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Introduction

Les bibliothécaires, les archivistes et les professionnels oeuvrant dans les musées sont souvent considérés comme des partenaires naturels en matière de collaboration et de coopération. Les professionnels de ces institutions culturelles travaillent généralement avec les mêmes communautés d’usagers ou de visiteurs et, surtout, effectuent souvent des tâches similaires. Selon Griffiths et King (2008, 24), « museums and public libraries serve important and complementary roles in supporting a wide variety of information needs »[1]. La création de collections numériques de même que les innovations rapides et constantes en matière de technologies ont mené à la diversification des cours offerts dans les programmes en sciences de l’information (SI), de manière à faire place à la formation de futurs diplômés qui pourront travailler dans une variété d’institutions, y compris les musées. Selon Compétence Culture, le vaste domaine de la muséologie

touche des fonctions de travail telles que la gestion des collections, la mise en exposition, l’éclairage muséal, la conception et l’animation d’activités éducatives, la médiation culturelle, l’archivage, la documentation, la conservation, la restauration dans les contextes des musées, des centres d’exposition et d’interprétation, des lieux de patrimoine historique, naturel, scientifique et technique, des bibliothèques, des archives et des événements mettant en valeur le patrimoine vivant (danse et musique traditionnelles, conte, métiers anciens).

2014

L’examen de ces activités laisse déjà entrevoir les recoupements qui existent entre les emplois disponibles en bibliothèque et en musée. À cet effet, la Classification nationale des professions (CNP) du Canada dénombre neuf profils d’emploi en muséologie et patrimoine, et regroupe déjà les professions des SI et des musées : directeurs et directrices de bibliothèque, d’archives, de musée et de galerie d’art; commis de bibliothèque; bibliothécaires; restaurateurs et restauratrices et conservateurs et conservatrices; archivistes; professionnels et professionnelles des relations publiques et des communications; techniciens et techniciennes et assistants et assistantes dans les bibliothèques et les archives; personnel technique des musées et des galeries d’art; et finalement, ensembliers et ensemblières de théâtre, modélistes de vêtements, concepteurs et conceptrices d’expositions et autres concepteurs et conceptrices artistiques (Compétence Culture 2014).

Cet article recense les principaux points communs que l’on trouve parmi les métiers liés aux SI et au patrimoine culturel. Nous décrivons la place qu’occupe le contenu muséologique au sein de la formation en SI. Nous tentons également de démontrer que l’intégration de l’enseignement muséologique poursuit un double objectif. Cet ajout assure aux diplômés une plus grande polyvalence à leur arrivée sur le marché du travail. En outre, cet enrichissement permet d’attirer une nouvelle clientèle dans des programmes plus traditionnels, orientés vers les bibliothèques et les archives. Finalement, cet amalgame des deux domaines permet à la fois aux musées de bénéficier de la longue tradition des pratiques de catalogage et de partage de données adoptées en bibliothèques, et aux sciences de l’information d’acquérir des connaissances sur la nature critique du domaine muséal et la variété d’objets que l’on trouve dans leurs collections, ce qui va bien au-delà du document textuel conventionnel.

Le domaine culturel

La profession

On peut se demander, dans un premier temps, à quoi ressemblent les professions du domaine culturel. Le Conseil des ressources humaines du secteur culturel (CRHSC 2014) regroupe ces professions en quatre catégories (Tableau 1).

Tableau 1

Professions par catégorie selon le CRHSC (2014)

Professions par catégorie selon le CRHSC (2014)

