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Introduction

L’adolescence est une phase de la vie où se produisent d’importants bouleversements (Coslin, 2013). Les adolescents ont, entre autres, tendance à s’engager davantage dans des comportements à risque que les personnes d’autres groupes d’âge (Arnett, 1999 ; Michel, Le Heuzey, Purper-Ouakil et Mouren-Siméoni, 2001 ; Michel, Purper-Ouakil et Mouren-Simeoni, 2006). Ainsi, la majorité des adolescents prennent des risques, mais c’est l’intensité des comportements qui varie d’un jeune à l’autre et qui peut s’avérer problématique (pour une synthèse, voir Laurier et Dubois, 2014). Michel et ses collègues (2006) résument bien la prise de risque à l’adolescence : « Se risquer, c’est s’aventurer, mais c’est aussi se hasarder » (p. 63). Ainsi, le risque est avant tout rattaché à la dangerosité de l’activité et à ses conséquences. Parmi les conséquences les plus souvent associées aux comportements risqués des adolescents, on retrouve des blessures physiques (Danielson et al., 2006) et des maladies (Auerswald, Muth, Brown, Padian et Ellen, 2006), mais également des traumatismes psychologiques sévères (Laurier et Morin, 2014) et la mortalité (Gagnon et Rochefort, 2010). En outre, plusieurs chercheurs avancent que les comportements à risque des adolescents sont généralement corrélés les uns avec les autres et que plusieurs d’entre eux peuvent être présents chez une même personne (Hair, Park, Ling et Moore, 2009 ; Lafollie et Le Scanff, 2008). C’est pourquoi, les études ayant observé la cooccurrence de comportements risqués ont souvent invoqué la présence d’un « syndrome de déviance générale » (Jessor et Jessor, 1977). La délinquance, l’usage de substances psychoactives, les comportements sexuels à risque et les comportements routiers téméraires sont donc considérés comme les indicateurs d’une propension à se mettre en danger et à déroger aux conventions sociales. De plus, il semblerait qu’à l’intérieur des groupes de pairs déviants, ces comportements soient valorisés, voire renforcés (Dishion, Spracklen, Andrews et Patterson, 1996). On peut donc supposer que les personnes qui présentent le plus de risques d’adopter ces comportements sont les jeunes contrevenants et qui plus est, ceux associés à des groupes fortement criminels tels que les gangs de rue.

L’objectif de cette étude est de dresser un portrait de jeunes contrevenants montréalais quant à leurs comportements risqués et ensuite, de les comparer en fonction de leur appartenance (ou non) à un gang de rue. À l’instar d’autres chercheurs (notamment, Esbensen et Carson, 2012), nous jugeons important de décrire avec précision un problème social afin d’être en mesure de proposer des cibles et des stratégies d’interventions efficientes. On peut définir les comportements à risque comme un « engagement délibéré et répétitif dans des situations dangereuses » (Michel et al., 2001, p. 709). Ceux-ci sont de nature très diversifiée (Laurier et Dubois, 2014 ; Michel et al., 2006). C’est pourquoi la présente étude se concentrera sur quatre types de comportements à risque, soit : la délinquance, la consommation d’alcool et de drogues ainsi que les conduites sexuelles et les comportements routiers.

Délinquance

Les résultats de l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (EQSJS 2010-2011 ; Pica et al., 2012) indiquent que plus du tiers des élèves ont admis avoir eu au moins un comportement jugé imprudent ou rebelle[1] et 41 %, au moins une conduite délinquante[2] au cours des 12 mois précédant l’enquête. Au même titre que d’autres comportements risqués, l’adolescent adopte des conduites délinquantes en étant plus ou moins conscient des conséquences négatives qui peuvent en découler (Laurier et Dubois, 2014 ; Le Breton, 2002). C’est sans doute pour cette raison que les chercheurs traitent simultanément les comportements jugés imprudents et les conduites délinquantes.

Les amis jouent un rôle important dans l’étiologie des comportements à risque (Vitaro, Brendgen, Ladouceur et Tremblay, 2001) et ceux-ci peuvent mettre de la pression pour que certaines conduites soient adoptées (Berndt et Murphy, 2002). Ainsi, même si l’appartenance à un gang est dans la plupart des cas, une expérience transitoire chez les adolescents, il existe une forte corrélation entre l’association aux gangs et la délinquance (Spergel, 1995 ; Thornberry, Krohn, Lizotte, Smith et Tobin, 2003). En d’autres mots, même une brève période de participation peut exposer un jeune à un risque élevé d’adoption de comportements délinquants (Esbensen et Huizinga, 1993 ; Thornberry et al., 2003). À ce sujet, un consensus émerge de la littérature scientifique voulant que les membres de gang soient beaucoup plus impliqués dans la délinquance que les autres jeunes contrevenants (Bjerregaard, 2010 ; Bjerregaard et Smith, 1993 ; Gatti, Tremblay, Vitaro et McDuff, 2005 ; Huff, 1996 ; Melde et Esbensen, 2013). Par exemple, Esbensen et Huizinga (1993) trouvent des taux de délinquance pour les membres de gang de deux à trois fois supérieurs à ceux d’adolescents non-membres, mais provenant de quartiers similaires. Quant à eux, Bjerregaard et Lizotte (1995) ont trouvé que, comparativement aux non-membres, les jeunes associés aux gangs de rue étaient deux fois plus susceptibles de porter une arme et de commettre des infractions graves, en plus d’être trois fois plus enclins à vendre des drogues. Dans le même ordre d’idées, Battin et ses collègues (1998) indiquent que les jeunes n’ayant pas d’amis délinquants, ceux ayant des pairs antisociaux et les jeunes associés aux gangs de rue se situent sur un continuum en termes de gravité et de fréquence des conduites délinquantes où les jeunes associés aux gangs commettent des crimes plus graves et plus fréquemment. En fait, l’association à un gang augmenterait la délinquance d’une manière qui dépasse, et de loin, le simple fait de fréquenter des pairs délinquants (Melde et Esbensen, 2013 ; Huebner, Varano et Bynum, 2007).

