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Introduction

La toxicomanie et la parentalité semblent incompatibles à plusieurs niveaux, principalement en ce qui a trait aux conditions de vie et aux comportements à risques associés à la consommation (Gouvernement du Québec, 1999). Lorsque s’ajoute à ces deux réalités la précarité de l’inscription sociale, la question de la pérennité de ces conditions devient impérative. Celles-ci posent d’ailleurs certains problèmes à l’intervention, notamment en raison de l’écart entre l’ampleur du besoin de soutien de ces parents et la quasi-absence de demande de leur part.

À partir d’entretiens réalisés dans le cadre d’une recherche de plus grande envergure sur la parentalité chez les jeunes adultes en difficulté  [1], notre étude a pour objectif de mieux comprendre l’expérience de la parentalité jumelée à la consommation de drogue chez des jeunes vivant en contexte de précarité socioéconomique, en s’intéressant plus particulièrement aux modes d’investissement du toxique et de l’enfant. Les « catégories conceptualisantes » (Paillé et Mucchielli, 2012) ont été utilisées afin de pousser l’analyse au-delà du discours manifeste des participants. La modélisation émergeant de cette analyse a permis d’élaborer de nouvelles pistes pour l’intervention auprès de cette clientèle.

Afin de bien situer notre recherche, nous allons d’abord cerner la population ciblée par notre étude, soit les « jeunes en difficulté », définissant ensuite certains enjeux relevés dans la littérature quant à la problématique de consommation et au fait de devenir parent pour ces jeunes. La méthodologie employée pour cette recherche sera ensuite explicitée, suivie des résultats et de la discussion que ces derniers suscitent.

Les jeunes en difficulté

L’itinérance est une réalité bien visible à Montréal, quoique difficile à chiffrer. Les seules données à ce niveau datent d’une quinzaine d’années : entre 1996 et 1997, 28 214 individus ont fréquenté les centres d’hébergement et les soupes populaires destinés à une clientèle itinérante (Fournier et Chevalier, 1998). De ce nombre, plus du tiers auraient moins de 30 ans ; ils sont souvent désignés par l’appellation « jeunes de la rue ». Ces jeunes « habitent, fréquentent ou sont de passage dans le centre-ville et sa périphérie ; leur mode de vie [étant] lié à l’espace public, qu’ils utilisent comme habitat et lieu d’activités économiques ou espace de socialisation » (Monast, 2010, p. 106). Le qualificatif « en difficulté » tend à remplacer celui de l’identification à l’espace (appellation fréquente : « jeunes de la rue ») dans les recherches du Groupe de recherche sur l’inscription sociale et identitaire des jeunes adultes (GRIJA), car il illustre davantage l’étendue des problématiques rencontrées telles une désinscription sociale, la toxicomanie, la délinquance (Gilbert, 2009).

En outre, entre 50 et 75 % des jeunes en difficulté auraient été pris en charge, au cours de leur enfance, par les services de protection de la jeunesse (Gouvernement du Québec, 2008). Quelques facteurs explicatifs de la transition de ces jeunes vers un mode de vie de rue, marqué par des conditions particulièrement précaires, ont été relevés : instabilité résidentielle, pauvreté, vulnérabilité émotionnelle, etc. (Roy et al., 2000). Les recherches révèlent également la violence familiale, les placements répétitifs, les ruptures familiales, la négligence comme facteurs prédisposant à la fréquentation de la rue chez les jeunes (ASPC, 2006 ; Chez Toit, 2009 ; Poirier et al., 1999).

La consommation de drogues chez les jeunes en difficulté

On estime à 98,2 % le taux de jeunes de la rue ayant déjà consommé des drogues illicites (Haley, Roy, Leclerc, Boudreau et Boivin, 2004) ; 72,3 % d’entre eux affirment avoir des troubles liés à des substances et 46,6 % ont déjà consommé des drogues par injection (Roy, 2010 ; Roy et al., 2008). De plus, la prévalence de l’utilisation de substances psychoactives, tous produits confondus, est plus marquée chez ces jeunes que dans la population en général (Santé Canada, 2001).

Dans un souci de compréhension du phénomène des toxicomanies, Ciccone (2007) souligne l’importance de discerner « les différents modes de rapport aux produits toxiques » (p. 340) et propose une nomenclature graduant, sur un continuum, le niveau pathologique du rapport à l’objet. Il propose un ordre croissant entre la recherche d’effet euphorisant ayant lieu sous une consommation récréative, puis la quête d’une vertu antidépressive liée à une consommation « autothérapeutique », et finalement la recherche d’une action anesthésiante caractérisant une consommation toxicomaniaque. Cette vision de la consommation de drogue met l’accent sur les vertus psychiques du produit pour l’usager.

