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L’ouvrage propose un état de l’archivistique qui trouve ses origines dans un programme de recherche sur les fondements de la discipline débuté dans les années 1990 par les auteurs. Les résultats de ces recherches, publiés sous la forme d’articles et ouvrages parus jusqu’en 2001, sont actualisés dans cette étude synthétique, en prenant en compte les changements entraînés par le numérique[1]. Depuis le début des années 2000, le numérique et les technologies et de l’information et de la communication se sont en effet développés de manière rapide et exponentielle, agitant la profession et la discipline archivistique. Afin de rendre compte de ces changements, Carol Couture et Marcel Lajeunesse développent une analyse en trois volets : (1) les législations archivistiques et les politiques sur les archives; (2) les principes et les fonctions archivistiques; (3) la formation et la recherche en archivistique.

Le premier chapitre est une version condensée de l’étude comparative Législations et politiques archivistiques dans le monde (Couture & Lajeunesse 1993), mise à jour grâce à différentes sources dont des textes de loi et les travaux du Comité pour les questions juridiques intéressant les archives (ICA/CLM). À partir de ces références, les éléments constitutifs de la législation de vingt pays différents, recouvrant l’ensemble des fonctions de l’archivistique et des interventions de l’archiviste, sont analysés selon un point de vue normatif et descriptif.

Treize éléments des législations prenant en compte les documents, les organismes et les personnes, sont étudiés et comparés en suivant leurs récentes évolutions. (1) La définition des archives, impliquant la définition de la notion d’archives et de fonds, mais également de propriété, de support, de valeur, ou encore de son inclusion dans un champ culturel patrimonial plus large. (2) La compétence, l’organisation et la coordination des systèmes et services nationaux d’archives, interrogeant la responsabilité pour les questions d’archives. (3) Le contrôle des archives publiques, définissant les organismes publics auxquels la loi s’applique. (4) Le contrôle des archives privées, dont l’étendue effective diffère énormément de pays à pays. (5) La gestion des archives courantes et intermédiaires : c’est-à-dire des dispositions générales tendant à la bonne gestion des documents d’archives, avec un détachement des fonctions du « records manager » des fonctions de l’archiviste. (6) L’évaluation et l’acquisition, le versement aux archives définitives qui requiert une définition de critères d’évaluation, des responsabilités de tri et d’élimination, ainsi que des conditions et délais de versement. (7) La préservation, assurant la conservation et la restauration des documents dans un environnement approprié ainsi que l’élaboration de règles en la matière. (8) La classification et la description des archives, basées sur le principe de respect de l’intégrité et de la structure interne des fonds, comprenant la compilation, la publication et la diffusion d’instruments de recherche. (9) La communicabilité et la consultation des archives, garantissant la libre communication des pensées et des opinions, l’accès à l’information et la transparence administrative. (10) La référence, l’authentification et la reprographie, assurant l’accès effectif du public aux archives. (11) Les ressources humaines dans les institutions d’archives, s’intéressant au degré de législation pour les questions de statut, formation, recrutement, carrière, déontologie. (12) Les supports spéciaux, qui ne prennent pas toujours en compte les technologies de l’information et de la communication. (13) Enfin, les sanctions, incluant des mesures pour protéger tant les archives que les archivistes, bien qu’elles soient généralement plus incitatives que coercitives.

De manière générale, les lois nationales concernant les archives témoignent de leur importance pour les décideurs et pour le développement du pays en question. Il existe donc un réel besoin de délimiter le champ d’application de la loi, tout en l’accompagnant de ressources humaines, financières et matérielles. Il est aussi nécessaire de proposer une définition la plus large possible pour les documents et les archives visés, afin d’inclure tous les types de support et de prévoir l’ensemble du cycle de vie des archives.

Dans cette mise à jour à partir des ouvrages sur Les fondements de la discipline archivistique (Rousseau, Couture et al. 1994) et les Fonctions de l’archivistique contemporaine (Couture et al. 1999), les auteurs résument et revoient, au prisme du numérique et du courant post-moderne, les principes et fonctions au coeur de la discipline archivistique. Pour rendre compte des expériences et des réflexions sur l’évolution de la discipline depuis le début des années 2000, un corpus de textes issus de la bibliographie publiée dans la revue Archives et sur le Portail international archivistique francophone (PIAF) et de divers sites Web d’organisations archivistiques, est réuni.

L’état des lieux de la pratique archivistique témoigne de l’omniprésence du numérique et du développement en grande quantité de nouveaux types de documents. Malgré ces changements, les fondements théoriques archivistiques (principe du respect des fonds, principe de territorialité, cycle de vie des archives, lien entre activités et création d’archives, l’intervention en amont) restent relativement inchangés. L’importance du principe du respect des fonds, qui est toujours largement reconnu et appliqué, subit néanmoins différentes critiques : sur sa matérialité, le fonds pouvant être envisagé comme une construction intellectuelle, conceptuelle, virtuelle, dématérialisée; sur la notion d’« ensemble » des documents, différencié de la théorie dans la pratique; sur la difficulté d’application du principe dans des organisations en constante évolution; sur la question du respect de l’ordre original des documents; et sur la volonté d’élargissement du concept de provenance, intégrant les contextes sociaux, culturels et historiques dans la provenance.