Consommation de substances psychoactives

L’abus de drogues et d’alcool est, la plupart du temps, une problématique concomitante aux conduites délinquantes (Ben Amar, 2007 ; Brochu, Cousineau, Provost, Erickson et Fu, 2010). De façon générale, il est reconnu que la prévalence de la consommation de substances psychoactives est nettement plus élevée dans la population judiciarisée que dans la population générale.

Drogues

Comparativement aux autres groupes d’âge, les jeunes Québécois âgés de 15 à 24 ans sont les plus grands consommateurs de drogues (Centre québécois de lutte aux dépendances, 2011). De plus, selon l’EQSJS (2010-2011 ; Pica et al., 2012), un élève du secondaire sur vingt présenterait un problème important de consommation de drogues. Les résultats d’une étude sur les habitudes de vie chez les adolescents (14 ans et plus) hébergés dans les centres de réadaptation (CR) des centres jeunesse (CJ) du Québec révèlent que, dans les douze mois avant leur admission, près de 90 % des adolescents avaient consommé des drogues au moins une fois (Lambert et al., 2010) et 57 % en consommaient quotidiennement.

En ce qui a trait aux gangs de rue, bon nombre de chercheurs ont observé que les membres de gang sont plus susceptibles que les non-membres de consommer des drogues (Clark et Lohéac, 2007 ; Esbensen et Huizinga, 1993 ; Huff, 1996 ; Katz, Webb et Decker, 2005 ; Spergel, 1995 ; Thornberry et al., 2003). Dès le début des années 1990, des chercheurs ont constaté que l’usage de drogues chez les membres de gang est une activité fréquente et acceptée par le groupe (Esbensen et Huizinga, 1993 ; Fagan, 1989 ; Spergel, 1995). En ce sens, Fagan (1989) rapporte que les membres de gang seraient deux fois plus susceptibles que les non-membres, non seulement de consommer des drogues, mais aussi d’en consommer plus souvent. Plus récemment, Bjerregaard (2010) en est arrivé à des conclusions similaires à l’aide de son échantillon de 8 984 adolescents américains. Ses résultats indiquent que les jeunes associés aux gangs consommaient des drogues à des taux presque deux fois plus élevés que les jeunes qui n’étaient pas associés à ces groupes (voir aussi, Esbensen et Carson, 2012 ; Gatti et al., 2005).

Alcool

En 2010, plus de 90 % des Québécois âgés de 15 ans et plus avaient déjà consommé de l’alcool au cours de leur vie et 82,5 % en avaient consommé au cours de 12 mois précédents l’EQSJS (Pica et al., 2012). D’autres résultats de cette enquête démontrent que 88 % des élèves du secondaire n’ont pas de problème évident de consommation d’alcool ou de drogues, alors que 12 % présentent des signes d’un problème de consommation en émergence ou déjà bien établi pour lequel une intervention professionnelle est suggérée.

Ces résultats diffèrent grandement pour les jeunes pris en charge par les CJ du Québec. En effet, plus de la moitié des jeunes de l’échantillon de Lambert et ses collègues (2010) ont un problème évident de consommation abusive d’alcool. Peu d’études se sont toutefois intéressées spécifiquement à la consommation d’alcool chez les membres de gang (Hunt et Laidler, 2001). Il semble néanmoins que la consommation d’alcool soit une activité fréquente (Esbensen et Huizinga, 1993 ; Huebner et al., 2007 ; Spergel, 1995) et que les jeunes associés à ces groupes présentent des taux plus élevés de consommation que les non-membres de gang (Brooks, Lee, Stover et Barkley Jr., 2009).

À l’instar de la délinquance, la consommation de drogues et d’alcool est souvent liée à d’autres conduites à risque. En effet, des recherches antérieures indiquent que les jeunes consommateurs sont plus enclins à s’engager dans une variété de comportements à risque (Voisin, Neilands, Salazar, Crosby et DiClemente, 2008). Par exemple, l’usage de substances illicites a été associé à un nombre accru de partenaires sexuels et à une utilisation non systématique du condom (Guo et al., 2002).

Comportements sexuels risqués

Selon le Centre québécois de lutte aux dépendances (2011), les deux tiers des jeunes de 15 à 24 ans déclarent avoir eu des relations sexuelles au cours des 12 mois précédant l’enquête. Les relations sexuelles chez les adolescents sont un sujet de grand intérêt pour la santé publique, notamment en raison des grossesses involontaires et des infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS). Dans son étude, Rotermann (2012) démontre que 60 % des jeunes Québécois de 15 à 24 ans avaient utilisé le condom lors de leur dernière relation sexuelle, et ce, quel que soit le nombre de partenaires sexuels.