De fait, par son caractère asymétrique et sa nécessité au point de vue de la survie psychique, la relation au toxique rappellerait la première relation au premier objet d’investissement émotif, la mère [2], particulièrement en terme de dépendance (Corcos et Jeammet, 2003 ; Mouras, 2012). En effet, face à l’extrême vulnérabilité de l’enfant naissant, cette présence affective s’avère fondamentale dans le développement narcissique (valeur de soi) optimal de l’enfant. Dans cette optique, et au regard de la fréquente défaillance des figures parentales chez ces jeunes [3], la consommation de drogue pourrait avoir une fonction réparatrice au plan narcissique, notamment en affirmant une certaine distanciation face aux figures parentales défaillantes de l’enfance: « vous ne pouvez plus m’abandonner, car maintenant c’est moi qui vous contrôle » (McDougall, 2004).

Les jeunes parents en difficulté

La parentalité chez les jeunes adultes en difficulté demeure une réalité peu documentée (Gilbert, 2007a). Toutefois, il semble que la grossesse chez les jeunes de la rue soit généralement accidentelle, qu’il s’agisse d’adolescentes, de jeunes adultes (Haley et al., 2004) ou encore, de mères toxicomanes (Guyon, De Koninck, Morissette, Ostoj et Marsh, 2002). Néanmoins, malgré leur caractère non planifié, ces grossesses souvent répétitives et menées à terme donnent à penser que l’enfant à venir serait porteur d’un désir (Gilbert, 2015), lequel serait à explorer.

Du reste, malgré ce désir, les parents toxicomanes seraient surreprésentés dans les cas de mauvais traitements rapportés aux instances de protection de la jeunesse (Clément et Tourigny, 1999). La toxicomanie et une situation socioéconomique précaire figurent d’ailleurs sur la liste des huit facteurs de risque pouvant conduire à de la négligence, cités par l’Association des centres jeunesse du Québec (2010). Le cumul des problématiques psychosociales, incluant la toxicomanie et les conditions de vie qui lui sont associées, pourrait théoriquement rendre les jeunes parents en difficulté particulièrement susceptibles d’adopter des comportements négligents face à leurs enfants et, par conséquent, le risque d’en perdre la garde constituerait pour eux un danger bien réel. De plus, on ne peut que souligner la répétition de l’expérience de ces jeunes face aux instances de protection de la jeunesse, plusieurs ayant connu des placements dans leur enfance et se retrouvant, une fois parent, confrontés au placement de leur(s) propre(s) enfant(s).

Les fonctions psychiques de l’enfant

Mais que sous-tend ce désir d’enfant ? Que vient combler ce petit être ? De façon générale, le fait d’avoir des enfants répondrait d’abord, de façon inconsciente, à un besoin d’immortalité (Bydlowski, 2008 ; Ciccone 2013 ; Freud, 1900/1967). Ce point de vue orienté vers l’avenir apparaît plus nuancé, dans une intrication entre enjeux historiques et futurs, si l’on considère que l’un des bénéfices recherchés par la parentalité des jeunes en difficulté consiste à assouvir un désir de réparation du passé (Ciccone, 2013 ; Poirier et al., 1999). L’enfant pourrait alors être investi comme objet-guérisseur permettant au parent de transcender certaines blessures de son enfance, de combler des trous laissés béants par les failles de ses propres parents. Néanmoins, avec un soutien approprié, l’enfant pourrait servir de tremplin, en générant l’énergie nécessaire à l’amélioration de leur situation (Gouvernement du Québec, 1999 ; Gilbert, 2015), notamment par le changement de leur statut social, et dans l’objectif, conscient ou non, d’être perçu comme plus mature (Montgomery, 2002).

Les interventions actuelles auprès de ces jeunes parents : une demande… agie ?

Une étude du GRIJA conduite au Service à la famille (SERFAM) de l’organisme communautaire montréalais Dans la rue fait ressortir quelques difficultés rencontrées dans l’intervention auprès d’une clientèle de parents « en difficulté » (Gilbert, Lafortune, Charland, Lapointe et Lussier, 2013). À l’instar du mode de requête d’aide prévalent chez les jeunes de la rue (Gilbert et Lussier, 2007), la majorité des demandes formulées par les parents sont liées aux besoins matériels, souvent revendiqués dans l’urgence. L’émergence d’une demande d’aide à plus long terme apparaît, pour les intervenants, comme un défi majeur et ne surgit qu’à la suite d’un long investissement de la relation d’aide souvent précédé de nombreux échecs (réticence des jeunes à reconnaître la précarité de leur situation, fuite par crainte de perdre la garde de l’enfant, rupture difficile avec le milieu de la rue…). En ce sens, la demande d’aide se situerait à un autre niveau, non explicitement formulé. Ainsi, cette étude invite à porter une attention particulière à la dimension de l’agir chez ces parents, soit des actes non prémédités, qui viennent répondre à une impulsion outrepassant le registre de la pensée et de la parole. L’acte viendrait alors mettre en scène quelque chose d’inaccessible, au moment où il advient, au domaine langagier (Jeammet, 1989).

En nous arrêtant sur le discours que portent ces parents sur leur consommation [4] et leur enfant, nous souhaitons mettre en lumière certains enjeux transitoires vécus par ces jeunes et, ainsi, permettre aux professionnels de mieux saisir l’expérience subjective de cette population, espérant réduire les préjugés auxquels elle fait face (Gouvernement du Québec, 1999).

