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Introduction

Chaque année, quelques milliers de jeunes âgés de 14 à 20 ans sont hébergés dans des centres de réadaptation et foyers de groupes des centres jeunesse du Québec (Association des Centres jeunesse du Québec, 2012-2013) [1].

Plusieurs de ces jeunes sont issus de milieux familiaux où sont présents des problèmes de santé mentale (20,8 %), de démêlés avec la justice (12,5  %), de consommation problématique d’alcool (9,4 %) ou de drogues (7,2 %) (Pauzé et al., 2004). Le tiers des jeunes garçons et filles hébergés en centres jeunesse ont une consommation élevée de substances psychoactives (Laventure et al., 2008). Une grande majorité d’entre eux sont sexuellement actifs.Ils ont débuté leurs activités sexuelles précocement et ont eu un nombre élevé de partenaires à vie (Poulin et al., 1997 ; Godin et al., 1994 ; Frappier et al., 1995).

Ce type de profil contribue à un risque accru de contracter une infection transmissible sexuellement et par le sang (ITSS) ; plus spécifiquement, la consommation d’alcool et de drogues chez les adolescents est associée à un risque élevé d’ITSS (Cook et Clark, 2005). Depuis quelques années, ces infections, notamment la chlamydiose et l’infection gonococcique, manifestent une croissance marquée au Québec et affectent principalement les 15-24 ans. Dans ce groupe d’âge, le nombre de chlamydiose génitale et d’infections gonococciques déclarées a augmenté respectivement de 75 % et 238 % entre 2005 et 2013 (Venne, Lambert, Blouin et al., 2014).

Des études de surveillance de deuxième génération (intégrant la description de comportements à risque en regard des ITSS et la détection d’ITSS par prélèvements biologiques) sont régulièrement entreprises auprès de diverses populations particulièrement touchées (jeunes de la rue, personnes s’injectant des drogues, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, etc.). La dernière étude de prévalence de la chlamydiose portant sur les jeunes en centres jeunesse date de 1997 (Poulin et al., 1997). Dans une perspective de diagnostic populationnel et de soutien à l’intervention, l’enquête Sexe, drogue et autres questions de santé répondait à un besoin d’actualiser les connaissances concernant la consommation de substances psychoactives des jeunes en centre jeunesse, leurs comportements sexuels ainsi que divers autres aspects de leur santé.

Cette enquête a été menée en collaboration avec l’Association des centres jeunesse du Québec et le Regroupement des médecins et infirmiers en centre jeunesse. La collecte de données s’est déroulée entre juillet 2008 et mai 2009. Le rapport de l’enquête est disponible (Lambert et al., 2012). Le présent article rapporte les comportements sexuels à risque parmi les répondants âgés de 14 à 17 ans selon leur niveau de consommation de substances psychoactives.

Méthode

Cette enquête transversale descriptive porte sur des garçons et filles âgés de 14 à 20 ans admis dans des centres de réadaptation ou dans des foyers de groupe des centres jeunesse du Québec.

Le questionnaire d’entrevue a été développé à partir d’une revue de la littérature et après consultation d’un groupe de chercheurs ayant de l’expérience dans l’étude des comportements sexuels et de la consommation d’alcool et de drogues chez les jeunes. Par ailleurs, une dizaine d’intervenants des centres jeunesse (éducateurs et professionnels de la santé) ont été consultés. Enfin, le questionnaire d’entrevue a été prétesté auprès de neuf jeunes hébergés en CJ. La période de référence de plusieurs des comportements étudiés était « l’année précédant l’admission en centre jeunesse ». L’objectif étant de dresser un portrait récent des comportements des jeunes dans leur milieu de vie, plutôt que leurs comportements dans un milieu de réadaptation.

La grille de dépistage DEP-ADO (Germain et al., 2013) a été incluse au questionnaire. Cet outil vise à détecter la consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents. Il comprend 25 questions touchant la consommation d’alcool ou de drogues au cours des douze derniers mois et au cours des trente derniers jours, la consommation régulière d’alcool ou de drogues, l’âge du début de la consommation régulière d’alcool ou de drogues, la consommation excessive d’alcool, l’injection de drogues ainsi qu’un certain nombre de conséquences associées à la consommation de substances psychoactives. Un score total établit le degré de gravité des problèmes liés à la consommation et le besoin d’intervention. Un score associé à un feu vert (score de 13 ou moins) signifie : aucun problème évident de consommation (aucune intervention nécessaire), un feu jaune (score entre 14 et 19) : problème en émergence (intervention précoce souhaitable), et un feu rouge (score de 20 ou plus) : problème évident (nécessitant une intervention spécialisée).

