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Introduction

« Je suis un soûlon, mais je ne suis pas juste un soûlon. J’ai des trucs à régler. Néanmoins, j’ai des projets. Il y a des choses que je veux faire. Je ne suis pas juste un soûlon. »

Codie[1], 35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011

L’article qui suit aborde le thème de cette édition de multiples façons[2]. D’abord, les personnes dont il est question, soit les buveurs[3] eeyous (Cris) de Chisasibi (Québec), sont souvent considérées par les autres membres de leur communauté, ainsi que par le personnel médical et scolaire allochtone, comme étant à la limite de leur propre communauté ou même extérieures à celle-ci. Bien qu’on puisse avoir l’impression que leur lien avec le noyau de la communauté est ténu en raison de leurs relations et de leurs identités héritées, la manière dont elles sont traitées révèle une ambivalence au sujet de leur véritable statut. Ensuite, plusieurs considérations portent sur l’incertitude qui règne quant à l’omniprésence des règles comportementales locales et les identités culturelles auxquelles elles sont rattachées. Plutôt que d’adopter une approche interventionniste ou une approche propre au domaine de la santé publique, cet article se penche sur certains aspects de la vie des buveurs et ex-buveurs eeyous dans une perspective anthropologique, plus spécifiquement ethnographique. Le but de l’article est de démontrer le degré auquel ces personnes font preuve d’agentivité (agency), ce qui comprend ici la capacité d’agir sur les circonstances de sa vie, ainsi que la reconnaissance de cette capacité[4]. Nous espérons que notre point de vue offrira de nouveaux éclairages aux professionnels de la santé travaillant auprès de cette population[5].

L’étude anthropologique de la consommation d’alcool, prolifique dans les années 1970 et 1980, a eu tendance à mettre en évidence le large éventail des perceptions culturelles qui existent dans le monde à propos de la consommation d’alcool et l’ivresse (Mandelbaum, 1965 ; Douglas, 1987, Heath, 1987, 1998). Toutefois, les recherches anthropologiques effectuées au sein des populations autochtones se sont plutôt penchées sur la consommation d’alcool perçue comme excessive et culturellement dérangeante (Levy et Kunitz, 1974). Piron (1994) a souligné que le discours prédominant en anthropologie concernant les buveurs autochtones place leur comportement dans un ensemble de problèmes sociaux qui découlent des perturbations causées par l’interférence euro-nord-américaine dans les systèmes culturels et sociaux des premiers peuples. Dans ce scénario, les buveurs sont pris dans une série inéluctable d’événements allant des centaines d’années d’exploitation coloniale aux communautés perturbées. Au sein de ces communautés, l’ivrognerie est à la fois un résultat de cette perturbation et une cause, ou un facteur aggravant, de troubles additionnels prenant la forme de violence et de suicide.

Comme l’affirmait Piron, ce modèle explicatif en soi simplifie à outrance la question complexe de la consommation d’alcool en la réduisant à un maillon inexorable d’une chaîne causale, faisant ainsi fi de l’agentivité individuelle. En outre, Thatcher (2004) et Waldrum, Herring et Young (1995) ont rappelé à leurs lecteurs qu’en attribuant les problèmes d’alcool simplement et strictement à l’histoire de la colonisation, nous soustrayons l’agentivité humaine de l’équation et nous faisons des peuples autochtones des victimes impuissantes de l’histoire. Par conséquent, malgré l’omniprésence de l’alcool en tant qu’élément de perturbation sociale dans une grande partie des ouvrages d’anthropologie portant sur les sociétés autochtones du Canada, les allochtones en savent très peu sur les vies et points de vue des buveurs autochtones. À part quelques exceptions, comme Brody (1970), Spicer (1997) et Spradley (1988), les perspectives et expériences des buveurs autochtones sont rarement abordées en anthropologie.

Les répercussions de la colonisation, du néocolonialisme et des tentatives d’assimilation sur les sociétés autochtones ainsi que tous les problèmes sociaux qui en découlent ne peuvent d’aucune manière être niés ou minimisés. Bien sûr, ce modèle explicatif à l’échelle macro a aidé des personnes non autochtones à comprendre le contexte historique et sociopolitique de la consommation d’alcool chez les premiers peuples. Toutefois, certaines questions restent sans réponse. Comment les buveurs eux-mêmes expliquent-ils leur relation à l’alcool ? Comment situent-ils leur comportement dans le contexte historique, politique et social plus large ? Comment se rapportent-ils à leur communauté et à leur héritage culturel ? Quelles sont leurs aspirations en matière de vie de famille, d’éducation et de travail ? Ignorer ces questions en tant qu’anthropologues équivaut à présupposer ou, à tout le moins, à amener nos lecteurs à présupposer que les buveurs n’ont pas d’opinion sur le sujet : aucune réflexion par rapport à leur propre consommation ; aucune connaissance de ce qui peut les avoir poussés à boire ; aucune préoccupation concernant la continuité culturelle et le patrimoine ; aucun espoir d’avenir ; et par conséquent, aucune agentivité.