Les adolescents démontrent un niveau de conformité particulièrement élevé à l’influence de leurs pairs (Gardner et Steinberg, 2005). Ainsi, les normes véhiculées dans leur groupe d’amis influenceront considérablement leur rapport à la sexualité (Sanders, Lankenau et Jackson-Bloom, 2009). En cette matière, les amis peuvent donner des conseils (Davis et Harris, 1982) ou encore, donner accès à des circonstances où les rapports sexuels pourraient être initiés (Rowe et Linver, 1995). En outre, Voisin et ses collègues (2008) suggèrent que les jeunes pris en charge par le système de justice pénale présentent plus de risques d’avoir des relations sexuelles non protégées, d’avoir expérimenté les relations sexuelles sous l’effet des drogues et de l’alcool ou avec plusieurs partenaires simultanément comparativement aux autres adolescents. De plus, puisque les groupes formés de jeunes ayant des comportements problématiques valorisent et renforcent généralement la violation des règles sociales (Dishion et al., 1996) et la promiscuité sexuelle (Sanders et al., 2009), l’appartenance à un gang a été associée à maintes reprises à des comportements sexuels risqués (Auerswald et al., 2006 ; Brooks et al., 2009 ; Harper et Robinson, 1999 ; Minnis et al., 2008).

Conduite automobile

Chez les jeunes, les accidents de la route sont la principale cause de mortalité (28 % des décès) (Institut de la statistique du Québec, 2014). Le risque d’accident est près de deux fois plus élevé chez les 16 à 24 ans que dans les autres tranches d’âge (SAAQ, 2013). L’alcool au volant demeure la principale cause d’accidents graves et de décès sur les routes du Québec. Elle est mise en cause dans près du quart des accidents mortels et de 20 % des accidents avec blessés (Gagnon et Rochefort, 2010). De plus, le groupe d’âge des 19 à 24 ans présente le plus haut pourcentage de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool (Léonard et Ben Amar, 2002).

De prime abord, il ne semble pas y avoir de différence dans les comportements routiers des adolescents qui sont pris en charge par le système de justice pénale et ceux qui ne le sont pas (Bina, Grazino et Bonino, 2006). Ainsi, la conduite dangereuse ne serait pas l’apanage des jeunes contrevenants, mais concernerait une majorité d’adolescents. Par ailleurs, Arnett, Offer et Fine (1997) ont constaté que les jeunes conducteurs de leur échantillon (âgés de 17 et 18 ans) conduisaient plus vite lorsqu’ils avaient des amis dans le véhicule. D’autres chercheurs ont observé que les jeunes conducteurs ont plus de risques d’avoir un accident de la route lorsqu’il y a un passager de sexe masculin dans la voiture, particulièrement lorsque tous les protagonistes ont le même âge (Chen, Baker, Braver et Li, 2000 ; Lam, Norton, Woodward, Connor et Ameratunga, 2003 ; Simons-Morton et al., 2011 ; Simons-Morton, Lerner et Singer, 2005). Les chercheurs expliquent cela par le fait que les jeunes conducteurs sont plus sensibles aux distractions et aux incitations à prendre des risques qui pourraient être effectuées par leurs pairs (Preusser, Ferguson et Williams, 1998). Il semble toutefois que les adolescents les plus susceptibles d’adopter des comportements routiers dangereux seraient ceux qui adoptent un mode de vie caractérisé par d’autres comportements à risque (Bonino, Cattelino et Ciairano, 2005). Ainsi, il est possible de croire que les jeunes contrevenants associés aux gangs puissent être plus susceptibles d’adopter des comportements téméraires au volant comparativement à d’autres jeunes contrevenants. Mais pour l’instant, il n’existe pas de vérification empirique de cette hypothèse.

Où en sommes-nous ?

Les études recensées suggèrent d’abord que les conduites à risque font partie du développement normal des adolescents (Michel et al., 2001  ; Michel et al., 2006). La théorie du « syndrome de déviance générale » (Jessor et Jessor, 1977) soutient que la propension volontaire à prendre des risques et à se mettre en danger sous-tend ces divers comportements. Les études recensées convergent également vers la démonstration que les jeunes qui présentent le plus de risques d’adopter ces comportements sont ceux pris en charge par le système de justice pénale pour adolescents (Lambert et al., 2010 ; Voisin et al., 2008) et qui plus est, ceux associés aux gangs de rue (entre autres, Esbensen et Huizinga, 1993 ; Thornberry et al., 2003).

Même si la prise de risque est inhérente à l’adolescence, ses conséquences peuvent être dramatiques (Hair et al., 2006). Considérant la prévalence très élevée des conduites à risque chez les jeunes contrevenants et, par extension chez les membres de gang, celles-ci représentent un enjeu de santé publique important. En plus de se mettre eux-mêmes en péril, la menace que certains jeunes peuvent représenter pour les autres et pour la société n’est pas à négliger. De plus, la majorité des chercheurs qui s’intéressent aux pratiques à risque chez les hommes ne prennent en considération qu’un seul comportement. Il convient alors d’étudier le phénomène dans sa globalité en intégrant plusieurs conduites à risque et des échantillons diversifiés du point de vue de la délinquance au sein d’une même recherche. La présente étude propose donc de dresser un portrait de jeunes contrevenants montréalais au niveau de leur délinquance, leur consommation de drogues et d’alcool, leurs conduites sexuelles risquées ainsi que leurs comportements routiers et de les comparer en fonction de leur appartenance à un gang.