Six centres jeunesse localisés à Montréal ou en périphérie de Montréal ont été sélectionnés et ont participé : Montréal, Montérégie, Laval, Batshaw, Laurentides et Estrie. Dans ces centres, certaines unités de vie ont été exclues de l’étude, notamment les unités « d’arrêt d’agir ». La participation à l’étude a été proposée aux jeunes âgés de 14 ans ou plus séjournant depuis au moins 48 heures dans une unité de vie d’un centre de réadaptation ou dans un foyer de groupe,et ce, afin de permettre au jeune un certain temps d’adaptation à sa nouvelle situation.

Les entrevues avec les jeunes avaient lieu au CJ ou au foyer où était hébergé le participant. Les jeunes qui, suivant l’avis de leur intervenant, pouvaient ne pas être aptes à participer à l’enquête (par exemple à cause d’une intoxication à une drogue ou d’une détresse émotive) étaient exclus. Le questionnaire, à choix de réponses, était répondu dans le cadre d’une entrevue individuelle en face à face, d’environ soixante minutes. Le questionnaire était anonyme ; les personnes menant les enquêtes ne faisaient pas partie du personnel des CJ. Aucune donnée colligée n’était communiquée aux équipes d’intervention des CJ ni inscrite au dossier du jeune dans l’établissement.

Après l’entrevue, un prélèvement urinaire était recueilli afin d’estimer la prévalence de deux infections transmissibles sexuellement : la chlamydiose et l’infection gonococcique. La trousse de détection « BD Probe Tec ET Chlamydia trachomatis and Neisseria gonorrhoeae Amplified DNA Assays » de la compagnie Becton et Dickinson Diagnostic a été utilisée (Becton et Dickinson Diagnostic). Tous les tests ont été effectués au laboratoire du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

Les CJ avaient informé les parents de la possibilité que leur adolescent soit invité à participer à cette enquête et du fait qu’ils pouvaient s’y opposer. Les jeunes avaient reçu les informations pertinentes concernant les conditions de leur participation, leurs droits à titre de participant et les engagements de l’équipe de recherche à leur égard. Leur participation à l’enquête était totalement volontaire. Un formulaire d’assentiment libre et éclairé était signé par chaque participant. Le Comité éthique de la recherche (CER) de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal ainsi que celui du Comité de la recherche du Centre jeunesse de Montréal–Institut universitaire ont tous deux émis un certificat de conformité éthique à l’endroit de cette enquête.

Les données manquantes ont été exclues du calcul des proportions présentées (la proportion de données manquantes et de refus n’a pas excédé 1 %, quelle que soit la question posée). Des analyses statistiques univariées (Chi 2 de Pearson), stratifiées par groupe d’âge et sexe, ont été effectuées afin d’explorer les associations possibles entre la consommation problématique d’alcool ou de drogues et divers comportements sexuels et conséquences sur la santé. Le degré de signification des résultats statistiquement significatifs est mentionné dans les tableaux.

Résultats

Participation

La collecte de données s’est déroulée entre juillet 2008 et mai 2009. L’équipe de recherche a visité 93 unités d’hébergement réparties dans 16 sites de réadaptation ainsi que 10 foyers de groupes. On estime qu’environ 850 jeunes étaient hébergés dans les unités et foyers sélectionnés au moment de l’enquête, 79 % ont assisté aux séances d’information et 92 % de ces derniers ont participé, soit un total de 618 participants. Les raisons pour lesquelles certains jeunes n’ont pas assisté aux séances d’information tenues dans les unités étaient les suivantes : fugue, confinement en chambre, activités sportives, rencontres à l’extérieur du CJ, notamment avec des intervenants ou des professionnels de la santé. D’après les éducateurs interrogés, le niveau de participation n’aurait pas varié de manière notable selon le sexe, l’âge ou l’appartenance ethnoculturelle des jeunes.

