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Introduction

Après un bref survol de l’historique de la collaboration entre les bibliothèques universitaires du Québec (BUQ), cet article expose les grandes étapes du projet, décrit l’écosystème et rend compte des leçons apprises et des bonnes pratiques à retenir. Pour terminer, il traite de la nécessaire mise en place d’une nouvelle structure de gestion et de gouvernance pour mieux soutenir le développement, la gestion et les opérations des activités mutualisées des BUQ.

De la collaboration à la mutualisation

Les bibliothèques universitaires du Québec se sont regroupées en 1967 sous l’égide de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), devenue en 2014 le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI)[1], dont la mission est de favoriser la coopération entre les établissements universitaires québécois. Oeuvrant sous le nom de Sous-comité des bibliothèques depuis 1972, les BUQ ont d’abord dirigé leurs efforts au sein de la CREPUQ sur le développement concerté des collections, la mise en place d’un service de prêt entre bibliothèques (PEB), le catalogage coopératif et la compilation annuelle de statistiques[2] (Brault, 1993).

La collaboration s’est intensifiée vers la fin des années 1990 avec l’informatisation progressive des bibliothèques et l’émergence d’une offre documentaire numérique des éditeurs. Le développement d’un service d’achat en commun de ressources documentaires pour les BUQ, la mise sur pied du Projet canadien de licences de site nationales (PCLSN) en collaboration avec CAUL, COPPUL et OCUL[3], les trois consortiums universitaires régionaux canadiens de bibliothèques universitaires, et l’instauration du Réseau canadien de documentation pour la recherche (RCDR)[4] qui en découla en témoignent avec éloquence.

Dès 2003, le regroupement a amorcé une réflexion d’envergure pour développer et mettre en oeuvre une offre commune de services à l’échelle du réseau universitaire québécois. Ce projet de « Bibliothèque de recherche virtuelle québécoise » (BRVQ) peut aujourd’hui être qualifié de visionnaire puisque plusieurs des services considérés émergeaient à peine dans la grande majorité des bibliothèques ou n’existaient tout simplement pas ! Les exemples ne manquent pas : la recherche relayée, la recherche fédérée, le dépôt et la diffusion des publications de recherche et de ressources éducatives en accès libre, etc. Ce vaste chantier collaboratif n’a pas vu le jour faute d’adhésion collective et de financement externe. Il n’aura abouti qu’au déploiement d’un système informatisé commun pour la gestion du PEB en 2006. Pour le reste, la plupart des BUQ ont déployé au fil du temps, chacune à leur rythme et en fonction de leurs moyens, plusieurs de ces services. Certaines bibliothèques se sont unies, comme ce fut le cas pour la majorité des bibliothèques des établissements du réseau de l’Université du Québec (Boisvert et Séguin, 2010), mais la plupart ont procédé de manière individuelle.

L’émergence, au début des années 2010, de solutions infonuagiques assurant une meilleure intégration des activités de bibliothèques et une accessibilité plus fluide à la documentation numérique suscitait alors beaucoup d’intérêt au sein des BUQ. C’est en 2014 que la possibilité de remplacer leurs systèmes informatiques individuels par un système de nouvelle génération a été évoquée la première fois, à l’instigation d’un regroupement de huit établissements de l’Université du Québec. On comptait à l’époque dix installations de système intégré de gestion de bibliothèque dans le réseau des BUQ avec quatre produits distincts : Aleph d’Ex Libris ; Sierra d’Innovative ; Symphony de SirsiDynix et V-smart d’Infor.

Fortes de leur expérience de coopération, les directions des BUQ estiment alors que le moment est venu d’envisager de se doter d’une infrastructure technologique collective dans un souci d’optimisation de leurs services et de leurs ressources. Elles s’engagent ainsi dans une démarche itérative en vue de définir un projet porteur bien structuré et susceptible de rallier l’ensemble des directions des établissements universitaires québécois. En voici les principales étapes :

  • Automne 2014 : Préparation d’un dossier de présentation stratégique pour convenir du besoin, des résultats recherchés et des options.

  • 2015 : Élaboration d’un dossier d’affaires initial présentant l’évaluation détaillée de l’option favorisée, soit une plateforme partagée de services, une première évaluation des coûts et les étapes de réalisation.