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Au cours des dernières années, la gestion de collections virtuelles, la préservation des données numériques et l’archivage électronique sont devenus des activités essentielles du secteur culturel. Si cela semble une évidence pour les professionnels des bibliothèques, il devient de plus en plus clair que les musées doivent maintenant se préoccuper également de ces tâches. Il faut par contre se demander si le personnel déjà en place possède les qualifications nécessaires. Selon Baujard, « la diversification des activités des musées nécessite des professionnels : administration, communication, marketing, conservation, exposition, éducation et recherche. De nouveaux métiers aux statuts différents (régisseurs, documentalistes, etc.) liés à l’application d’outils informatiques (base de données, interaction avec environnement) » (2014). Certaines dimensions touchant les aspects juridiques, les métadonnées, les formats de fichiers, le stockage et les supports et l’accès à l’information doivent prioritairement être prises en compte par les musées. Selon la Société des musées du Québec (SMQ), « la numérisation du patrimoine et le recours aux dispositifs numériques font maintenant partie des pratiques muséales, ce qui encourage divers modes de visites et de connaissance des oeuvres. L’accès public aux collections est dorénavant élargi » (2014). En outre, les institutions muséales doivent gérer des quantités grandissantes d’information (archives administratives, dossiers de projet, etc.) qu’il leur faut organiser, structurer, diffuser et valoriser, en fonction de publics déterminés, ce qui exige par conséquent un élargissement de la formation prérequise.

Les compétences

En 2013, la SMQ, soutenue par le CRHSC, publiait un dictionnaire faisant l’inventaire des compétences « susceptibles d’être exigées aux personnes qui contribuent à la gestion des collections dans l’ensemble des institutions muséales » (2013, 3). L’objectif de ce document était de tracer un portait exhaustif des activités essentielles relatives à tout mandat de gestion des collections muséales. Dix champs de compétences, c’est-à-dire « un ensemble de fonctions subdivisées en activités essentielles requises pour assurer une gestion efficiente des collections en contexte muséal » (SMQ 2013, 5), ont été définis (Tableau 2).

Tableau 2

Champs de compétences muséales et activités essentielles selon la SMQ (2013)

Champs de compétences muséales et activités essentielles selon la SMQ (2013)

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Cet inventaire est révélateur en ce qui concerne les recoupements pouvant exister entre le travail des spécialistes de l’information et les professionnels des musées. Ces compétences doivent être acquises, en principe, lors de la formation initiale de ceux et celles qui désirent travailler dans une institution culturelle.

La formation en sciences de l’information

En Amérique du Nord, la majorité des écoles offrent des programmes de maîtrise en sciences de l’information (MSI) agréés par l’American Library Association (ALA). L’ALA est la plus ancienne et la plus importante association de bibliothèques du monde et elle définit ainsi sa mission : « To provide leadership for the development, promotion, and improvement of library and information services and the profession of librarianship in order to enhance learning and ensure access to information for all. »[2] (2015a) Les programmes agréés par l’ALA stipulent que les étudiants admis à la MSI détiennent déjà au moins un diplôme de 1er cycle universitaire dans n’importe quel domaine du savoir. En outre, l’ALA a établi cinq normes régissant différents aspects des programmes de MSI : planification systématique, programme de cours, corps professoral, corps étudiants et administration, support financier et ressources (2015b)[3]. Même si les cours offerts varient d’une école à l’autre, les programmes de MSI sont conçus pour donner aux étudiants non seulement une compréhension de base, mais également une méthode d’analyse approfondie des enjeux liés à la société de l’information, ainsi qu’une idée complète et précise des rôles qu’ils peuvent jouer en tant que futurs gestionnaires et spécialistes de l’information.

Si le format des programmes de maîtrise professionnelle offerts en Amérique du Nord et destinés à former les futurs spécialistes en information varie d’une école à une autre, on note certaines constantes. Les étudiants choisissent dans une banque de cours visant l’apprentissage de tous les aspects du processus de gestion de l’information. Certains diplômés se verront confier la responsabilité de petites bibliothèques, d’un service au public ou d’un secteur documentaire, ce qui suppose qu’ils seront appelés à assurer des tâches d’encadrement, ou encore à mener des projets et des opérations de façon ponctuelle.

La maîtrise des technologies de l’information constitue sans doute une compétence prioritaire des professionnels de l’information d’aujourd’hui. Il va sans dire que celle-ci occupe une place primordiale dans les programmes de MSI. On considère indispensable que les étudiants des programmes en SI acquièrent les compétences technologiques nécessaires dans des environnements de travail diversifiés, non seulement pour la pratique immédiate en milieu de travail, tout en gardant en tête que les technologies et les systèmes d’information évoluent sans cesse, ce qui exige des professionnels suffisamment formés et, surtout, qui peuvent s’adapter facilement et rapidement à un monde en constante évolution.

