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L’ouvrage que propose Fidelia Ibekwe-SanJuan, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université Jean-Moulin de Lyon, vise à retracer de manière synthétique le chemin parcouru par la science de l’information en France à l’aune de celui parcouru ailleurs dans le monde. Il s’appuie en grande partie sur des écrits en langue anglaise – sans toutefois se limiter à des auteurs anglosaxons – publiés entre 1948 et 2012. On y trouve entre autres de nombreuses références aux travaux de Marcia Bates, Michael Buckland, Luciano Floridi et Birger Hjørland. Divisé en deux parties distinctes, il s’articule autour de trois questions : Y a-t-il une science de l’information et, si oui, quels sont ses fondements théoriques ? Qu’est-ce que l’information, objet de cette science ? Y a-t-il une spécificité française de la science de l’information ?

La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux origines de la science de l’information. L’auteure présente d’abord le concept d’« information » en discutant des défis divers que présente sa généalogie ainsi que des différentes acceptions qu’on a accolées, et accole toujours, au terme : l’information comme artefact, l’information comme processus et l’information comme énoncé vrai. Un historique de la discipline dans le monde anglosaxon et en France est ensuite brossé avec un survol des origines depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, des travaux des pionniers aux XIXe et XXe siècles, et de l’émergence de la discipline telle que nous la connaissons aujourd’hui. La naissance des associations professionnelles et scientifiques, ainsi que des formations en science de l’information, est aussi racontée. Les objets de la discipline, où la science du document s’oppose à l’étude des usages sociaux des artefacts informationnels, sont ensuite présentés, tout comme la question de l’interdisciplinarité ou de la pluridisciplinarité. À cet égard, un chapitre est consacré au débat entre science – forme retenue par l’auteure pour cet ouvrage – et sciences de l’information. Une discussion sur les tensions entre les aspects théoriques et pratiques, notamment les innovations techniques et l’informatique, conclut cette partie.

Moins détaillée et plus didactique que la première, la seconde partie de l’ouvrage propose un survol de divers paradigmes et courants épistémologiques qui traversent la discipline. Chaque chapitre fait la synthèse d’un ou plusieurs paradigmes de recherche, puis discute de leur influence sur les travaux en science de l’information et de leurs limites. Le rationalisme et le positivisme sont d’abord présentés relativement aux travaux à visée normative et prescriptive pour la description et la classification des documents ainsi que pour le design des systèmes d’information. L’empiricisme est ensuite associé aux travaux sur l’analyse des données tels que la bibliométrie et ses variantes ainsi que les systèmes de recherche d’information. Le chapitre sur le cognitivisme et celui sur le socioconstructivisme sont, pour leur part, associés aux travaux sur les comportements des usagers ou des communautés d’usagers. Le dernier chapitre, finalement, survole l’influence du pragmatisme sur la bibliothéconomie en général et celle du paradigme linguistique sur l’analyse de contenu en particulier.

Destiné dans sa préface à « tout lecteur francophone qui veut comprendre la science de l’information », ce livre s’adresse davantage à l’étudiant – ou au futur étudiant – qui cherche à découvrir la discipline. Celui-ci trouvera, dans la première partie, une solide synthèse pour amorcer une réflexion sur ce que sont l’« information » et la « science de l’information ». La seconde partie, composée de chapitres dont le contenu est présenté beaucoup plus succinctement, pourra servir de point de départ pour la découverte de divers courants de travaux présents en science de l’information. Certains chapitres de cette deuxième partie, par exemple ceux traitant de l’influence du cognitivisme dans les user studies et de l’influence du socioconstructivisme sur la science de l’information, sont en revanche peu exhaustifs quant au contenu recensé. Les références bibliographiques présentes tout au long de l’ouvrage permettront une exploration plus poussée – bien souvent en anglais, hélas. Une table des matières détaillée et deux index permettent une utilisation rapide de l’ouvrage, bien que l’on regrette l’absence d’introductions énonçant clairement le contenu de chaque chapitre et celle de synthèses soulignant les points importants.

Ce livre, en outre, s’adresse davantage à un lectorat français qu’à un lectorat issu d’autres coins de la francophonie. L’une des questions à laquelle l’auteure cherchait à répondre s’intéressait à la spécificité française de la science de l’information et plusieurs parties de cet ouvrage y sont consacrées. Si des chapitres comme ceux portant sur les différents sens de l’information ou la pluridisciplinarité de la discipline présentent un intérêt certain pour tous les francophones, ceux sur l’émergence de la science de l’information ou la définition de l’objet de la science de l’information laisseront le lecteur non français sur sa faim. Le lecteur québécois, surtout s’il est néophyte en la matière et ne sait où situer la science de l’information telle que développée, enseignée et pratiquée au Québec en regard des traditions française et anglosaxonne, ne saura y trouver son compte. Bien sûr, tel n’était pas le but de Fidelia Ibekwe-SanJuan et son ouvrage, somme toute, rend justice à son objectif en présentant les origines de la science de l’information ainsi que les divers paradigmes entourant les travaux réalisés dans la discipline.