Article body

Introduction

Les associations professionnelles sont des regroupements de praticiens d’un domaine de savoir donné. Elles réunissent des spécialistes qui ont des intérêts communs et qui visent à partager leurs expériences et à faire avancer les connaissances dans leur domaine. De telles associations ont aussi comme mission de défendre les droits de leurs membres et de la profession en général. En sciences de l’information (SI), maintes associations professionnelles existent, tant à l’échelle locale qu’internationale.

Dans le Grand Maghreb en tant que région francophone, les associations professionnelles en SI sont répandues. Elles regroupent des diplômés des institutions nationales offrant des formations universitaires en SI et ont comme missions de défendre les droits des professionnels, de mettre de l’accent sur les diverses problématiques d’ordre pratique et de mener des débats sur les enjeux culturels découlant de quelques aspects de la profession, dont, par exemple, l’application des normes internationales et la nécessité de leur adaptation au contexte culturel national.

Le Maroc, en tant que pays appartenant à la région de la francophonie du Grand Maghreb, se dote de sa propre tradition en matière de regroupements professionnels en SI. L’Association nationale des informatistes (ANI) se veut le regroupement le plus prestigieux. Elle réunit tous les informatistes (c.-à-d. les professionnels de l’information) marocains, soit les archivistes, les documentalistes, les bibliothécaires, les veilleurs et les gestionnaires de contenus, autour de la même table pour discuter des divers sujets touchant les professions en SI de même que les assises scientifiques des SI. C’est ainsi que nous nous intéressons, dans le présent article, à présenter cette association et à souligner ses rôles dans le rayonnement des professions en SI et le développement de la discipline.

L’article est structuré en deux parties. La première nuance les associations professionnelles en général, et plus précisément en SI, en tant qu’institutions socioculturelles et leur positionnement dans la sphère organisationnelle. La seconde partie présente l’ANI en tant qu’association professionnelle prestigieuse au Maroc. Il s’agit plus précisément de mettre la lumière sur ses rôles dans la valorisation des métiers en SI et la défense du statut de l’informatiste au Maroc.

Les associations professionnelles : un acteur vital dans la promotion de la profession

Le thésaurus de l’activité gouvernementale (TAG) définit une association professionnelle comme étant une « […] société formée afin de sauvegarder et de promouvoir les privilèges, les droits d’une profession, d’un métier, de s’assurer de la compétence de ceux qui en font partie, d’imposer un code d’éthique et, d’une façon générale, de développer les intérêts économiques, sociaux et éducatifs de ses membres » (Thésaurus de l’activité gouvernementale 2018). Cette définition est un bon point de départ pour définir les fondements de base d’une association professionnelle : c’est un regroupement de praticiens d’une discipline donnée qui vise à défendre les droits de ceux-ci et à instaurer une certaine régulation qui permet de garantir l’équilibre social encadrant la pratique professionnelle. Elle se nourrit et se développe grâce aux donations, aux contributions des membres ainsi qu’aux frais de membership (membre individuel ou institutionnel). Elle peut nouer des relations de partenariat avec des sponsors reconnus à l’échelle nationale ou internationale pour des considérations liées à la notoriété.

Les associations professionnelles sont des entités institutionnelles enracinées dans une variété de contextes, dont le contexte socioculturel et le contexte juridico-administratif. Le premier, en tant qu’ensemble des schèmes interprétatifs qui régissent les relations entre les acteurs d’une société, dicte un ensemble de valeurs, d’idéologies et de croyances qui s’intègrent à leur tour dans la culture de ces associations professionnelles. Le contexte juridico-administratif définit l’environnement de régulation auquel ces associations doivent se conformer et qui leur permet de se positionner par rapport aux institutions de la société. Par exemple, on mentionne les patentes de ces associations, leur code de déontologie, etc., qui font de ces associations des entités organisationnelles et qui encadrent l’accomplissement de leurs missions et assurent leur survie. L’influence de ces deux contextes, conjuguée aux intérêts des professionnels, détermine les orientations stratégiques de ces associations en tant qu’acteur socioculturel. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les associations professionnelles dépassent le champ d’activité défini par le TAG, soit la réglementation de la profession et sa défense. En SI, ces associations peuvent remplir, en plus des rôles liés à la profession, d’autres missions que nous aborderons dans la section suivante.