Dès lors, la présente étude vise à mieux comprendre comment s’articulent consommation de drogue et parentalité. Au-delà de l’apparente incompatibilité, tant au niveau social que légal (négligence, placements), peut-on considérer ces deux réalités des jeunes parents en difficulté dans un rapport de continuité ou de discontinuité, l’un substituant parfois l’autre, ou encore les deux coexistant temporellement ?

Plus spécifiquement, nous avons exploré : 1) la place de l’enfant dans le discours du parent, puis en tant que fonctions attribuées dans son parcours ; 2) la représentation de la consommation de drogue dans la trajectoire du parent, dans son discours manifeste et à travers les liens associatifs évoqués dans son discours ; 3) les liens entre la représentation de la place de l’enfant et celle de la consommation dans la trajectoire des jeunes.

Méthodologie

L’approche qualitative a été privilégiée afin d’avoir accès à la singularité et à la subjectivité de l’expérience des participants, au regard de ce qu’évoquent pour eux l’objet-drogue et l’enfant. Cette recherche s’inscrit dans un paradigme à la fois constructiviste (Mucchielli, 2005) et psychanalytique, et propose un nouveau regard sur le phénomène de la parentalité jumelée à la consommation de drogue, en contexte de précarité de l’inscription sociale. La démarche inductive, en laissant émerger les facettes de cette réalité sans essayer de les enfermer d’emblée dans des concepts préexistants, soutient un éclairage novateur sur cette problématique. Dans un processus itératif, les allers-retours entre le matériel recueilli et la conceptualisation émergente permettent de progressivement accéder à une théorisation au plus proche de la réalité de ces jeunes parents. Ce n’est qu’en dernier lieu que s’effectue une articulation des résultats avec certaines théories psychanalytiques.

Les données utilisées pour la présente étude ont été recueillies entre 2007 et 2010 dans le cadre d’une recherche du GRIJA portant sur la parentalité chez les jeunes adultes en difficulté [5]. Seize mères et 14 pères avaient alors été rencontrés à deux reprises à l’organisme communautaire montréalais Dans la rue, accueillant des « jeunes sans abri ou en situation précaire » (Dans la rue, n.d.), et disposant entre autres de services spécifiquement conçus pour les parents. Les participants ont été sélectionnés sur la base de leur parentalité (peu importait si l’individu avait la garde ou non de son/ses enfant(s)), de leur âge (entre 18 et 30 ans), et de leur fréquentation d’un organisme desservant les jeunes de la rue ou jeunes « en difficulté » depuis au moins un mois. Toutefois, seuls les participants ayant évoqué leur consommation de drogue, passée ou actuelle, lors des entretiens de recherche ont été retenus pour la présente étude. Afin d’élargir le champ d’exploration tout en maximisant la profondeur des analyses (en limitant le nombre d’entretiens pour consacrer à chacun davantage de temps d’analyse), deux hommes et deux femmes (donc huit entretiens) ont été retenus pour fin d’analyse. Plus spécifiquement, chaque sujet avait au moins un enfant, ne disposait pas de la garde de celui-ci au moment des entretiens et avait connu une dépendance aux substances illicites (héroïne, cocaïne, amphétamines) dans le passé ou dans l’actuel.

Nos données ont été recueillies par des entretiens de recherche menés de façon non directive (Gilbert, 2007b). Une question principale amorçait l’entrevue, soit: « parlez-moi de votre famille », et quelques sous-thèmes orientaient, au besoin, les relances de l’intervieweur. Comme les entretiens suivent « le fil conducteur du discours des participants » (Gilbert, 2007a), les sujets qui ont évoqué ce thème l’ont vraisemblablement fait sur la base d’un lien associatif avec le thème principal qu’est la famille et leur élaboration à partir de cette thématique. Deux entretiens d’une durée de 60 à 120 minutes ont été réalisés pour chaque participant. Quelques jours d’intervalle seulement séparaient ces deux entretiens afin de favoriser « l’élaboration en profondeur par les participants de leur expérience, par un retour rapide sur celle-ci à la suite d’un laps de temps de réflexion suffisamment bref pour que les […] pensées évoquées demeurent en chantier… » (Gilbert, 2009).

Les enregistrements audio des entretiens et leur transcription constituent les principaux matériaux de la présente recherche. Néanmoins, l’implication d’autres chercheurs-collègues est apparue essentielle afin d’éviter les biais inhérents aux présupposés et projections du chercheur. Différents membres du groupe de recherche [6] ont ainsi agi comme tiers lors de l’analyse, tant dans l’articulation que la validation par consensus des catégories émergentes.

