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L’alcool a depuis longtemps été considéré comme un facteur déterminant pour expliquer ce que l’on appelle, à juste titre ou non, le déclin des sociétés amérindiennes en Amérique du Nord. Comme le soulignait par exemple le réputé ethnohistorien Alfred G. Bailey en 1937 : « From the scientific viewpoint it is probably true to say that liquor was one of the chief causes of the decline and approximate extinction of the native populations. » (Bailey, 1969 : 74) En bonne partie, cette perception doit sa persistance à l’influence des écrits missionnaires du XVIIe siècle, et plus particulièrement à l’influence des Relations des jésuites. Aux yeux des « robes noires » en effet, l’alcool constituait pour leur entreprise d’évangélisation un obstacle de taille qu’il fallait éliminer. Le discours dénonciateur des religieux, truffé d’exemples explicites des méfaits de la boisson sur les comportements personnels et l’organisation sociale des Amérindiens, se devait de tonner d’autant plus fort qu’il s’opposait à celui des dirigeants politiques et des marchands de l’époque. Ces derniers voyaient dans la distribution d’alcool aux Amérindiens une condition essentielle, ou du moins favorable, à la poursuite du commerce des fourrures et, par extension, à la prospérité économique des colonies du Nouveau Monde. Nul doute que dans un tel contexte, les récits des missionnaires et le portrait fort négatif qu’ils brossent du rapport Amérindiens/alcool doivent être abordés de manière prudente. Il faut également se méfier – les dernières études ethnohistoriques vont dans le même sens – de l’enthousiasme souvent débordant des religieux à l’égard de leurs succès sur le plan des conversions et de l’acceptation du christianisme par les Amérindiens.

En ce sens, il est légitime de se poser la question suivante : est-ce que l’alcool a joué un rôle aussi désastreux qu’on tend à le croire dans l’histoire des sociétés amérindiennes du Nord-Est américain ? Malgré la publication récente de quelques études qui abordent la question du rapport historique entre les Amérindiens et l’alcool dans une perspective révisionniste, l’état actuel des connaissances ne permet pas encore, à notre avis, de répondre adéquatement à cette question. Avant tout, nous aimerions apporter ici quelques nuances par rapport à un discours encore trop dominant. Sans chercher à minimiser les répercussions négatives que la consommation d’alcool a pu entraîner au sein des communautés amérindiennes depuis le contact avec les Européens – car effectivement il y en a eues –, nous croyons que le rôle joué par l’alcool dans la trajectoire historique amérindienne est plus complexe, et qu’il n’a été jusqu’ici que partiellement compris. Trop souvent, et depuis trop longtemps, on a insisté sur l’aspect sombre du rapport de l’Amérindien avec l’alcool ; et on semble avoir ignoré, ou à tout le moins minimisé, les fonctions plus positives que ce produit a pu remplir dans leur quotidien. Dans cette optique, nous aimerions mettre en relief trois domaines pour lesquels l’alcool a été d’une certaine utilité pour les Amérindiens de la région subarctique : dans les rapports interculturels avec les Européens ; dans le développement de l’autonomie économique ; et le maintien de la cohésion sociale. Nous éviterons toutefois d’aborder le domaine spirituel, car bien qu’il soit très probable que la consommation d’alcool ait eu chez les Amérindiens des fonctions religieuses (recherche de visions, de contacts avec les forces surnaturelles, etc.), les données historiques actuellement disponibles pour la région subarctique ne permettent pas d’avancer des hypothèses sur ce sujet.

Amérindiens et alcool : évolution d’un discours

Déjà au XVIIe siècle, certains Européens avaient commencé à propager l’idée que les Amérindiens s’avéraient incapables de contrôler leur consommation d’alcool. Par exemple, Pierre Boucher, gouverneur de Trois-Rivières, écrivait sans trop de nuances que « tous les Sauvages qui sont proches des Européens deviennent ivrognes » (Boucher, 1664 : 116). Et pour plusieurs, ce penchant particulier des Amérindiens pour l’alcool semblait directement relever de considérations raciales ou biologiques : pour l’évêque François de Montmorency-Laval, entre autres, il ne fallait « pas comparer les Sauvages du Canada avec les autres peuples, sachant quel est leur génie et leur naturel à l’égard des boissons et la différence qu’il y a entre eux et les autres nations même les plus passionnées par la boisson » (Têtu et Gagnon, 1887, 1 : 150). Vers 1705, c’était au tour du missionnaire sulpicien François Vachon de Belmont de rappeler que : « l’ivrognerie des Sauvages est une différente espèce de celle de tous les autres hommes » (Belmont, 1840 ? : 8 ; voir aussi Unrau, 1996 : 36, 52-53). De là, naissait progressivement un mythe qui allait se faire tenace : les Amérindiens auraient naturellement des prédispositions particulières envers l’alcool. Certes, mettre la nature en cause, c’était aussi une manière habile pour les Européens, les fournisseurs, de profiter sans trop de remords des conséquences négatives découlant de la consommation d’alcool des Amérindiens : dépossession matérielle, abus dans le cadre du commerce, violence, mort par surconsommation ou maladie, frustration, désespoir, etc.