Méthodologie

Participants

Les participants de l’étude ont été recrutés dans deux bassins de jeunes contrevenants placés sous la responsabilité de la Direction générale des Services correctionnels (DGSC) et des CJ du Québec. Plus spécifiquement, les contrevenants pris en charge par la DGSC ont été recrutés dans les établissements de détention de Saint-Jérôme et de Montréal. Quant à eux, les jeunes pris en charge par les CJ ont été recrutés au Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire ainsi qu’aux centres jeunesse de Laval, des Laurentides et de Lanaudière.

En raison de leur surreprésentation dans l’univers des gangs et du crime (Miller et Brunson, 2000), le choix de ne sélectionner que des contrevenants de sexe masculin s’est imposé. Malgré un nombre de plus en plus important d’études s’intéressant à la participation des femmes dans les gangs de rue (Matsuda, Esbensen et Carson, 2012), force est de constater que leur expérience peut difficilement être comparée à celle des hommes (Joe et Chesney-Lind, 1995).

Procédure et outils utilisés

Cette étude s’insère dans un projet de plus grande envergure[3] dont la cueillette de données s’est déroulée de juin 2011 à décembre 2013. Le protocole d’administration de tous les questionnaires exigeait deux rencontres d’une moyenne de deux heures. L’ensemble des questionnaires était administré sur un support informatique afin de minimiser les risques d’erreurs lors de la retranscription des données. Les deux entrevues avaient lieu soit dans les bureaux de réadaptation ou du centre de détention pour les participants placés en mise sous garde ou détenus, soit dans les bureaux des intervenants de référence pour ceux suivis dans la communauté. Tous les participants (dans le cas des mineurs, l’un des parents) ont signé un formulaire de consentement et une compensation financière de 30 $ était versée à ceux-ci pour chacune des rencontres.

Mesures

L’appartenance aux gangs de rue autorévélée a été mesurée à l’aide d’une adaptation du questionnaire Gang Involvement Scale (Spergel, Wa et Sosa, 2005). Plus spécifiquement, elle a été mesurée à partir des réponses des participants à deux items du questionnaire sur l’appartenance aux gangs de rue, soit celui mesurant l’appartenance actuelle (« Vous considérez-vous comme un membre d’un gang de rue ? ») et celui mesurant l’appartenance passée (« Considérez-vous avoir déjà été membre d’un gang de rue ? »). Si le participant répondait positivement à l’une de ces deux questions, il était considéré s’identifiant comme membre de gang. Ce choix méthodologique repose sur deux principaux motifs. D’abord, les raisons pour lesquelles un contrevenant choisit ou non de se reconnaître comme membre de gang sont nombreuses et varient selon l’étape où il se trouve dans le processus judiciaire. Ainsi, il est possiblement moins menaçant pour certains participants d’admettre une adhésion passée aux gangs que de se reconnaître toujours comme membre alors qu’ils sont pris en charge par le système judiciaire. De plus, en combinant ces deux mesures (actuelle et passée), il est sans doute possible de limiter les différents biais liés à la désirabilité sociale. Par ailleurs, plusieurs chercheurs s’accordent pour dire que l’identification autorévélée aux gangs de rue est une mesure valide et fiable (Huebner et al., 2007 ; Katz et al., 2005).

Les comportements à risque ont été opérationnalisés à l’aide de différents outils. Tout d’abord, les comportements délinquants ont été mesurés à partir de l’adaptation francophone du Self-Report of Offending – Revised (SRO-R ; Huizinga, Esbenson et Weihar, 1991). Le SRO-R est un instrument utilisé dans le cadre de plusieurs études portant sur des clientèles délinquantes mineures et adultes (Piquero, Farrington et Blumstein, 2003). Les variables considérées dans la présente étude couvrent certains comportements délinquants tels que les introductions par effraction, les vols, le recel ainsi que la vente de drogues (marijuana, cocaïne/crack). Elles couvrent également plusieurs comportements violents (frapper quelqu’un, attaquer quelqu’un avec une arme, pourchasser quelqu’un dans le but de lui faire du mal, l’extorsion et le fait d’être impliqué dans une bagarre). Certaines questions concernent également la possession et l’utilisation d’une arme à feu. Toutes ces infractions devaient avoir été perpétrées au cours des 12 mois précédant l’administration du questionnaire ou encore, au cours des 12 mois précédant la mise sous garde ou l’incarcération pour ceux dans cette situation.

La consommation de drogues et d’alcool a été évaluée à l’aide du Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), une entrevue structurée qui permet d’évaluer les troubles de santé mentale selon les critères diagnostiques du DSM-IV-TR. Les variables de présence ou d’absence de consommation de drogues et d’alcool au cours de la dernière année sont mesurées et les scores obtenus au MINI déterminent si le participant présente une dépendance à la substance ou encore, s’il fait une utilisation nocive de celle-ci.