  • 2016 : Rédaction d’un dossier d’affaires final avec une présentation approfondie de l’option favorisée, une estimation des coûts, un plan de gestion du projet, une analyse des risques majeurs, une description de l’équipe prévue pour la réalisation du projet, un échéancier de réalisation et un plan de communication. C’est ce dernier document qui a servi à soutenir la demande de financement présentée au gouvernement du Québec en mars 2017.

  • Printemps 2017 : Adoption d’un cadre de gestion et de gouvernance définissant les valeurs et les principes directeurs[5] autour desquels le projet s’articule, la structure organisationnelle et les rôles et responsabilités des principaux acteurs (voir figure 1). Ce cadre sert de guide à la prise de décision.

Figure 1

Structure de gouvernance de projet

Structure de gouvernance de projet

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À chacune de ces étapes, le regroupement des BUQ a présenté l’état d’avancement du projet aux diverses instances du BCI et aux directions des établissements en sollicitant leur appui. En raison de sa portée stratégique et de son volet collectif, les chefs d’établissement ont jugé qu’il cadrait parfaitement avec les objectifs de la stratégie numérique du gouvernement du Québec en cours d’élaboration et que, de ce fait, le projet pourrait profiter d’un financement gouvernemental. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES)[6] du Québec a confirmé en octobre 2017 le bien-fondé de cette initiative avec l’octroi d’une subvention de 10,4 millions de dollars pour l’implantation d’une plateforme partagée de services (PPS) à l’échelle du réseau universitaire du Québec.

Pour déterminer la solution à privilégier, les BUQ ont opté pour une stratégie en deux temps. En premier lieu, à l’automne 2017, elles ont publié un avis d’appel d’intérêt afin de mieux connaître les produits offerts sur le marché. En second lieu, elles ont misé sur un appel d’offres en mode dialogue compétitif, processus d’approvisionnement nouveau et peu utilisé à l’époque au Québec, pour s’assurer que la solution retenue répondrait bien aux besoins présents et futurs des bibliothèques[7]. Cet appel d’offres a été publié en 2018. À la fin du processus, les BUQ ont choisi la solution WorldShare Management Services (WMS) d’OCLC comme plateforme partagée de services.

Le contrat a été octroyé à OCLC en avril 2019. En parallèle, les BUQ entreprenaient la mutualisation des autres services ciblés dans le dossier d’affaires présenté au MEES. L’idée de formaliser le regroupement sous le nom de Partenariat des bibliothèques universitaires du Québec (PBUQ) prend forme peu à peu[8].

Conformément à l’échéancier prévu, le déploiement de la plateforme WMS et de l’interface de recherche Sofia s’est terminé à l’été 2020, et ce, en dépit de la pandémie (voir figure 2). Quant à celui de l’essentiel du portfolio de services, il est en voie d’être complété, en accord avec les paramètres de la subvention gouvernementale. Le regroupement travaille maintenant à l’instauration d’une structure organisationnelle permanente adaptée à ce nouveau contexte d’affaires.

Figure 2

Principales étapes de réalisation du projet et de création du Partenariat des bibliothèques universitaires du Québec

Principales étapes de réalisation du projet et de création du Partenariat des bibliothèques universitaires du Québec

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Un écosystème informationnel riche et diversifié

Le Partenariat des bibliothèques universitaires du Québec dépasse largement les cadres de la plateforme partagée de services. Il constitue un écosystème holistique offrant à la communauté universitaire une variété de services informationnels de premier plan. Il facilite l’accès aux connaissances, optimise la diffusion et la préservation des résultats de la recherche tout en permettant des économies d’échelle. Il a ouvert la voie à de nouvelles perspectives de mutualisation autorisant un redéploiement progressif des ressources vers les besoins émergents de l’enseignement et de la recherche. Le Partenariat a permis de repenser le réseau des bibliothèques universitaires québécoises afin qu’elles participent encore plus activement à la réussite étudiante et au succès des chercheurs.

Au moment de l’élaboration de leur projet, les BUQ ont défini une cartographie type de services à greffer à ceux déjà mis en commun en vue d’accroître la portée de leur offre mutualisée. Conformément à leurs orientations stratégiques 2017-2020 (voir figure 3) et portées par une conjoncture favorable, elles ont pu donner accès à une plateforme de gestion de données de recherche (Dataverse) et à une plateforme de gestion de données géospatiales et de photographies aériennes (GéoIndex+).