Tout récemment encore, l’explication génétique en regard au cas particulier des Amérindiens a été avancée par certains chercheurs (Milam et Ketcham, 1981). Pourtant, la question d’un lien entre l’alcoolisme et la génétique est loin de rallier les spécialistes à l’heure actuelle. En ce qui concerne les Amérindiens, des recherches ont montré que les problèmes d’alcool tendent à varier, autant sur une base individuelle que collective, selon les contextes socioculturels, minimisant l’idée d’un quelconque déterminisme génétique absolu (Mandelbaum, 1965 ; MacAndrew et Edgerton, 1969 ; Westermeyer, 1974 ; Heath, 1983). Par ailleurs, depuis quelques années, des historiens ont cherché non seulement à relativiser l’impact de l’alcool dans les sociétés amérindiennes, mais aussi à proposer des explications plus rationnelles pour rendre compte des comportements amérindiens en matière de consommation. Ainsi, pour William Unrau, les Amérindiens n’auraient fait que calquer les habitudes de consommation des nouveaux arrivants : « the advent and proliferation of alcohol among Indians […] are at bottom strong evidence of tribal accommodation to a pervasive aspect of white culture » (Unrau, 1996 : x). Toujours selon lui, l’adoption de l’alcool par les Amérindiens ne résultait pas d’un subterfuge à des fins abusives de la part des Européens ; c’était plutôt la conséquence logique d’une rencontre culturelle. Par ailleurs, selon Peter Mancall, la consommation d’alcool par les Amérindiens se voulait la manifestation d’un choix rationnel, lié au moins en partie aux changements sociaux et économiques déstabilisants qui accompagnèrent le contact avec les Européens et ses lendemains : soit les Amérindiens cherchaient ainsi à se donner des forces pour affronter le nouveau contexte, soit ils cherchaient un moyen de l’oublier (Mancall, 1995 : 8, 63-84 ; voir aussi Ishii, 2003). Que l’on soit d’accord ou non avec ces interprétations, on reconnaîtra au moins qu’elles ont le mérite de redonner aux Amérindiens un certain contrôle sur leur destinée, contrôle que de nombreuses études sur leur participation au commerce des fourrures ou sur leur réception du christianisme ont déjà confirmé, et ce, depuis un quart de siècle. En suivant cette dernière ligne de pensée, qui reconnaît un rôle actif plutôt que passif aux Amérindiens dans leur rapport avec l’alcool, nous nous pencherons sur quelques aspects plus positifs du rapport historique Amérindiens/alcool.

De l’utilité de l’alcool

Longtemps dépeintes comme étant culturellement statiques et n’ayant fait que subir le contact avec les Européens et les contraintes du colonialisme, les sociétés amérindiennes sont aujourd’hui au contraire largement reconnues et présentées comme des entités dynamiques. On reconnaît maintenant qu’elles ont toujours été douées d’une réelle capacité d’adaptation qui, souvent, leur a permis non seulement de gérer à leur avantage les rapports avec les nouveaux arrivants, mais d’influencer la configuration de ces mêmes rapports. C’est ainsi, par exemple, que nous sommes passés de l’image de l’Amérindien se faisant bêtement manipuler et exploiter dans le cadre du commerce des fourrures à celle de l’Amérindien rationnel et astucieux qui a su tirer son épingle du jeu en matière de rapports commerciaux, en forçant entre autres les marchands à s’ajuster à ses besoins et coutumes (Ray, 1974, 1980 ; Ray et Freeman, 1978    ; Fisher, 1977 ; Morantz, 1983, 2002 ; Gélinas, 2000a, 2003a). Nous sommes passés de l’image de l’Amérindien rapidement converti au christianisme et dépossédé de son système de référence spirituel traditionnel à l’Amérindien sélectif dans ses emprunts religieux, capable de ne retenir de la religion des colonisateurs que les éléments les plus significatifs en fonction de ses propres traditions ou schèmes culturels préexistants (Laugrand, 2002), tout en tirant profit de la présence des missionnaires (Gélinas, 2003b). Nous sommes aussi passés de l’Amérindien encadré et contrôlé par les structures juridiques coloniales à l’Amérindien capable à la fois de conserver, en parallèle, son système de droit traditionnel et de faire appel au droit occidental lorsque celui-ci offrait de meilleures possibilités (Plane, 2001 ; Delâge et Gilbert, 2002 ; Gélinas, 2003c).