Les comportements sexuels et automobiles risqués ont été mesurés à l’aide d’un questionnaire créé spécifiquement aux fins de l’étude et inspiré de recherches antérieures portant sur les conduites à risque des adolescents (Arnett, 1996). Plus précisément, les comportements sexuels à risque sont mesurés par la participation (à vie) dans l’une des situations suivantes : avoir eu une relation sexuelle sans condom, avec une personne inconnue, sous l’influence de drogues ou d’alcool ou à plusieurs ainsi qu’avoir été responsable d’une grossesse. Pour leur part, les comportements routiers sont mesurés par la présence de conduite avec les facultés affaiblies, sans permis de conduire ou à 160 km/h ou plus. Il est aussi vérifié si le participant a déjà pris part à une poursuite policière (conducteur et passager) et à du car surfing[4] (conducteur et surfeur).

Analyses

Puisque toutes les variables utilisées dans la présente étude sont de nature dichotomique, des tableaux croisés ont permis d’identifier les différences entre les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et ceux qui ne le sont pas au niveau de leurs comportements risqués. Les résultats présentés portent sur l’ensemble des données recueillies. Toutes les analyses ont été faites à l’aide du logiciel SPSS (version Statistics 21).

Résultats

Description de l’échantillon

L’échantillon total des participants à l’étude est composé de 206 jeunes hommes contrevenants âgés de 14 à 25 ans (moyenne = 18,4 ans). Les jeunes des deux sous-groupes sont comparables en termes d’âge (t = 0,48 ; p ≥ 0,05). Parmi eux, 79 se sont identifiés comme étant membre de gang (38,3 %) et 127 comme non-membre (61,7 %). En ce qui a trait à la provenance, 57 ont été recrutés à la DGSC (27,7 %) et 149 en CJ (72,3 %). Au moment de l’étude, ils étaient majoritairement placés en garde ou détenus (82,6 %) pour une période moyenne de 10,5 mois (durée totale de la peine ou de l’ordonnance). Bien que la majorité soit née au Québec ou dans une autre province canadienne (76,2 %), 55,8 % des participants se sont identifiés à un groupe d’appartenance ethnoculturelle autre que québécois ou canadien.

Délinquance

Le Tableau 1 présente une synthèse des comportements délinquants à l’étude tant pour l’ensemble de l’échantillon qu’en fonction de l’association aux gangs de rue.

Tableau 1

Prévalence des comportements délinquants en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

Prévalence des comportements délinquants en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

† p ≤ 0,10   * p ≤ 0,05   ** p ≤ 0,01   *** p ≤ 0,001

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Tout d’abord, il est frappant de constater, au sein de l’échantillon, la prévalence élevée de plusieurs comportements délinquants qui pourraient mettre le jeune en danger. Ainsi, les trois quarts de l’échantillon ont commis une introduction par effraction au cours des 12 mois précédant leur participation à l’étude ou au cours des 12 mois précédant leur mise sous garde ou leur détention. Près de 60 % ont commis au moins un vol (à l’étalage, dans une voiture, dans les poches d’un inconnu, etc.) et ils sont encore plus nombreux à avoir vendu ou acheté des objets volés (69,4 %). Ils sont également nombreux à avoir vendu des drogues, plus particulièrement de la marijuana (62,9 %) au cours de la période à l’étude. Plus spécifiquement, lorsque les jeunes qui se reconnaissent membres de gang sont comparés aux autres jeunes de l’échantillon, ils sont significativement plus nombreux à avoir commis une introduction par effraction (89,9 % contre 65,9 % ; Phi = 0,27 ; p ≤ 0,001) et à avoir vendu ou acheté des objets volés (79,7 % contre 63,2 % ; Phi = 0,17 ; p ≤ 0,05). Pour ce qui est de la vente de drogues, on remarque encore une fois que les membres de gang sont plus nombreux à s’y adonner. En effet, 75,4 % des jeunes s’identifiant comme membres de gang admettent avoir vendu de la marijuana comparativement à 55,6 % des autres jeunes de l’échantillon (Phi = 0,20 ; p ≤ 0,01). De plus, la moitié des membres de gang reconnaissent avoir vendu de la cocaïne contre 24,8 % des non-membres (Phi = 0,26 ; p ≤ 0,001).

Plusieurs comportements délinquants sont jugés dangereux et augmentent le risque de blessures, c’est notamment le cas pour les comportements violents. Sur ce plan, force est d’admettre que les jeunes de l’échantillon sont nombreux à adopter ce type de comportements. À titre d’exemple, 55,7 % des jeunes de l’échantillon ont frappé quelqu’un et plus de 60 % ont été impliqués dans une bagarre pendant la période à l’étude. Ils sont également nombreux à avoir attaqué quelqu’un avec une arme. En outre, plusieurs comportements violents sont commis plus souvent par les jeunes s’identifiant comme membres de gang. Ainsi, ils sont plus nombreux que non membres à admettre avoir frappé quelqu’un (68,1 % contre 48,3 % ; Phi = 0,19 ; p ≤ 0,01), avoir attaqué quelqu’un avec une arme (52,2 % contre 29,1 % ; Phi = 0,23 ; p ≤ 0,001), avoir pourchassé quelqu’un dans le but de lui faire du mal (50,0 % contre 32,8 % ; Phi = 0,17 ; p ≤ 0,05) et avoir pris un objet ou de l’argent à quelqu’un par la force ou la menace (53,6 % contre 27,4 % ; Phi = 0,26 ; p ≤ 0,001).

