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À l’heure de la dématérialisation de la musique enregistrée, la pertinence du maintien de collections musicales en bibliothèque est remise en question par plus d’un. Les changements dans les modes de production, de diffusion et de consommation de la musique ont entraîné une véritable « révolution culturelle », avec pour conséquence que l’industrie de la musique vit aujourd’hui une crise sans précédent. La situation des discothèques de prêt n’est guère plus enviable : le volume des prêts de documents sonores aurait chuté de 40 % entre 2002 et 2011 dans le réseau des bibliothèques municipales de la ville de Paris (p. 16) et l’offre de musique enregistrée en ligne en est encore à se définir. C’est sur ce constat de crise que s’ouvre la troisième édition de Musique en bibliothèque, parue en France en 2012, près de 20 ans après la publication de l’édition originale. Dirigé par Gilles Pierret, directeur de la Médiathèque musicale de Paris, cet ouvrage collectif est l’oeuvre de 20 professionnels aguerris provenant de milieux variés, comprenant des collaborateurs de la Bibliothèque nationale de France, de diverses bibliothèques municipales et de conservatoires français.
L’ouvrage se subdivise en huit sections. Dans la première section, on présente les principaux établissements (bibliothèques et centres de documentation) ayant des collections musicales en France, ainsi que les enjeux auxquels ils font face. Les départements de la musique et de l’audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France y sont entre autres présentés — on y apprend notamment que le dépôt légal pour la musique imprimée existe depuis 1786 en France ! On dresse ensuite un portrait des bibliothèques musicales d’Europe. Dans la deuxième section, l’évolution des pratiques musicales (diffusion, marché) est abordée, de même que les aspects juridiques entourant ces pratiques. L’évolution de la production musicale et des supports pour la musique enregistrée est décrite à travers le prisme du dépôt légal pour les oeuvres musicales phonographiques. Deux sections portent sur les défis à relever selon le type de bibliothèque : on s’intéresse dans un cas aux bibliothèques publiques, avec une emphase sur l’aménagement des espaces, et dans l’autre, aux bibliothèques de conservatoire, avec une présentation plus détaillée de deux médiathèques. La formation des bibliothécaires musicaux en France fait l’objet d’une courte section, laquelle comprend une liste des établissements d’enseignement offrant une telle formation. Enfin, trois sections abordent un aspect particulier de la bibliothéconomie musicale. L’une de ces sections porte sur les enjeux liés à la conservation du patrimoine sonore enregistré. Une autre section aborde les enjeux liés à la classification des enregistrements musicaux et à leur catalogage, où il est notamment question du modèle FRBR (Functional Requirements for Bibliographie Records [en français : spécifications fonctionnelles des notices bibliographiques]) et des différences entre les RDA (Ressource : Description et Accès) et les pratiques françaises en usage. La dernière section traite des nouveaux outils de recherche pour la musique qui sont disponibles en ligne.
Cette édition se démarque fortement des éditions précédentes de Musique en bibliothèque, si bien qu’il serait sans doute plus juste de parler d’un nouvel ouvrage. En dehors de Pierret, qui avait collaboré aux deux premières éditions, comme auteur d’abord, puis comme coéditeur, on retrouve très peu des collaborateurs des premières éditions. L’organisation et l’approche tranchent également avec les autres éditions. Alors que les éditions précédentes se présentaient davantage comme des guides pratiques abordant tous les aspects de la bibliothéconomie musicale, cette édition accorde une place plus importante à la réflexion, les aspects pratiques étant traités de façon moins systématique et toujours sous l’angle de la remise en question.
Un thème sous-tend en effet l’ensemble de l’ouvrage : la nécessité de repenser la place de la musique en bibliothèque et les services qui y sont associés. La grande force de cette nouvelle édition est qu’on ne fait pas que déplorer la situation. De nombreuses pistes de solutions sont en effet présentées afin d’attirer de nouvelles générations d’usagers tout en évitant de s’aliéner les utilisateurs actuels, et ce, dans un contexte où les ressources humaines et financières se font souvent de plus en plus rares. Plusieurs projets innovateurs et inspirants sont ainsi présentés tout au long de l’ouvrage. Il ressort notamment de ces exemples qu’une possible avenue serait de mettre davantage l’emphase sur le rôle de médiation de la bibliothèque, en organisant des concerts en ses espaces (à l’instar du programme Get it Loud in Libraries[2] des bibliothèques publiques anglaises) ou encore des séances d’écoute publiques avec mise en contexte. La médiation peut également se faire au moyen des médias sociaux (balados ou blogues de bibliothécaires musicaux, pages Facebook ou MySpace de la bibliothèque, etc.). Certains auteurs proposent de revoir l’orientation des collections musicales. Diverses suggestions sont formulées par les auteurs : étendre l’offre de ressources musicales sous forme numérique en privilégiant les services qui proposent l’écoute de musique en continu par rapport aux services de prêt de fichiers chronodégradables, se concentrer sur la musique en accès libre (sous licence Creative Commons) ou encore renforcer les collections imprimées, particulièrement les partitions musicales qui demeurent populaires auprès des usagers. Certains auteurs proposent plutôt que les bibliothèques publiques consacrent davantage de ressources à la mise en valeur de la production musicale locale, en contribuant à sa diffusion au moyen d’activités d’animation et de médiation et en participant à sa numérisation.
Coordonner les textes d’une vingtaine d’auteurs dans une même publication n’est certes pas chose facile. Ainsi, comme plusieurs ouvrages collectifs, Musique en bibliothèque souffre d’un manque d’harmonisation dans le style d’écriture et dans la terminologie utilisée. Une meilleure coordination aurait par ailleurs été nécessaire afin d’atteindre une plus grande cohérence et éviter les redites. À titre d’exemple, puisque l’ouvrage se concentre principalement sur les défis auxquels les bibliothèques musicales font face, plusieurs textes relatent l’évolution des supports pour les documents sonores. De plus, les lecteurs québécois regretteront sans doute que l’ouvrage couvre essentiellement la réalité française. À l’exception du chapitre sur les établissements européens, tous les chapitres sont rédigés par des bibliothécaires français et portent sur des pratiques et des établissements français. Les sections traitant des pratiques de catalogage et surtout du cadre juridique leur seront ainsi peu utiles. Enfin, étant donné la taille du livre, il aurait été intéressant d’ajouter un index des sujets.
Malgré ces faiblesses et limites, Musique en bibliothèque demeure un incontournable pour les professionnels qui s’intéressent à la bibliothéconomie musicale. L’ouvrage est rédigé par des praticiens reconnus et contient plusieurs exemples de pratiques inspirantes. Les bibliothèques qui proposent des ressources musicales ne peuvent faire l’économie de repenser la place de la musique dans leurs collections et des services qui y sont associés. Cet ouvrage permettra sans nul doute de faire avancer la réflexion. Ajoutons qu’il s’agit du seul ouvrage du type publié en français. Par contre, pour ceux qui seraient à la recherche d’un manuel pratique couvrant tous les aspects de la bibliothéconomie musicale, un ouvrage tel que The Music Performance Library : A Practical Guide for Orchestra, Band, and Opera Librarians[3] (Girsberger & Lake 2011) serait sans doute mieux indiqué.