Les fonctions archivistiques (création, évaluation, acquisition ou accroissement, classification, description, diffusion, et préservation), quant à elles, sont repensées à travers la multiplicité des types de documents (composites et évolutifs), de leurs outils de création et des canaux d’échanges propres à l’environnement numérique. Ces changements impliquent de nouveaux éléments à prendre en compte dans les différentes étapes de la gestion des archives. En règle générale, ils imposent la nécessité pour l’archiviste d’intervenir le plus possible en amont. Ainsi, les étapes de classification, d’évaluation et de préservation doivent être envisagées dès la création du document tout comme le besoin d’établir des liens plus étroits entre le créateur de documents, les gestionnaires, les informaticiens, les concepteurs de systèmes et l’archiviste. Par ailleurs, il devient nécessaire d’élaborer de nouveaux critères d’évaluation et d’assurer le maintien de l’authenticité, de l’intégrité et de l’identité des documents. En ce qui concerne la classification, le modèle fonctionnel (hiérarchie des fonctions et des activités) doit être amélioré à l’aide de nouveaux modèles : classification à facettes, plan de classification mixte ou encore classification au niveau de la pièce. Outre les changements dans les procédures, modalités et techniques d’acquisition, une intensification de la normalisation des pratiques descriptives et de forme des descriptions des documents d’archives doit être opérée. Toujours à propos de la description, l’intervention des utilisateurs doit être encouragée, grâce notamment aux métadonnées descriptives partageables et aux plateformes participatives, de même que l’adaptation des instruments de recherche aux besoins des utilisateurs et en fonction des possibilités offertes par Internet. Enfin, les nouveaux modes de diffusion en ligne, l’expérimentation, la volonté d’orienter et de normaliser les pratiques de préservation, la prise en compte de nouvelles tendances comme le dépôt numérique fiable, l’infonuagique et l’importance du travail collaboratif sont également de nouveaux aspects à considérer.

Le dernier chapitre propose une actualisation d’une étude menée en 1999 faisant le point sur la formation et la recherche en archivistique (Couture, 1999), qui avait alors rapporté une tendance à l’académisation de la discipline et à la croissance de la recherche. La mise à jour de cette étude, réalisée en 2013, s’appuie sur une revue de la littérature archivistique et sur les sites Web d’une quarantaine d’écoles d’archivistiques dans le monde.

En ce qui concerne la formation, la mise à jour de l’étude relève des changements sur trois plans. Tout d’abord, en matière d’organisation des programmes, les auteurs constatent une baisse du nombre d’écoles autonomes, ainsi qu’un rattachement institutionnel majoritaire aux écoles de bibliothéconomie et de sciences de l’information, puis aux départements d’histoire. Malgré la non-reconnaissance du statut de professeur dans certains pays, il existe une modeste croissance du nombre de postes par rapport à la précédente étude. Ensuite, sur le plan pédagogique, une offre plus large de formation à distance est notée, avec des exemples comme le Portail international archivistique francophone (PIAF) et l’École archivistique de l’Afrique subsaharienne d’expression française (EBAD). Enfin, les contenus des programmes en archivistique couvrent de plus en plus de thèmes en se dotant d’approches multidisciplinaires. Une augmentation des programmes de deuxième cycle (majoritaire) et de doctorat est également relevée. Par contre, la grande diversité des matières enseignées témoigne de l’absence de consensus sur le contenu des programmes. De plus, malgré l’intervention des technologies de l’information et de la communication dans les programmes, l’adaptation aux nouvelles problématiques technologiques semble se faire de manière relativement lente.

En parallèle, la recherche a également subi différents changements depuis 1999, sous l’influence du courant postmoderniste et du numérique. Comme pour la formation, une recrudescence du multidisciplinaire est également constaté pour la recherche, tant dans la méthodologie que dans les thèmes de recherche. Certaines thématiques, particulièrement celle du numérique en archivistique, se sont particulièrement développées ces dernières années, et de nouveaux domaines de recherche font leur apparition, comme les archives et l’émotion ou l’utilisation des archives à des fins artistiques.

L’importance du numérique est indéniable en recherche, avec différents exemples de projets (modèle OAIS, CASPAR, MoReq, InSPECT, David) dont le plus marquant de par son ampleur est sans aucun doute InterPARES (International Research on Permanent Authentic Records in Electronic Systems), mené de 1999 à 2012 et qui a permis de développer des concepts, méthodes et outils pour aborder la quasi-totalité des entités numériques. Par contre, beaucoup de projets financés portent sur l’information numérique et les données, mais très peu sur les documents.

L’archivistique à l’ère du numérique brosse un portrait de la discipline archivistique sur le plan international depuis le début des années 2000. Les changements qu’ont connus la discipline et la profession depuis les années 1990 ont en effet été nombreux, entraînant la nécessité d’une mise à jour des conséquentes recherches précédemment publiées par les auteurs. Cette nouvelle synthèse offre dès lors un tour d’horizon rapide et actualisé de la législation archivistique, de ses fondements, ainsi que de son enseignement selon les structures préexistantes des travaux de Couture et Lajeunesse.

Il s’agit bien évidemment d’une entrée en la matière sur la question des archives et du numérique, qui propose une base de connaissances, ainsi que des pistes de recherches et de lectures. Le numérique s’est en effet développé depuis les années 1990 « à la fois en tant que paradigme et en tant que couverture toujours plus large de la réalité comme mode d’organisation spatiale et sociétale » (Compiègne 2011, 8). Les questions liées au numérique et aux archives représentent dès lors un vaste et attrayant champ de recherche et s’articulent autour d’entités et de concepts complexes, dont on ne commence qu’à appréhender les contours. Ce nouvel état des choses invite les archivistes à repenser les structures mêmes de l’archivistique, tout autant que les lieux et les objets que la discipline travaille, ces derniers devenus des entités hybrides, en mutation permanente, aux multiples appartenances et existant en réseau (comment appréhender un tweet? Comment penser les initiatives pionnières, telles que les archives Prelinger?). Ces nouveaux enjeux appellent tant à une réflexion qui se doit innovatrice et interdisciplinaire, qu’à la prise en considération de projets concrets, expérimentant sur le terrain du numérique.