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« Agir ensemble vers de meilleurs services » : une problématique contemporaine qui soulève de plus en plus de difficultés

« La bibliothèque est au coeur de la vie des gens ». J’aimerais commencer mon propos par cette citation que j’ai trouvée fort juste et limpide, par sa concision et sa simplicité. Mais savez-vous de quel ouvrage elle est extraite ? Il vous n’est pas si étranger, voire même familier… Des lignes directrices pour les bibliothèques publiques du Québec, datées de 2019 (Association des bibliothèques publiques du Québec, 2019) – autant vous préciser que j’ai été impressionnée par la qualité et l’exhaustivité de ce document.

Et cette année, le thème du congrès résonne particulièrement avec cette phrase, puisqu’il s’agit « d’agir ensemble vers de meilleurs services »… « pour les gens » pourrions-nous compléter. Cette réflexion est à la fois contemporaine, politique et prégnante en Europe, notamment en France. Elle dépasse la problématique de la seule lecture publique et se pose avec une acuité presque exacerbée, sur toutes les politiques publiques (santé, école, justice etc.). Pour la conduire, une grille de lecture à trois entrées me paraît pertinente :

  • celle de l’égalité d’accès aux services publics – et, en miroir, celle des inégalités qui demeurent. Elles peuvent être multiples : sociales, territoriales, culturelles, informationnelles – « l’analyse en capital » de Bourdieu est toujours d’une actualité redoutable ;

  • celle de l’efficacité de l’action publique qui impose de penser son cadre et ses modalités - ce qui revient à s’interroger sur une pluralité de facteurs : quelle coopération – le fameux « agir ensemble » du thème ? Sous quelles formes : coordination ? mutualisations ? fusions ? sur quelle échelle territoriale ? Vous verrez, je suis très attachée aux territoires et au fait de prendre en considération leurs singularités – c’est normal en tant que bretonne, je suis un peu une québécoise de France ;

  • enfin, celle des finalités de l’action publique, devenue beaucoup plus sensible aujourd’hui à mon sens – ce qui conduit à définir le « meilleurs services » évoqué dans le thème. Alors que depuis l’après-guerre, existait un relatif consensus sur les objectifs poursuivis par l’État dans les sociétés occidentales (plus de liberté, plus d’égalité et une solidarité assumée à travers l’État-Providence), nous assistons à une remise en cause puissante, pour ne pas dire explosive, de notre socle commun de principes, au fondement même de l’intervention publique.

Cet « air du temps », ce zeitgeist conceptualisé par les philosophes allemands devient un sujet dans une société de plus en plus complexe, dans un contexte de plus en plus anxiogène, dans un monde de représentations qui peut parfois être très déstabilisant. Mais il peut être aussi une source de motivation supplémentaire pour préserver les acquis politiques, sociaux, économiques et culturels durement obtenus d’une part ; et améliorer les politiques publiques d’autre part. En somme, « agir ensemble vers de meilleurs services ».

Un préambule à la loi : mon rapport sur l’adaptation et l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques territoriales (Robert, 2015)

Ce fut, au demeurant, le sens de mon premier office sur les bibliothèques, lorsque la ministre de la Culture me missionna, en 2015, pour adapter et étendre les horaires d’ouvertures des bibliothèques territoriales. Car la question des horaires d’ouverture n’est-elle pas l’équation première à résoudre pour assurer un service de qualité aux habitants ? N’est-elle pas celle qui détermine, avant toute autre considération, le degré d’accessibilité à n’importe quel service public ?

Finalement, vous pouvez :

  • soit ouvrir sur une amplitude horaire très faible : problème d’efficacité et de moyens du service public ;

  • soit ouvrir, mais à des horaires qui ne correspondent pas au rythme de vie des populations : problème d’adaptation ;

  • soit ouvrir largement pour permettre à toutes et tous de bénéficier du service public.

C’est la voie que le Québec a choisie pour ses bibliothèques, « 40 % des horaires d’ouverture étant offerts en dehors des horaires de travail habituels » – avant 9h, après 17 h et en fin de semaine. En France, la situation était beaucoup plus contrastée : des bibliothèques de villes moyennes pouvaient ne pas dépasser les 20h d’ouverture par semaine, pendant que la controverse sur l’ouverture dominicale vampirisait les débats.

En conséquence, il s’avérait impératif d’inventorier les freins qui pouvaient enrayer l’augmentation du volume horaire des bibliothèques et surtout, les lever, via diverses mesures concrètes : réglementaires, financières, organisationnelles, etc.

