial que chacun des intervenants soit au même niveau et se sente autorisé d’apporter sa vision et son expertise spécifiques, et ce, dans le cadre de son propre mandat. Des présentations, des discussions animées et des visites ont permis d’articuler plus clairement le projet au moyen d’exemples et de mettre à niveau l’équipe de gestion intégrée du projet.

Le bibliothécaire et l’architecte, se laisser surprendre…

Le rôle du bibliothécaire, client du projet, consiste à identifier et à définir clairement ses besoins et les fonctionnalités de la bibliothèque. L’architecte crée, ancre dans la réalité cette idée exprimée. Il construit, dans tous les sens du terme. Il met en espace le projet bibliothéconomique et, pour ce faire, le repose sur un parti architectural. Il est essentiel de laisser la créativité s’exprimer en la stimulant, en permettant à l’architecte de nous surprendre et de nous proposer des solutions innovantes et inspirantes… dans le respect des budgets. La synergie bibliothécaire-architecte constitue le creuset dans lequel le projet prendra forme.

La dualité fond/forme, ou fonctionnalité/forme, est au coeur de la création architecturale et les bâtiments les plus réussis le doivent certainement à un équilibre harmonieux entre ces deux besoins. Une forme créative marque le paysage urbain ou renouvelle entièrement l’aménagement d’un lieu. La forme architecturale idéale a une identité propre et forte, et permet à la fonction de rayonner et au service de remplir sa mission de manière optimale. Les deux éléments se renforcent l’un l’autre et ajoutent profondeur artistique et esthétique à un espace de vie où l’activité humaine se déploie. Le beau inspire et peut transporter l’humain en des lieux insoupçonnés. L’architecture en est un pont.

L’écart entre les besoins fonctionnels et la créativité spatiale et architecturale émane généralement de l’attitude des uns et des autres soit à vouloir imposer leur vision, soit à leur incapacité à se positionner et à exprimer leurs besoins. L’architecte n’est pas l’ennemi du bibliothécaire, et vice-versa. Dans cette incompréhension se glisse souvent une mauvaise écoute de l’autre et de sa spécificité. La reconnaissance et le respect des compétences et des expertises des uns et des autres permettent de trouver l’angle d’équilibre, pivot d’un projet porteur et créatif. Certains architectes ne disent-ils pas que les meilleurs projets sont le fruit des clients les plus exigeants, les plus ouverts et visionnaires?

Oeuvrer ou participer à un projet d’architecture en compagnie d’architectes vifs d’esprit, créatifs et compétents est un bonheur réel, peu fréquent dans une vie, qui permet de matérialiser ce qui n’était à l’origine peut-être qu’une simple idée ou l’expression d’un besoin. Un pur geste créateur au bénéfice des bibliothèques et du savoir!