Afin de mieux comprendre les conceptions du monde et les identités des buveurs autochtones, nous avons effectué un travail ethnographique de terrain à Chisasibi (Québec) en utilisant une approche phénoménologique, consistant en de l’observation participative et des entrevues réalisées auprès des buveurs eeyous. Pour saisir le contexte social où se forment ces conceptions et ces identités, nous avons pris en considération le milieu local : des statistiques sur la consommation d’alcool, la perception que les non-buveurs ont des personnes qui boivent et les liens avec l’histoire de la colonisation. Les concepts de monde vécu et d’agentivité servent à démontrer comment les buveurs eeyous créent du sens dans leur vie et comment ce sens est pour eux un outil d’auto-identification dans un paysage social où règne l’ambivalence à propos du boire et de l’ivrognerie. Parmi les thèmes majeurs qui sont ressortis des entretiens avec les buveurs et ex-buveurs, notons : la connaissance des causes de leur consommation d’alcool à l’échelle macro et micro ; l’importance de l’agentivité individuelle ; le lien entre cette agentivité et leurs identités et aspirations[6].

Site d’enquête et méthodes

Le travail ethnographique de terrain fut réalisé à Chisasibi, au Québec, d’août 2010 à août 2011 dans le cadre de recherches doctorales, en affiliation avec le département d’anthropologie de l’Université de Montréal[7]. Chisasibi, terme qui signifie « grande rivière », est une communauté eeyoue (crie) située dans la région de l’Eeyou Istchee ou les « terres du peuple », le territoire ancestral des Eeyous (Institut culturel cri Aanischaaukamikw, s.d.) dans le Nord-du-Québec[8]. À l’époque de cette recherche de terrain, la population de Chisasibi se chiffrait approximativement à 4 484 personnes (Statistique Canada, 2012). La grande majorité des résidents sont Eeyous, avec une petite minorité inuite et un nombre important de personnes allochtones[9].

Le travail de terrain consistait principalement à la réalisation d’entrevues et à de l’observation participante[10]. Les entrevues non structurées, se déroulant sur le mode de la conversation, ont permis d’en savoir plus sur la manière dont les participants voient le monde. Plutôt qu’une série de questions-réponses, ces entretiens ont pris la forme de discussions portant sur des thèmes convenus, comme les expériences de vie d’un individu à différents âges, les relations familiales et communautaires, et les aspirations pour l’avenir. Au total, 114 rencontres de la sorte ont eu lieu avec des membres de la communauté de Chisasibi[11].

L’observation participante se faisait notamment en prenant part à des événements formels et informels organisés dans la communauté, comme en travaillant à l’école secondaire, en faisant les magasins, en assistant aux spectacles amateurs, aux parties de hockey et à de multiples activités culturelles et ateliers offerts dans la communauté. Ce type d’observation a constitué une source importante d’information. Les participants partageaient leurs réactions spontanées aux événements et aux enjeux d’actualité durant ces activités.

L’approche phénoménologique

La pratique méthodologique mise en oeuvre lors de cette recherche consistait à apprendre auprès des buveurs et ex-buveurs autochtones, dont la voix n’est pas entendue en général, que ce soit dans le cadre de leur vie quotidienne au sein de la communauté, dans la société plus large ou encore dans le contexte universitaire. De nombreux anthropologues, comme Cole (1992), Cruikshank (1990), Preston (1986) et Rosaldo (1993) ont plaidé pour une approche méthodologique favorisant l’inclusion, dans le discours anthropologique, des voix des personnes marginalisées dans leur propre communauté. Les points de vue et expériences partagés par ces participants nous éclairent sur les interactions entre l’individu, la société et la culture. De plus, il est essentiel de prendre en compte la manière dont les gens qui ont moins de pouvoir politique dans une société interprètent leur propre vie, ces interprétations n’étant pas plus biaisées que celles des membres plus puissants de la société (Rosaldo, 1993).

L’approche phénoménologique a été adoptée, en concordance avec l’objectif de mettre de l’avant les voix des buveurs autochtones. La recherche phénoménologique s’intéresse aux façons dont les participants vivent leurs expériences de vie et comment ils s’en servent comme points de référence pour créer du sens. Cette approche accorde une place centrale à la réalité quotidienne des personnes avec qui travaillent les ethnographes (Jackson, 1996) et tient compte des « façons dynamiques qu’ont les individus de passer d’une attitude à une autre lorsqu’ils sont engagés à satisfaire leurs besoins sociaux et physiques. » (Desjarlais et Throop, 2011, p. 88) Cela sous-entend qu’on reconnaît que l’expérience vécue est incertaine et ambiguë, et que les individus sont continuellement en train de reconfigurer leur propre compréhension de cette expérience.

