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La couverture médiatique entourant les drogues du viol semble en avoir fait une thématique plutôt alarmante pour le grand public. En furetant dans Internet, il est assez facile de conclure que la consommation d’une substance bien précise, le GHB[2], administrée à l’insu d’une victime potentielle par un inconnu rencontré sur les lieux, et ce, particulièrement dans le contexte d’une soirée, constitue la situation typique en ce qui a trait aux drogues du viol. Cependant, la situation est autrement plus complexe. Quelles sont les drogues utilisées à des fins d’agression sexuelle ? Qui en sont les consommateurs ? Comment l’absorption de telles substances rend-elle possible l’agression ?

La littérature scientifique indique que la consommation à la fois de drogues et d’alcool peut induire un état de vulnérabilité chez une victime potentielle et la rendre, de ce fait, susceptible d’être agressée sexuellement (Abbey, Zawacki, Buck, Clinton, et McAuslan, 2001 ; Abbey, Thompson-Ross, McDuffie, et McAuslan, 1996 ; Himelein, 1995 ; Larimer, 1999 ; Parks et Fals-Stewart, 2004 ; Presley, Leichliter, et Meilman, 1998). La consommation d’alcool ou de drogue peut favoriser l’agression sexuelle en facilitant l’utilisation de stratégies de coercition par l’agresseur et en diminuant la capacité de la victime à résister (Abbey et coll., 2001).

Selon une enquête québécoise, les substances licites et illicites les plus fréquemment identifiées lors d’analyses sanguines effectuées auprès de victimes d’agression sexuelle sont l’alcool, le cannabis, les benzodiazépines et la cocaïne (Péclet, 2003). Il faut toutefois noter que les analyses sanguines ne sont effectuées que sur les victimes qui ont déclaré l’agression. La plupart du temps, particulièrement dans les cas d’agression sexuelle impliquant la consommation de substances, les victimes ont tendance à prendre la responsabilité de l’acte et à ne pas le déclarer aux autorités. En effet, dans de tels cas, les victimes ont moins tendance à dévoiler l’agression sexuelle aux autorités et se confient davantage à leurs amis (Fisher, Daigle, Cullen, et Turner, 2003). De plus, la littérature indique que les femmes sont jugées plus responsables de l’agression lorsqu’elles ont consommé de l’alcool (Hammock et Richardson, 1997 ; Marx, Gross, et Juergens, 1997 ; Norris et Cubbins, 1992).

Quant au GHB, bien que sa consommation soit de plus en plus répandue (Vignola, 2003), il ne serait impliqué que dans 0,5 % des cas d’agression sexuelle recensés par les services policiers au Québec (Péclet, 2003). L’importance accordée à cette substance comme drogue du viol provient du fait, notamment, que l’amnésie constitue une des conséquences de l’absorption du GHB, de sorte que des évènements traumatisants risquent d’être oubliés chez une victime d’agression (Bernèche, Bouffard, Lacroix, Moretti, Marcil, Fournier, et Labonté, 2000).

L’état de soumission peut découler d’une consommation volontaire ou involontaire de substances. La consommation volontaire altérant la conscience doit être considérée. Par exemple, dans le cas du GHB, la consommation volontaire est de plus en plus courante dans certains milieux (Teter et Guthrie, 2001 ; Rouillard, 2003). Par ailleurs, la consommation de substances est très fréquente autant chez l’agresseur que chez la victime (Abbey, 2002).

Chez les jeunes de niveau collégial[3], les recherches sur la consommation de substances comme facteur de risque à l’agression sexuelle portent surtout sur l’alcool. Ce choix découle sans doute de l’importance que prend la consommation d’alcool en comparaison avec les autres drogues chez les jeunes de niveau collégial (Perkins, 2002). Par ailleurs, l’alcool serait la substance la plus fréquemment utilisée en lien avec les agressions sexuelles (Fallu, 2003).

Parmi les jeunes de niveau collégial, les buveurs sociaux, qui consomment de l’alcool occasionnellement et de façon modérée, représentent environ 50  % des filles et 33 % des garçons (Shim et Maggs, 2005). Toutefois, la littérature rapporte que de 25 à 50 % des étudiants consomment fréquemment de l’alcool de façon excessive (Reifman et Watson, 2003 ; Shim et Maggs, 2005 ; Wechsler, Lee, Kuo, et Lee, 2000 ; Wechsler, Lee, Kuo, Seibring, Nelson, et Lee, 2002). Or, l’absorption excessive d’alcool peut provoquer certaines périodes d’oubli (blackout) (Wechsler et coll., 2000). Enfin, les hommes rapportent boire de façon plus fréquente et intense que les femmes (Biscaro, Broer, et Taylor, 2004 ; Geisner, Larimer, et Neighbors, 2004 ; Shim et Maggs, 2005).