Ainsi, ce fut par ce rapport que j’abordai, pour la première fois, deux points centraux quant à une éventuelle future loi sur les bibliothèques :

  • en premier lieu, y avait-il un réel besoin ? Fallait-il une loi sur les bibliothèques ? Sans trop anticiper, vous verrez que la réponse n’était pas si évidente ;

  • ensuite, comment définir la bibliothèque du xxie siècle – (voir la dernière partie de mon rapport) ? Quels sont les services proposés aux populations ? Quels rôles et quelles missions remplit aujourd’hui cet équipement culturel dans la cité ?

Tous ces questionnements ont préfiguré la loi que je vais désormais vous présenter.

Malgré les réticences contre l’idée même de loi, « le combat continue »

Commençons donc par le commencement : pourquoi une loi sur les bibliothèques ? Comme je vous l’ai suggéré, le consensus n’a pas été immédiat, en particulier au sein des professionnels. En réalité, ils n’étaient pas tant opposés à l’idée d’une loi qu’inquiets du contenu même de cette loi. Ils craignaient qu’elle soit mal calibrée, restreigne leur liberté d’action et, in fine, complique leur travail au quotidien et desserve la qualité de service prodiguée aux usagers.

Avec le recul, ces appréhensions démontraient bien, en filigrane, que les bibliothécaires avaient à affronter des difficultés ; mais il fallait s’assurer que la loi soit la solution idoine et qu’elle n’ait pas l’effet inverse à celui recherché. Pour ma part, il était impensable de chercher à faire passer une loi contre l’opinion générale des bibliothécaires. Soit nous « agissions ensemble » – pour paraphraser le thème, soit nous ne faisions rien.

Finalement, les bibliothécaires, par leurs représentants, et moi-même avons continué à dialoguer régulièrement pendant 4 ans – entre 2016 et 2020. Ces échanges ne portaient pas tant sur l’opportunité d’une loi que sur les suites du rapport que j’avais commis :

  • la publication de décrets – j’effectue une incise, mais vous comprenez qu’à cet instant, la voie réglementaire apparaissait préférable au chemin législatif ;

  • la mise en oeuvre d’un nouveau dispositif pour étendre et adapter les horaires d’ouverture des médiathèques, avec la prise en charge pendant 6 ans, par l’État, d’une part substantielle des frais de fonctionnement induits par l’accroissement du volume horaire – volet décisif pour les collectivités territoriales afin d’amorcer le mouvement ;

  • l’obtention d’un budget plus important en faveur des bibliothèques, bataille parlementaire gagnée en 2017, suite à un amendement au budget que j’avais déposé. Depuis, 8 millions supplémentaires ont été sanctuarisés ;

  • la création de la Nuit de la Lecture, préconisation qui figurait dans mon rapport et qui visait à valoriser tout ce qui se fait dans les bibliothèques. Sur le modèle de la Nuit des Musées, de la Fête de la Musique, il s’agissait d’identifier une date dans l’année pour célébrer le lieu, l’espace bibliothèque. Indirectement, j’espérais que cette Nuit de la Lecture, par son caractère insolite, novateur, convivial, festif draine des enfants et des personnes qui n’avaient pas l’habitude ou qui n’osaient pas franchir les portes de la médiathèque ; que cette Nuit soit la première étape pour briser une barrière mentale, culturelle, sociale, ce que nous dénommons régulièrement sous le terme « d’autocensure ».

À cet endroit, nous avons, je crois, une première définition, certes quantitative, de ce que nous pouvons appeler un « meilleur service ».

Un « meilleur service » est un service qui bénéficie à plus de monde.

C’est la pierre angulaire de l’édifice. Ce postulat se révèle faussement évident, car les implications politiques et fonctionnelles pour les bibliothèques sont très fortes. J’y reviendrai.

Les planètes s’alignent : genèse d’une loi

En parallèle des évolutions réglementaires et budgétaires précitées, deux évènements viennent impacter la réflexion sur l’opportunité d’une loi sur les bibliothèques :

  • le Président de la République élu en 2017 fait des bibliothèques et de la lecture publique un axe prioritaire de sa politique culturelle ;

  • et une commune décide de faire payer l’accès à la bibliothèque aux non-résidents, créant ainsi un précédent. L’onde de choc parmi les professionnels est alors énorme et attise le sentiment que des menaces diffuses planent sur leur activité et sur les médiathèques. Ce sentiment qui était préexistant – certains élus s’ingéraient dans la politique documentaire par exemple, demandant le retrait d’un quotidien ici, le retrait d’un ouvrage là, etc., atteint son paroxysme.