Figure 3

Orientations stratégiques 2017-2020 des bibliothèques universitaires du Québec

Orientations stratégiques 2017-2020 des bibliothèques universitaires du Québec

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De plus, pour accroître la découvrabilité des ressources francophones, les BUQ se sont associées à deux projets collaboratifs :

  • Le Programme francophone des autorités de noms (PFAN)[9] avec Bibliothèque et Archives Canada (BAC) et Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), dont l’objectif est de consolider le rôle du fichier d’autorité Canadiana en accroissant le nombre d’établissements contributeurs[10] ;

  • L’accès libre au Répertoire de vedettes-matière (RVM)[11], développé par l’Université Laval, et sa diffusion en données liées, le tout en partenariat avec BAC, BAnQ et les principaux réseaux de bibliothèques au Québec.

Les avancées considérables que ces nouveaux projets ont apportées ainsi que les nouveaux modes de travail en collaboration interinstitutionnelle ont amené les directions des BUQ à développer encore davantage leur partenariat. D’autres projets structurants ont ainsi été lancés, en concordance avec les orientations stratégiques 2020-2023 (voir figure 4) :

  • L’élargissement du service de prêt de documentation en libre-service en s’appuyant sur la technologie RFID ;

  • Le remplacement du système de prêt entre bibliothèques VDX par Tipasa, une solution intégrée à la plateforme WMS et à l’outil de recherche Sofia, et le déploiement d’un service de prêt réseau géré à même WMS ;

  • La conception d’un programme de conservation partagée des collections dans le but d’optimiser les espaces en considérant plusieurs stratégies (conservation partagée, numérisation et entrepôt commun) ;

  • Le développement d’un programme de soutien et la mise en place d’une plateforme d’édition pour une plus grande utilisation des ressources éducatives libres (REL/OER[12]), principalement pour les manuels de cours ;

  • L’élaboration d’un programme de soutien aux presses universitaires du Québec, particulièrement pour les ouvrages diffusés en libre accès, et d’un programme de soutien aux revues savantes du Québec en collaboration avec le Consortium Érudit[13] ;

  • La numérisation des collections de photographies aériennes du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) et de celles de BAnQ dans le cadre d’un partenariat tripartite BUQ-MERN-BAnQ.

Figure 4

Orientations stratégiques 2020-2023 des bibliothèques universitaires du Québec

Orientations stratégiques 2020-2023 des bibliothèques universitaires du Québec

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En unissant ainsi leurs forces, les BUQ ont été en mesure de générer des économies récurrentes annuelles de l’ordre d’un million de dollars par rapport aux coûts totaux des systèmes auparavant exploités localement. Ces économies sont réinvesties dans l’écosystème informationnel.

En outre, le total de la valeur financière des activités et services du PBUQ a crû significativement pour s’élever aujourd’hui à plus de 18 millions de dollars par année.

Bonnes pratiques et leçons à retenir

Cheminement du projet

Prendre le temps de bien planifier : voilà sans contredit un facteur de succès du partenariat. Les trois années qui se sont écoulées entre l’idée initiale et le dépôt de la demande au gouvernement ont permis de raffermir la vision de manière itérative en validant formellement l’intérêt des bibliothèques de continuer à s’impliquer à chacune des grandes étapes. Cette progression méthodique a forgé un solide consensus en plus d’encourager un engagement fort de l’ensemble des membres.

Les liens étroits et soutenus avec les instances du BCI se sont également avérés déterminants. Les présentations fréquentes du projet au sein de ses instances (affaires académiques, recherche, administration et finances) leur ont graduellement inspiré confiance en la capacité du regroupement de mener ce projet à terme. Elles ont été l’occasion pour nous de comprendre leurs préoccupations et, parfois, de corriger certaines perceptions erronées.

Un partenariat d’une telle ampleur commande de bien structurer la prise de décision  : prendre les moyens nécessaires pour éviter les faux consensus (votes, résolutions formelles, etc.) et tenir un registre des décisions et des résolutions. Cette façon de faire favorise la constance dans le temps en exposant clairement l’argumentaire sous-jacent aux orientations retenues. Dans le même ordre d’idées, l’instauration d’un cadre de gestion et de gouvernance est essentielle pour établir les champs de responsabilités. En son absence, les risques de ralentissements, voire de paralysie, et de dérapage sont nettement accrus. Enfin, il importe de convenir des valeurs collectives et des principes directeurs plus tôt que tard. L’enjeu dans les moments difficiles consiste à trouver l’équilibre entre besoins institutionnels et souci du bien commun. Ces divers éléments aident à recentrer et à dépersonnaliser les débats.