Ricciardelli, Connor, Williams, et Young (2001) suggèrent que davantage de femmes consomment de manières risquées lorsque les critères de consommation problématique sont établis en tenant compte du sexe. En effet, la tendance croissante à inciter les femmes à consommer de l’alcool de façon excessive, plus que l’ajout d’une substance illicite dans un verre, constituerait même la vraie source du problème de l’agression sexuelle (Neame, 2003). En outre, plus un individu fréquente des soirées où l’alcool est consommé de façon compulsive, comportement susceptible de causer des périodes d’oubli, plus il est à risque de poser des gestes regrettables (Wechsler et coll., 2000).

En effet, White, Jamieson-Drake, et Swartzwelder (2002) ont exploré les comportements des jeunes alors qu’ils étaient moins conscients de leurs gestes et qu’ils risquaient de ne pas s’en souvenir par la suite. Parmi ceux ayant eu un épisode de blackout, 55 % ont appris s’être conduits de manière potentiellement dangereuse ou regrettable ; 25 % ont révélé s’être engagés dans une forme ou une autre de sexualité ; 4 % ont confié avoir eu une relation sexuelle non protégée ; et 6 % ont mentionné avoir eu une relation sexuelle non désirée.

D’ailleurs, la consommation excessive de substances est identifiée comme étant une des stratégies de coercition sexuelle les plus communes, et ce, autant chez les hommes que chez les femmes (Adam-Curtis et Forbes, 2004 ; Krahé, Scheinberger-Olwig, et Bieneck, 2003). Le phénomène constitue un facteur de risque des agressions sexuelles au collège (Abbey et coll., 2001 ; Abbey et coll., 1996 ; Himelein, 1995 ; Larimer, 1999 ; Parks et Fals-Stewart, 2004 ; Presley et coll., 1998). De fait, selon Abbey, Clinton, McAuslan, Zawacki, et Buck (2002), environ 50 % des agressions sexuelles chez les jeunes se produisent dans un contexte de consommation de drogue ou d’alcool. Cela dit, les statistiques indiquent qu’habituellement les agressions sexuelles sont le plus souvent perpétrées par des hommes à l’encontre des femmes (Gouvernement du Québec, 2001).

Les résultats d’études divergent, mais pour l’ensemble, du côté de l’agresseur potentiel, une proportion variant de 10 à 23 % des collégiens confie avoir intoxiqué une personne fréquentée afin d’avoir des activités sexuelles avec elle (Carr et VanDeusen, 2004 ; Tyler, Hoyt, et Whitbeck, 1998), alors qu’on identifie que 32 % des garçons rapportent avoir eu une relation sexuelle avec une personne intoxiquée ou inconsciente (Maxwell, Robinson, et Post, 2003).

Chez les victimes, de 12 à 25 % des femmes et 11 % des hommes rapportent que, durant la dernière année, une personne a pris sexuellement avantage sur eux alors qu’ils avaient consommé de l’alcool ou de la drogue (Presley, Meilman, et Cashin, 1996 ; Tyler et coll., 1998). Qui plus est, dans 55 % des cas d’agression sexuelle rapportés, la victime était intoxiquée au point de ne plus arriver à se défendre (Ullman, Karabatsos, et Koss, 1999).