Les associations professionnelles en sciences de l’information : une variété de missions

Que ce soit en bibliothéconomie, en archivistique, en documentation ou encore en gestion stratégique de l’information, les associations professionnelles occupent une place importante. Elles contribuent à l’avancement des SI grâce à la concertation des efforts des professionnels. Dans le monde francophone, ces derniers sont souvent nommés des « spécialistes de l’information » (Gagnon-Arguin 2008), une expression holistique qui regroupe tous ces professionnels sous le même parapluie. Allant des missions liées à la normalisation des pratiques et de la légitimation de la profession, à un dialogue continu entre plusieurs disciplines, ces associations exercent plusieurs rôles qui contribuent à la valorisation de ces entités et rappellent leur rôle prépondérant dans la société. C’est ce qui sera détaillé dans les lignes subséquentes.

Une dimension éthique et déontologique

Nul ne conteste le fait que la finalité première de la création d’une association professionnelle en SI est de défendre les intérêts et les droits des spécialistes. Il pourrait s’agir entre autres de veiller à la sécurité des professionnels en milieu de travail, ou encore, d’établir des lignes directrices auxquelles les milieux professionnels doivent se conformer afin de répondre à des normes de qualité reconnues. Elles ont aussi pour mission de garantir une meilleure visibilité de la profession, que ce soit du côté bibliothéconomique ou archivistique, ou encore de la gestion stratégique de l’information (dans des entreprises par exemple). Cette visibilité ne pourra être garantie que par l’établissement d’un code de déontologie professionnelle. Celui-ci renferme des dimensions éthiques qui encadrent l’exercice de la profession.

Cette dimension déontologique et éthique est la pierre angulaire des associations professionnelles. Elle constitue un dispositif de communication institutionnelle. En effet, l’éthique permet à ces associations d’affirmer leur identité organisationnelle, leurs valeurs, leurs missions et leur offrent ainsi la possibilité de se tailler une place dans la sphère juridique et normative. La raison d’être de ces codes déontologiques remonte à un désir de s’octroyer un statut institutionnel auprès des instances politiques publiques (Padioleau 1990). C’est le pilier de la légitimation des professionnels aux codes et normes de la profession : la déontologie et l’éthique encadrent l’exercice de la profession conformément aux normes établies par ces associations et aux valeurs de la société où ladite profession est exercée.

Le développement des professions en SI

Un deuxième rôle rempli par les associations professionnelles en SI est celui de la contribution au développement et au rayonnement de la profession. Qu’elles soient des regroupements de bibliothécaires, de documentalistes, d’archivistes, de veilleurs ou encore de recherchistes, ces associations sont tenues d’établir des plans stratégiques incitant celles-ci à se brancher sur le monde professionnel et d’être à l’affût des mutations afin de permettre à la profession de se nourrir et de se développer.

La plupart des associations en SI instaurent des programmes de perfectionnement pour leurs membres. Ces programmes offrent la possibilité pour les professionnels de l’information de s’améliorer tout au long de leur carrière, de développer leurs compétences et d’en acquérir des nouvelles en fonction des exigences de leur milieu de travail. Par exemple, pour une association des archivistes, la structure d’un programme de perfectionnement serait axée sur la gestion intégrée des documents, les démarches de la mise en place d’un système de gestion documentaire, la gestion et l’administration des archives, la valorisation des archives historiques, etc. Ces programmes sont généralement offerts tout au long de l’année, en fonction d’un calendrier bien déterminé et des ressources disponibles. Il pourrait également s’agir de webinaires thématiques ou encore de tables rondes touchant l’une ou l’autre thématique en lien avec les sciences de l’information.