De tels exemples devraient nous inciter à considérer avec plus de prudence le portrait généralement négatif du rapport historique que les Amérindiens ont entretenu avec l’alcool. Se pourrait-il, en effet, que ces derniers aient aussi géré leur relation avec l’alcool d’une manière plus rationnelle qu’on tend à le croire ? D’une manière en fait qui tenait compte à la fois de leur volonté d’interagir avec les Européens, dans un esprit d’ouverture sur la modernité, et de leur souci de protéger et de préserver leur identité culturelle ? Bien sûr, il s’agit-là d’une entreprise révisionniste qui dépasse largement le cadre d’un simple article. Néanmoins, quelques pistes de recherche peuvent à tout le moins être défrichées, comme le rôle primordial que l’alcool semble avoir joué dans le développement et le maintien des rapports économiques et politiques entre les Amérindiens et les colonisateurs européens.

L’alcool comme intermédiaire interculturel

À l’époque de la Nouvelle-France, le clergé catholique s’opposait fortement à la distribution d’alcool aux Amérindiens, laquelle perturbait les missions et l’effort d’évangélisation dans son ensemble. Comme le résumait Monseigneur Laval, « partout où l’ivrognerie règne parmi les sauvages, il n’y a rien ou fort peu à espérer pour leur conversion, et ce qu’il y a de religion et de piété se perd et s’éteint aussitôt » (Têtu et Gagnon, 1887, 1 : 149). Par contre, les dirigeants politiques à la tête des colonies, comme les commerçants de fourrures, avaient un tout autre point de vue. Très au fait de l’équation entre la distribution d’alcool, la prospérité du commerce des fourrures et de la colonie tout entière, et du maintien des alliances politiques avec les diverses nations amies, les dirigeants politiques étaient peu enclins à promouvoir sérieusement quelque forme de prohibition que ce soit, ce qui explique que l’alcool a toujours pu circuler en abondance.

À ce stade-ci, il convient de distinguer les deux modes de distribution d’alcool aux Amérindiens : la distribution en contexte protocolaire et la distribution en contexte purement commercial.

Alcool et protocole

Comme le soulignait Rotstein, traditionnellement chez les Amérindiens :

…trade was a highly personal activity, an encounter of two political groups or their representatives (not of individuals) and followed established political patterns. A Council was held, gifts had to be exchanged and most important of all, a political bond, a « peace » or « alliance », had to be established or confirmed. …the exchange of presents served as a confirmation of a political agreement, usually an alliance or the propositions of a treaty.

Rotstein 1972 : 1, 9

Dans le Nord-Est américain et dans la région des Plaines, où l’alcool ne semblait pas circuler avant le contact avec les Européens – contrairement à ce qui prévalait en Amérique latine et dans le sud-ouest des États-Unis –, ces cérémonies protocolaires étaient souvent l’occasion de s’échanger des présents (peaux de castor, wampums, etc.) et de consommer du tabac, suivant le rituel du calumet de paix (Turnbaugh, 1975, 1979 ; Blakeslee, 1975, 1981, voir aussi Von Gernet, 1992, 1995). Cette pratique a non seulement persisté au lendemain du contact, mais elle a aussi été intégrée dans les rapports politico-économiques avec les Européens. Par contre, dans bien des cas au fil du temps, et sans que l’on sache encore trop quand ni comment, l’alcool en est venu à remplacer le tabac dans le cadre de ces cérémonies protocolaires (White, 1982, 1987). Ainsi, que ce soit à l’occasion de rencontres diplomatiques entre chefs amérindiens et dirigeants coloniaux, ou lors de simples rencontres entre marchands et chasseurs dans un poste de traite, au lieu de s’échanger le calumet, on trinquait. De plus, dans le cadre des échanges de présents, il est rapidement apparu aux Européens que la boisson était plus susceptible de plaire aux Amérindiens.

Ce mode de distribution d’alcool à des fins protocolaires – qui se veut d’ailleurs un bon exemple de l’influence que les Amérindiens ont pu avoir sur la configuration des rapports avec les Européens – a généralement été interprété comme une habile stratégie des « Blancs » pour maintenir ou consolider de bons rapports avec leurs alliés ou partenaires amérindiens. Or, les Amérindiens aussi voyaient de nombreux avantages à entretenir des rapports harmonieux avec les Européens. Sur le plan politique par exemple, il y avait, aux XVIIe et XVIIIe siècles, une volonté très claire de leur part d’obtenir une assistance militaire des Européens dans le cadre des guerres intertribales. Sur le plan économique aussi, on le sait, les Amérindiens ont rapidement adopté des éléments de la culture matérielle européenne qui ont amélioré leurs conditions de subsistance : les haches et les couteaux en métal plus efficaces et plus durables que ceux en pierre, les marmites en cuivre plus pratiques pour la cuisson, les armes à feu, certains tissus ou vêtements, etc. Plus ces articles étaient intégrés dans le quotidien, plus il devenait difficile de s’en passer, de tourner le dos au progrès en quelque sorte. Ce n’était pas tant une question de dépendance, au sens où les Amérindiens auraient perdu leur capacité d’être autosuffisants en même temps que leur habileté à fabriquer des éléments de la culture matérielle traditionnelle, mais plutôt un simple attrait pour la modernité et ses avenues qui facilitaient et agrémentaient le mode de vie. Bref, l’amélioration des conditions de vie ou le soutien militaire étaient tributaires de l’existence de rapports harmonieux avec les Européens. C’est dans ce contexte que la distribution d’alcool, lors des rencontres d’échanges politiques ou économiques, faisait partie d’une démarche conjointe visant à établir ou à entretenir des rapports interculturels devenus essentiels à la poursuite des intérêts respectifs de chaque groupe ; les Européens avaient un plan en tête en offrant de la boisson aux Amérindiens, et ceux-ci avaient le leur en l’acceptant.