Un autre apprentissage réalisé au fil du temps consiste en l’importance d’outiller solidement les partenaires afin qu’ils puissent faire les représentations nécessaires au sein des équipes et des universités. Longtemps, le Comité de pilotage [14] a tenu pour acquis que chacun serait en mesure de faire cheminer adéquatement le dossier à partir des documents déposés au Sous-comité. Or, cette présomption ne s’est pas avérée, pour différentes raisons : méconnaissance, inexpérience, inconfort, pouvoir d’influence, autonomie, etc. Diverses méthodes ont par la suite été mises de l’avant pour corriger le tir (coaching individuel, argumentaire type, modèles de présentation, etc.), assurant dès lors une plus grande cohérence des messages pour l’ensemble des bibliothèques et des universités. Ces mesures ont été couplées à des communications concertées et diffusées par l’équipe du projet au personnel des bibliothèques.

L’immense vulnérabilité de ces vastes projets multipartites aux opinions défavorables émises par l’un ou l’autre des partenaires dans son établissement est un enseignement appris à la dure. Une seule intervention malheureuse suffit à entraîner un dérapage, peu importe les causes de la dissension (méconnaissance, désintérêt, changement de priorités, repli sur soi, budget, perte d’autonomie, etc.). La situation s’est parfois envenimée, dépassant même les frontières des bibliothèques. Le comité de pilotage a alors consacré des énergies considérables pour repositionner le débat en certaines occasions auprès des dirigeants universitaires. Ces revirements ont été démotivants. Les leçons retenues sont nombreuses  : demeurer à l’affût des différends potentiels ; prendre toutes les mesures en son pouvoir afin que les polémiques se traitent à la table du Partenariat ; chercher à influencer les leaders d’opinion au sein des bibliothèques, qu’ils soient positifs ou négatifs ; et créer un espace de discussions valorisant la qualité et la sincérité des relations entre les décideurs et décideuses.

Un pour tous

La décision de travailler ensemble a été sérieusement réfléchie et discutée franchement dès le départ  : les établissements de petite taille seront-ils à la merci des autres ? les grandes universités seront-elles ralenties par les autres ? etc. La volonté de collaborer n’a donc pas été tenue pour acquise. La complexité du projet a aussi été abordée avec acuité et discernement en raison des enjeux technologiques, linguistiques, administratifs, de gestion, financiers, juridiques, bibliothéconomiques. Enfin, le projet a été gouverné avec une bonne compréhension des rôles et mandats des partenaires et intervenants, et ce, dans le respect des responsabilités et des processus institutionnels déjà en place. L’élargissement de la portée du Partenariat n’aurait pas été possible sans cette grande mobilisation.

Cette confiance mutuelle s’est avérée une clé de voûte importante. Sans elle, le but de simplifier la vie des utilisateurs et utilisatrices n’aurait pu être atteint puisqu’il passait par la constitution d’une base de données commune des usagers à l’échelle du réseau avec toutes les précautions relatives à la protection des renseignements personnels de même que par l’harmonisation des règles et des modalités de circulation des documents.

Nonobstant ce qui précède, il faut reconnaître que c’est véritablement l’obtention d’un financement gouvernemental qui a permis de réunir la totalité d’entre nous au sein d’un solide partenariat. Sans cette subvention, certaines universités auraient manifestement refusé d’adhérer au projet, car elles craignaient que l’importance accordée à la collaboration et à la mutualisation se traduise pour elles en perte d’identité, d’appartenance et d’autonomie. De plus, tous les établissements n’en tirent pas les mêmes avantages. Les plus petits bénéficient de retombées collectives qu’ils n’auraient pas pu s’offrir sur une base individuelle, même s’ils n’utilisent pas toute l’étendue de la gamme de services. Les plus grands exploitent pour leur part la totalité de la gamme, mais prennent aussi en charge de façon importante certaines composantes de l’écosystème. Cette implication variable des établissements devait et doit encore être comprise et acceptée des uns et des autres  : même si tout le monde ne gagne pas à tous les coups et de manière systémique, dans l’ensemble, le Partenariat constitue un gain pour chacun.