De ce fait, s’opère progressivement un revirement de situation : la loi, qui était potentiellement perçue comme une menace, devient perçue comme un moyen de protéger les bibliothèques, les bibliothécaires et les services prodigués aux populations – lesquelles peuvent être exclues, dans la mesure où il n’est plus inconcevable de leur faire payer l’accès à l’équipement.

Quelles garanties, si ce n’est l’appréciation d’un juge administratif, peuvent empêcher un maire de rendre payant l’accès à la médiathèque située sur sa commune ? Quelles garanties peuvent empêcher un maire d’exclure, du jour au lendemain, une partie des usagers de la bibliothèque – dans cette affaire, tel était l’objectif, via l’établissement d’un obstacle tarifaire ? La réponse est : aucune. En 2018-2019, rien, strictement rien, ni dans la loi ni dans le domaine réglementaire ne protège l’accès aux bibliothèques.

Cette prise de conscience, conjuguée à un ministère de la Culture très volontariste, avec qui le dialogue avait toujours été riche et nourri, a relancé le projet d’élaborer une loi-cadre sur les bibliothèques. Le climat était propice.

Nous ne partions pas de zéro, il y avait une urgence et les professionnels évoluaient, devenant de plus en plus convaincus de la nécessité d’un texte législatif ; en somme les planètes étaient en train de s’aligner. Il ne restait plus qu’à écrire cette proposition de loi (PPL).

Méthodologie de construction de la proposition de loi : une stratégie dictée par le temps et l’obligation de consensus

L’élaboration de cette loi a été collective – encore le « agir ensemble » du thème. Ici, je veux vraiment insister sur le rôle prépondérant joué par le service du livre et de la lecture du ministère de la Culture. Par-delà les conseils et connaissances techniques de ses fonctionnaires, leur engagement, leur volonté de faire aboutir ce texte ont été précieux. En un sens, sa conception s’est transformée en un travail que je qualifierai de « militant ».

Avant d’entrer dans le vif du sujet et dans le détail des dispositions de la PPL, je suis contrainte d’effectuer un bref détour par le droit parlementaire. En effet, étant sénatrice, je peux soumettre des propositions de loi – et non des projets de loi qui sont d’origine gouvernementale.

Cependant, lorsque vous déposez une PPL, et que vous êtes parlementaire de l’opposition de surcroît, votre temps disponible pour faire voter ladite PPL est proportionnel au poids de votre groupe politique. En l’espèce, mon groupe dispose de 4h, environ tous les 2-3 mois, pour faire voter les PPL qu’il retient. Sachant qu’il en sélectionne deux par « niche », ma PPL devait être discutée et votée en… deux heures !

Deux heures pour tout construire ! Car excepté quelques articles réglementaires épars au sein du code du patrimoine, aucune disposition ne traitait des bibliothèques, pourtant premier équipement culturel en France, avec 16 000 points lecture. Les musées avaient leur loi ; les archives avaient leur loi ; les bibliothèques, non.

Par conséquent, la gestion du temps de parole en séance publique a eu un impact déterminant sur le contenu de la PPL ainsi que sur la stratégie adoptée. Il était illusoire, ou voué à l’échec, de vouloir tout aborder. C’est pourquoi :

  • le périmètre de la PPL a été rapidement délimité : elle concerne les bibliothèques publiques territoriales (communales, intercommunales et départementales). Les bibliothèques nationales et universitaires n’entrent pas dans son champ ;

  • les mesures devaient être suffisamment consensuelles, sous peine de faire dérailler le processus législatif. Néanmoins, recueillir le consensus ne signifie pas manquer d’ambition ; au contraire, le trouver requiert un véritable travail préalable d’écoute, de concertation, bref de dentelle, pour parvenir au juste équilibre. Et comme l’écrivait Jean Grenier, « il est aussi noble de tendre à l’équilibre qu’à la perfection ; car c’est une perfection que de garder l’équilibre ».

Garder l’équilibre a donc été notre cap. Pour ce faire, deux lignes de force ont été dégagées :

  • définir les bibliothèques et leurs principes fondamentaux. Autrement dit, ériger leurs principes constitutionnels ;

  • faciliter le développement de la lecture publique dans les territoires et la mise en réseau des équipements pour « améliorer les services » aux populations.

Ce sont les deux chapitres constitutifs de la PPL.