L’analyse à l’aide de catégories conceptualisantes a été adoptée dans le cadre de cette recherche. Selon Paillé et Muchielli (2012), cette stratégie implique une « intention d’analyse dépassant la stricte synthèse du contenu du matériau analysé […] et l’utilisation, à cette fin, d’annotations traduisant la compréhension à laquelle arrive l’analyste » (p. 316). Il s’agit littéralement d’une co-construction issue à la fois de ce que le participant a voulu signifier et de ce que le chercheur construit comme signification. À ce stade, la référence psychanalytique consiste en une sensibilité particulière du chercheur face au niveau latent du discours qui pourrait être présent chez le participant, affectant la manière d’entendre et de lire les paroles du sujet. Dans un dernier temps, la référence à la psychanalyse transparaîtra également à travers l’articulation de celle-ci avec la théorie émergeant des catégories conceptualisantes, soit dans un arrière-plan épistémologique.

La première étape de l’analyse consiste en une immersion complète dans les données par la lecture et l’écoute des entrevues. Cette étape vise à faire émerger un sens lié à la question de recherche et les lectures répétées permettent de faire des liens entre différentes parties du verbatim qui pourraient, prises dans leur ensemble, être porteuses d’un sens nouveau, moins accessible dans un découpage plus linéaire. Une seconde phase implique plus spécifiquement le travail de codification des verbatims à l’aide de « catégories conceptualisantes », lesquelles « [font] image par rapport à l’expérience du sujet, elle[s] l’interpelle[nt] directement » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 327). Enfin, une fois que les catégories ont acquis assez d’appuis dans les matériaux d’analyse, les relations qu’elles entretiennent entre elles sont exposées de manière plus complète. C’est l’étape de théorisation.

Résultats

Nos résultats seront présentés sous forme d’un ensemble de représentations liées à l’enfant et à la consommation. La schématisation de ces représentations permet d’entrevoir à quel point les jeunes parents rencontrés sont aux prises avec une conflictualité complexe, relative à la présence de désirs souvent contradictoires qui sous-tendent l’investissement de leur parentalité, de même que leur propension à la consommation. L’articulation de ces deux sphères de représentations sera discutée dans la section suivante. Les noms des catégories ont été choisis en lien avec leur caractère évocateur, métaphorique (Paillé et Mucchielli, 2012). Les catégories seront illustrées à l’aide de citations, lesquelles ne sauraient, bien entendu, représenter l’ensemble des discours.

L’enfant dans le parcours du parent

Les représentations psychiques de l’enfant telles qu’évoquées dans le discours des parents en difficulté et regroupées au sein de catégories sont présentées dans la figure 1, puis détaillées dans les paragraphes qui suivent.

Figure 1

Représentations associées à l’enfant

Représentations associées à l’enfant

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L’enfant-accident

Tel qu’évoqué dans la littérature, la majorité des grossesses des jeunes rencontrés pour cette étude étaient accidentelles, non préméditées. Philippe [7] qualifie d’ailleurs cet événement de « bad luck », ajoutant qu’il s’agissait de l’unique fois où le couple n’avait pas mis de préservatif lors de l’acte sexuel. Mathilde s’exprime ains : « ça faisait trois semaines qu’on était ensemble quand je suis tombée enceinte », laissant entendre que le projet d’enfant n’était pas réfléchi. Reste qu’à cet enfant-accident semblent se superposer des représentations à valence tant positive (réconfort, guérison) que négative (trouble-fête).

L’ambivalence : entre trouble-fête et réconfort-guérison

Face à la non-préméditation de la grossesse, on observe que ce petit être naissant confronte le parent dans son mode de vie. Ainsi, l’enfant trouble-fête est celui qui dérange, qui oblige le parent à quitter son mode de vie de consommation. Il devient ainsi un tiers entre le parent et l’objet-drogue :

On ne pense plus qu’on est tout seul. T’sais de sortir dans les clubs, pis faire n’importe quoi d’autre, on ne peut plus faire ça. Parce que notre enfant a besoin de nous autres 24 heures sur 24.

Megane

ou entre les deux parents:

les parents à mon chum ont décidé de le prendre [l’enfant] le temps qu’on règle nos problèmes là. […] Parce que justement… on a parlé à ses parents après pis, ils ont dit : ‘regarde, ça a pas de bon sens vous chicaner de même… en plus avec le bébé… vous pouvez pas régler vos affaires. C’est impossible, vous avez pas le temps…’

Mathilde

Parallèlement à cette représentation de l’enfant qui dérange intervient la perception d’une possible guérison du passé, pour le parent, à travers cet enfant. Ce mode d’investissement semble cohérent avec le parcours infantile conflictuel dans la famille d’origine des jeunes en difficulté. Le sujet verrait alors dans sa progéniture une opportunité de (se) donner ce qu’il n’a pu recevoir dans l’enfance: 

Moi, vu que j’ai pas eu ça, je vais pouvoir l’avoir, mais d’une autre façon. Moi, en tant qu’enfant j’ai pas eu ça, mais je vais pouvoir le donner à quelqu’un, fait que ça revient au même. C’est comme réaliser un rêve d’enfance, sauf que c’est moi l’adulte, c’est pas moi l’enfant. C’est juste un rôle qui est inversé.