Quelques points communs

L’acquisition de compétences professionnelles appropriées à l’ensemble des pratiques touchant l’information est la priorité de la formation en SI. Parmi ces compétences, mentionnons la recherche, la création, l’acquisition, le traitement, l’organisation, la structuration, la préservation, la conservation, et l’évaluation de l’information, de même que la valorisation, la médiation et la diffusion au public des collections de toute nature. Dans cette section, nous présentons en détail trois de ces activités réalisées aussi bien au musée qu’en bibliothèque ou dans un service d’archives : le traitement documentaire, la valorisation et la médiation des collections.

Le traitement documentaire

De nombreux points communs existent entre le traitement documentaire effectué dans les musées, dans les bibliothèques et dans les services d’archives. Dans le traitement des collections muséales, plusieurs approches sont possibles : selon la nature des objets, par type de provenance, selon les matériaux utilisés, selon la période chronologique, etc. Composé de plusieurs étapes, le traitement des collections muséales débute généralement par le processus d’inventaire, c’est-à-dire une revue précise et détaillée menant à la création d’un document dans lequel sont inscrits et décrits, article par article, tous les objets de la collection. Cette première étape est l’une des plus importantes. Dans une institution patrimoniale, l’inventaire a pour objectif d’assurer la conservation administrative et la préservation de l’identité des objets acquis par cette institution, ou encore qui y sont déposés. Il sert aussi à établir, de manière incontestable, que l’objet appartient à l’institution ou que celle-ci l’a reçu en dépôt de la part d’un tiers. L’inventaire contribue également à l’élaboration d’un document administratif spécifique servant à identifier et à gérer les collections dans les meilleures conditions. Le document muséologique qui en découle constitue un document de référence essentiel pour toute étude pouvant être entreprise par l’institution. Finalement, l’inventaire, par les différents éléments qui le composent, permet l’identification véridique de tout objet intégré aux collections, et cela sans risque d’erreur ou de confusion.

L’inventaire est réalisé selon les normes en vigueur dans le musée. Le travail d’inventaire requiert une grande rigueur et des connaissances scientifiques solides afin de pouvoir identifier avec précision les objets et les décrire dans les termes les mieux adaptés. De nombreuses rubriques sont nécessaires à la description de l’objet muséal, peu importe sa nature. On doit enregistrer certaines informations relatives au statut juridique et aux conditions de son acquisition telles que le numéro d’inventaire, le mode d’acquisition, le nom du donateur ou du vendeur, les dates d’acquisition et d’affectation, le prix d’achat. D’autres informations liées à la description de l’objet sont distribuées dans différentes rubriques selon, entres autres, le type d’objet, le nom, le sujet, etc.

En plus de l’inventaire, les musées font une description détaillée des objets. Cette étape s’apparente intimement au processus de catalogage en bibliothèque. Étant donné leur mission de transmission des connaissances aux générations contemporaines et futures, les musées doivent, dans la mesure des moyens dont ils disposent, documenter le mieux possible leurs collections en y ajoutant des renseignements descriptifs et historiques. En contexte muséal, on parle de « documentation » des collections pour désigner le processus fondamental de catalogage. L’identification, l’appellation, la description, les dimensions, les matériaux, l’historique, le processus de fabrication, la fonction sont des éléments importants de la description. Au Québec, les institutions muséales utilisent les normes du Réseau Info-Muse de la SMQ. Ces pratiques muséales d’enregistrement des données sont le résultat de la collaboration établie entre les organismes et les institutions muséales du Québec et du Canada. Les normes établies par le Réseau canadien d’information sur le patrimoine (RCIP) depuis les années 1970 ont fourni une base importante pour l’élaboration du système documentaire du Réseau Info-Muse (RCSIP 2013). En outre, « en 2011, les normes du Cataloging Cultural Objects (CCO) de la Visual Resources Association ont également été prises en compte. Ce système s’inscrit donc dans le prolongement des principales normes nationales et internationales de documentation des collections muséales » (SMQ 2014).