Le processus sous-jacent à l’agression à la suite de la consommation de substances s’avère plus complexe que le simple fait de provoquer un oubli pour agresser une personne. D’une part, des études suggèrent que, même à des niveaux modérés d’intoxication, l’alcool peut augmenter la perception que la victime potentielle est excitée sexuellement et, de là, occulter l’absence de son consentement (Adam-Curtis et Forbes, 2004 ; Gross, Bennett, Sloan, Marx, et Juergens, 2001). De plus, comparativement aux autres agresseurs sexuels et aux non-agresseurs, les hommes qui commettent une agression sexuelle en utilisant de l’alcool (consommé par la victime ou par eux-mêmes) rapportent avoir une consommation d’alcool plus élevée au moment où ils interprètent de façon erronée les intentions sexuelles de la femme. Ils croient aussi davantage que l’alcool améliore leur désir sexuel et que le fait que les femmes boivent de l’alcool signifie également un intérêt sexuel de leur part (Zawacki, Abbey, Buck, McAuslan, et Clinton-Sherrod, 2003). D’autre part, dans une étude menée en laboratoire, George, Stoner, Norris, Lopez, et Lehman (2000) ont identifié que, parmi les hommes qui ont des attentes sexuelles reliées à l’alcool, ceux qui croient en avoir consommé (alors que dans les faits ils ont consommé une boisson non alcoolisée) sont plus excités sexuellement par des images de coercition sexuelle, que ceux qui savent qu’ils ont bu une boisson sans alcool. Selon certains auteurs (George et coll., 2000 ; Tourigny et Dufour, 2000), ce serait davantage les croyances relatives aux effets de l’alcool, plutôt que les seuls effets strictement physiologiques de la consommation réelle, qui affecteraient l’excitation sexuelle au moment de l’agression.

Bien entendu, tous les buveurs excessifs n’ont pas tendance à s’engager dans des comportements négatifs (Nezlek, Pilkington, et Bilbro, 1994). La perturbation de la perception du consentement et la croyance concernant les effets aphrodisiaques de l’alcool ne peuvent expliquer à elles seules les agressions sexuelles commises. Il semble que d’autres conditions soient requises pour que la consommation mène à l’agression.

Souvent évoqué en lien avec les agressions sexuelles se trouve le concept d’attitudes supportant le viol[4] qui a été défini par Brownmiller (1975) et Burt (1980). Il réfère à des croyances fausses et stéréotypées à propos de l’agression sexuelle, des victimes et des agresseurs qui servent à atténuer la responsabilité de l’agresseur, du moins face à lui-même, et la gravité de l’agression en mettant davantage le blâme sur la victime (Lonsway et Fitzgerald, 1994 ; 1995 pour une recension des écrits). Selon certaines études (Berkowitz, 1994 ; Lanier, 2001 ; Rice, Chaplin, Harris, et Coutts, 1994 ; Rosenthal, Heesacker, et Neimeyer, 1995 ; Sanday, 1996), les individus qui entretiennent ce type de fausses croyances seraient plus susceptibles de commettre des actes sexuels coercitifs.

La littérature indique que ces croyances sont plus largement répandues chez les hommes que chez les femmes (Hinck et Thomas, 1999 ; Nayak, Byrne, Martin, et Abraham, 2003 ; Emmers-Sommers et Allen, 1999).

La recherche sur les croyances ou les mythes entourant le viol s’étend particulièrement dans les années 1980 et 1990. Les principaux questionnaires qui en découlent sont encore utilisés (Burt, 1980 ; Bumby, 1996). Ces mythes accentuent les circonstances qui minimisent la portée de l’agression sexuelle. Toutefois, en ce qui a trait à la consommation, seul l’alcool est considéré dans les questionnaires.

En dépit de la logique sous-jacente, l’unanimité n’est pas toujours obtenue quant au lien de causalité pouvant exister entre l’adhésion à certains mythes entourant le viol et le fait d’avoir, dans la réalité, violé un individu (Forbes, Adams-Curtis, et White, 2004). L’investigation des mythes relève donc du domaine de l’évaluation des attitudes et non du comportement.

Une explication possible des liens entre la consommation et l’agression réfère à l’existence probable d’une culture propice à la fois à la consommation importante d’alcool et au développement ou au renforcement de certains mythes. À cet égard, la recension des écrits présentée par Tourigny et Dufour (2000) suggère que, dans certains contextes de forte consommation d’alcool, on note la présence d’une culture (un ensemble de valeurs, d’attitudes et d’attentes) permettant de justifier et d’augmenter la tolérance à des comportements, qui seraient jugés inacceptables autrement. Par exemple, les valeurs, les normes et les attitudes véhiculées dans certains groupes d’étudiants reflètent une culture où une consommation importante d’alcool, l’adoption de comportements sexuels occasionnels et sans engagement et des attitudes stéréotypées et traditionnelles sur le rôle des femmes et des hommes sont présentes (Abbey, 2002 ; Kalof et Cargil, 1991 ; Norris, Nurius, et Dimeff, 1996 ; Robinson, Gibson-Beverly, et Schwartz, 2004 ; Sanday, 1990). Dans la même lignée, les résultats de Carr et VanDeusen (2004) indiquent que plus les garçons rapportent être coercitifs sexuellement, plus ils rapportent une consommation élevée d’alcool au cours de la dernière année, et plus ils adhèrent aux mythes entourant le viol. D’ailleurs, ceux qui mentionnent boire fréquemment, et de façon excessive, rapportent fréquenter davantage les fêtes et les bars et sont plus susceptibles d’avoir des amis qui approuvent le fait d’enivrer une femme à des fins sexuelles.