Philippe

L’enfant-guérison est parfois considéré comme une extension de soi pour le parent : « mon petit moi », « mon sang », dira Patrick [8]. Mais il peut également agir en tant que miroir, reflet du fardeau de la répétition actuelle des reproches adressés par le jeune à ses propres parents. Dans cette perspective, l’enfant ébranle le potentiel réparateur de la guérison attendue:

Est-ce que je vais prendre mes responsabilités de rôle de père ? Je veux pas faire la même gaffe comme mon père a fait avec moi. Moi c’est un peu plus… C’est sous un contexte différent : lui, il a décidé de partir là, moi j’ai pas décidé. C’était la mère qui a décidé de partir.

Philippe

Enfin, l’enfant-réconfort coexiste simultanément avec le trouble-fête et l’enfant-guérison, mais contrairement à ce dernier qui réfère au passé (à guérir), le réconfort évoque ici une réalité actuelle. Tributaire du contact physique ou de la simple pensée, le réconfort attendu de l’enfant ou attribué à celui-ci serait associé non seulement à l’apaisement lié à l’expression des émotions, mais également, à la motivation – empreinte de précarité – à rester en vie :

Je m’ennuie de la serrer dans mes bras. Rien que ça là, je te dis, ça soulagerait un peu. […] Je pense que je sourirais pis je pleurerais en même temps.

Patrick

Quand je vis de quoi de dur, pis je pense à lui, là tout de suite ça me met le sourire. […] parce que sinon – les deux présentement – si on n’avait pas les petits, on aurait le goût de mourir ! Parce qu’on n’a plus rien.

Megane

Investir l’enfant dans le cadre d’une famille idéale

Même si aucun parent n’avait, au moment des entretiens, la garde de son(ses) enfant(s), la volonté de se lier à cet enfant, voir de l’investir affectivement, ressort explicitement de leur discours :

c’est sûr que j’aimerais ça retourner, j’aimerais ça avoir ma fille dans ma vie. […] si elle a des peines d’amour, je veux pas juste qu’elle aille voir sa mère. Je veux combler tous ses besoins.

Philippe

Au moins une fois par mois, ça serait pas mal mieux là. Au moins, je la verrais grandir un peu. […] Moi j’aimerais ça la voir aller à l’école le matin, embarquer dans l’autobus… la rejoindre, pis… lui montrer ses leçons…

Patrick

L’écart entre la réalité du lien parent-enfant actuel et l’ampleur de cette attente affective serait à rapprocher de la connotation idéale de cet investissement, telle que reflétée par le désir de « combler tous ses besoins ». Cette référence à un idéal fait également écho au modèle normatif véhiculé dans la société occidentale :

… avoir ma maison sur le bord de l’eau, avec une piscine, deux chiens, avoir plein d’enfants ou un mari qui m’aime.

Megane

J’aimerais ça avoir une famille normale, avec une job pis deux enfants, une auto, une maison […] the American Dream comme qu’ils disent.

Philippe

Barrières au contact

En parallèle (ou peut-être, en renfort) à cet idéal par définition inatteignable, il semble que certains facteurs, plus réels qu’imaginaires, font obstacle à la volonté d’investir l’enfant dans le cadre d’un milieu familial dit normal.

Les participants évoquent la nécessité de s’occuper d’abord de soi comme prérequis au contact réel avec l’enfant, puis d’atteindre une certaine stabilité dans l’inscription sociale – et ainsi, d’offrir à l’enfant un environnement adéquat. S’ajoute à cela la barrière bien réelle signifiée par le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) [9] ; deux des parents rencontrés voient ainsi leur lien à l’enfant régi par la loi.

Je vais pas m’occuper de quelqu’un d’autre quand j’ai de la misère à m’occuper de moi.

Philippe

Faut avoir un appartement, faut être stable, avoir une job. Mais c’est pas tout le temps évident là. […] Parce que je peux pas l’amener avec moi pour l’instant là. J’ai pas le droit pour l’instant là.

Mathilde

La douleur du manque

Face à cette absence de l’enfant vécue comme une exigence de la sphère sociale (loi, valeurs), une douleur transparaît du discours des parents:

… ça aide pas. Dans mes problèmes, c’est encore plus décourageant. Penser que mon petit gars il est là-bas, pis que je le vois pas […] les yeux me viennent plein d’eau !

Mathilde

Cette souffrance, associée à l’absence de l’enfant, semble générer un mouvement, ou du moins une volonté de changement. Incarcérée pour une période de trois mois peu de temps après la naissance de son enfant, Mathilde a difficilement vécu la restriction du contact avec son enfant : « c’est pour ça je vais m’arranger pour ne plus rentrer en dedans ». [10]

Les représentations de la consommation dans le parcours du parent

Dans un second temps, nos analyses ont permis de cerner comment les participants se représentent les fonctions de leur consommation dans leur parcours. Les catégories de cette section ont été groupées en rubriques révélant différents temps de la consommation soit l’état initial, l’effet recherché (quête), les résultats obtenus et enfin, les représentations liées à l’arrêt de la consommation (voir figure 2). Il ne s’agissait pas ici de retracer la genèse de la consommation, mais bien d’explorer les différentes représentations pouvant être associées à différents temps de la consommation chez ces jeunes parents.