D’autre part, si l’alcool a joué un rôle important dans l’établissement et le maintien des rapports économiques et politiques entre Amérindiens et Européens, des contextes se sont aussi présentés où l’abstinence s’est avérée le meilleur gage de relations cordiales. Pensons plus particulièrement à l’exemple des rapports avec les missionnaires. Aux yeux de bon nombre d’Amérindiens, les missionnaires constituaient des êtres foncièrement ambivalents qui cherchaient à les évangéliser et à les gagner à la culture occidentale, tout en tentant de les protéger de cette même culture, à tout le moins de ses aspects les plus déplorables. Forcément, cette perception ambiguë s’est reflétée dans la réception plurivalente de leur message religieux. Mais, au-delà du volet purement spirituel ou idéologique, il y avait un aspect sur lequel la grande majorité des Amérindiens s’entendaient, à savoir que les missionnaires étaient pour eux des individus très utiles en raison de leur rôle d’intermédiaires avec les autorités coloniales. En effet, en intervenant pour que des secours soient distribués, pour que des territoires de chasse soient protégés, pour que des soins médicaux soient dispensés, etc., les missionnaires ont souvent été en mesure de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des communautés amérindiennes. Dès lors, si le message des missionnaires pouvait laisser certains Amérindiens indifférents, il y avait par contre un apparent consensus au sein des communautés sur la nécessité de conserver de bons rapports avec eux. Or, la meilleure façon de s’assurer de la présence permanente d’un missionnaire, ou de son retour annuel dans le cadre des missions volantes, c’était de lui plaire. Par exemple : en participant activement et avec ferveur, sur une base collective, aux manifestations religieuses de toutes natures (messes, processions, chants, etc.), et cela peu importe le degré réel de conversion de chacun des membres de la communauté (Gélinas, 2003c : 95). Et bien sûr, une autre façon de plaire à coup sûr aux missionnaires consistait à se tenir loin de l’alcool, du moins en leur présence.

L’achat de boisson

À l’extérieur des échanges de nature protocolaire, chaque Amérindien, sur une base volontaire, était libre de se procurer autant d’alcool qu’il le souhaitait ou le pouvait auprès des fournisseurs, que ce soit les commerçants de fourrures dans l’arrière-pays ou les tenanciers de débits plus ou moins clandestins dans les villes et les villages (Grabowski, 1998). Dans ce cas, la quantité d’alcool recherchée pouvait varier grandement d’un individu à l’autre ; certains se sont ruinés et détruits à trop en consommer alors que d’autres ont montré peu d’intérêt envers le produit. Toutefois, il est certainement faux de prétendre, comme des chroniqueurs l’ont fait au fil des siècles, que la recherche d’alcool rendait les Amérindiens commercialement incohérents, qu’elle les poussait à dilapider à vil prix leurs fourrures pour quelques onces de boisson, quitte à plonger leurs proches dans la misère. Non seulement s’agit-il là d’une généralisation inacceptable, mais des exemples bien documentés montrent que les achats d’alcool pouvaient certainement être effectués avec plus de discernement.

Prenons ici le cas des Attikameks de la Haute-Mauricie à la fin du XVIIIe siècle. Les documents d’archives rapportent qu’à cette époque, ces derniers se rendaient régulièrement faire le commerce des fourrures à Trois-Rivières. À l’occasion, des marchands de cette ville se rendaient eux-mêmes en Haute-Mauricie pour les rencontrer et négocier. En échange de leurs fourrures, ce que les Attikameks se procuraient en plus grande quantité auprès des commerçants de la vallée du Saint-Laurent était de la boisson, surtout, et parfois des armes et des munitions (ANC, 1774-1784 : 300, 1778-1784 : 100, 133 ; ASTR, 1786 ; Haldimand, 1918a, 1918b ; Burton, 1918a, 1918b, 1812c). De même, aux yeux des commerçants et des citoyens de Trois-Rivières qui avaient le loisir de les observer, les Attikameks se voulaient l’image parfaite de ces Amérindiens qui cédaient frivolement le fruit de leur chasse pour quelques litres de boisson, et pratiquement rien d’autre. Sans compter que leur apparence et l’aspect primitif de leurs conditions matérielles devaient donner du poids à l’idée que c’était ce type de comportement qui gardait les Amérindiens dans la misère. Pourtant, ce que la grande majorité des gens ignoraient, mais pas le gouverneur Haldimand (ANC, 1762-1767 : 13), c’est que les Attikameks entretenaient en parallèle des rapports commerciaux avec les Anglais établis à la baie d’Hudson, auprès de qui ils se procuraient une gamme plus variée d’articles de meilleure qualité, et à des prix plus avantageux que ceux offerts par les marchands de la vallée laurentienne (Gélinas, 2000b : 29-30). Par conséquent, non seulement les Attikameks étaient-ils loin de troquer leurs fourrures uniquement contre de la boisson, mais les achats d’alcool qu’ils effectuaient répondaient à une logique apparemment toute rationnelle, puisque la boisson offerte dans l’ancienne colonie française était de toute façon plus appréciée que celle offerte par les Anglais qui, souvent, la diluaient avec de l’eau. À ce stade-ci, rien ne permet de croire que l’exemple des Attikameks est un cas unique dans l’histoire.