Les principales études sur le sujet font ressortir que les hommes qui adhèrent le plus à ces mythes perçoivent les femmes qui consomment de l’alcool comme plus disponibles sexuellement (Abbey et Harnish, 1995 ; Parks et Scheidt, 2000) et comme des proies de choix pour l’agression sexuelle (Scully, 1991). Il y aurait donc, chez certains hommes, une association entre leurs propres attentes sexuelles et la consommation d’alcool chez une femme (Neame, 2003).

En somme, la consommation excessive d’alcool et de drogue paraît assez répandue auprès des jeunes en milieu collégial. Or, l’intoxication est un facteur lié à l’agression sexuelle, notamment en association avec les périodes d’amnésie qu’elle peut provoquer. Une explication possible concerne les liens entre la consommation d’alcool et de drogue, et les fausses croyances entretenues à l’égard de l’agression.

La présente étude vise à documenter la relation entre la consommation perçue de substances récréatives et les croyances associées au viol chez les jeunes en milieu collégial. Deux objectifs spécifiques sont poursuivis, le premier visant à identifier les substances que les étudiants jugent susceptibles de faciliter une agression sexuelle, le second cherchant à explorer les liens entre la fréquence de consommation abusive de substances et l’ampleur de la présence de mythes entourant le viol.

Méthodologie

Dans le cadre d’une étude sur la prévention de la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes en milieu collégial, un volet sur les drogues du viol et sur les mythes qui entourent le viol a été intégré aux questionnaires du projet.

Participants

Parmi les participants à la recherche, on dénombre 1 159 étudiants (327 garçons et 832 filles), âgés en moyenne de 18 ans (les âges varient de 16 à 25 ans). Ils ont été recrutés dans dix cégeps francophones de la région montréalaise. Ils proviennent à la fois des secteurs techniques et préuniversitaires.

Procédure

Le recrutement des milieux a été effectué en contactant les coordonnateurs de plusieurs programmes d’études dans l’ensemble des cégeps francophones de la grande région de Montréal afin de les informer de la recherche en cours. Ceux-ci transmettaient les informations aux enseignants de leur programme respectif. Par la suite, l’information détaillée concernant la recherche a été remise à ceux qui se sont montrés intéressés. Des rencontres avec leurs étudiants ont alors été planifiées dans le cadre des cours réguliers. La collecte de données s’est déroulée au cours de l’année 2004-2005.

Les étudiants qui ont accepté de participer à l’étude ont répondu à un questionnaire sur la consommation de substances et les mythes entourant le viol. Ils ont rempli individuellement le questionnaire pendant les heures régulières d’enseignement. Ils étaient libres de participer à la recherche et ceux qui ont accepté ont signé un formulaire de consentement expliquant les implications de leur participation au projet. Tous ont été informés du caractère confidentiel de leurs réponses. L’ensemble des étudiants approchés aux fins de l’étude a accepté volontairement d’y participer. De très rares cas ont refusé : pour ces derniers, une autre activité était alors préparée par l’enseignant.

Instruments de mesure

Questionnaire sur la consommation et les substances

En plus des informations sociodémographiques recueillies pour l’ensemble de la recherche, trois items ont été ajoutés pour documenter des aspects de la consommation de substances.

Le premier est inspiré d’un des dix items du Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT ; Bohn, Babor, et Kranzler, 1995). Les étudiants doivent indiquer sur une échelle de Likert en cinq points, de « jamais » à « très souvent », la fréquence à laquelle ils ont déjà consommé de l’alcool ou de la drogue au point d’oublier une partie de leur soirée. Bien que la question originale du AUDIT porte uniquement sur l’alcool, la consommation de drogues a aussi été considérée afin de tenir compte de la présence de cette réalité chez les jeunes. Dans le cadre du processus de validation, les étudiants ont, à deux reprises sur un intervalle de trois semaines, répondu aux questionnaires de même qu’à l’item sur la fréquence d’oubli reliée à la consommation. Pour cet item, la stabilité temporelle (fidélité test-retest) est satisfaisante (r = 0,84).