Caractéristiques sociodémographiques des participants et interactions avec les services sociaux

Les données présentées dans le cadre de cet article portent spécifiquement sur les participants âgés de 14 à 17 ans admis en CJ depuis moins de 2 ans. L’âge moyen était de 15,3 ans chez les filles (205 filles) et de 15,7 ans chez les garçons (294 garçons). Six jeunes sur dix (59,2 %) se disaient canadiens-français. Un jeune sur trois (32,6 %) manifestait un retard scolaire [2] et 10,5 % n’allaient pas à l’école au moment de l’entrevue (tableau 1).

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des participants selon le sexe

Caractéristiques sociodémographiques des participants selon le sexe
1

On entend par « retard scolaire », l’une ou l’autre des situations suivantes : cheminement particulier, formation multi niveaux ou retard d’au moins deux ans sur le parcours académique régulier.

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Près des trois quarts de ces jeunes (70,2 %) ont mentionné qu’au moins un membre de leur famille biologique (père, mère, frère, soeur, oncle, tante ou grands-parents) avait déjà eu ou avait actuellement un problème de consommation d’alcool alors que les deux tiers (64,1 %) ont rapporté un problème actuel ou antérieur de consommation de drogue chez un membre de leur famille biologique. Enfin, les deux tiers des jeunes (64,5 %) ont rapporté « avoir vécu de la violence physique, par exemple, être frappé, jeté par terre, battu ou attaqué par des personnes de ta famille ou de ta parenté ou par des personnes en position d’autorité parentale, comme le chum de ta mère, la blonde de ton père ou le père d’une famille d’accueil ». Jusqu’à 68,3 % des filles et 53,1 % des garçons avaient déjà fugué ; parmi ceux-ci, 28,1 % des filles et 29,1 % des garçons avaient fugué pour la première fois avant l’âge de douze ans.

Environ le quart des répondants (26 %) avaient été placés pour la première fois en famille d’accueil, en foyer de groupe ou en centre de réadaptation avant l’âge de douze ans. Trois fois plus de garçons que de filles (46,0 % vs 14,8 %) étaient placés en centre jeunesse en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) au moment de l’étude.

Consommation de substances psychoactives

Fréquence et diversité de consommation de substances pyschoactives

Tableau 2

Fréquence et diversité de consommation de substances psychoactives au cours de l’année précédant l’admission en centre jeunesse (n= 499)

Fréquence et diversité de consommation de substances psychoactives au cours de l’année précédant l’admission en centre jeunesse (n= 499)

Note : Afin d’alléger ce tableau, la colonne faisant état des pourcentages de filles et de garçons n’ayant pas consommé au cours de l’année précédant l’admission en CJ a été retirée.

1

Barbituriques, sédatifs, hypnotiques, tranquillisants, analgésiques, stimulants du système neveux, …

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Le tableau 2 présente la fréquence de consommation d’alcool, de drogues et de médicaments d’ordonnance pris sans prescription au cours de l’année précédant l’admission en CJ.

Consommation d’alcool

Un jeune sur quatre (21,5 % des filles et 26,2 % des garçons) a consommé de l’alcool trois fois ou plus par semaine au cours de l’année précédant l’admission en CJ (à noter que 7,8 % des jeunes, soit 5,9 % des filles et 9,2 % des garçons ont rapporté avoir consommé de l’alcool tous les jours durant cette période). Parmi ceux qui ont consommé une fois ou plus de l’alcool au cours de l’année précédant leur admission en CJ, 72,5 % des filles et 80,4 % des garçons ont eu un épisode ou plus de consommation excessive [3] durant cette période ; 18,5 % des filles et 24,5 % des garçons ont rapporté avoir eu 52 épisodes ou plus de consommation excessive dans l’année précédant leur admission en CJ, soit l’équivalent d’un épisode ou plus par semaine. Un peu plus de la moitié des jeunes (53,1 % des filles et 56,6 % des garçons) ont déjà eu une « période de consommation régulière » d’alcool (consommation d’alcool une fois par semaine pendant au moins un mois) au cours de leur vie.