Quant à savoir à quels besoins pouvait répondre la consommation d’alcool chez les Amérindiens, cela demeure une question sujette à débat. Au fil des ans et des recherches, une panoplie d’hypothèses ont été avancées, allant de la dépendance biologique à la recherche d’un état altéré de conscience (Vachon, 1960 ; Carpenter, 1959 ; Dailey, 1968) en passant par la volonté d’échapper à l’angoisse (Horton, 1943 ; Honigmann et Honigmann, 1945 ; Lemert, 1958 ; Dozier, 1966), de se libérer des règles et des contraintes sociales ou pour justifier des comportements (Dickinson, 1993), ou encore pour affirmer une identité autochtone en réponse à l’oppression des Européens (Lurie, 1971 ; Robbins, 1973). De fait, il n’y avait sûrement pas une raison unique pour consommer de l’alcool, et ces raisons devaient varier selon les individus et les circonstances. Toute généralité mériterait donc d’être écartée. Aussi, on se contentera pour l’instant de retenir le rôle important qu’a joué la consommation d’alcool dans le maintien des rapports économiques et politiques essentiels que les Amérindiens entretenaient avec les Européens, et le fait que les achats d’alcool, peu importe la fonction que ce produit était appelé à remplir, n’étaient pas dénués de toute rationalité.

L’alcool comme opportunité de subsistance

On constate depuis peu que les Européens n’ont pas été les seuls à faire de l’alcool un élément pivot de leur économie à l’époque coloniale. Très tôt en fait, les Amérindiens ont fait de même, notamment au niveau du commerce intertribal. Dans les années 1640, les Micmacs échangeaient déjà de l’alcool avec les Montagnais de Tadoussac et de Sillery et, du temps de Frontenac, des Amérindiens auraient eux-mêmes tenu des tavernes dans la vallée du Saint-Laurent (Bailey 1969 : 67, 71). Au début des années 1830, plusieurs populations amérindiennes du Midwest américain agissaient comme intermédiaires entre les fournisseurs d’alcool de l’est et les autres nations amérindiennes situées plus à l’ouest, et ils en retiraient apparemment de bons profits (Unrau, 1996 : 34; Mancall, 1995 : 57-61). Enfin, dans la première moitié du XIXe siècle, plusieurs Abénaquis d’Odanak se rendaient commercer avec d’autres Amérindiens établis sur la rive nord du Saint-Laurent, et l’alcool semblait alors constituer leur principale, sinon leur seule, monnaie d’échange contre les fourrures (HBCA, B. 134/c/24, fo 81 [1834], B. 134/c/45b, fo 84, B. 134/c/46, fo 390 ; D. 5/10, fo 537 ; Dumoulin, 1840 : 97).

À première vue, on pourrait être tenté de voir ici un effet pernicieux du contact : s’inspirant des Européens, les Amérindiens en seraient tout simplement venus à s’exploiter entre eux. Toutefois, une telle perception des choses réduirait une fois de plus les Amérindiens à des êtres facilement influençables. En plus, cela laisserait entendre que l’adoption du commerce constituait une forme de dénaturalisation par rapport au mode de vie traditionnel basé sur la chasse, ou que le choix de l’alcool comme matière première du commerce était relié à une volonté d’exploiter les acheteurs. Or, l’histoire montre que les Amérindiens n’ont jamais été que des chasseurs ou des agriculteurs ; à la base, ce sont des généralistes capables de s’ajuster aux fluctuations de leur environnement selon le meilleur rapport effort/productivité. Aussi, le choix de se faire commerçants ne serait pas tant le résultat d’une influence coloniale – le commerce amérindien existait de toute façon depuis la plus lointaine préhistoire –, qu’un choix parmi d’autres pour s’assurer une subsistance adéquate dans un contexte donné. Autrement dit, si à un certain moment des Amérindiens se sont lancés dans le commerce de l’alcool, c’est qu’à leurs yeux, c’était la stratégie de subsistance la mieux indiquée.