Le deuxième item se rapporte aux substances que les étudiants identifient comme étant « facilitatrices » d’une agression sexuelle. Les étudiants doivent cocher, parmi les 14 substances suggérées, celles qui, selon eux, peuvent être utilisées pour faciliter une agression sexuelle. Les substances qui figurent à cette question ont été choisies en se basant sur la littérature consultée. Un dernier item identifie le choix de la substance la plus fréquemment utilisée pour faciliter l’agression parmi celles préalablement proposées.

Questionnaire sur les mythes entourant le viol

Les mythes entourant le viol sont mesurés à l’aide d’un questionnaire de 36 items. Il s’agit de la version traduite (Barsetti, 1998) du Rape Myth Acceptance Scale (RAPE ; Bumby,1996). Pour chacun des énoncés, les étudiants doivent indiquer leur degré d’accord à l’aide d’une échelle de Likert en quatre points allant de « fortement en désaccord » à « fortement en accord ». L’Alpha de Cronbach de la version traduite atteint 0,92, soit une excellente cohérence interne.

Une analyse en composantes principales avec rotation varimax a été effectuée sur l’ensemble des 36 items afin d’en dégager une structure factorielle. Quatre facteurs ont été imposés et la structure obtenue explique 40 % de la variance totale. Le regroupement des items suggère les sous-échelles présentées au tableau 1. Pour chacune d’elles, des scores totaux ont été calculés : plus ils sont élevés, plus les étudiants entretiennent des mythes relatifs au thème particulier de la sous-échelle.

Tableau 1

Sous-échelles obtenues à partir de l’analyse en composantes principales

Sous-échelles obtenues à partir de l’analyse en composantes principales

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Résultats

Les pourcentages d’étudiants ayant mentionné, pour chacune des 14 substances signalées, un lien avec une agression sexuelle sont présentés à la figure 1. Les résultats indiquent que la bière, les cocktails alcoolisés et la combinaison du GHB à de l’alcool sont les substances les plus mentionnées. Des analyses de chi carré ont ensuite été effectuées afin de vérifier si les garçons et les filles identifient les différentes substances dans des proportions similaires. Les garçons sont plus nombreux que les filles à identifier la bière (χ2 = 4,60, dl = 1, < 0,05), les cocktails alcoolisés (χ2 = 8,92, dl = 1, < 0,005) et le vin (χ2 = 18,77, dl = 1, < 0,001) comme substances pouvant être utilisées pour faciliter une agression. De leur côté, les filles sont plus nombreuses que les garçons à avoir mentionné le LSD (χ2 = 4,29, dl = 1, < 0,05).

Figure 1

Fréquences de mention des substances pouvant faciliter une agression sexuelle

Fréquences de mention des substances pouvant faciliter une agression sexuelle

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Les réponses des étudiants quant à leur perception de la substance la plus fréquemment utilisée pour faciliter une agression sexuelle sont également regroupées en pourcentages. Les résultats indiquent que le mélange de GHB et de cocktail, suivi du GHB seul sont les substances les plus utilisées selon eux. Ensuite, les étudiants mentionnent les cocktails alcoolisés, la bière, l’ecstasy et la combinaison d’alcool et de rohypnol (figure 2).

Figure 2

Fréquence de mention des principales substances jugées les plus susceptibles de faciliter une agression sexuelle

Fréquence de mention des principales substances jugées les plus susceptibles de faciliter une agression sexuelle

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Pour chacune des cinq substances mentionnées, des analyses multivariées (MANOVA) avec l’identification de la substance comme facteur (X2) ont été conduites sur les différentes sous-échelles du questionnaire des mythes. Les résultats révèlent que les étudiants qui identifient le GHB mélangé à de l’alcool (F (4,1133) = 9,14, F < ,0001), ceux qui nomment le rohypnol mélangé à de l’alcool (F (4,1133) = 6,05, F < ,0001) et ceux qui mentionnent le GHB (F (4,1133) = 14,30, F < ,0001) rapportent moins de mythes sur les quatre sous-échelles[5] que les étudiants qui ne mentionnent pas ces substances. Des résultats similaires sont obtenus pour la bière (F (4,1133) = 2,37, F < ,05), à l’exception qu’aucune différence n’est observée en ce qui concerne la « déresponsabilisation de l’agresseur ». Enfin, aucun effet n’est observé relativement à l’identification des cocktails alcoolisés ou de l’ecstasy.