Vers une meilleure visibilité professionnelle et académique

Une des bonnes stratégies adoptées par les associations professionnelles pour une meilleure visibilité des métiers en SI est l’organisation des événements annuels. Les colloques et les congrès peuvent être qualifiés comme une tradition annuelle chez la majorité des associations professionnelles dans le monde. Le congrès annuel de l’Association des archivistes du Québec (AAQ)[1], Le congrès des milieux documentaires de l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED)[2] en collaboration avec la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ)[3], les fameux congrès de l’Association francophone du savoir (ACFAS)[4] constituent de bons cas témoins. Ce sont des évènements où plusieurs professionnels se réunissent afin d’aborder des sujets qui touchent tantôt la discipline (sur le plan théorique), tantôt la profession (pratique). Ces associations prennent la relève quant à la représentation des pratiques documentaires des professionnels de l’information et l’expérience de ceux-ci sur le terrain. Il est certes évident que la tradition bibliothéconomique ou archivistique en Amérique du Nord (et plus précisément le Québec) est différente de celle des pays européens ou encore des pays maghrébins. On retient dans ce sens l’exemple des RDA (Ressources : description et accès), un standard conçu pour la description des ressources documentaires détenues par les bibliothèques ainsi que les RDAA (Règles de description des documents d’archives) élaborées pour la description des documents d’archives. L’application des principes énoncés dans ces normes tient compte de la tradition québécoise en la matière, entre autres, la culture des milieux documentaires, les compétences des professionnels de l’information, etc. Elle est également soumise à un ensemble de contraintes légales (p. ex. les lois sur les archives, lois sur la preuve, lois sur le droit d’auteur, lois sur la protection des renseignements personnels et éthiques [p. ex. codes de déontologie]).

Par ailleurs, afin de faire connaître les nouvelles tendances techniques et normatives en SI, les associations professionnelles sont chargées de la promotion de l’usage de ces procédés auprès de leur communauté professionnelle. Elles offrent habituellement des formations de perfectionnement afin de mieux intégrer ces normes dans les pratiques documentaires. Elles contribuent également à leur meilleure visibilité en offrant un large éventail de tutoriels et de manuels pratiques à cet égard. Cela soutient en effet l’enseignement des SI : la disponibilité des ressources permettant de maîtriser ces normes facilite l’intégration de ces standards dans les programmes d’enseignement en milieu collégial (techniques de documentation) et universitaire (certificat et maîtrise en SI).

Sur le plan académico-professionnel, mentionnons les publications officielles qui constituent le miroir des activités de ces associations et valorisent leur rôle dans le développement professionnel et scientifique des SI. Les bulletins officiels rendent compte des activités associatives et des efforts déployés pour accomplir les missions de ces associations : colloques, congrès, formations continues, etc. Les revues, pour leur part, renferment à la fois une finalité scientifique et professionnelle : on a droit à un large éventail d’articles publiés par des chercheurs et des praticiens en SI qui contribuent à l’avancement des connaissances dans la discipline. De telles publications n’ont pas seulement une portée constructive, mais constituent également un moyen de visibilité de ces associations à l’échelle nationale et internationale. Par exemple, la revue Documentation et bibliothèques de l’ASTED se veut le fruit d’une médiation intellectuelle de plusieurs professionnels de l’information appartenant à diverses régions de la francophonie. Nombreux sont les auteurs qui viennent contribuer à la revue : chacun apporte sa propre couche de savoir théorique ou pratique compte tenu de son bagage intellectuel et de la tradition de son pays en SI. Les publications officielles sont ainsi un moyen de dialogue et de convergence entre les différentes approches qui régissent l’appréhension des SI. C’est ainsi un outil d’aide à une meilleure visibilité de ce champ de savoir.

Enfin, il est digne de mentionner les privilèges que les associations en SI offrent à leurs membres. On retrouve par exemple la certification, qui est la reconnaissance des compétences des professionnels de l’information en fonction de leur scolarité et de leur expérience professionnelle. S’il est offert par une association prestigieuse à l’échelle nationale ou internationale, le titre « membre professionnel certifié » permet à son détenteur de gagner une certaine visibilité dans le monde professionnel. L’AAQ est un bon exemple à retenir dans ce sens. Dans la même optique, d’autres associations en SI préfèrent donner à leurs membres un titre exclusif. La CBPQ a décidé que ses adhérents portent le titre de « bibliothécaire professionnel ». Il s’agit d’un titre exclusivement réservé aux membres de cette association. Il est conféré aux titulaires d’un diplôme de maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information, délivré par toute université accréditée par la American Library Association (ALA).