L’anthropologie phénoménologique ne nie pas les états objectifs, comme les structures sociopolitiques, ou l’existence de sens cachés. Plutôt, ces états sont compris dans le concept de monde ou de réalité vécu : « Le domaine de l’existence sociale immédiate et quotidienne ainsi que les activités pratiques, avec leur routine, leurs crises, leur caractère vernaculaire et idiomatique, leurs particularités biographiques, leurs événements décisifs et leurs stratégies indécises. » (Jackson, 1996, p. 7). Comme le décrivent Desjarlais et Throop (2011), le monde vécu englobe toutes les composantes pratiques de la vie de tous les jours, incluant celles qui sont « conditionnées historiquement » (p. 91). En tant que telle, l’approche phénoménologique ne considère pas de manière déterministe les processus historiques et sociopolitiques qui constituent les mondes vécus par les individus. Toutefois, ils sont considérés comme des entités et réalités avec lesquelles les individus et les groupes doivent traiter lorsqu’ils créent du sens.

De plus, l’approche phénoménologique place toutes les formes de connaissance sur un pied d’égalité (Jackson, 1996) et cherche à « restaurer la crédibilité des perspectives autochtones qui ont déjà été sous-estimées par le savoir et le pouvoir professionnels. » (Katz et Csordas, 2003, p. 275-276) Que les expériences soient de nature religieuse (Knibbe et Versteeg, 2008) ou qu’elles soient liées à d’autres états qui, traditionnellement, n’ont pas été pris au sérieux par les chercheurs en anthropologie, comme la dépendance (Garcia, 2014), la détresse nerveuse (Rabelo et Souza, 2003), le combat personnel (Desjarlais, 1996), le sentiment de fierté ou de honte (Abu-Lughod, 1986) ou encore le rêve (Goulet, 1994), le sens que les participants attribuent à ces expériences et états est pris au sérieux au même titre que toute autre forme de connaissance. En mettant l’accent sur l’expérience et la création de sens, et en admettant des états qui, normalement, ne sont pas pris au sérieux par la recherche scientifique, l’approche phénoménologique convient parfaitement au projet d’inclure les voix des buveurs autochtones dans le discours savant.

Chisasibi : le boire et la perturbation sociale

De nombreux chercheurs décrivent en termes quantitatifs la consommation élevée d’alcool dans les communautés autochtones du Nord-du-Québec, parmi d’autres phénomènes tels que les drogues, la violence et le suicide. Anctil et Chevalier (2008), Barss (1998), Simard et le Groupe d’études inuit et circumpolaire (1996), Kirmayer, et al. (2000), Mercier, Rivard, Guyon et Landry (2002), Muckle, Boucher et Laflamme(2008), et Petawabano et le Comité de la santé mentale du Québec (1994) ont examiné les niveaux et les habitudes de consommation d’alcool dans les communautés en Eeyou Istchee et d’autres communautés autochtones du nord au cours des deux décennies précédant cette recherche.

Leurs statistiques, dont plusieurs sont basées sur des données récoltées peu de temps avant que la recherche abordée dans le présent article ne soit menée, montrent une plus forte incidence d’ivresse, en particulier de beuverie, parmi les jeunes et les mâles. Par exemple, Anctil et Chevalier (2008) ont établi que 21,2 % des répondants eeyous dans les catégories d’âge 12-17 et 18-29 ans ont pris cinq consommations ou plus au moins une fois par semaine au cours de l’année précédant l’étude. Par ailleurs, la recherche d’Anctil et Chevalier (2008) indique que seulement 10,6 % des femmes avaient consommé à ce rythme-là, contre 17,2 % des hommes. Ces chiffres s’apparentent aux statistiques d’autres communautés autochtones au Canada. Selon une enquête sur la santé effectuée entre 2008 et 2010 par le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations (2012), « … près des deux tiers [des adultes] qui consomment de l’alcool le font de manière excessive (c.-à-d., cinq consommations ou plus en une occasion au moins une fois par mois au cours des douze mois précédents). Les hommes des Premières Nations sont plus susceptibles que les femmes de consommer de façon excessive » (p. 105).

Ces chiffres concordent avec les expériences partagées par de nombreux résidents de Chisasibi : la consommation d’alcool est omniprésente dans la communauté et beaucoup de gens s’opposent à cette tendance à la beuverie, particulièrement chez les jeunes mâles. De plus, presque toutes les anecdotes racontées par les participants sur la prise d’alcool en public ou les observations faites dans le contexte de la recherche mettaient principalement en cause de jeunes hommes[12].