Les mythes entourant le viol et la consommation perçue

La fréquence des épisodes où les étudiants ont consommé au point d’oublier une partie de leur soirée a été évaluée selon le genre. Les catégories « souvent » et « très souvent » ont été combinées étant donné le nombre peu élevé de sujets.

L’analyse par chi carré est significative (χ2 = 33,73, dl = 4, < 0,001). Tel que l’illustre la figure 3, on note une surreprésentation des garçons parmi les étudiants qui disent avoir oublié souvent ou très souvent ou quelquefois. Pour les deux autres catégories faisant référence aux fréquences d’oubli plus faibles, le patron inverse est observé : les filles y sont légèrement surreprésentées.

Figure 3

Fréquence des épisodes d’intoxication provoquant l’oubli d’une partie de la soirée en fonction du sexe des étudiants

Fréquence des épisodes d’intoxication provoquant l’oubli d’une partie de la soirée en fonction du sexe des étudiants

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Une analyse multivariée (MANOVA) du sexe (X2) et de la fréquence d’oubli (X4) comme facteurs a ensuite été conduite sur les scores totaux pour les différentes sous-échelles du questionnaire sur les mythes entourant le viol. Les résultats de l’analyse révèlent un effet principal de la fréquence de l’oubli (F (4,1125) = 2,90, p < ,001), un effet principal du sexe (F (4,1125) = 33,32, p < ,001) et un effet d’interaction entre ces deux facteurs (F (4, 1125) = 3,31, p < ,001).

Le tableau 2 présente les résultats de l’analyse pour chacune des sous-échelles. Tel qu’indiqué, le sexe des étudiants est significativement lié à la présence de mythes, et ce, même lorsque les effets d’interaction sont considérés. Les garçons rapportent des scores plus élevés que ceux des filles sur toutes les échelles, peu importe la fréquence des épisodes d’oubli rapportés. Le seul effet principal de l’oubli n’étant pas qualifié par une interaction avec le sexe porte sur l’échelle « recherche de promiscuité sexuelle par la femme ». Peu importe leur sexe, les étudiants qui disent avoir consommé souvent ou très souvent au point d’oublier une partie de leur soirée rapportent des scores sur les mythes plus élevés que les autres à cette composante.

Enfin, l’examen des effets d’interaction sur deux des sous-échelles révèle que chez les filles les scores sur les mythes ne varient pas en fonction des épisodes d’oubli rapportés, contrairement à ce qui est observé chez les garçons. Concernant la « responsabilisation de la femme face au viol », ceux qui disent avoir oublié souvent ou très souvent et quelquefois une partie de leur soirée présentent des scores plus élevés que ceux n’ayant jamais oublié et ceux pour qui cela ne s’est produit que rarement. Concernant la « perception de la femme en tant qu’objet », ceux qui rapportent avoir souvent ou très souvent oublié une partie de leur soirée ont des scores plus élevés que les autres.

Tableau 2

Indices statistiques (F) des résultats de la MANOVA avec le sexe et la fréquence de l’oubli sur les échelles des mythes entourant le viol

Indices statistiques (F) des résultats de la MANOVA avec le sexe et la fréquence de l’oubli sur les échelles des mythes entourant le viol
1

< 0,001

2

< 0,05

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Discussion

L’étude explorait la présence de liens entre certaines variables reliées à la consommation de substances récréatives chez les jeunes en fonction d’agressions sexuelles possibles. Tel qu’il a été mentionné, deux facteurs fréquemment associés aux agressions sexuelles sont les mythes entourant le viol et la consommation d’alcool, et ce, autant chez la victime que chez l’agresseur. Pourtant, bien que les mythes entourant le viol soient à ce jour largement abordés par la plupart des programmes de prévention des agressions sexuelles, ce n’est pas le cas de la consommation de substances, ainsi que des contextes l’entourant et des conséquences y étant associées.