Consommation de drogues

Les quatre drogues ayant été consommées trois fois ou plus par semaine par le plus grand nombre de jeunes au cours de l’année précédant l’admission en CJ ont été, en ordre décroissant : le cannabis, l’ecstasy (méthylènedioxyméthamphétamine, MDMA), les amphétamines et la cocaïne. La plupart des jeunes (85,9 % des filles et 87,1 % des garçons) ont consommé une fois ou plus du cannabis au cours de l’année précédant l’admission en CJ ; 55,1 % des filles et 68,7 % des garçons ont consommé du cannabis trois fois ou plus par semaine (à noter que 49,7 % des jeunes, soit 39,0 % des filles et 57,1 % des garçons, ont dit avoir consommé du cannabis tous les jours durant cette période). Un peu plus de la moitié des jeunes (58,0 % des filles et 56,7 % des garçons) ont consommé une fois ou plus de l’ecstasy au cours de l’année précédant l’admission en CJ ; 21,5 % des filles et 13,3 % des garçons en ont consommé trois fois ou plus par semaine. Six filles sur dix (62,4 %) et la moitié des garçons (54,6 %) ont consommé une fois ou plus des amphétamines au cours de l’année précédant l’admission en CJ ; 22,9 % des filles et 12,3 % des garçons ont consommé des amphétamines trois fois ou plus par semaine. Un peu plus du tiers des jeunes (39,5 % des filles et 36,7 % des garçons) ont consommé une fois ou plus de la cocaïne au cours de l’année précédant l’admission en CJ ; 7,8 % des filles et 7,2 % des garçons ont consommé de la cocaïne trois fois ou plus par semaine.

Consommation de médicaments sous ordonnance pris sans une prescription

Près de quatre filles sur dix (38,5 %) et de trois garçons sur dix (27,9 %) avaient consommé une fois ou plus des « médicaments sous ordonnance pris sans une prescription » au cours de l’année précédant l’admission en CJ ; 5,9 % des filles et 4,8 % des garçons en avaient consommé trois fois ou plus par semaine. Les médicaments sous ordonnance pris sans une prescription les plus couramment consommés par les jeunes âgés de 14-17 ans étaient les suivants (en ordre décroissant) : stimulants du système nerveux (15,7 % des filles et 14,3 % des garçons en avaient consommé une fois ou plus au cours de l’année précédant l’admission en CJ), anxiolytiques-barbituriques incluant les somnifères (13,6 % des filles et 10,1 % des garçons), analgésiques (7,9 % des filles et 7,8 % des garçons), antidépresseurs, incluant le lithium (5,0 % des filles et 1,2 % des garçons) et des antipsychotiques (0,4 % des filles et 0,6 % des garçons). Tous les analgésiques consommés étaient des opiacés.

Modes de consommation de substances psychoactives

La moitié des jeunes (49,8 % des filles et 46,4 % des garçons) ont déjà consommé de la drogue par voie nasale au cours de leur vie ; parmi ceux-ci 49,2 % des filles et 52,1 % des garçons ont « utilisé du matériel déjà utilisé par quelqu’un d’autre » une fois ou plus pour « priser ». Quinze filles (6,2 %) et cinq garçons (1,5 %) se sont déjà injectés de la drogue une fois ou plus à vie. Parmi ceux-ci, neuf filles et trois garçons s’étaient injecté une seule fois au cours de leur vie ; cinq filles et un garçon s’étaient déjà injectés une fois ou plus en se servant d’« aiguilles/seringues déjà utilisées par quelqu’un d’autre ».

Impacts de la consommation de substances psychoactives

Tableau 3

Impacts [1] de la consommation de substances psychoactives selon le sexe

Impacts 1 de la consommation de substances psychoactives selon le sexe

* Différence statistiquement significative (p< 0,05) selon le sexe

1

Les indicateurs d’impact utilisés ici sont ceux de la grille DEP-ADO.

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Le tableau 3 présente les impacts de la consommation de substances psychoactives sur divers domaines de la vie des jeunes (les indicateurs utilisés sont ceux de la grille DEP-ADO). Parmi les jeunes âgés de 14-17 ans ayant consommé une fois ou plus de l’alcool ou de la drogue au cours de leur vie :

  • quatre jeunes sur dix (43,2 % des filles et 41,5 % des garçons) ont rapporté que leur consommation avait nui à une de leurs amitiés ou à leur relation amoureuse ;

  • six jeunes sur dix (61,7 % des filles et 60,7 % des garçons) ont eu des difficultés à l’école en raison de leur consommation ;

  • un peu plus de la moitié des filles (54,7 %) contre quatre garçons sur dix (41,5 %, différence statistiquement significative), ont éprouvé des difficultés psychologiques (anxiété, dépresssion…) ;

  • un peu plus de la moitié des filles (52,6 %) contre près des trois quarts des garçons (72,8 %, différence statistiquement significative), ont rapporté avoir commis un geste délinquant alors qu’ils avaient consommé de l’alcool ou de la drogue (« même si la police ne les a pas arrêtés.»)