Figure 2

Représentations associées à la consommation de drogue

Représentations associées à la consommation de drogue

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L’état initial

La consommation peut être comprise, à partir des entretiens, comme une façon de pallier l’inconfort d’un état initial, se déclinant en un malaise ressenti dans l’actuel ou un manque affectif préexistant avant la rencontre avec les substances psychoactives. Dans la sphère actuelle, Philippe fait référence à « un malaise ou quelque chose qu’on veut couvrir » alors que Patrick exprime un peu plus clairement ce mode de rapport à la consommation : « je tue mon stress avec de la drogue ».

En référence au passé, un manque primordial expliquerait parfois la toxicomanie, une expérience posée comme un passage inévitable vers la substance consommée :

Le sens du rejet de ma mère… Tout ça a conduit à, à ce que je suis aujourd’hui. C’est sûr entretemps, j’ai pris des chemins différents. J’aurais pu pas toucher à la seringue pis aller fumer du crack à la place ou… […] Si j’avais eu ma mère, de l’encouragement […], si elle m’aurait gardé, j’aurais pas été dans la dope.

Philippe

L’amorce d’une quête toxicomaniaque

Possiblement en conséquence de cette souffrance, les participants témoignent d’une quête médiatisée par le toxique. Celle-ci serait sous-tendue par un désir de tisser des ponts relationnels, des liens à l’autre difficilement accessibles sans la consommation.

… j’allais avec le monde qui consommait […] c’était plus facile d’avoir leur attention à eux-autres.

Philippe

… je me suis mise à consommer de la poudre avec ma mère à douze ans.

Mathilde

Ce rapport à l’autre aurait un effet sur la perception du sujet concernant sa valeur propre, maximisant ainsi son estime à travers le regard de l’autre, tant amical que maternel.

De plus, cette attente relationnelle semble témoigner d’une volonté de combler le vide laissé par l’absence de l’autre ou l’ennui :

Rien que quand ma blonde est partie pendant 3-4 jours là, ça (la consommation) a fait pas mal pire qu’avant là. Je sais qu’elle est revenue fait que là ça va (la consommation) slow down un peu là.

Patrick

Je buvais pas, j’allais à l’école, j’étais occupé par d’autres affaires. Aussitôt j’ai sorti de là, je sais pas, j’avais plus rien à faire. À part me saouler la face pis prendre de la drogue.

Patrick

Néanmoins, cette quête demeure en suspens, puisque les jeunes font face à des résultats tout autres que ceux attendus : le sentiment de vide demeure, même lorsque l’objet-drogue fait mine de remplir les failles affectives.

Des résultats antagonistes à la quête

Trois des quatre jeunes rencontrés ont évoqué le fait qu’à un moment de leur trajectoire, la consommation est devenue un mode de vie, le produit incarnant l’idée d’une puissance supérieure, voire d’une toute-puissance devant laquelle le jeune ne peut que se soumettre :

Ça a tout dégringolé là. Je me suis retrouvé à Montréal, à consommer, à faire de la prostitution, à vendre de la drogue, à… Il y a rien que j’ai pas pu faire pour de la drogue je pense.

Mathilde

Le crack a pris avantage sur moi. Ça me contrôlait plus que…

Patrick

Ainsi, à l’inverse de la résolution de la quête relationnelle, ce sont des murs qui se dressent autour du sujet, scindant les liens jusqu’alors (péniblement) acquis:

À cause de ma consommation de drogue, je pouvais pas être adéquat comme père, fait qu’elle m’a laissé. […] Pis là, ça fait depuis un an que j’ai pas de contact avec mon ex, pas de contact avec ma fille, ma mère non plus. Ça fait une couple de mois que tout a remué à cause que j’ai arrêté de consommer et que je me reprends en main.

Philippe

À l’extrême, la mort risque de découler de ce mode de vie. En témoigne l’expérience d’une surdose vécue soi-même ou par un ami proche, ou encore l’incompréhension de sa propre survie suite à ce parcours teinté de consommation:

À la quantité que j’ai pris, je comprends pas pourquoi que je suis pas morte là, vraiment pas.

Mathilde

Dénigrement

Contrairement à la quête relationnelle et à son apport recherché au plan de la valeur propre, il semble que le dénigrement de soi et de l’autre soit associé à la dépendance aux drogues. Par exemple, Philippe trouve acceptable de se faire dénigrer par la mère de son enfant du fait qu’il consomme. Dans ce cas, c’est l’arrêt de la consommation qui remplit la fonction d’une revalorisation de soi, à l’inverse de ce qui semble constituer une quête initiale à travers cette même consommation.

Là, je suis pas buzzé (drogué), elle a pas d’affaire à […] me dénigrer ou à être plus haute que moi là. Astheure, c’est moi qui est plus haut qu’elle parce que moi je consomme aucune drogue, je fume même pas.