Un premier objectif visait à vérifier quelles substances sont susceptibles d’être utilisées pour faciliter une agression sexuelle selon les étudiants. Une majorité d’étudiants reconnaissent le rôle facilitateur de l’alcool dans l’agression sexuelle. Cependant, c’est le GHB (seul ou dans un cocktail) qui leur semble la substance la plus fréquemment utilisée. Ceci suggère, que tout en admettant que l’alcool puisse être associé aux agressions sexuelles, lorsqu’il est question de probabilité d’occurrence du phénomène, les étudiants sont influencés par la représentation médiatique des « drogues du viol » mettant l’emphase sur le rôle du GHB. Pourtant, bien que, dans certains médias, les termes GHB et drogue du viol soient souvent utilisés de façon interchangeable, Fallu (2003) mentionne que l’alcool serait la substance la plus fréquemment utilisée en lien avec les agressions sexuelles. D’ailleurs, en comparaison avec les autres drogues, l’alcool est la substance la plus consommée chez les jeunes de niveau collégial (Perkins, 2002). Ainsi, bien que nos données ne permettent pas de conclure directement à une influence des médias sur les réponses des étudiants rencontrés, il apparaît tout à fait plausible que ce soit le cas.

Le deuxième objectif visait à examiner les liens entre la fréquence des épisodes d’oubli en contexte de consommation et la présence de mythes entourant le viol. Les résultats obtenus suggèrent d’abord que les garçons consomment plus souvent que les filles au point d’oublier une partie de leur soirée. Ce résultat s’accorde bien avec ceux d’autres études indiquant que, de façon générale, la consommation des garçons est supérieure à celle des filles (Geisner et coll., 2004 ; Shim et Maggs, 2005).

Ensuite, nos résultats concernant les mythes du viol entretenus par les étudiants suggèrent qu’ils ne forment pas un construit unidimensionnel ; la présente étude a permis de cerner quatre dimensions correspondant aux quatre sous-échelles utilisées. Certains items concernent la responsabilisation de la femme face au viol alors que d’autres ont davantage pour fonction de déresponsabiliser l’agresseur. On trouve aussi des items qui font référence plus spécifiquement à la vision de la femme comme un objet sexuel. Enfin, les autres items évoquent un désir de promiscuité sexuelle chez la femme. Pour chacune des dimensions, les garçons rapportent entretenir davantage de mythes que les filles. Les résultats, en conformité avec la littérature sur la question, indiquent que les hommes souscrivent davantage à de fausses croyances concernant les agressions sexuelles (Emmers-Sommers et Allen, 1999 ; Nayak et coll., 2003 ; Hinck et Thomas, 1999).

Trois des quatre facteurs sont liés à l’intoxication chez les étudiants. En effet, les résultats montrent que, de façon générale, plus il est arrivé fréquemment aux garçons de boire au point d’oublier une partie de leur soirée, plus ils ont tendance à être en accord avec des énoncés suggérant que la femme est responsable face à l’agression et qu’elle est un objet sexuel. En outre, plus les garçons et les filles rapportent avoir souvent oublié une partie de leur soirée en consommant, plus ils adhèrent à la croyance que la femme est à la recherche de promiscuité sexuelle et que divers comportements sont le reflet de ce désir de contacts sexuels. Ainsi, on observe un lien entre la fréquence des épisodes de consommation menant à l’oubli et la présence de mythes entourant le viol.

Ce résultat rappelle l’idée d’une culture spécifique entourant la consommation importante d’alcool (lieux, amis, valeurs), tout en favorisant le développement ou le renforcement de certains mythes entourant le viol (Abbey, 2002 ; Carr et VanDeusen, 2004 ; Kalof et Cargil, 1991 ; Norris et coll., 1996 ; Robinson et coll., 2004 ; Sanday, 1990 ; Tourigny et Dufour, 2000). Il se peut que les individus qui s’enivrent plus souvent évoluent davantage dans une culture véhiculant des attitudes sexuelles stéréotypées et une plus grande permissivité en termes de comportements sexuels. Une petite portion d’individus de notre échantillon, des garçons pour la plupart, correspondrait à cette réalité ; ils adhèrent davantage aux mythes entourant le viol et se retrouvent plus souvent que leurs pairs dans des situations de consommation abusive où des comportements sexuels à risque sont susceptibles de se produire.

Limites de l’étude

Bien que la présente étude apporte un éclairage nouveau sur la relation entre la consommation possible de substances chez les jeunes et leurs perceptions de la sexualité et des agressions, certaines limites restreignent la portée des résultats. Premièrement, rappelons que l’échantillon n’a pas été sélectionné au hasard, de sorte qu’il n’est pas représentatif de l’ensemble de la population collégiale malgré le fait que ces jeunes proviennent de dix cégeps différents. Même si les concepts mesurés sont pertinents, il convient aussi de rappeler que ce sont les perceptions des étudiants que nous avons mesurées, ce qui ne permet pas, à l’heure actuelle, d’établir des liens formels ou de causalité entre la consommation des jeunes et leurs expériences sexuelles non consentantes.