Indice de consommation problématique d’alcool et de drogues (DEP-ADO)

Selon leurs résultats obtenus avec la grille de dépistage DEP-ADO, un grand nombre des jeunes admis en CJ au Québec ont une consommation problématique de substances psychoactives (Tableau 4).

Tableau 4

Indice de consommation problématique de substances psychoactives (DEP-ADO) selon le groupe d’âge et le sexe

Indice de consommation problématique de substances psychoactives (DEP-ADO) selon le groupe d’âge et le sexe

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Environ six jeunes sur dix avaient un « problème évident de consommation abusive d’alcool et de drogues nécessitant une intervention spécialisée » ; la proportion de jeunes ayant un problème évident de consommation ne variait pas significativement selon le sexe, mais parmi les hommes, elle variait selon l’âge, étant significativement plus élevée chez les 16-17 ans que chez les 14-15 ans (69 % contre 55 %). De plus, près d’un jeune sur six manifestait un « problème de consommation en émergence pour lequel une intervention précoce était jugée souhaitable ».

Seulement le tiers des jeunes (33,9 % des filles et 30,8 % des garçons) s’étant classés dans la catégorie « feu rouge » de la grille DEP-ADO se sont dits « très préoccupés » par leur consommation (donner un score de « 7 » ou plus sur une échelle de préoccupation dont la graduation s’étendait de 0 à 10).

Comportements sexuels selon l’indice de consommation problématique d’alcool et de drogues (DEP-ADO)

Tableau 5

Comportements sexuels selon l’indice de consommation problématique d’alcool et de drogue (DEP-ADO) et le sexe

Comportements sexuels selon l’indice de consommation problématique d’alcool et de drogue (DEP-ADO) et le sexe

* Différence statistiquement significative (p< 0,05), analyse univariée portant sur l’association entre le comportement sexuel et l’indice DEP-ADO, stratifiée selon le sexe.

1

Parmi les participants qui ont eu une relation vaginale à la dernière relation sexuelle

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Le tableau 5 fait état de divers comportements sexuels selon le classement à la grille DEP-ADO et le sexe. En comparaison avec les jeunes classés dans la catégorie « feu vert » ou « feu jaune » à la grille DEP-ADO, ceux s’étant classés dans la catégorie « feu rouge » rapportaient davantage de comportements sexuels à risque. Ils étaient plus nombreux à avoir : déjà eu une relation sexuelle orale, vaginale ou anale volontaire [4] une fois ou plus au cours de leur vie ; vécu une première relation sexuelle vaginale avant l’âge de 13 ans ; eu soit trois, soit six partenaires sexuels ou plus à vie ; utilisé « jamais » ou « parfois » un condom lors de leurs relations sexuelles vaginales à vie ; eu des relations sexuelles en groupe (relation sexuelle avec plus d’une personne à la fois) une fois ou plus à vie ; reçu de l’argent ou d’autres biens en échange de relations sexuelles une fois ou plus à vie et consommé de l’alcool, du cannabis et d’autres drogues lors de la moitié ou plus de leurs relations sexuelles à vie. Ces différences étaient statistiquement significatives (en analyses univariées) autant parmi les filles que parmi les garçons (sauf les relations sexuelles en échange d’argent qui n’étaient pas statistiquement plus fréquentes chez les garçons classés dans la catégorie « feu rouge » que chez les garçons classés dans la catégorie « feu vert » ou « feu jaune »).