Les dispositions de la proposition de loi, deux impératifs : protéger et développer

Désormais, je vais vous présenter le corps de la PPL – et vous allez voir, comme par magie, des échos résonnent avec vos lignes directrices !

Tout d’abord, le texte définit formellement les missions des bibliothèques territoriales en son article 1er : « garantir l’accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs et de transmettre aux générations futures le patrimoine qu’elles conservent ». Leur rôle culturel, éducatif, scientifique, même ludique est énoncé. « À la croisée des enjeux sociétaux modernes », la bibliothèque est positionnée comme une institution démocratique et émancipatrice, un « carrefour citoyen » – formule empruntée à vos lignes directrices. À travers ces missions, une vision contemporaine et ambitieuse de ce qu’est une bibliothèque aujourd’hui est affirmée. Le livre demeure essentiel, mais n’est plus unique.

La PPL a aussi démontré les vertus du bicamérisme, étant précisé qu’elle a été enrichie lors de son examen à l’Assemblée nationale. Concernant les missions, plusieurs apports sont à relever :

  • la mention du numérique ainsi que la lutte contre l’illectronisme et l’illettrisme ;

  • l’accessibilité aux personnes en situation de handicap ;

  • la promotion du patrimoine linguistique qui revient, en creux, à invoquer les langues régionales – je ne doute pas que vous serez sensibles à cette question ! ;

  • et, dernier élément indispensable pour moi : « la médiation, la participation, la diversification des publics et l’exercice de leurs droits culturels ».

Je vais m’attarder quelque peu sur cet alinéa. Pour vous, la participation de la « communauté » à la vie de la bibliothèque va de soi – voir vos Lignes directrices. Vu de l’extérieur, vous semblez être dans une co-construction perpétuelle avec les habitants. En France, l’évolution est tangible, mais plus récente, avec les comités d’usagers notamment.

Il m’était donc très cher d’inscrire, dans la loi, la participation des personnes. Mais sous quelle forme ? En faisant en sorte que les personnes puissent « exercer leurs droits culturels ». Je ne sais pas si vous êtes familiers avec cette notion, mais en France, son introduction dans la loi, à laquelle j’ai participé en 2015, s’avère être une petite révolution.

Pour résumer, avec les droits culturels, nous passons d’une logique descendante à une logique ascendante. Si nous raisonnons au niveau micro, la politique culturelle menée par un établissement n’est plus uniquement façonnée par les équipes dirigeantes ; elle doit tenir compte des populations qui vivent sur son territoire, de leurs spécificités et les intégrer au fonctionnement des bibliothèques – en vue de proposer de « meilleurs services » voir thème. Dès lors, les droits culturels renvoient à trois axiomes :

  • l’adaptation du service public aux habitants – plasticité ;

  • la reconnaissance de la différenciation territoriale – pas d’application uniforme, pas de « recettes magiques » ;

  • la participation culturelle et citoyenne au service public – mouvement de démocratie culturelle complémentaire de la politique de démocratisation.

J’insiste, peut-être que pour vous, tout ceci est évident. Mais je peux vous témoigner qu’en France, de par notre histoire, de par notre passion pour l’égalité trop souvent confondue avec l’uniformité, de par notre rapport complexe aux communautés, cette mention dans la loi est un grand pas.

Quoi qu’il en soit, nous pouvons en déduire une deuxième hypothèse :

Un « meilleur service » est un service mieux adapté aux populations d’un territoire donné.

Je passe aux articles 2, 3, 5, 6 qui constituent le « bloc de constitutionnalité » des bibliothèques :

  • liberté d’accès ;

  • gratuité d’accès – pour contrer les velléités de certaines communes qui voulaient rendre l’accès payant à leur équipement ;

  • accessibilité, actualisation et pluralisme des courants d’idées et d’opinions des collections, égalité d’accès et neutralité du service public – les deux derniers étant des principes généraux du droit public français.

Ce corpus juridique doit sanctuariser l’accès aux bibliothèques et la qualité des services offerts aux usagers. Il était vital.

Par ailleurs, les professionnels devaient être aussi mieux protégés. Ainsi, les articles 7 et 8 essaient de répondre à cet enjeu :

  • en institutionnalisant un dialogue entre les bibliothécaires et leurs élu.es sur « les orientations de la politique documentaire » qui devront être présentées devant l’organe délibérant de la collectivité territoriale. Cette présentation peut donner lieu à un vote. C’est une faculté, aucunement une obligation, même si certains parlementaires auraient aimé systématiser ce vote. Pour ma part, j’ai opté pour la souplesse, cette loi reposant sur un balancier :

    • ferme sur les principes ;

    • plastique sur les modalités. Je ne voulais absolument pas rigidifier et complexifier le fonctionnement des bibliothèques.