La classification des objets muséaux revêt aussi une grande importance. Celle-ci 

[...] permet de créer des liens logiques entre les objets, de déterminer les ressemblances et les différences, les regroupements et les oppositions à l’intérieur même d’une collection. Il permet aussi de porter un regard unique sur la collection, de mieux comprendre le contenu et de réfléchir sur les axes de collectionnement, sur les avenues de recherche et sur les moyens de diffusion à privilégier. L’utilisation d’un même système de classification pour l’ensemble des collections assure la cohérence et l’homogénéité de l’information sur [les] collections.

SMQ 2014

Il convient de mentionner que d’importantes différences existent dans le traitement documentaire des collections muséales et celles des bibliothèques. Selon Dunn, ces différences se concentrent « au chapitre des collections, des utilisateurs, des points d’accès, des mandats et des priorités [et elles] ont mené à des divergences dans les pratiques d’organisation des connaissances et dans l’évolution des normes » (2012, 118). La nature diversifiée des collections muséales a mené au développement de règles de catalogage et de normes de classification adaptées à ces besoins variés, contrairement à ce qui se fait généralement en bibliothèque.

Les normes de catalogage requises dans les musées sont beaucoup plus diversifiées que celles dont les bibliothèques ont besoin; les points d’accès potentiels sont beaucoup plus nombreux et, très souvent, un large éventail de vocabulaires contrôlés et de normes de classification associées à diverses disciplines, à la spécificité des collections et aux exigences en matière d’accès, permettent de formaliser chacun de ces points d’accès.

Dunn 2012, 118

Toutefois, même si la nature des objets muséaux ainsi que les normes utilisées pour leur description sont différentes de celles qui sont utilisées en bibliothèque, il n’en demeure pas moins que le traitement documentaire exige le même genre de compétences dans les deux types d’institutions, à un point tel qu’un système de catalogage partagé ne semble pas utopique. Le processus de description d’une sculpture en bois plutôt que d’une monographie ne devrait pas nécessiter un système de catalogage totalement différent, mais plutôt des connaissances pratiques un peu plus approfondies. Ces aptitudes nécessaires à la description s’acquièrent dans les cours d’organisation de l’information, de catalogage, de classification et d’indexation généralement offerts à la maîtrise en sciences de l’information et seraient facilement, après adaptation, transférables au domaine muséal.

La valorisation des collections

L’exposition physique

Outre la description ou documentation des collections, il existe un autre point commun entre les bibliothèques et les musées. Il s’agit de la valorisation des collections par le biais d’expositions. Si l’exposition muséale fait partie intégrante de la mission du musée, elle ne prend pas tout à fait la même place et importance dans la bibliothèque puisque les activités de celle-ci sont basées sur une mission différente. Cependant, en tant que troisième lieu lié à la culture, la bibliothèque utilise de plus en plus l’exposition pour la mise en valeur de ses collections.

Chaque exposition part d’une intention précise, d’une idée forte, d’objectifs tels que la célébration d’un événement particulier, la valorisation de fonds précis, l’inscription dans un contexte local, etc. Le but principal de l’exposition est avant tout de montrer des objets ou des oeuvres. L’exposition est aussi une occasion de transmettre un message. Ainsi, différents points de vue peuvent s’articuler autour d’une idée centrale, afin d’illustrer et de renforcer un thème spécifique.

La préparation d’une exposition suppose un travail d’équipe. La première étape est la définition claire et la répartition des rôles et responsabilités de chacun. S’inspirant des pratiques muséales, travaillant souvent avec des équipes plus étoffées, les mêmes étapes peuvent être suivies dans les bibliothèques pour la mise en valeur d’une partie de la collection, de manière à attirer l’attention des usagers. Le Tableau 3 présente les principales étapes de préparation d’une exposition (Québec (Province). Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine 2007).