Pourquoi choisir l’alcool comme monnaie d’échange ? Était-ce forcément pour tirer profit d’une quelconque faiblesse amérindienne envers ce produit ? Prenons ici l’exemple des Abénaquis de la vallée laurentienne. Durant les années 1830 et 1840, la Hudson’s Bay Company avait théoriquement le monopole du commerce des fourrures au nord du fleuve Saint-Laurent. Débarrassée de ces principaux concurrents depuis 1831, elle n’avait plus besoin de recourir à une large distribution d’alcool pour arracher des clients à ses rivaux (Gélinas, 2000a : 66-71). Elle a donc mis fin à la vente d’alcool – tout en maintenant la distribution de boisson sous forme de présent (HBCA B. 230/d/18, fo 20) – aux Amérindiens, d’autant plus qu’elle considérait que cette pratique nuisait à leurs activités de chasse. Cependant, l’attrait des Amérindiens pour l’alcool n’a pas diminué en même temps que les stocks de la compagnie anglaise ; ceux-ci souhaitaient toujours s’en procurer. C’est dans ce contexte que les Abénaquis se sont empressés de devenir marchands de boisson en transportant des tonneaux d’alcool dans la forêt boréale. Rappelons qu’à cette époque, les Abénaquis traversaient une crise de subsistance : la colonisation les avait privés de leurs territoires de chasse traditionnels dans les Cantons-de-l’Est et la Nouvelle-Angleterre ; et les populations amérindiennes au nord du Saint-Laurent, elles-mêmes aux prises avec une diminution inquiétante des populations animales, refusaient à ces derniers l’accès à leurs terres de chasse (Gélinas, 2003c : 46). Face à cette situation, la vente d’alcool s’est présentée aux Abénaquis comme une heureuse occasion pour générer de nouveaux revenus. En d’autres termes, l’objectif de ces derniers n’était pas tant de créer une demande pour de l’alcool chez d’autres Amérindiens, mais d’y répondre. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les Abénaquis ont cessé de vendre de l’alcool sur la rive nord du Saint-Laurent à partir du moment où ils ont pu obtenir de nouveaux territoires de chasse dans cette région, soit à compter des années 1860 (Gélinas, 2003c : 49-52).

Bref, dans certains cas, plutôt que de mener à la déchéance, l’alcool a fourni à des communautés amérindiennes un moyen de traverser des périodes de crise et d’assurer leur continuité en tant qu’entité socioculturelle. Encore une fois, il n’est pas dit que l’alcool n’a jamais eu d’effets destructeurs dans ces mêmes communautés ; on sait bien qu’il en a eu. Mais l’exemple des Abénaquis – et il y en a certainement d’autres – devrait nous convaincre d’éviter le piège des généralisations faciles et nous inviter à explorer au-delà du seul versant négatif du rapport à l’alcool chez les Amérindiens.

Alcool et cohésion sociale

Une des conséquences de l’introduction de l’alcool dans le Nord-Est américain, sur laquelle les chroniqueurs et les historiens ont beaucoup insisté, est la désorganisation qu’elle a provoquée dans les sociétés amérindiennes. Que ce soit au niveau des rapports entre nations, entre familles ou entre membres d’une même famille, les exemples de conflits, de violence ou encore de meurtres reliés à la consommation d’alcool ont été rapportés en grand nombre. Ici encore, on ne saurait nier cette réalité historique. Toutefois, il convient aussi de reconnaître que dans certains cas, l’alcool a eu l’effet inverse pour contribuer au maintien des liens sociaux et, par conséquent, à la continuité socioculturelle des communautés amérindiennes.

Prenons une fois de plus l’exemple des Attikameks. Tout au long des années 1820, la concurrence commerciale entre la King’s Posts Company et la Hudson’s Bay Company en Haute-Mauricie avait été propice à une distribution de boisson à grande échelle. Au plus fort de la lutte, la Hudson’s Bay Company aurait transporté dans la région près de 1 000 gallons d’alcool pour une seule saison de traite (HBCA, B. 134/c/4, fos 203-204). En 1827, le gouverneur George Simpson avait d’ailleurs informé le responsable du St. Maurice District que « if liquor be the stable of trade you have the means of being as lavish as your neighbours [...] make it [rhum] our staple article of trade and part with no more cloth and blankets than absolutely necessary » (HBCA, D. 4/15, fos 13-14). Au dire de chroniqueurs de l’époque, cette marée d’alcool qui déferla en Haute-Mauricie aurait eu des effets désastreux sur les Attikameks. En 1828, un employé de la compagnie anglaise écrivait que l’alcool « had reduced the natives to mere skeletons, and had impaired their mental faculties » (HBCA, B. 134/c/4, fos 203-204). Deux ans plus tard, un de ses collègues rapportait pour sa part qu’en moins d’un an et demi, sept hommes et trois femmes parmi les Attikameks étaient morts d’une surconsommation d’alcool, ce qui le portait à conclure que « this unfortunate race will in all probability be extinct in the course of a few years » (HBCA, B. 230/e/1, fo 4). Enfin, l’explorateur J. Adams, présent en Haute-Mauricie à la même époque, constatait que les Attikameks de Weymontachie étaient devenus les esclaves des traiteurs en raison de leur goût pour la boisson (Adams, 1831 : 28, 33).