Et après : l’arrêt

De fait, il semble que l’arrêt de la consommation porte en lui la possibilité d’un revirement au niveau de certaines représentations négatives issues du parcours de ces parents. Ce passage permet alors de contrecarrer l’autodénigrement auquel ils ont été confrontés au cours de leur consommation pour laisser place à une valorisation de ce passé parfois lourd à porter. Philippe met d’ailleurs en évidence le fait que sa toxicomanie lui a donné l’opportunité de suivre une thérapie, de laquelle il a retiré une plus profonde connaissance de lui-même. Il sent que cette connaissance se serait avérée inaccessible sans son parcours toxicomaniaque :

Pis je m’aurais pas rendu compte au point où je m’en rends compte, à cause de ma thérapie.

Un désir de partager son expérience ressort également chez deux des participants, exposant en quelque sorte une volonté d’utiliser leur vécu afin de venir en aide à d’autres jeunes aux prises avec une problématique similaire.

Discussion

Dans un premier temps, nos résultats seront articulés autour des thématiques du rapport à l’autre et des attentes massives pesant sur l’enfant. Des pistes d’interventions seront ensuite soulevées relativement à ces résultats.

Une place pour l’autre

Bien qu’un des désirs sous-jacents à la consommation, tel que mis en évidence par la présente recherche, soit de se lier à l’autre, d’être reconnu par l’autre, il semble que lorsque l’usage de drogues devient un mode de vie, c’est plutôt une rupture des liens qui s’opère, le sujet se retrouvant à investir narcissiquement (dans un repli sur soi) l’objet-drogue. En découle l’absence de place pour la reconnaissance d’un autre à part entière, différent de soi. Considérant le parcours infantile parsemé de ruptures relationnelles et de blessures narcissiques de cette population [11], la quête relationnelle médiatisée par la consommation de drogue pourrait voiler le paradoxe d’un désir de non-investissement du lien, ou du moins d’une forme d’autoprotection contre une souffrance engendrée par le rapport à l’autre (Pedinielli et Bonnet, 2008) [12]. Dans cette perspective, l’arrivée de l’enfant trouble-fête introduit le parent dans la dualité inhérente à la sphère relationnelle, l’obligeant à se départir minimalement de sa protection narcissique, afin de reconnaître les besoins du nourrisson comme différents des siens. L’enfant fait ainsi office de levier, offrant au parent l’opportunité de moduler son mode relationnel antérieur, à condition de faire le deuil de l’enfant idéalisé.

Ce travail de deuil d’un objet idéalisé n’est pas sans rappeler l’apport de Melanie Klein quant à la traversée de la position dépressive et du passage d’une relation à un objet partiel vers une considération de la totalité de celui-ci (Klein, 1952). Nous avons d’ailleurs observé l’existence d’un clivage, tant au niveau des représentations du produit que celles de l’enfant. D’une part, la substance tend à être perçue comme un bon objet dans sa valence positive (calmer les angoisses, hausser l’estime) et comme mauvais objet dans ses fonctions plus délétères (isolement, toute-puissance). Une scission similaire se retrouve dans les représentations de l’enfant, en lien avec son idéalisation (l’enfant qui répare, réconforte) et celui qui brime la liberté (le trouble-fête). Dans une perspective kleinienne, cette séparation, où aucun intermédiaire n’est envisageable, laisse sous-entendre une conception partielle de l’objet. L’intégration du bon et du mauvais, entendue comme une transition vers l’objet total, permettrait alors au parent de sortir de la fusion pour entrer réellement dans la dualité de la rencontre à l’autre. Ce processus ne peut cependant faire l’économie du passage par le deuil d’un idéal.

Un idéal de guérison intenable

Le manque affectif lié aux premières figures d’attachement semble avoir laissé un vide chez ces jeunes parents, ce qui constitue d’ailleurs l’une des raisons qui les poussent vers la consommation dans l’espoir de combler le manque ressenti. La « gestion du malaise » (voir la figure 2 ci-dessus) évoque cette tentative d’autoguérison, associée à une dimension de contrôle. Le mal-être acquière ainsi une cause extrinsèque (la consommation), donnant l’illusion d’un objet beaucoup plus maîtrisable qu’un malaise sans nom.

Par ailleurs, face à cette déception fondamentale, l’enfant-guérison entre en scène proposant la possibilité d’une restauration du passé. Le parent se projette en lui et envisage de lui/se donner tout ce dont il se rappelle avoir manqué. Ce stratagème peut fonctionner quelque temps, mais a tôt fait de ramener le parent dans une autre réalité, celle d’une incontournable différence entre lui et son enfant. De plus, l’enfant-miroir force l’abandon d’une vision idéalisée de la parentalité par le reflet des failles du parent qu’il finit par mettre à jour.

Bref, la difficulté relative à l’arrêt de la consommation chez les parents toxicomanes pourrait être liée à l’aspect moins prévisible de l’enfant par rapport à la drogue, l’enfant poussant le parent à le reconnaître comme un autre, le confrontant nécessairement à ses enjeux affectifs et relationnels non résolus. Le produit, pour sa part, aurait l’avantage de permettre à l’individu de « d’entretenir l’illusion d’une pseudo-autonomie mettant à disposition […] un produit que l’on maîtrise, dont on connaît les effets, et qui est susceptible de ne jamais disparaître » (Nezelof et Dodane, 2010). De plus, l’impossible atteinte du parfait réconfort par l’enfant et de l’idéal familial conventionnel génèrerait (ou amplifierait) un malaise que nous avons vu être associé, pour plusieurs, à une recrudescence de la consommation.