Soulignons toutefois que s’investir en groupe dans un processus d’appel d’offres s’accompagne d’un lot de contraintes qu’on ne peut ignorer. Ainsi, une université fortement engagée auprès de la firme OCLC s’est retirée du projet avant la publication de l’appel d’offres craignant d’être contrainte d’adopter une autre solution à la fin du processus. L’université en question a depuis réintégré le Partenariat en finançant le coût complet de son instance WMS.

Lorsqu’on regarde le chemin parcouru, on constate que le projet s’est avéré une démonstration éloquente du potentiel d’innovation des bibliothèques auprès des universités et du gouvernement. La perspective des bibliothèques elles-mêmes a changé. Elles ont défoncé le plafond de verre et savent maintenant qu’il est possible d’accomplir des réalisations d’envergure en s’associant et en travaillant intimement avec les directions des établissements universitaires. Cette prise de conscience a d’ailleurs déjà ouvert la voie à d’autres initiatives majeures.

Au départ, les partenaires pensaient être parfaitement au fait des inconvénients liés à une si étroite collaboration et ils avaient sous-estimé les efforts requis. Mais la réalité les a vite rattrapés. Une plateforme partagée implique en soi des transformations organisationnelles, une modification en profondeur de la culture. Elle nécessite une importante gestion du changement. Cette complexité intrinsèque a été multipliée par 18… tout comme sans doute le temps de discussion pour réussir à convenir d’approches communes face aux nombreux défis. Mais si l’on regarde la richesse des solutions retenues, force est de constater que ce temps a sans nul doute été bien investi.

Approche matricielle, un choix judicieux

Quand vient le temps d’implanter et d’exploiter une nouvelle infrastructure partagée, plusieurs consortiums choisissent de mettre en place une organisation autonome, dotée d’une équipe distincte. Pour sa part, le Partenariat a préféré poursuivre avec l’approche matricielle qui teinte ses relations de collaboration depuis toujours. Cette approche implique une posture verticale caractéristique d’un mode projet tout en répondant également à un besoin de transversalité et de coopération accrue. Elle favorise la synergie des expertises et une coordination optimale. Elle profite par ailleurs de l’efficacité découlant de la gestion de projet et stimule l’innovation. En contrepartie, la prise de décision est plus lente, le potentiel de confusion dans les rôles et responsabilités est plus grand et l’établissement des priorités peut s’avérer complexe. En effet, le leadership des projets collectifs a souvent été porté par l’une ou l’autre des bibliothèques québécoises en fonction de son intérêt, de son expertise et de ses capacités. Le groupe possédait donc une expérience de la gestion matricielle ayant fait ses preuves au fil du temps. Il était également familier et à l’aise avec la délégation de responsabilités que cela suppose. Par ailleurs, il souhaitait conserver une mainmise importante sur le programme, conscient que les structures organisationnelles autonomes peuvent, avec le temps, tendre vers l’autarcie.

Ce mode opérationnel présupposait la création d’un réseau d’experts constitué de quelque 200 personnes provenant des BUQ. Le Partenariat considère que la mutualisation des champions institutionnels a certainement été déterminante de son succès. Elle a permis de tirer profit des forces de chaque membre et de les impliquer directement dans la prise de décision par l’entremise de groupes de travail. Cette formule a valorisé les individus en permettant à chacun de voir son savoir-faire reconnu à l’échelle du regroupement et d’être une source de fierté pour sa bibliothèque d’attache. Elle a aussi concouru à l’accroissement des compétences découlant de l’émulation par les pairs et du partage des connaissances.

Grâce à l’approche matricielle, les institutions de plus petite taille, où les ressources étaient plus limitées, ont pu profiter de l’appui et de l’aide des experts et des collègues d’autres universités, réalisant de ce fait des économies substantielles sur les coûts d’implantation. Cette approche a ainsi contribué à souder les équipes et à développer un profond sentiment d’appartenance et d’altruisme.