À la lumière de ces témoignages, il fait peu de doute que l’alcool semblait couler à flot parmi les Attikameks de cette époque. Faut-il pour autant y voir le reflet d’une consommation tout à fait désordonnée, débouchant sur une complète désorganisation sociale ? Une analyse plus minutieuse des habitudes d’achat d’alcool par cette nation, à partir des données relatives à un échantillon représentatif de dix chasseurs et contenues dans les livres de comptabilité de la Hudson’s Bay Company et de la King’s Posts Company, laisse effectivement transparaître une réalité plus complexe. Considérons cependant que les données disponibles restent incomplètes puisqu’il n’existe pas de statistiques sur la quantité de boisson offerte sous forme de présents. De plus, à partir de 1827, il n’existe plus de données sur la vente de boisson dans les livres de compte de la Hudson’s Bay Company. Bref, la quantité réelle d’alcool consommée par les Attikameks durant les années 1820 a sans doute été un peu plus importante que celle rapportée dans les livres de comptes.

Les données statistiques disponibles permettent d’attribuer à chaque chasseur attikamek – et à ses personnes à charge – une moyenne de 8,3 litres de boisson achetés chaque année (Tableau 1). Mais, si on prend pour acquis que, de 1827 à 1830, la Hudson’s Bay Company a vendu aux Attikameks une quantité équivalente à celle vendue par la King’s Posts Company (12,3 litres/année), cette moyenne pourrait passer à 9,5 litres/année. Il est intéressant ici de relativiser cette donnée en la comparant à ce qui prévalait à la même époque du côté des non-Amérindiens. Comme le soulignait Rorabaugh :

The consumption of alcohol in nineteenth-century America, however, was unlike anything twentieth-century Americans are likely to experience in their own lives. Between 1790 and 1840, Americans drank more alcoholic beverages – nearly half a pint of hard liquor per adult male each day – than at any other time in our history. The most popular beverages were cider and whiskey. Water was usually of poor quality, milk was scarce and unsafe, and coffee, tea and wine were imported and expensive.

Rorabaugh 1979

Donc, vers 1830, un adulte américain moyen consommait près de dix fois plus d’alcool en une année qu’un adulte attikamek, et ce, en supposant que ce dernier ne partageait pas la quantité d’alcool qu’il se procurait avec d’autres membres de sa famille. Considérons toutefois qu’il est probable que les Amérindiens vivant plus près des établissements coloniaux aient pu se procurer plus facilement de l’alcool et que, par conséquent, ils en aient consommé davantage que les populations nomades et plus isolées.

Tableau 1

Répartition mensuelle de la quantité de boisson (en litres) achetée par un échantillon de dix chasseurs attikameks de Weymontachie, 1824-1830

Répartition mensuelle de la quantité de boisson (en litres) achetée par un échantillon de dix chasseurs attikameks de Weymontachie, 1824-1830
Sources : HBCA, B. 230/d/4 ; B. 230/d/6 ; B. 230/d/14.

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Si on regroupe les achats effectués par les Attikameks durant les mois de juin, juillet et août d’une part, et ceux effectués durant le reste de l’année d’autre part, on constate que 34,2 % de la quantité totale de boisson a été achetée par les Attikameks durant les mois d’été. En répartissant cette quantité sur une base mensuelle, et en la divisant par le nombre de chasseurs contenus dans l’échantillon (n = 10), on obtient une moyenne d’achat de 0,9 litre/mois durant l’été, contre 0,6 litre/mois pour le reste de l’année. Autrement dit, on aurait consommé 33 % plus d’alcool durant les mois d’été. Or, c’était justement à ce moment de l’année que les chroniqueurs comme Adams étaient en mesure d’observer les comportements des Attikameks. Par conséquent, les rapports que ceux-ci entretenaient avec l’alcool à cette période de l’année, et tels qu’ils ont été rapportés par les chroniqueurs, n’étaient pas nécessairement représentatifs de ceux qui prévalaient durant le reste de l’année.