Parallèlement, cet article a pour finalité de structurer la politique documentaire dans l’ensemble des bibliothèques et d’amener les professionnels à formaliser, plus largement, leur projet culturel et scientifique – ce n’est pas obligatoire aujourd’hui.

À cet égard, je tiens à signaler que j’ai été épatée par la structuration de votre réflexion stratégique : planification, plan stratégique renouvelé entre 3 et 5 ans, se déployant dans un cadre territorial donné et « selon les besoins de la population » ; mobilisation d’outils méthodologiques : portrait sociodémographique, analyse des forces et faiblesses (FFOM) etc. Je pense qu’en France, nous pourrions nous inspirer de cette méthodologie cadrée.

  • L’article 8, lui, a une portée généraliste : « Les agents travaillant dans les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements présentent des qualifications professionnelles ». À titre personnel, j’aurais souhaité aller plus loin ; mais, non seulement, j’aurais empiété sur le pouvoir réglementaire ; et, de plus, la problématique des différents statuts (agents fonctionnaires, contractuels, vacataires, bénévoles) n’était pas suffisamment mûre pour être explorée. Au moins, cet article a le mérite de graver dans le marbre l’obligation de qualification des agents, indépendamment de leur statut.

La seconde partie de la PPL a pour perspective le développement de la lecture publique dans les territoires, avec comme mesure phare la mise en place d’un schéma de développement de lecture publique au niveau intercommunal – article 12. Plus simplement, le dessein est de favoriser les mises en réseau des bibliothèques dans un bassin de vie et, partant, la coopération entre les établissements et les communes. Rien d’autre « qu’agir ensemble pour améliorer les services ».

Cette disposition complète deux autres articles, tout aussi primordiaux :

  • l’article 10 définit les missions des bibliothèques départementales – l’équivalent de vos centres régionaux de services aux bibliothèques publiques :

    • « renforcer la couverture territoriale » – plus de services ;

    • « favoriser la mise en réseau » – de meilleurs services ;

    • « contribuer à la formation des agents » ;

    • « élaborer un schéma de développement de la lecture publique à l’échelle départementale », complémentaire du schéma intercommunal. Ces schémas participent d’un mouvement de structuration de la politique de lecture publique qui a trop longtemps fait défaut.

« Agir ensemble » : en matière de lecture publique, la mise en réseau des bibliothèques comme instrument de coopération pour améliorer les services aux populations.

Enfin, l’article 9 interdit aux départements de fermer leur bibliothèque départementale (BD). Peut-être qu’il peut vous paraître incongru, mais sa raison d’être trouve sa source dans la décision de deux départements de mettre fin aux services de leur Bibliothèque Départementale qui leur avait été transférée par l’État au moment de la décentralisation. Vous imaginez aisément l’état de la lecture publique dans ces territoires et la désorganisation qui en a résulté… Maintenant, ces injonctions ne seront plus possibles.

Cette PPL fin prête, j’ai peaufiné une stratégie pour « agir ensemble » afin qu’elle soit votée. Pour qu’elle soit soutenue massivement, j’ai entamé une consultation :

  • des associations des bibliothécaires qui étaient satisfaites de la rédaction de cette proposition de loi ;

  • des associations d’élu.es que j’ambitionnais de mobiliser, au-delà des seuls élu.es à la Culture ;

  • des cabinets du Premier ministre et de l’Élysée, dont j’ai obtenu le soutien.

En plus de quelques échanges informels avec mes collègues parlementaires de l’Assemblée nationale, cette méthode du « agir ensemble » a, je crois, contribué à faciliter l’adoption de la PPL en un temps assez record – moins d’un an avant qu’elle soit promulguée. Elle est l’illustration du proverbe selon lequel « rien ne sert d’avoir raison, si on a raison tout seul ».

« Agir ensemble » : un état d’esprit requis pour écouter, échanger, construire et avancer.

S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, cette loi vit !