La promotion des activités de socialisation pour les professionnels de l’information

Une dernière mission des associations professionnelles est de veiller au rapprochement des professionnels de l’information. Par les activités de formation et les colloques organisés régulièrement, elles garantissent un certain climat de socialisation. Le professionnel de l’information jouit ainsi d’une occasion incontournable pour faire connaissance avec d’autres professionnels, ce qui lui permet d’élargir son propre réseau de contacts. Aussi, les activités de réseautage professionnel se veulent importantes dans la mesure où elles aident à établir un réseau professionnel dynamique et diversifié. C’est une excellente occasion pour les nouveaux diplômés et les professionnels en recherche active d’emploi : ils font valoir leurs profils académiques et professionnels auprès des recruteurs. C’est également l’occasion de découvrir les offres d’emploi qui ne sont pas publiquement affichées sur les sites Web des recruteurs. Le contact en personne s’avère une bonne manière d’en prendre connaissance. Au réseautage s’ajoute l’importance du mentorat qui consiste à trouver un professionnel ayant le même profil que le sien et qui pourrait être utile pour l’orientation vers des chances précieuses de trouver un emploi dans son domaine de spécialisation.

L’importance du bénévolat comme moyen de socialisation n’est pas à nier. Il est perçu comme une source d’épanouissement personnel et un moyen de s’autoaffirmer au sein d’une communauté professionnelle et de s’y positionner. Que ce soit une implication dans des activités d’organisation d’événements (colloques, formations, journées d’étude, etc.) ou encore de rédaction (blogues, bulletins officiels, alimentation de la rubrique d’actualité sur le site Web institutionnel, etc.), une telle activité vise à promouvoir la socialisation et minimise l’isolement pour le professionnel en l’intégrant dans une communauté ouverte et dynamique.

Il en ressort que les associations professionnelles sont des regroupements qui peuvent être considérés comme des médiateurs entre le milieu documentaire et la discipline d’une part, et les professionnels de l’information et les chercheurs d’autre part. La défense des droits des professionnels, la promotion du développement et de la visibilité des professions en SI et la socialisation entre les membres sont les piliers qui doivent faire partie des orientations stratégiques de ces associations. Nous souhaitons nous pencher sur les associations professionnelles dans le Grand Maghreb en tant que région francophone. Nous abordons plus précisément le cas du Maroc, car il s’avère particulièrement intéressant pour un ensemble de raisons que nous allons détailler dans les lignes subséquentes.

Les associations professionnelles dans le Grand Maghreb : le cas du Maroc

Le Maroc, en tant que pays francophone appartenant à la région du Grand Maghreb, se dote d’une tradition particulière en matière des regroupements professionnels en SI. L’Association nationale des informatistes (ANI) regroupe des professionnels de l’information avec des profils académiques et professionnels variés (p. ex. bibliothéconomie, documentation, archivistique, veille stratégique, etc.). Nous estimons cependant qu’il est légitime, dans un premier temps, de dresser un aperçu de la formation en SI au Maroc, et ce, afin d’assimiler la logique dudit regroupement professionnel.

La formation en SI au Maroc

Le système universitaire marocain accorde une attention toute particulière à l’enseignement des SI. À l’instar de la Tunisie où l’enseignement universitaire en SI est assuré par un seul établissement universitaire, soit l’Institut supérieur de documentation (ISD) (Chebbi 2015), l’École des sciences de l’information (ESI) est le seul établissement national marocain qui offre une formation de premier et de deuxième cycle en SI. Fondée en 1975 et étant sous la responsabilité du Haut-Commissariat du plan, l’ESI offre un programme universitaire solide en sciences de l’information. C’est la seule École nationale qui offre de tels programmes reconnus à l’international. À la différence de l’Algérie qui a choisi de répartir ses formations universitaires en SI en fonction des spécialités dans une logique décentralisée (Gdoura 2008), la formation de l’ESI regroupe à la fois les spécialités en SI : bibliothéconomie, archivistique et gestion stratégique de l’information. Les débouchés de l’ESI portent le titre des informatistes, une appellation que le Maroc a choisi d’adopter pour désigner le professionnel de l’information au sens le plus large : l’archiviste, le documentaliste, le records manager, le bibliothécaire, le community manager, le veilleur, etc. C’est en quelque sorte l’équivalent du terme anglo-saxon information scientist. Toutefois, avec la nouvelle réforme que cette école a subie durant les dernières années, les diplômés portent désormais le titre d’ingénieur des données et des connaissances, un titre qui reflète les mutations actuelles en matière des données massives (big data). Cette nouvelle réforme a été instaurée dans un objectif d’actualiser le contenu des programmes universitaires en SI. Nous tenons à discuter brièvement des programmes offerts par cette école, et ce, avant et après cette réforme, survenue en 2012.