Le succès collectif dépend de l’effort collectif. Il faut en être conscient et le rappeler sans cesse. Une approche matricielle exige une implication à tous les niveaux – de la direction des établissements et des bibliothèques jusqu’aux responsables des opérations – et une entière adhésion aux objectifs ciblés. Elle nécessite que plusieurs directeurs et directrices d’expérience soient prêts à s’investir sérieusement dans la conduite et le pilotage du projet, et que certaines universités acceptent que leurs spécialistes y prennent une part active  : technologies, approvisionnement, relations gouvernementales, affaires juridiques, finances, gouvernance, etc.

Approvisionnement

Le fait d’opter pour un dialogue compétitif plutôt qu’un appel d’offres conventionnel a été un autre tournant décisif. Le Partenariat visait une solution d’avenir. Il allait donc de soi que son choix repose en grande partie sur les perspectives de développement et non simplement sur l’offre actuelle et prévisible des fournisseurs.

Une réflexion en profondeur s’imposait en vue du dialogue compétitif  : les plus grands experts du réseau des BUQ ont donc été mis à contribution pour élaborer plus finement la vision porteuse présentée dans son plan d’affaires final. La discussion structurée et sérieuse qui s’est amorcée par la suite avec les fournisseurs concernant leurs capacités réelles de concrétiser cette vision, notamment en ce qui a trait à la traduction automatique des termes de recherche et à la gestion du vocabulaire contrôlé, n’en a été que plus fructueuse.

Le processus en soi est devenu un outil de mobilisation graduelle du réseau. Il a également favorisé à terme l’acceptabilité de la solution retenue compte tenu du grand nombre de personnes impliquées dans la rédaction du devis. Enfin, le dialogue compétitif a contribué à faire progresser la dynamique usuelle client-fournisseur vers une relation basée sur la confiance  : le fournisseur profite de clients engagés pour l’appuyer dans les développements futurs de sa plateforme, et les universités québécoises bénéficient d’une solution innovante et évolutive répondant à leurs attentes actuelles et à venir.

Gestion des risques

Le Partenariat a su reconnaître rapidement que le principal risque de ce projet se situait sur le plan de la gestion du changement même si, au premier abord, il semblait surtout de nature technologique. De fait, une plateforme partagée suppose des bouleversements majeurs à plusieurs titres, notamment à l’égard de la vision et de l’organisation du travail  : mutualisation des ressources, optimisation des processus et redéploiement progressif de certains effectifs vers de nouveaux services à valeur ajoutée pour les usagers.

Le projet a été chapeauté en conséquence en favorisant une implication et une mobilisation maximales du personnel, ce qui a contribué à sa réussite. Des efforts soutenus ont aussi été consentis pour rassurer avec transparence les équipes sur des enjeux tels les inquiétudes liées au stockage de l’information dans le nuage, l’incertitude engendrée par l’introduction d’une nouvelle technologie, les changements de fonctions de certains individus, la possibilité de réduction des effectifs, la dépendance accrue envers une tierce partie, les craintes d’une détérioration de la qualité du service à la clientèle, le sentiment de perte de contrôle sur les données la non-conformité des initiatives internes déjà en place, etc.

La vision de départ était d’offrir ENSEMBLE un service toujours plus innovant, performant et à meilleur coût pour la communauté universitaire. Le passé n’est pas garant de l’avenir  : cette vision pourrait s’édulcorer et entraîner un repli sur soi où l’intérêt institutionnel prendrait le pas sur l’intérêt collectif au fil du renouvellement des directions des bibliothèques universitaires. Poussée à l’extrême, cette attitude pourrait engendrer un effritement du partenariat qui exigerait la mise en place d’une équipe centrale beaucoup plus importante. Par ailleurs, l’hétérogénéité du partenariat – grandes et petites universités, monofacultaires et multidisciplinaires, anglophones et francophones – constitue à la fois une force et une zone de fragilité. Les membres devront demeurer constamment à l’écoute les uns des autres, discuter franchement pour régler leurs différends, poursuivre le développement d’une vision ambitieuse et mobilisatrice, et continuer à baser leurs décisions sur l’intérêt commun. Après tout, il est possible d’aller plus vite en solitaire, mais c’est ensemble que l’on va le plus loin.