Par ailleurs, les pointes d’achats de boisson coïncidaient avec les moments de l’année où les Attikameks étaient rassemblés en plus grand nombre autour des postes de traite (Tableau 1), à savoir en juin au retour de la longue saison de chasse, et en septembre-octobre au moment de faire les achats automnaux, avant de repartir en forêt pour l’hiver. De plus, une partie importante d’alcool devait être consommée sur place. En effet, la boisson n’était pas un article facile à transporter en grande quantité dans les canots, de sorte que même si les Attikameks en achetaient beaucoup en juin et octobre, ils devaient nécessairement limiter la quantité rapportée sur les terres de chasse. Bref, la consommation de boisson par les Attikameks, très ponctuelle et non exempte d’abus, semblait se pratiquer en groupe et s’inscrire dans un cadre avant tout récréatif, c’est-à-dire pour célébrer des retrouvailles, des amitiés, des alliances ou des adieux.

Ce type d’exemple fait non seulement ressortir la nécessité de bien mettre en contexte les témoignages contenus dans les documents historiques, mais il laisse aussi voir que la consommation d’alcool ne constituait pas de facto un facteur de désorganisation sociale. En effet, bien que l’on reconnaisse qu’il a pu en être autrement pour les populations amérindiennes plus proches des milieux urbains, les Attikameks, comme d’autres populations nomades de l’époque ne consommaient de l’alcool en quantité qu’à des périodes précises de l’année, traditionnellement consacrées à la sociabilité et aux festivités. La boisson a simplement été intégrée à ce contexte qu’elle a nul doute contribué à agrémenter davantage. Dès lors, on pourrait dire que la consommation d’alcool devenait partie intégrante de ces manifestations saisonnières, essentielles au maintien des liens sociaux extrafamiliaux et ayant des répercussions sur les plans économiques et politiques. Ce n’est pas dire que des débordements causés par l’alcool n’ont jamais eu lieu. Bien au contraire. D’ailleurs, souvent les chefs amérindiens sont intervenus eux-mêmes auprès des leurs pour ramener l’ordre, ou encore auprès des autorités politiques des colonies pour qu’elles fassent interdire la vente d’alcool au sein de leur communauté. Toutefois, sur ce plan aussi il serait imprudent de généraliser. Au sein des populations nomades, où les rassemblements et les prétextes à la consommation étaient plus rares, de telles demandes de la part des chefs ont été moins fréquentes. D’ailleurs, ces chefs, qui pouvaient boire autant que les autres, avaient d’avance une faible autorité sur leurs semblables. Par contre, au sein des populations plus sédentaires, où la fonction de chef était institutionnalisée et porteuse d’une réelle autorité, les chefs avaient davantage tendance à intervenir, et certains groupes comme les Ojibwés auraient même établi des règles strictes pour encadrer la consommation d’alcool (White, 1982, 1987).

En somme, comme le résumait sans doute avec justesse Mancall :

…alcohol did not necessarily disrupt community life. Like Indians in Central America and the Southwest, who had long possessed liquor, Indians in eastern North America tried to harness the power of alcohol and to make drunkenness serve traditional or other socially approved ends.

Mancall 1995 : 79

Conclusion

Le triangle relationnel Amérindiens/alcool/Européens a engendré dans le Nord-Est américain une série de rapports complexes qui ne saurait se résumer par le cliché des colonisateurs immoraux tirant profit de l’insouciance et d’une propension naturelle des Amérindiens envers l’alcool pour les déposséder. Pendant longtemps, la vigueur de l’économie de subsistance des colonies a été étroitement liée à celle de l’économie de subsistance des Amérindiens, les deux étant reliées par l’entremise du commerce des fourrures. Dans ce contexte, les colonisateurs et les marchands n’avaient aucun intérêt à décimer ou plonger dans la misère les producteurs de fourrures. Dès lors, si les Amérindiens ont cherché à se procurer et à consommer de l’alcool, ce fut en bonne partie un choix qui leur était propre. Plusieurs indices laissent entrevoir que ce choix a souvent été fait avec l’objectif de combler des besoins bien précis et plus complexes que le simple goût de s’enivrer. Parmi ces besoins autochtones, nous avons pu voir qu’il y avait celui d’entretenir des rapports harmonieux avec les autorités politiques coloniales et les commerçants de fourrures, celui de s’assurer une économie de subsistance adéquate et celui d’entretenir les liens sociaux.

Certes, il faut reconnaître que la consommation d’alcool a souvent eu, et continue d’engendrer des effets négatifs au sein des communautés amérindiennes. C’est un fait bien connu et bien documenté. Mais se limiter à cette seule perspective empêche de saisir pleinement toute l’importance que l’alcool a pu avoir dans la configuration de la trajectoire historique amérindienne. Même si la boisson a provoqué des reculs sur certains plans, sur d’autres, elle a contribué à assurer la survie socioculturelle de communautés entières. Cette dernière piste, nous croyons, gagnerait à être explorée, car il existe certainement plusieurs autres domaines dans lesquels l’alcool a trouvé une utilité aux yeux des Amérindiens. Pensons simplement à son importance dans le cadre des mouvements millénaristes, dans les démarches rituelles des chamanes, etc. Souhaitons seulement que des chercheurs aient très bientôt la curiosité nécessaire pour explorer plus à fond cette avenue.