Avant la réforme de 2012

L’enseignement universitaire à l’ESI comportait deux cycles : le premier cycle (c.-à-d. baccalauréat nord-américain) connu sous le nom du cycle normal et le deuxième cycle (c.-à-d. maîtrise), nommé cycle spécialisé. L’accès au premier cycle, qui durait quatre ans, a été conditionné par la détention d’un diplôme d’études secondaires (un équivalent du baccalauréat français). La première et la deuxième année étaient sous forme d’un tronc commun, où les étudiants avaient à étudier les fondements des SI (bibliothéconomie et archivistique) en plus des disciplines humaines (psychologie, philosophie, langues française et anglaise), sociales (sociologie, droit) et exactes (informatique, mathématiques) connexes. À partir de la troisième année, l’étudiant avait le choix entre deux parcours : le premier était orienté vers les bibliothèques et l’édition numérique, et l’autre était axé sur l’archivistique et la gestion des documents. Malgré l’existence de ces deux concentrations, tous les étudiants avaient à suivre des cours communs : langues anglaise et espagnole, informatique appliquée aux sciences de l’information (p. ex. recherche bibliographique), gestion stratégique de l’information (veille stratégique et intelligence économique) ainsi que d’autres matières abordant l’aspect social des sciences de l’information. L’obtention du diplôme d’informatiste à l’issue de la formation du premier cycle était conditionnée par la réalisation d’un projet de fin d’études (PFE). Celui-ci se concrétisait par l’implication de l’étudiant dans un milieu professionnel : la réalisation d’une étude de terrain, l’identification d’une problématique et d’une stratégie méthodologique pour la résoudre. La solution suggérée était souvent technologique, reflétant le champ d’intérêt de l’étudiant (bibliothéconomie, archivistique ou gestion stratégique de l’information). À l’issue de la formation, l’étudiant possédait un profil polyvalent lui permettant de s’impliquer aussi bien en milieu bibliothéconomique qu’archivistique, ou encore dans les entreprises (milieux concurrentiels).

Le programme du deuxième cycle offrait aux étudiants une formation plus avancée en SI. C’était l’occasion d’acquérir des connaissances solides dans le champ de spécialisation du candidat. La formation était sanctionnée par un diplôme dont l’obtention était conditionnée par la réalisation d’un mémoire sur un sujet qui devrait contribuer à l’avancement des connaissances en SI. À l’issue de cette formation, l’étudiant obtenait le grade de master, lui conférant l’appellation d’informatiste spécialisé.

Après la réforme de 2012

Dans une optique de valoriser l’ESI en tant qu’École nationale unique offrant des programmes universitaires en SI, une réforme y a été instaurée en 2012. L’École offre désormais un diplôme d’ingénieur pour les étudiants issus des classes préparatoires aux grandes écoles (étudiants ayant effectué deux ans après obtention du diplôme d’études secondaires). Les étudiants admissibles peuvent être issus d’un parcours en sciences économiques comme d’un parcours en sciences exactes (École des sciences de l’information s.d.).

Le programme de formation a également été mis à jour, afin d’être à l’affût des tendances actuelles en SI. La formation, d’une durée de trois ans, est sanctionnée par un diplôme conférant à l’étudiant le grade d’ingénieur de données et de connaissances. Le choix de cette appellation est justifié par la présence surabondante de la notion de donnée, marquant la prolifération du mythe des données massives. Aussi, il est justifié par le positionnement des sciences de l’information au carrefour des sciences humaines, sociales et exactes. Les lauréats de ce programme possèdent un parcours spécialisé dans un champ donné (archivistique, bibliothéconomie et ingénierie des systèmes documentaires). Tout comme l’ancienne formation du premier cycle, les étudiants du cycle d’ingénieur sont tenus d’effectuer un stage de fin d’études à leur dernière année de formation à l’ESI.

Les diplômés de l’ESI, dans la variété de leur profil académique (formation de premier ou de deuxième cycle) et leur spécialisation (archivistique, gestion stratégique de l’information ou bibliothéconomie) sont regroupés dans une seule association professionnelle, connue sous le nom de l’Association nationale des informatistes (ANI)[5].