Les prévalences de possession et d’utilisation d’une arme à feu (AAF) sont également présentées dans le Tableau 1. Un premier résultat montre que 73 % des jeunes contrevenants de l’échantillon ont porté une AAF pendant la période étudiée et près de 60 % avouent avoir déjà volé en menaçant d’une AAF. Ces résultats sont relativement inquiétants considérant que la présence d’armes à feu dans un conflit augmente les risques de blessures et de mort. De plus, il semble que les membres des gangs de rue soient significativement plus nombreux à en avoir porté une au cours de la période étudiée (84,1 % contre 66,4 % ; Phi = 0,19 ; p ≤ 0,01), en plus d’être plus nombreux à avoir commis un vol en menaçant d‘une AAF (81,0 % contre 44,9 % ; Phi = 0,36 ; p ≤ 0,001). Cette différence est encore plus marquée lorsqu’il est question d’avoir tiré d’une AAF et atteint quelqu’un (13,0 % contre 2,6 % ; Phi = 0,21 ; p ≤ 0,01) ainsi que d’avoir tiré d’une AAF sans toutefois atteindre la personne visée (40,6 % contre 9,4 % ; Phi = 0,37 ; p ≤ 0,001).

Consommation

Le Tableau 2 présente les principaux résultats en ce qui a trait à la consommation de drogues et d’alcool.

Tableau 2

Prévalence de la consommation en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

Prévalence de la consommation en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

† = p ≤ 0,10   * = p ≤ 0,05   ** = p ≤ 0,01   *** = p ≤ 0,001

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Sans grande surprise, les jeunes de l’échantillon affirment avoir consommé des drogues et de l’alcool dans des proportions relativement élevées. Ainsi, 80 % disent avoir consommé une ou des drogues au cours de l’année précédant la participation à l’étude ou leur mise sous garde ou incarcération pour les personnes placées ou détenues. Dans une moindre mesure, les deux tiers (68 %) affirment avoir consommé à au moins trois reprises, plus que l’équivalent de trois verres d’alcool fort au cours de cette même période. La consommation d’alcool et de drogues semble donc être une activité fréquente pour tous les jeunes contrevenants composant l’échantillon et aucune différence statistiquement significative n’est observée entre ceux qui s’identifient comme membre de gang et ceux qui ne le font pas. Notons toutefois que les membres de gang semblent plus enclins que les non-membres à présenter un problème de dépendance (32,9 % contre 22,2 % ; Phi = 0,12 ; p ≤ 0,10) et d’utilisation nocive de l’alcool (28,1 % contre 15,8 % ; Phi = 0,15 ; p ≤ 0,10). Ces différences ne sont cependant que marginalement significatives.

Comportements sexuels

Le Tableau 3 synthétise les résultats des 198 jeunes de l’échantillon qui affirment avoir déjà eu une relation sexuelle au cours de leur vie.

Tableau 3

Prévalence des comportements sexuels risqués en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

Prévalence des comportements sexuels risqués en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

† = p ≤ 0,10   * = p ≤ 0,05   ** = p ≤ 0,01   *** = p ≤ 0,001

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Parmi ces jeunes, 84 % affirment avoir déjà eu au moins une relation sexuelle non protégée. De plus, la très grande majorité rapporte des habitudes sexuelles risquées telles que mesurées par le fait d’avoir déjà eu une relation sexuelle sous l’effet de drogues ou d’alcool (85,4 %), d’avoir déjà eu au moins une relation sexuelle avec une personne inconnue (68,9 %) et, dans une moindre mesure, d’avoir déjà eu une relation sexuelle à plusieurs (53,5 %). Tel qu’en témoigne la faible constance du port du condom, ils sont 40,4 % à affirmer avoir déjà été responsables d’une grossesse. De plus, il semble que les jeunes qui s’identifient comme membres de gang soient plus nombreux à ne pas utiliser le condom de façon systématique (93,7 % contre 78,2 % ; Phi = 0,21 ; p ≤ 0,01) et à avoir été responsable d’une grossesse (51,9 % contre 32,8 % ; Phi = 0,19 ; p ≤ 0,01) que les autres jeunes de l’échantillon.

Conduite automobile

Le Tableau 4 présente les comportements routiers risqués tels que définis dans l’étude pour l’ensemble de l’échantillon et en fonction de l’appartenance à un gang de rue.