Alors, quelles retombées pour la loi « Robert », comme elle est parfois renommée ? En réalité, il s’avère encore trop tôt pour donner une réponse – la loi a été promulguée il y a moins d’un an, en décembre 2021 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044537514). Pour autant, à mon échelle, et il serait probablement très instructif d’interroger les professionnels, je perçois un quadruple mouvement :

  • la loi infuse : elle se diffuse dans tous les territoires. J’ai eu une quinzaine de sollicitations depuis le début de l’année pour présenter la loi, provenant à la fois des bibliothécaires, mais aussi des élu.es – et pour moi, c’est une réussite que les élu.es s’intéressent véritablement à leur médiathèque ;

  • la loi est décryptée : par le ministère, par l’association des bibliothécaires qui a effectué un labeur colossal d’explication, d’éclaircissement, de pédagogie pour expliciter ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas – avec une petite pensée pour Dominique Lahary qui y contribue formidablement. Rappelez-vous que les professionnels étaient particulièrement inquiets et craignaient d’être phagocytés. A posteriori, il convient donc de lever les doutes, de préciser quelles sont les interprétations de la loi qui sont justes et celles qui sont erronées – à titre d’exemple, un cadre administratif d’une commune avait eu une lecture complètement contraire d’un article de la loi (article 7). Là où la flexibilité est de mise, il voulait introduire de la rigidité. Or, ce n’est ni l’esprit de la loi ni ce qu’elle dit ;

  • la loi a fait des bibliothèques un sujet politique à part entière. Et peut-être est-ce l’impact le plus éminent, car le plus durable. Désormais, nous parlons régulièrement des bibliothèques. Une fédération d’élu.es a travaillé de concert avec le ministère de la Culture pour élaborer un guide pratique des dispositifs d’accompagnement de l’État à destination des collectivités territoriales. Cette boîte à outils s’avère une mine d’or pour tous les élu.es qui désirent porter des projets de lecture publique. Les médiathèques ont maintenant une réelle visibilité politique ;

  • enfin, la loi « rebondit » : j’ai cette expression pour signifier qu’elle vit, qu’elle ouvre de nouveaux débats, dans la mesure où elle n’a jamais eu vocation à répondre à toutes les problématiques. Je n’en citerai que deux pour ne pas épiloguer :

    • la formation : en concevant cette PPL, nous nous sommes collectivement aperçus qu’il y avait un problème de formation, singulièrement dans certains territoires situés du côté de votre océan. En outre-mer, les défaillances, voir l’absence de formation adaptée paralysent le fonctionnement des médiathèques et entravent le développement de projets. C’est inacceptable. Le service rendu aux populations doit être impérativement amélioré et les bibliothécaires mieux accompagnés ;

    • la gratuité du droit de prêt : initialement connexe, ce sujet prend de l’ampleur en France. En tant que parlementaire, je ne pouvais le mettre au débat, la liberté des collectivités territoriales étant un principe constitutionnel. Néanmoins, j’observe que de plus en plus de communes, d’intercommunalités s’interrogent : « puisque l’accès est gratuit, pourquoi ne pas aller au bout de la logique et rendre le droit de prêt gratuit ? ». Ce questionnement est dense : par-delà le cas des bibliothèques, un service public doit-il être, en 2022, nécessairement gratuit ?

Un « meilleur service » doit-il être nécessairement gratuit aujourd’hui ?

Je vous rassure, je parle depuis 35 minutes, je ne répondrai pas à ce thème de dissertation. Je note seulement que l’inscription dans la loi de la gratuité d’accès, alors qu’elle était pourtant une règle tacite, a fait sauter un verrou ; nous nous autorisons ouvertement à nous poser, avec sérieux, des questions qui, auparavant, ressortaient plus du fantasme que de la réalité. Peut-être est-ce l’effet du caractère solennel de la loi…

Conclusion

« Agir ensemble vers de meilleurs services ». En conclusion, j’espère, tant dans la méthode de construction que dans le contenu, cette loi y aura contribué.

Car à y songer, les bibliothèques amalgament un nombre d’atouts incroyable : elles n’ont pas le cadre parfois autoritaire de l’école, et pourtant, y apprendre est aisé ; elles ne déploient pas de visuels flamboyants, et pourtant l’invitation au voyage et à l’imaginaire y sont partout ; elles ne sont pas des réseaux sociaux, et pourtant les échanges y sont démultipliés, ne se résumant pas à 120 caractères ; elles ne sont pas des arènes de jeu, et pourtant s’y amuser est assuré ; elles ne sont pas des cafés, et pourtant boire son jus en feuilletant la presse est ordinaire ; elles ne demandent rien à personne si bien qu’on peut y flâner comme on veut. À condition, évidemment, « d’agir ensemble » pour améliorer constamment son accès et « ses services » ; à tel point que chacune et chacun finisse par se l’approprier, par faire sienne sa bibliothèque.