L’Association nationale des informatistes (ANI) : un regroupement professionnel prestigieux

L’ANI a été fondée en 1973 afin de regrouper les lauréats de l’ESI dans un réseau professionnel. Elle est constituée de bibliothécaires, de documentalistes, d’archivistes, de gestionnaires des connaissances, de veilleurs et de community managers. Elle compte plus de 3 100 lauréats de l’ESI et est présentement engagée dans six différents projets touchant les SI (ANI 2018). À la différence des regroupements professionnels à l’échelle internationale, qui consistent en des réseaux de professionnels par spécialité (par exemple une association pour les archivistes, une autre pour les bibliothécaires, etc.), l’ANI se veut une association de large envergure qui favorise un dialogue entre les professionnels issus des divers champs des SI et renforce les liens entre eux.

« Unis dans la diversité », telle est la devise de l’ANI en tant que regroupement professionnel marocain favorisant le dialogue entre les divers métiers en SI. Peu importe la sphère dans laquelle le professionnel de l’information est actif (bibliothèques, centres d’archives, ministères, entreprises privées, etc.), tous les membres font partie d’une association solidaire qui défend leurs droits et favorise une meilleure reconnaissance de leurs profils académiques et professionnels au Maroc et à l’étranger. Grâce aux cotisations annuelles de ses membres, l’association a réussi à développer une plateforme numérique publique, où plusieurs ressources numériques sont mises à la disposition du grand public : les publications officielles, les textes législatifs marocains encadrant les professions en SI, l’annuaire des lauréats de l’ESI avec leurs coordonnées respectives, les publications scientifiques nationales et internationales des informatistes, etc.

L’ANI est un organe vital dans la promotion des professions en SI au Maroc. La situation actuelle de celles-ci présente des enjeux majeurs pour les informatistes, notamment en matière de reconnaissance de leur statut et de leur sphère d’activité. En fait, l’appellation informatiste prête à confusion pour les non-spécialistes en SI : elle est souvent confondue avec celle du journaliste, car les deux catégories des professionnels se servent de l’information dans le cadre de l’exercice de leurs professions, bien que les conceptions et les usages de cette information soient différents. Afin de pallier les problèmes liés à cette confusion, l’ANI s’engage dans des processus de communication publique en faisant connaître les professions en SI par divers moyens, à savoir : la diffusion des publications sur les réseaux sociaux et l’organisation des évènements périodiques sur le statut de l’informatiste et sa valorisation sur le marché du travail. En outre, par l’entremise des Assemblées générales annuelles et périodiques, qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires, l’Association aborde des questions visant à défendre les droits des informatistes, à encadrer l’exercice des professions en SI par des dispositifs éthiques, déontologiques et législatifs et à améliorer les conditions de travail dans les milieux documentaires et concurrentiels.

Par ailleurs, l’ANI vise continuellement à instaurer une atmosphère de médiation des savoirs théoriques et pratiques en SI, peu importe la spécialisation. Un tel dialogue favorise la communication entre les diverses spécialités dans la discipline et fait ainsi naître de nouveaux questionnements qui peuvent toucher plusieurs champs d’activité à la fois, par exemple les enjeux du big data ou des données massives. Un tel phénomène engendre des défis pour le professionnel de l’information sur plusieurs plans : d’un point de vue archivistique, les spécialistes doivent aborder d’une façon plus approfondie les questions de l’intégrité, de l’authenticité, de la fiabilité et de l’exactitude des documents d’archives, ces exigences archivistiques qui représentent des défis s’accentuant de plus en plus dans un environnement numérique. En bibliothéconomie, les bibliothécaires sont tenus d’intervenir plus dans la valorisation de ces données massives par la conception des schémas de métadonnées et des taxonomies plus élaborées afin d’optimiser le repérage des ressources documentaires. Similairement, en gestion stratégique de l’information et plus précisément en informatique décisionnelle (business intelligence), cela induit la nécessité d’une révision des méthodes de traitement et de synthèse des données en vue de la génération des rapports utiles à des fins de prise de décision. Ainsi, force est d’admettre qu’un tel phénomène possède des dimensions touchant plus qu’un champ d’activité en SI : le rapprochement de ces champs permet d’élargir les perspectives des professionnels en s’inspirant des pratiques de leurs collègues oevrant dans des milieux différents des leurs. En effet, cela confirme le caractère multidisciplinaire de la formation offerte par l’ESI : tous les diplômés de cette École possèdent un profil plus ou moins polyvalent qui leur offre la possibilité d’étendre leurs champs d’intervention et favorise une certaine souplesse à leur carrière professionnelle.