Pistes d’intervention

Quelques pistes pouvant nourrir l’intervention auprès de cette population se dégagent de nos résultats. D’abord, au regard de la théorie kleinienne, bien que la représentation de l’enfant comme objet idéalisé (réconfort ; guérison) puisse faciliter le lien avec celui-ci (Segal, 1964), l’intervention pourrait cibler le soutien de la coexistence de sentiments ambivalents face à l’enfant. L’intégration de ses qualités idéalisées et frustrantes favoriserait entre autres la réduction des attentes massives projetées sur lui, lesquelles ne peuvent faire l’économie de la déception. De plus, le caractère partiel de l’enfant perçu comme une partie de soi serait à explorer entre autres pour le rétablir comme un objet ayant une existence propre afin d’y adjoindre des soins plus adaptés. En ce sens, la reconnaissance des aspects frustrants de l’enfant (trouble-fête ; reflet des failles) introduit le parent dans la dualité avec son enfant (plutôt que la fusion), le plaçant alors face au deuil nécessaire de l’enfant idéalisé (imaginaire).

L’accès à la douleur de l’absence semble avoir le pouvoir de stimuler un mouvement de (ré)inscription sociale par l’emploi (« trouver une job » nous diront les jeunes) et le logement, mais plus foncièrement, cette souffrance semble soutenir le désir de « d’abord s’occuper de soi » afin de se rendre disponible à l’enfant. Cependant, ce levier potentiel vers la réinsertion est à double tranchant, puisqu’il peut également pousser le sujet vers la consommation de drogues pour fuir ce sentiment désagréable. Au niveau de l’intervention, il serait intéressant de travailler sur l’élaboration de la douleur dépressive (sentiments de perte, culpabilité) afin de minimiser la fuite de la souffrance par des mécanismes tels le déni (des besoins de l’enfant) et la projection (des attentes propres au parent sur l’enfant). Ce type de soutien nécessite cependant un lien de confiance établi sur le long terme, ce qui constitue en soi un défi de taille auprès de cette population (Poirier, 1996 ; Gilbert et al., 2013).

L’accès aux sentiments de perte et de culpabilité semble également moteur d’un besoin de réparation. Dans une perspective kleinienne, la réparation est d’ailleurs identifiée comme essentielle afin de faire face aux angoisses de type dépressives (Segal, 1964). L’intervention auprès de ces jeunes parents pourrait ainsi soutenir une telle réparation de soi pour favoriser la disponibilité à l’autre, diminuant alors le poids de la réparation assigné à l’enfant idéalisé. Ce processus pourrait entre autres être soutenu de manière symbolique par des thérapies à médiation. À titre d’exemple le génogramme libre (Gilbert et Lussier, 2013), permet, par son caractère métaphorique, une élaboration du vécu non symbolisé (la perte et autres impasses de l’histoire infantile). L’usage d’un tel médium, par la mise à jour des conflictualités du parent et une mise en sens d’affects le débordant, vise à réduire les agirs de celui-ci, lui autorisant alors une attention plus juste à son enfant.

Conclusion

En conclusion, notre recherche tire sa pertinence de l’apport réflexif au plan des modalités psychiques intervenant chez les jeunes parents en difficulté, aux prises avec un problème de toxicomanie. Elle offre ainsi une meilleure compréhension des enjeux transitoires tels que vécus par ces jeunes parents. Au-delà d’une approche basée sur les besoins de l’enfant ou sur la toxicomanie du parent, nos résultats pointent vers un travail possible dépassant le symptôme et permettant un accès à d’autres enjeux qui, inclus dans l’intervention, peuvent avoir un effet durable et marqué sur l’exercice de parentalité de cette population.

Au vu de l’hétérogénéité de la population de parents toxicomanes fréquentant le milieu de la rue, la taille réduite de l’échantillon n’a probablement pas permis d’avoir accès à l’intégralité des représentations associées à l’enfant et à la consommation que peuvent porter ces parents. Un échantillon plus extensif permettrait d’approfondir d’autres enjeux relatifs à la consommation chez ces jeunes parents en difficulté. De plus, en adoptant éventuellement un devis longitudinal, l’évolution des rapports qu’entretiennent ces parents face à leur consommation et à leur enfant, de même que l’intrication entre ces deux sphères que l’on considère trop souvent (c’est ce que démontre notre recherche) comme hétérogènes, pourrait être nettement approfondie, pour le plus grand bénéfice de l’intervention en ce domaine. Aussi, la triangulation des résultats avec d’autres acteurs du domaine n’a pu être possible dans la présente étude, mais serait à envisager dans le futur en vu d’enrichir nos conclusions.