Un partenariat sans précédent, et pas seulement au Québec

Le projet initial visait à renouveler la principale plateforme technologique des 18 bibliothèques universitaires québécoises pour offrir un accès simplifié à des millions de documents au grand bénéfice des 300 000 étudiants et étudiantes du réseau et de ses 10 000 enseignants et enseignantes. Dans la réalité, il a pavé le chemin à la mise en place d’un vaste partenariat structurel. L’écosystème déployé ces dernières années témoigne avec brio de la volonté et de la capacité des BUQ d’offrir des services documentaires et une infrastructure informationnelle de premier plan. Cette infrastructure est reconnue aujourd’hui comme étant une réponse réfléchie et adaptée aux nouveaux impératifs de l’enseignement et de la recherche.

Dans un environnement où les besoins se multiplient et les ressources diminuent, les bibliothèques universitaires du Québec veulent persévérer sur la voie de l’innovation et des synergies. Elles peuvent d’ailleurs compter sur leurs forces vives et leurs expertises pour continuer à jouer pleinement leur rôle au coeur de la mission universitaire, avec engagement et efficience, dans un esprit d’ouverture et toujours guidées par l’intérêt collectif.

Le défi consiste maintenant à pérenniser ces avancées et à poursuivre l’essor du Partenariat en mettant de l’avant de nouveaux projets de mutualisation d’achats, de services et de développements technologiques. Les dernières années marquent le début d’une vision à long terme, et non une évolution éphémère.

L’intensité et le volume d’affaires du Partenariat commandent à eux seuls une refonte de la structure de gestion et de gouvernance. Ils appellent une structure organisationnelle différente puisque le PBUQ est directement responsable de services rendus à la communauté universitaire du Québec.

Une gouvernance et des objectifs clairs

Les objectifs visés par les BUQ à travers cette transformation structurelle sont les suivants :

  • Un partenariat pérenne et formellement constitué ;

  • Une agilité et une autonomie opérationnelle centrées sur les usagers ;

  • Un contexte propice à la croissance et à l’évolution des activités et services mutualisés ;

  • La mise en place d’une équipe permanente pour la gestion des opérations courantes et des nouveaux projets ;

  • Une gestion matricielle misant sur les expertises dans les établissements.

Au moment d’écrire ces lignes, trois scénarios sont à l’étude :

  • Scénario 1 – BCI+ : Ce scénario suppose le maintien du regroupement au sein du BCI, mais avec une formalisation du Partenariat autorisant une agilité opérationnelle, une gouvernance plus agile, des règles de fonctionnement adaptées et un contrat de service pour le volet administratif[15] ;

  • Scénario 2 – OBNL : Ce scénario prévoit la création d’un organisme à but non lucratif (OBNL) associé à un établissement pour les services administratifs (services juridiques, gestion de ressources humaines, gestion financière, approvisionnement, etc.)[16] ;

  • Scénario 3 – Entente avec un établissement mandataire : Ce scénario considère un contrat de service avec un établissement auquel le Partenariat serait rattaché[17].

Ces scénarios seront évalués en fonction de leurs forces, de leurs faiblesses et de leurs risques, de même que sur la base de critères objectifs relatifs à ces quatre dimensions :

  • La capacité à soutenir les opérations en commun des BUQ ;

  • Les coûts de fonctionnement de la structure ;

  • Les perspectives d’évolution ;

  • Les coûts et les efforts de mise en oeuvre.

Une décision quant au choix du scénario retenu est attendue au courant de l’année 2022. Un plan de transition robuste sera ensuite préparé en impliquant l’équipe de soutien en place de même que leur gestionnaire en vue d’assurer le déploiement de la nouvelle gouvernance.

Conclusion

L’écosystème informationnel universitaire québécois issu de la collaboration entre les BUQ se compare avantageusement à ceux en place ailleurs dans le monde. Il s’appuie dans son approche sur les expertises particulières des établissements membres et l’intelligence collective de son personnel, et ce, en misant pleinement sur la gestion matricielle. Modèle de collaboration unique dans le réseau universitaire québécois, il est devenu au fil des ans l’objet d’une grande fierté pour les auteurs et les membres de leurs équipes respectives.

Un nouveau chapitre des BUQ s’écrit : un partenariat nouveau-né, bien ancré dans l’air du temps, construit sur une volonté inaltérable de collaboration et de partage, et basé sur la confiance et l’audace. Un réseau repensé, une vision ambitieuse, un partenariat fécond qui guidera les actions collectives des BUQ pour les prochaines années.