Outre ses missions socioculturelles et professionnelles, l’ANI est active dans un large éventail de projets de recherche scientifique qui contribuent à l’avancement des SI, compte tenu de la tradition marocaine en la matière. Certes, il s’agit d’une véritable relève puisque les SI demeurent un champ encore novateur au Maroc. Il gagnerait ainsi à se tracer des axes de recherche prioritaires en vue de se développer. L’ANI noue, dans cette optique, des liens étroits avec des centres de recherche scientifique et des universités reconnus à l’échelle internationale, notamment avec la France et la Belgique.

Ayant présenté l’ANI et détaillé ses missions, la section subséquente présente quelques exemples des réalisations concrètes de l’ANI sur le plan de la promotion des métiers en SI et la visibilité de la discipline à l’échelle nationale et internationale.

Les interventions de l’ANI : exemples concrets

La bibliothéconomie et l’archivistique sont deux sous-disciplines des SI dans lesquelles l’ANI est très active. Dans la sphère des bibliothèques, l’association s’implique entre autres dans les activités socioculturelles organisées par la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc (BNRM)[6] visant à faire valoir le patrimoine documentaire national et à promouvoir les activités de lecture et de littératie auprès de diverses tranches de la population marocaine. Mentionnons dans cette perspective la fameuse campagne « Allons lire ! » qui a réuni un ensemble de bibliothécaires et des étudiants de l’ESI afin de promouvoir leurs compétences informationnelles et leur importance dans la lutte contre l’analphabétisme et l’amélioration de la visibilité des bibliothèques en tant qu’espace de médiation culturelle. Les débats publics touchant l’enrichissement du patrimoine culturel et documentaire national font également partie des sphères où ladite association intervient d’une façon active.

Côté archivistique, la contribution de l’ANI y tient une part importante. La tradition archivistique marocaine se veut plus dynamique que celle liée à la bibliothéconomie. Un bon témoin de cette dynamique est l’évolution de la législation régissant la gestion des documents d’activité et des archives historiques. Les interventions de ladite association résident dans le fait qu’elle veille à la bonne application des principes énoncés dans la Loi 69/99 sur les archives[7] ainsi que dans son décret d’application[8]. Elle organise également des journées d’étude et des colloques, en collaboration avec Archives du Maroc en tant qu’institution nationale prestigieuse chargée de la collecte, de la gestion et de la sauvegarde du patrimoine archivistique national. Ces journées visent, entre autres, à valoriser la législation marocaine sur les archives en facilitant l’assimilation des principes énoncés dans le cadre légal en vigueur.

La journée nationale des archives

Cette journée, organisée au mois de novembre de chaque année par Archives du Maroc, en collaboration avec l’ANI et l’ESI, a pour objectif de dresser un état de la situation sur la pratique archivistique au Maroc. Elle se veut un lieu de convergence des réflexions des archivistes, historiens et autres professionnels de l’information en provenance du Maroc et de l’étranger. Les thématiques abordées lors de cette journée touchent principalement les problématiques de la gestion des archives analogiques et numériques à l’échelle nationale, et ce, au regard des considérations juridiques et technologiques établies à cette fin. C’est l’occasion d’inviter les intervenants marocains en archivistique à concerter leurs efforts afin de pallier les problèmes identifiés, dans le but d’harmoniser les pratiques de la gestion des archives dans les organisations marocaines.

La journée internationale des archives

Cette journée est célébrée le 9 juin de chaque année, partout dans le monde. Le Maroc la célèbre aussi à propre manière. C’est l’occasion de mener des débats publics sur des problématiques touchant l’archivistique sur le plan national. C’est une occasion incontournable d’aborder ces mêmes problématiques sous un angle international, grâce au dialogue instauré entre les professionnels de l’information marocains et étrangers. L’ANI en tant qu’entité socioculturelle est également impliquée dans cette journée (organisation, sponsor, etc.).