Tableau 3

Étapes menant à l’élaboration d’une exposition

Étapes menant à l’élaboration d’une exposition

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Traditionnellement, l’acquisition des connaissances fondamentales à la préparation d’expositions physiques n’est pas nécessairement un objectif des programmes en SI, mais est toujours un objectif des programmes en muséologie. Ce créneau pourrait par contre s’intégrer dans un programme de SI, étant donné son importance. Par ailleurs, il faut mentionner une tâche complémentaire à tout travail d’exposition, celle de l’évaluation. Cette ultime étape du travail réalisé à la suite d’une exposition est parfois délicate, mais combien essentielle. S’il existe des indicateurs chiffrés, comme le nombre de visiteurs ou le rapport entre recettes et dépenses, il est plus difficile de quantifier et de confirmer l’intérêt suscité par une exposition, ou encore la qualité de sa conception. Plusieurs méthodes d’évaluation peuvent être employées. Parmi celles-ci, soulignons les enquêtes auprès du public, les entretiens individuels et l’observation discrète des visiteurs. Ces techniques sont généralement enseignées dans les cours de méthodes de recherche de la plupart des programmes en SI. Ces cours contribuent à former des individus mieux préparés pour analyser et synthétiser l’information provenant de sources hétéroclites. Ceci renforce l’idée que les compétences de la formation en SI sont bénéfiques pour le domaine muséologique, et vice-versa. Les étudiants de l’un ou l’autre des domaines auraient avantage à puiser dans le corpus de l’autre pour renforcer leur coffre à outil concernant l’élaboration, la mise en place et l’évaluation d’expositions physiques.

L’exposition virtuelle

Une autre voie de valorisation des collections passe par l’utilisation des technologies numériques. L’exposition virtuelle n’a pas grand-chose en commun avec l’exposition physique d’objets. Si les exigences physiques ne sont pas les mêmes, l’essentiel du travail est similaire : choix du thème, sélection des éléments représentatifs, recherche et développement des liens entre les objets à exposer et le thème, organisation des éléments d’une manière logique et significative, proposition de description pour chaque élément. Toutes ces tâches sont nécessaires aussi bien pour l’exposition physique que virtuelle et font autant partie du travail des bibliothécaires que du personnel des musées.

Il existe de nombreux types d’expositions virtuelles. Il est possible que l’exposition virtuelle soit directement liée à une exposition physique, sans pour autant se limiter à n’en être qu’une simple copie. L’évolution des technologies et l’importance accordée aux sites Web des bibliothèques et des musées donnent une nouvelle raison d’être aux expositions mises en ligne. Celles-ci se sont peu à peu adaptées aux nouveaux besoins et aux demandes des visiteurs. Dépassant le simple compte-rendu de l’exposition physique, l’exposition virtuelle apporte une nouvelle perspective aux objets exposés en les traitant selon les possibilités offertes par Internet et ses composantes multimédias, proposant du même coup aux visiteurs des connaissances riches ainsi qu’une expérience unique.

L’exposition en ligne se caractérise, tout comme l’exposition physique, par une scénographie qui met en valeur les objets ou les oeuvres sélectionnés, le tout accompagné de métadonnées descriptives, et parfois même d’un bref commentaire commun à un ensemble d’objets ou d’oeuvres. Il va sans dire que la visite d’une telle exposition ainsi que le cheminement intellectuel varient d’un visiteur à un autre. Par conséquent, la présentation des objets a tout intérêt à ne pas se limiter au simple texte apparaissant habituellement sur un cartel de musée. L’espace de déambulation du visiteur, si on peut s’exprimer ainsi lorsqu’on parle de navigation en ligne, ne se réduit plus uniquement aux limites physiques de la bibliothèque ou du musée. Par exemple, l’utilisation d’hyperliens offre toute une gamme de possibilités de furetage vers d’autres objets, textes, sites de bibliothèques, de musées, etc. Ainsi, l’exposition virtuelle devient intéressante puisqu’elle est en constante évolution, grâce à une gamme d’expériences interactives similaires à celles que l’on retrouve lors d’expositions physiques.