Grossesse non planifiée et infection transmissible sexuellement selon l’indice de consommation problématique d’alcool et de drogues (DEP-ADO)

En comparaison avec les jeunes s’étant classés dans la catégorie « feu vert » ou dans la catégorie « feu jaune » de la grille DEP-ADO, ceux s’étant classés dans la catégorie « feu rouge » étaient de manière statistiquement significative (en analyses univariées) plus nombreux à avoir déjà « été enceintes à vie » (33,0 % contre 19,8 %) ou à « avoir mis une fille enceinte à vie » (30,9 % contre 12,0 %). Toutefois, ils n’étaient pas plus nombreux à rapporter un antécédent d’infection transmissible sexuellement, ni à avoir obtenu un résultat réactif au test de détection de chlamydiose génitale sur le prélèvement urinaire effectué dans le cadre de l’enquête. À noter que 17,6 % de l’ensemble des filles et 3,4 % de l’ensemble des garçons ont rapporté avoir déjà eu une ITSS à vie et que la prévalence de chlamydiose détectée dans le cadre de l’enquête était de 9,3 % chez l’ensemble des filles et de 1,9 % chez l’ensemble des garçons.

Discussion

Consommation de substances psychoactives

La dernière étude décrivant les profils de consommation de substances psychoactives chez les jeunes en CJ date de 2000-2004 (Laventure et al., 2008). Parmi 408 jeunes âgés de 12-17 ans desservis par les CJ du Québec pendant cette période, 33,3 % avaient un profil de consommation « élevée » selon l’Indice de gravité de toxicomanie pour les adolescents (IGT-ADO).alors que selon les observations de l’étude Sexe, drogues et autres questions de santé, la moitié des jeunes admis en CJ (58,4 % des filles et 63,1 % des garçons) présentaient « un problème évident de consommation nécessitant une intervention spécialisée » ; ainsi, la consommation problématique de substances psychoactives apparaît plus répandue parmi les jeunes en CJ qu’elle ne l’était dix ans plus tôt. Cette proportion plus élevée de jeunes ayant une consommation problématique peut être due cependant à une différence dans les caractéristiques des jeunes étudiés. L’étude de Laventure portait en effet sur des répondants plus jeunes (âgés de 12 à 17 ans) qui étaient hébergés en CJ ou qui recevaient des services externes de la part des CJ. De plus, les instruments de mesure utilisés (grille IGT-ADO versus grille DEP-ADO) peuvent avoir causé une variation dans les résultats. Néanmoins, l’enquête Sexe, drogues et autres questions de santé reconfirme la persistance de taux alarmants de consommation de substances psychoactives chez les jeunes des CJ. Elle apporte aussi des informations sur la consommation de nouvelles drogues, dites récréatives, comme les amphétamines, l’ecstasy, le GHB, la kétamine ou la méthamphétamine (crystal) parmi les jeunes des centres jeunesses, une situation dont dont on connaissait peu de choses.

Comparés à leurs pairs en milieu scolaire, les jeunes hébergés en CJ font état d’une utilisation de substances psychoactives beaucoup plus grande. Selon une récente enquête auprès des élèves du secondaire au Québec (Pica et al., 2012), 5 % des élèves en 5e secondaire se retrouvent dans la catégorie « feu jaune » de l’indice DEP-ADO et 5 % dans la catégorie « feu rouge ». Par ailleurs, la proportion des jeunes ayant eu douze épisodes ou plus de « consommation excessive d’alcool en une même occasion » dans l’année précédente est cinq à six fois plus élevée chez les répondants de l’enquête Sexe, drogues et autres questions de santé que chez les jeunes Québécois âgés de 15 à 17 ans (44 % vs 9 % parmi les garçons ; 30 % vs 5 % parmi les filles) (Camirand et al., 2010). Respectivement 72,7 %, 28,4 % et 28,8 % des jeunes en CJ ont rapporté avoir consommé du cannabis, de l’ecstasy et des amphétamines une fois ou plus par semaine au cours de l’année précédente alors que ces proportions étaient de 14,3 %, 2,4 % et 2,0 % parmi les jeunes Québécois en 5e secondaire âgés de 14 à 17 ans (Pica et al., 2012). Un peu plus du tiers des jeunes admis en CJ (37,1 % des filles et 35,2 % des garçons) ont consommé de la cocaïne une fois ou plus au cours de l’année précédente comparativement à 3,8 % des Québécois en 5e secondaire (Pica et al., 2012).