Conclusions et recommandations

Quelques constats et pistes de réflexion émergent au terme de la présente étude. Il appert d’abord que, même si plusieurs étudiants reconnaissent que l’alcool est une substance qui peut faciliter une agression sexuelle, le GHB se démarque comme étant la substance la plus souvent citée lorsqu’ils doivent en choisir une seule, c’est la substance qui leur semble la plus fréquemment utilisée. Ce choix du GHB comme la drogue la plus associée aux agressions sexuelles n’est pas sans rappeler les messages véhiculés à ce propos. En effet, la représentation médiatisée de la thématique des drogues du viol simplifie à outrance le message à passer en le limitant au scénario de l’inconnu qui glisse une substance illicite dans le verre de la victime à son insu, provoquant ainsi l’oubli du viol qu’il commettra. Dans un tel cas, il est assez facile de ne pas s’identifier comme agresseur ou victime potentielle et ainsi d’être plus susceptible d’adopter des comportements à risque en situation de consommation. En revanche, il est plutôt déstabilisant de reconnaître que l’alcool est la substance la plus impliquée dans les agressions sexuelles et qu’à la fois l’agresseur et la victime en ont consommé. Ainsi, il apparaît important de sensibiliser les étudiants aux risques associés à leur propre consommation et de veiller à ce que la conception populaire des drogues du viol ne perpétue pas le mythe que l’agression soit généralement perpétrée par un inconnu. Les programmes de prévention des agressions sexuelles devraient intégrer un contenu spécifique et adapté en ce qui a trait à la consommation chez les jeunes. En ce sens, rappelons que, dans la présente étude, les étudiants qui ont moins tendance à reconnaître le rôle facilitateur de certaines substances dans les agressions (ex. : bière, GHB et alcool) adhèrent davantage aux mythes entourant le viol que les autres. Sachant que chez les jeunes, plus de 50 % des agressions sexuelles sont commises en contexte de consommation (Abbey et coll., 2002), on peut interpréter ce résultat comme le reflet d’une méconnaissance ou d’une conception stéréotypée de l’agression sexuelle.

Les résultats concernant la consommation et les mythes permettent de penser qu’une minorité d’individus, surtout des garçons, pourraient appartenir à une sous-culture qui véhicule des stéréotypes favorisant des relations sexuelles abusives et une consommation excessive. Il apparaît ainsi important de réitérer la pertinence d’intervenir auprès des jeunes, ceux-ci étant plus susceptibles de se retrouver dans un environnement favorable aux excès de toutes sortes.

Il serait également pertinent de documenter davantage la perception qu’ont les jeunes des agressions sexuelles, particulièrement lorsqu’elles surviennent en contexte de consommation. En effet, plusieurs victimes ne se reconnaissent pas comme telles, et ce, surtout dans les cas où l’agression a été perpétrée par quelqu’un de connu, dans un contexte minimalement familier et où les deux parties ont consommé. Il suffit de penser à la notion de consentement, qui est au coeur de la définition de l’agression sexuelle, mais qui ne reflète pas nécessairement la réalité qui entoure la relation sexuelle (ex. : la façon d’exprimer son consentement). Un autre aspect qui mérite d’être plus approfondi est celui des différences associées au genre dans la compréhension des agressions en lien avec la consommation. En effet, les garçons de la présente étude sont plus nombreux que les filles à mentionner l’alcool comme substance facilitatrice de l’agression. Il faudrait maintenant explorer les liens entre les substances consommées, le sexe des répondants et la perception des agressions sexuelles, selon que la consommation de substance est impliquée ou non.

Finalement, les études consultées sur la consommation et les mythes entourant le viol portent majoritairement sur une clientèle hétérosexuelle. On serait tenté de croire que l’état de situation est similaire dans un échantillon de jeunes homosexuels. Mais on ne peut en être certain. L’appartenance ethnoculturelle fait l’objet d’une même réserve, d’autant plus que les mythes pourraient différer selon la culture, et ce, malgré le fait que l’agression sexuelle elle-même soit universellement du domaine de l’interdit.