Un projet d’exposition virtuelle sollicitera sans doute l’expertise d’infographistes et, du point de vue technique, il conviendra de solliciter des spécialistes en informatique notamment, pour mettre au point des scénarios adaptés à différents types d’environnements. Toutefois, notons qu’il est de plus en plus possible d’acquérir les compétences nécessaires dans les divers programmes proposés par les écoles de SI. Par exemple, les cours portant sur les bases de données, les bibliothèques numériques et les documents multimédias assurent l’enseignement indispensable à la création et la gestion d’expositions virtuelles de toute nature.

La médiation

Depuis quelques années, on évoque de plus en plus la médiation. On considère généralement que la médiation culturelle en contexte muséal « désigne essentiellement toute une gamme d’interventions menées en contexte muséal afin d’établir des ponts entre ce qui est exposé (le voir) et les significations que ces objets et sites peuvent revêtir (le savoir) » (ICOM 2010). Elisabeth Caillet ajoute que « la question de l’accès à la culture est à l’origine de la notion de médiation » (1995, 15).

Les bibliothèques et les musées ont des fonctionnements distincts, par exemple dans l’utilisation de normes de métadonnées différentes, mais également dans les procédures d’accès aux collections. Toutefois, le processus de médiation dans l’une ou l’autre de ces institutions à vocation culturelle est sensiblement le même. Ainsi, le principal objectif de la médiation en musée ou en bibliothèque est avant tout de transmettre des connaissances. La médiation veut favoriser la compréhension de l’organisation du lieu et de ce que l’on peut y trouver, créant ainsi un lien entre le public et les collections. En outre, elle vise à rendre possible la rencontre entre l’objet ou l’oeuvre et le public, qu’il soit visiteur ou usager. Contenot rappelle que

dans les deux types d’institutions – musées et bibliothèques –, la médiation permet aussi de rassurer les publics, en particulier les plus éloignés des univers culturels, en rendant les biens culturels plus accessibles par une démystification des lieux, en donnant du sens aux collections par des discours compréhensibles par tout un chacun et enfin en assurant l’accompagnement vers la connaissance par le développement d’interventions attractives et conviviales.

2011

Le travail de médiation, aussi bien en bibliothèque qu’en musée, prend généralement « la forme de documents d’accompagnement (fiches de salles, livrets-jeux, journaux d’exposition), de cartels, ou encore d’expositions sous forme de panneaux pédagogiques, et de plus en plus fréquemment de supports numériques » (Contenot 2011). Par conséquent, on peut se demander quelles compétences sont essentielles à l’élaboration d’outils de médiation et au coeur même du travail de médiateur. Traditionnellement, la formation en SI prépare à un métier de nature « intellectuelle », qui demande une bonne connaissance des contenus. À ce savoir doivent s’ajouter des compétences instrumentales et communicationnelles (Galaup 2012). Le rôle de médiateur met en oeuvre des aptitudes traditionnelles (par exemple, la sélection et l’organisation de contenus), mais également des compétences de diverses natures :

  • compétences juridiques : posséder les connaissances nécessaires en matière de droit d’auteur, de droit à l’image, maîtriser les licences Creative Commons;

  • compétences techniques : maîtriser les outils de publication, de diffusion et de recherche sur Internet;

  • compétences rédactionnelles : produire des contenus, écrire pour le Web, réaliser des documents synthétiques;

  • compétences relationnelles : maîtriser l’interactivité et la relation à distance;

  • compétences didactiques : savoir transmettre des concepts sans forcément être expert du sujet, agir en complémentarité avec les enseignants (Galaup 2012).

Même si un cours de médiation n’est pas offert en tant que tel en SI, plusieurs compétences liées à la médiation peuvent être acquises tout au long de la formation en SI et devenir des atouts intéressants en institution muséale.

Conclusion : vers l’interdisciplinarité?