Il est évident que, forte de ses interventions actives dans les divers champs des SI, l’ANI se veut un organe socioculturel qui peut être perçu comme un acteur engagé dans une communication publique. Par ses rôles déontologiques, éthiques, professionnels, académiques et sociaux, elle vise à promouvoir les valeurs et les codes éthiques et socioculturels régissant les professions en SI. Elle contribue aussi à l’avancement de la discipline en partant de la perspective marocaine, qui se veut encore jeune en la matière. Par conséquent, force est de constater que la visibilité des professionnels de l’information, des milieux documentaires ainsi que des SI est promue grâce au rôle prépondérant joué par l’ANI à cet égard.

Vers une union maghrébine des bibliothèques et des services de l’information

À l’instar de la décision de l’ASTED de fonder une Fédération des milieux documentaires et archivistiques, le Maroc tend également, en collaboration avec d’autres pays du Grand Maghreb, vers l’Union maghrébine des bibliothèques et des services de l’information. Les professionnels de l’information issus des pays de cette région francophone songent à établir un réseau professionnel plus élargi et plus unifié, vu la ressemblance remarquable entre les traditions bibliothéconomiques et archivistiques de ces pays. Le concept à l’origine de ce regroupement serait d’unifier les efforts afin d’améliorer la visibilité et le positionnement des professionnels de l’information et des professions en SI dans le Grand Maghreb. Les axes de cette Union porteraient également sur l’uniformisation des pratiques par l’établissement d’un cadre normatif plus harmonisé. Il pourrait ainsi être légitime d’opter pour la traduction des normes et standards internationaux en arabe, leur promotion et valorisation afin de favoriser leur utilisation et application effectives en milieu bibliothéconomique et archivistique. Mentionnons dans cette perspective la norme RDA (Ressources : description et accès) qui, malgré la disponibilité de sa traduction en arabe et la disponibilité des lignes de mise en œuvre pour le traitement des ressources documentaires en arabe (Osman 2016), a pris un certain recul pour être instaurée dans les bibliothèques arabes. Au Maghreb, elle gagnerait encore à jouir d’une meilleure visibilité dans les bibliothèques, puisque celles-ci utilisent encore la norme ISBD (International Standard Bibliographic Description) pour la description de leurs ressources documentaires. Il en va de même pour la norme RiC (Records in Contexts) conçue par le Conseil international des Archives pour permettre la description des documents d’archives dans leur contexte de création, d’exploitation et de conservation. La disponibilité des règles d’implantation de ces normes ferait en sorte que leur applicabilité soit garantie dans les milieux documentaires et archivistiques arabes en général, et maghrébins en particulier. L’établissement de cette Union favorisera ainsi un échange du savoir théorique et pratique à cet égard. Ce serait également une occasion incontournable de permettre un meilleur dialogue entre les pratiques maghrébines et internationales en SI. On se demande ainsi : ce rêve pourrait-il être réalisé ? Certes, oui, mais cela exige la concertation des efforts de la part des professionnels de l’information maghrébins.

Conclusion

Les associations professionnelles sont des regroupements socioculturels qui encadrent la pratique de la profession et promeuvent les valeurs qui y sont liées. Ce sont des acteurs engagés dans une communication publique qui fait connaître la profession et la discipline. En SI, les associations professionnelles jouent un rôle prépondérant dans la défense des droits des professionnels issus de divers milieux documentaires et archivistiques. Elles contribuent au développement de la pratique professionnelle et aident à une meilleure visibilité de la profession à l’échelle nationale et internationale. Ce sont finalement des médiatrices entre les professionnels de l’information et les milieux documentaires.

Nous nous sommes penchés plus particulièrement sur le Maroc et la nature de son regroupement professionnel en SI. Il s’est dégagé de notre exposé que l’Association nationale des informatistes (ANI) est un lieu de convergence entre les différents métiers en SI (archivistes, documentalistes, veilleurs, bibliothécaires, gestionnaires de contenus, etc.) et un espace de médiation des savoirs théoriques et pratiques en SI. C’est également un levier pour la défense des droits et du statut des professionnels de l’information marocains. Comme perspective future, l’Union maghrébine des bibliothèques et des services de l’information serait le fruit de la médiation culturelle entre les divers pays du Grand Maghreb.