Consommation problématique de substances psychoactives et comportements sexuels

Les jeunes en CJ débutent des activités sexuelles plus tôt, ont davantage de partenaires sexuels et utilisent moins le condom que leurs pairs dans la population scolaire générale au Québec (Camirand et al., 2008). Parmi les jeunes en CJ présentant une consommation problématique, l’usage du condom était significativement moindre (52 % des filles et 40 % des garçons présentant une consommation problématique disent avoir utilisé le condom « jamais » ou « parfois » lors des leurs relations sexuelles vaginales). Par ailleurs, la participation à des scénarios sexuels à risque tels que les activités sexuelles « en groupe », mentionnée par la moitié des jeunes dont la consommation de substances psychoactives était problématique, survient habituellement lorsque ces jeunes sont sous l’influence d’alcool ou de drogues. Recevoir de l’argent, des biens ou des drogues en échange de relations sexuelles n’est pas un phénomène marginal ni récent parmi les jeunes en centres jeunesse. Pauzé a documenté en 2004 que 7 % des filles en centre jeunesse avaient vécu cette situation avec des hommes, alors que 5,6 % des garçons avaient vécu cette situation avec des femmes et 1 % avec des hommes (Pauzé et al., 2004). L’enquête Sexe, drogues et autres questions de santé démontre que l’usage problématique de substances psychoactives augmente considérablement le risque de cette activité. Chez les filles, la consommation problématique était nettement associée au fait d’avoir reçu de l’argent, des biens ou des drogues en échange de relations sexuelles, ce qui n’était pas le cas chez les garçons. Une telle différence entre filles et garçons eu égard aux activités sexuelles rémunérées avait déjà été soulignée au sein d’adolescents québécois recrutés en milieu scolaire (Lavoie et al., 2010). Par ailleurs, d’autres auteurs ont observé chez les hommes une association entre consommation de substances psychoactives et activités sexuelles contre rémunération (McCarthy et al., 2014 ; Duff et al., 2013 ; Van Gelder et al. 2011). Il est possible qu’une telle association n’ait pas été détectée chez les garçons dans notre enquête compte tenu de la petite taille de l’échantillon d’hommes ayant des activités sexuelles contre rémunération.

Divers auteurs ont mis en évidence que la consommation d’alcool et de drogue était associée à un plus grand risque de rapports sexuels non désirés et non protégés (Gagnon et Rochefort, 2010 ; Kingree et al., 2000 ; Halpern-Felsher et al., 1996). Parmi des jeunes consultant une clinique jeunesse, ceux qui avaient un problème de consommation d’alcool et de drogue étaient plus susceptibles d’utiliser le condom de manière plus erratique (Cook et al., 2006) et aussi d’avoir de multiples partenaires sexuels (Cook et al., 2006 ; Bellis et al., 2008). La consommation de l’une ou l’autre des substances suivantes : alcool, cannabis, ecstasy ou cocaïne avant l’âge de seize ans a été chacune associée au fait d’avoir eu des relations sexuelles avant l’âge de seize ans (Bellis et al., 2008). La présente enquête confirme l’influence importante de la consommation problématique de substances sur les conduites sexuelles à risque.

Consommation de substances psychoactives et infections transmissibles sexuellement et grossesses non planifiées

Infections transmissibles sexuellement

Dans cette enquête, le taux de prévalence de la chlamydiose génitale a été de 9,3 % chez les filles et de 1,9 % chez les garçons. Ces taux sont légèrement plus bas que ceux qui avaient été observés en CJ une douzaine d’années plus tôt (Poulin et al., 1997), soit un taux de prévalence de 12 % chez les filles et de 3 % chez les garçons. À titre de comparaison, l’incidence de cas déclarés de chlamydiose génitale au sein de l’ensemble des jeunes Québécois âgés de 15 à 19 ans était de 2,0 % chez les filles et de 0,45 % chez les garçons en 2013 (Venne, Lambert, Blouin et al., 2014).

Parmi les jeunes répondants à l’enquête Sexe, drogues et autres questions de santé, ceux qui se classaient « feu rouge » n’avaient pas un taux de prévalence de la chlamydiose génitale ni un taux d’antécédent d’ITSS à vie plus élevés que les jeunes se classant « feu jaune » ou « feu vert ». En fait, parmi ces derniers, les conduites sexuelles à risque étaient tout de même fréquentes bien qu’elles l’étaient moins que parmi les jeunes se classant « feu rouge ». On peut croire aussi que les jeunes admis en centres jeunesse sont en relation avec des partenaires masculins ou féminins plus susceptibles d’être infectés (noyaux de transmission), qu’ils aient ou non une consommation problématique de substances psychoactives. Divers travaux ont démontré que la consommation d’alcool et de drogues chez les adolescents était associée à des prévalences élevées d’ITSS (Cook et Clark, 2005 ; Kingree et Betz, 2003 ; Boyer et al., 1999).