On peut se demander si des cours offrant du contenu lié directement à la muséologie ont vraiment leur place dans un programme de SI. Ce qui précède a mis en lumière les recoupements qui existent dans les tâches effectuées dans les bibliothèques et dans les musées. Il y a une place importante pour les SI dans les musées. Les tâches effectuées par les registraires sont similaires à celles des bibliothécaires. De plus, on constate un besoin croissant de personnel qualifié pour améliorer la mise en ligne des collections, le développement de sites Web, l’appropriation des technologies, l’intégration de mécanismes de veille et, il va sans dire, la description des objets muséaux puisque qu’à ce jour de nombreux musées n’ont que des descriptions fragmentaires de leurs collections.

Au Québec, un programme conjoint de maîtrise en muséologie offert par l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal est décrit comme « lieu de mise à jour, de réflexion et de questionnement sur l’institution muséale et ses différents champs d’activité : la gestion, la recherche, la conservation, la mise en valeur des objets, des oeuvres et du patrimoine et leur interprétation » (Université de Montréal 2015). Ce programme interdisciplinaire est proposé aux étudiants de provenances très variées, allant de l’histoire aux sciences naturelles, en passant par les sciences de l’information, la psychologie, la communication, l’éducation et la gestion. Il vise également les personnes ayant une expérience de travail dans les musées, les bibliothèques ou les archives. Deux objectifs précis sont visés : « Permettre à l’étudiant d’acquérir une connaissance approfondie de l’institution muséale, des objets qui lui sont confiés et des services qu’elle doit rendre; favoriser le développement des habiletés qui feront de l’étudiant un professionnel compétent, critique et créatif. » (Université de Montréal 2015)

Cette perspective interdisciplinaire est intéressante. Selon Marty (2008), les professionnels des musées doivent traiter et gérer l’information. Il considère même que les professionnels des musées peuvent être considérés comme des professionnels de l’information, car la plupart travaillent quotidiennement sur un aspect ou sur un autre relié aux ressources en information dans les musées : « The modern museum needs individuals on staff who are capable of setting information policy, managing information resources, administering content management systems, implementing metadata standards, evaluating information interfaces, etc. » [4] (Marty 2008, 269).

Cette nette tendance vers l’interdisciplinarité est aussi mise en relief par Trant (2009) qui a examiné les similitudes entre les trois types d’institutions du patrimoine culturel (archives, bibliothèques et musées) de même que leurs rôles, leurs fonctions et leurs publics. Elle suggère que la pratique professionnelle évolue dans le cadre fourni par le patrimoine numérique et la conservation numérique, et tente de répondre aux objectifs communs dans une perspective interdisciplinaire, tout en respectant l’identité culturelle des bibliothèques, des archives et des musées. Trant conclut :

Inter-disciplinary, inter-institutional research and practice require more than a few shared courses across program streams. It needs to be predicated on a rigorous re-examination of approaches traditionally used in archives, libraries and museums to collect, record, describe, organize, and make available diverse forms of “information objects” – from books to specimens, manuscripts to multimedia. Converging practices need to support emerging models of networked information creation and use that are centered on users needs and interests rather than custodial histories [...].[5]

2009, 20

Notre article avait pour objectif de mettre en relief les principaux points communs que l’on trouve parmi les métiers liés aux sciences de l’information et au patrimoine culturel. En outre, nous avons tenté de démontrer que le fait d’ajouter du contenu muséal aux programmes en sciences de l’information répond à un double besoin. D’une part, cet ajout permet aux professionnels de l’information se destinant plus spécifiquement aux bibliothèques d’accroître leurs compétences dans le traitement et la médiation d’autres types de contenus, les rendant du même coup plurivalents. D’autre part, avec l’élargissement des horizons traditionnels, les programmes en sciences de l’information pourront sans doute attirer une population étudiante qui n’aurait peut-être jamais considéré la possibilité de s’y inscrire. En ces temps incertains où l’acquisition d’un diplôme n’équivaut plus nécessairement à l’obtention d’un emploi, l’interdisciplinarité d’un programme menant à une plus grande variété d’emplois n’est certes pas à négliger.