Tableau 4

Prévalence des comportements routiers risqués en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

Prévalence des comportements routiers risqués en fonction de l’association aux gangs de rue et dans l’échantillon total

† = p ≤ 0,10   * = p ≤ 0,05   ** = p ≤ 0,01   *** = p ≤ 0,001

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Certains comportements routiers dangereux semblent faire partie intégrante de la vie des jeunes contrevenants de l’échantillon. En effet, la majorité d’entre eux ont déjà conduit sans permis de conduire (73,2 %), avec les facultés affaiblies (60,3 %) ou encore, à 160 km/h ou plus (62,9 %). Fait intéressant, près de 40 % d’entre eux ont déjà pris part à une poursuite policière, mais en tant que passager (27,2 % en tant que conducteur). À ce niveau, les membres de gang sont significativement plus nombreux que les autres jeunes de l’échantillon à rapporter avoir déjà été passagers lors d’une poursuite policière (48,1 % contre 30,7 % ; Phi = 0,18 ; p ≤ 0,01). De plus, bien que cette activité reste marginale, les membres de gang sont aussi plus nombreux à rapporter avoir participé à du car surfing non pas en tant que surfeur, mais comme conducteur (15,2 % contre 4,7 % ; Phi = 0,18 ; p ≤ 0,01).

Discussion et conclusion

La présente étude avait pour principal objectif de dresser un portrait de jeunes contrevenants montréalais quant à leurs comportements risqués et ensuite, de les comparer en fonction de leur appartenance (ou non) aux gangs. Plus spécifiquement, des tableaux croisés ont été effectués afin de comparer les deux sous-groupes sur la base de quatre grandes sphères comportementales soit : la délinquance, la consommation de drogues et d’alcool, les conduites sexuelles et les comportements routiers.

Tout d’abord, cette étude a permis de constater des prévalences très élevées des conduites à risque chez tous les jeunes contrevenants composant l’échantillon, qu’ils soient associés ou non aux gangs de rue. Cela réaffirme la nécessité de s’intéresser à cette problématique chez les jeunes contrevenants. De plus, les résultats convergent avec ceux des travaux réalisés antérieurement voulant que les jeunes qui s’identifient comme membres de gang commettent des délits dans une proportion plus grande que les autres jeunes contrevenants (Bjerregaard, 2010 ; Esbensen et Huizinga, 1993 ; Zhang, Welte et Wieczorek, 1999). Sans grande surprise, non seulement les membres de gang de l’échantillon sont plus enclins que les autres jeunes contrevenants à commettre certains types de délits (comme avoir commis des introductions par effraction, des vols et du recel), mais ils sont également plus nombreux à vendre des drogues, à adopter des comportements violents et à avoir déjà porté ou utilisé une arme à feu. Sur ce dernier point, plusieurs auteurs s’entendent pour dire qu’il existe une association très forte entre les gangs de rue et la possession ou l’utilisation d’une arme à feu (Bjerregaard et Lizotte, 1995 ; Thornberry et al., 2003). Le port d’arme résulterait en effet d’un mode de vie typiquement associé à l’univers des gangs et les jeunes qui quitteraient ces groupes, mettraient également fin à ce type de comportement (Bjerregaard et Lizotte, 1995). Bien que les jeunes de l’échantillon se distinguent sur le port d’une AAF, c’est sur l’utilisation de celle-ci qu’on observe la plus grande différence entre les jeunes associés à un gang et ceux qui ne le sont pas. Ce résultat démontre toute la gravité des actes qui peuvent être posés par les jeunes contrevenants associés aux gangs. En ce sens que le port d’une AAF est relativement commun chez les jeunes contrevenants que ce soit pour se protéger ou pour projeter une image de dur à cuire (Bjerregaard et Lizotte, 1995), mais peu d’entre eux oseront l’utiliser contrairement aux membres de gang.

Les jeunes de l’échantillon rapportent des taux de consommation de drogues et d’alcool nettement plus élevés que les jeunes de la population générale (Pica et al., 2012). Ce résultat n’est pas surprenant considérant la multitude d’études antérieures qui abondent en ce sens (Lambert et al., 2010). Cependant, les membres de gang de la présente étude ne se distinguent que très faiblement des autres jeunes de l’échantillon au niveau de leur consommation contrairement aux études antérieures. Ceci peut être expliqué par le fait que la majorité des études qui observent des différences significatives au niveau de la consommation comparent les membres de gang à des élèves conventionnels et non à d’autres jeunes contrevenants. Ce ne serait donc pas la composante gang de rue qui aurait un effet sur la différence entre les sous-groupes, mais bien une propension délinquante plus grande incluant la consommation de drogues ou d’alcool. De plus, certains chercheurs avancent l’hypothèse que l’alcool servirait principalement à maintenir la cohésion d’un groupe, mais également à affirmer la masculinité des protagonistes (Hunt et Laidler, 2001). Ceci peut trouver écho autant chez les membres de gang que chez les jeunes contrevenants en général considérant qu’ils sont nombreux à fréquenter des pairs déviants sans pour autant appartenir à un gang.

Les jeunes de l’échantillon sont deux fois plus nombreux à avoir eu une relation sexuelle sans condom que les jeunes âgés de 15 à 24 ans de l’échantillon de Rotermann (2012), tiré de la population générale. Qu’ils soient associés aux gangs ou non, les jeunes de l’échantillon présentent un profil de comportements sexuels risqués plus qu’inquiétant. Ainsi, leurs comportements sexuels semblent s’inscrire dans une propension générale à la prise de risques, à un sentiment que cela n’arrive qu’aux autres ou encore, à une méconnaissance des comportements sécuritaires. Ce sentiment de toute puissance typique de la période de l’adolescence (Laurier et Dubois, 2014) jumelé à l’apparent manque d’éducation sexuelle des jeunes contrevenants représente une prise intéressante pour intervenir auprès d’eux. De plus, le fait que les membres de gang se distinguent principalement sur le fait d’avoir été responsable d’une grossesse pourrait traduire une difficulté à imaginer les conséquences à moyen et long terme de leurs actes. En outre, cela soulève l’hypothèse d’un manque de considération et d’empathie pour autrui chez ces jeunes. À notre connaissance, aucune étude n’a traité de cette problématique chez les jeunes associés aux gangs de rue. Des recherches seraient nécessaires pour mieux comprendre ce phénomène.