Grossesses non planifiées

Relativement aux expériences de grossesse, Pauzé et al. (2004) rapportent que 25,5 % des filles en CJ ont déjà été enceintes et que 15,5 % des garçons savent qu’ils ont déjà mis une partenaire enceinte. Ces pourcentages sont légèrement plus élevés que ceux rapportés dans l’étude de Godin et al. (2003) auprès d’un échantillon de jeunes en centres jeunesse dans laquelle 13 % des filles et des garçons déclaraient une histoire de grossesse. Parmi les filles ayant participé à l’enquête Sexe, drogues et autres questions de santé, un peu plus du quart (28 %) ont dit avoir été enceintes une fois ou plus au cours de leur vie, une proportion 15 fois plus élevée que celle observée dans la population générale d’adolescentes québécoises âgées de 14-17 ans (Laprise et al., 2012).

On a constaté une différence significative de cette proportion selon le niveau de consommation de substances psychoactives, 33 % des filles se classant « feu rouge » avait un antécédent de grossesse contre 20 % pour les autres filles. Dans une étude longitudinale auprès des jeunes Américains (Meensch et Kandel, 1992), le risque d’une grossesse à l’adolescence était jusqu’à quatre fois plus élevé chez les adolescents qui avaient déjà utilisé des drogues comparativement à ceux qui n’en avaient jamais fait l’usage. Ayant révisé plus de 400 études portant sur les infections transmissibles sexuellement et les grossesses non planifiées chez les jeunes, Kirby, Lepore et Ryan (2007) ont développé un modèle explicatif général qui inclue la consommation d’alcool et drogues parmi les facteurs psychosociaux influençant la survenue de ces problèmes de santé.

Limites et biais

Pour des raisons logistiques, les six centres jeunesse sélectionnés étaient tous localisés assez près de Montréal, où était basée l’équipe de recherche. Les observations faites pourraient ne pas être représentatives des caractéristiques des jeunes admis dans des CJ situés dans l’Est ou le Nord-du-Québec.

La nature de l’entrevue (entrevue dirigée en face à face, réponses inscrites par l’intervieweuse) a favorisé la qualité de compréhension des questions, fourni des aides à la mémoire et limité le nombre d’informations manquantes. Les intervieweuses ont rapporté avoir le sentiment que les jeunes répondaient avec franchise, sans exagération ni inhibition même lorsque des sujets sensibles étaient abordés. L’indice DEP-ADO a été adapté et validé auprès des jeunes Québécois âgés de 14 à 17 ans (Landry et al., 2004). Une étude approfondie des qualités psychométriques de la DEP-ADO montre qu’un certain nombre de jeunes (20 %) sont classifiés incorrectement, soit dans une catégorie supérieure à la leur (faux positifs), ou dans une catégorie inférieure à la leur (faux négatifs) (Landry 2005) ; « Un biais de désirabilité sociale, des réponses fournies par bravade de même qu’un refus de répondre à toutes les questions de la grille peuvent entraîner une classification erronée » (Dubé et al., 2009).

Conclusion

Cette enquête a permis d’actualiser le portrait de la consommation de substances psychoactives et des comportements sexuels chez les jeunes admis en CJ. Les comportements sexuels à risque et les problèmes de santé associés sont fréquents chez les jeunes admis en CJ, et ce, de façon plus marquée chez ceux qui consomment de l’alcool et des drogues de façon problématique. L’hébergement en CJ constitue un moment privilégié pour intervenir sur la dépendance aux substances psychoactives (éducation au sujet de l’usage de substances psychoactives, détection de la consommation problématique, références précoces aux ressources appropriées le cas échéant) et concomitamment en santé sexuelle (dépistage des ITSS et des conduites sexuelles à risque, promotion d’une protection lors des activités sexuelles et accompagnement dans le développement de compétences spécifiques à la santé sexuelle). De telles interventions s’inscrivent dans une approche de santé globale auprès des adolescents.