La présente étude rapporte des prévalences très élevées de comportements routiers pouvant mettre la vie des jeunes de l’échantillon en danger. Certains chercheurs affirment que la conduite dangereuse répond aux besoins de sensations fortes et fait partie d’un besoin d’affranchissement parental plus général à l’adolescence (Bina et al., 2006) ou encore, à un besoin de s’affirmer, de gagner l’estime de son groupe de pairs, de maîtriser les risques et de surmonter ses propres limites (Bonino et al., 2005). En effet, le choix de prendre ce type de risques remplirait des fonctions essentielles dans le processus d’accession à l’autonomie adulte et contribuerait à la construction identitaire du jeune (Laurier et Dubois, 2014). Étonnamment, ce n’est pas le fait d’avoir été le conducteur lors d’une poursuite policière qui distingue les deux sous-groupes, mais plutôt d’en avoir été le passager. D’un côté, on peut penser qu’il s’agit là de ne pas avoir été pris en compte par une autre personne ou encore de s’associer avec des personnes qui prennent elles-mêmes des risques. D’un autre côté, il peut s’agir, tel qu’avancé par plusieurs chercheurs, d’un effet d’entraînement et de pressions effectué par les pairs présents dans la voiture (Simons-Morton et al., 2011). Le seul autre comportement routier où les jeunes qui se disent associés à un gang se distinguent des autres jeunes contrevenants de l’échantillon est d’avoir pris part à du car surfing en tant que conducteur. À l’instar d’avoir déjà été responsable d’une grossesse, mais dans un tout autre registre, ce comportement pourrait démontrer un manque de considération pour la sécurité d’autrui.

L’association aux gangs de rue entraîne des conséquences importantes dans la vie des jeunes contrevenants (Thornberry et al., 2003). À l’instar des travaux antérieurs, les présents résultats révèlent que le portrait des conduites à risque des jeunes contrevenants est préoccupant et encore plus chez les jeunes qui s’identifient comme membres de gang. Cela soulève de nombreux défis cliniques lorsque vient le temps d’évaluer les jeunes contrevenants qu’ils soient associés ou non aux gangs et d’intervenir auprès d’eux considérant que la probabilité d’être victimisés ou traumatisés est intimement liée aux risques pris par les jeunes (Laurier et Dubois, 2014 ; Pica et al., 2013). Cela affecte également la qualité des interventions et leurs impacts. En d’autres mots, l’adoption des conduites à risque oblige inévitablement les décideurs, gestionnaires et intervenants à se préoccuper de ses conséquences sociales (ex. : arrestations, prise en charge, etc.), mais aussi de ses conséquences au plan individuel (Laurier et Morin, 2014). Ainsi, il est primordial de continuer à développer les connaissances au sujet des conduites à risque prises par les jeunes contrevenants et, qui plus est, de celles prises par les membres de gangs. Ces derniers étant les plus enclins à adopter ce type de comportements et donc, les plus à risque d’en vivre les conséquences.

La présente étude comporte certaines limites. Tout d’abord, en plus d’être relativement homogène, l’échantillon est constitué de jeunes contrevenants à haut risque étant majoritairement placés en mise sous garde ou détenus. Ainsi, une diversification de l’échantillon avec des jeunes suivis dans la communauté et même avec des jeunes non judiciarisés permettrait de généraliser plus largement les résultats. Une deuxième limite est associée à l’utilisation de la mesure autorévélée de l’appartenance aux gangs de rue. Bien que cette mesure soit considérée par plusieurs comme étant plus fidèle que les données officielles, on lui reproche d’être assujettie à la diversité des perceptions relatives à l’implication dans ces groupes (Spergel et Curry, 1993), puisqu’il est impossible de s’assurer que tous jugent de manière équivalente leur engagement dans ces groupes. Une troisième limite concerne l’absence de considération pour des variables de la personnalité telles que la faible maîtrise de soi, l’impulsivité ou encore, la recherche de sensations qui pourront faire l’objet d’une étude ultérieure. Dans un avenir rapproché, il serait également intéressant de vérifier si les résultats varient selon l’intensité de l’implication dans les gangs. Ainsi, certains comportements risqués pourraient être l’expression d’un engagement plus important dans le gang. De plus, bien que la théorie du syndrome déviant (Jessor et Jessor, 1977) permette de conceptualiser plusieurs comportements risqués comme étant les témoins d’une même propension à la déviance, il est possible que ceux-ci aient des étiologies distinctes méritant d’être explorées davantage. En ce sens, cette étude représente une première étape qui devra assurément être approfondie. Malgré ses limites, notre étude contribue aux efforts visant à mieux comprendre la réalité des jeunes contrevenants montréalais et plus particulièrement, ceux qui s’identifient comme membres de gang.