Les résidents de Chisasibi de même que les chercheurs se sont aussi montrés préoccupés par des phénomènes sociaux liés à la consommation d’alcool, comme la violence et le suicide, décrits par Niezen (2009) et Tanner (1999) comme des « pathologies sociales ». En faisant référence aux Eeyous, Barss (1998) a indiqué que la prise d’alcool avait été constatée dans la plupart des cas de suicide ou de tentative de suicide à Chisasibi de 1982 à 1991. Dans un bulletin d’information de Chisasibi, on pouvait lire « Parmi tous les suicides et tentatives de suicide qui sont survenus à Chisasibi, presque toutes les personnes étaient sous l’effet de l’alcool ou de drogues » (Rapport de police de Chisasibi, 2012, p. 4). En se basant sur une étude des recherches effectuées auprès des peuples autochtones d’Amérique du Nord entre les années 1970 et le début des années 2000, Kirmayer et al. (2007) ont aussi affirmé que : « Dans la plupart des études sur les premiers peuples, l’intoxication alcoolique est considérée comme un facteur important contribuant au suicide. » (p. 38)

Certains chercheurs s’intéressant à la consommation d’alcool dans les communautés autochtones d’Amérique du Nord ont remis en question le lien de causalité entre l’alcool et ces autres phénomènes. Westermeyer (1979), par exemple, fit remarquer que durant le siècle précédant sa recherche, les taux de suicide et d’homicide chez les Dinés et les Apaches sont restés inchangés, tandis que la consommation d’alcool a augmenté. Selon Petawabano et le Comité de la santé mentale du Québec (1994), il est possible que la consommation d’alcool varie en corrélation avec d’autres comportements qui découleraient des mêmes facteurs plutôt que d’être liés par un lien de causalité.

Que ce soit une cause ou un corrélat d’autres « pathologies sociales », l’alcool est considéré comme un élément important au sein d’un ensemble de comportements socialement destructeurs. L’inquiétude des dirigeants de Chisasibi est mise en évidence dans la réglementation locale qui interdit la vente ou la possession d’alcool (The Nation, 2008 ; German, 2008). Malgré le but avoué des règlements de viser les trafiquants (German, 2008), les conséquences très réelles sont la criminalisation de la consommation d’alcool, et, par conséquent, du comportement de tous ceux dans la communauté qui étaient considérés comme des « soûlons ». Toutefois, la perception que les gens ont des « soûlons », de la prise d’alcool et de l’ivresse est teintée par bien plus que la légalité de la consommation d’alcool.

La perception des buveurs, de la consommation d’alcool et de l’ivresse

Souvent, lors des discussions avec les gens de Chisasibi, buveurs ou non, ils exprimaient leur désapprobation et leur colère à propos du comportement des personnes qui boivent excessivement et en public[13]. Plusieurs utilisent les termes de « soûlons » ou « zombies » : ces termes font référence aux individus qui déambulent dans la communauté en état d’intoxication. Ils se tiennent généralement en groupe, mais il arrive à l’occasion d’apercevoir un individu errant seul[14]. Les termes « soûlons » et « zombies » sont généralement attribués aux personnes qui boivent en public et boivent au point d’être ivres. Aussi subjectif que soit ce dernier terme, les résidents de Chisasibi le définissent habituellement comme un état dans lequel un individu devient non fonctionnel et incohérent. Un autre aspect qui est communément souligné à propos de cet état est que les gens ivres ne sont plus eux-mêmes ; ils ont perdu leur personnalité.

Cette « perte de soi » n’exempte pas les buveurs de leurs responsabilités. Aux yeux de plusieurs à Chisasibi, les individus en question ont fait le choix de boire au départ. À cet égard, alors, le fait de boire en public ou de boire en quantité dite excessive est largement perçu comme un comportement transgressif, même si les gestes que les gens posent lorsqu’ils sont dans cet état ne sont pas toujours considérés comme émanant de leur propre volonté.

Lorsque les individus ne sont pas eux-mêmes, leurs comportements peuvent être imprévisibles, et souvent défier les normes de comportement culturellement acceptables[15]. Conséquemment, les sobriquets « soûlons » et « zombies » cachent souvent la peur que l’ivresse mène à des agressions verbales et autres dangers. Ainsi, lorsqu’on rencontre des personnes ivres en public, la chose la plus prudente à faire selon plusieurs est de les ignorer et de s’en éloigner.

Néanmoins, cette réaction est presque toujours chargée d’ambivalence et de nervosité. Les individus qui se saoulent régulièrement sont perçus comme des personnes qui souffrent, et qui ont besoin d’aide et de compassion. Mais il est difficile de leur offrir de l’aide et de la compassion, parce qu’ils sont imprévisibles et effrayants lorsqu’ils sont en état d’ébriété. Ainsi, beaucoup de gens ont exprimé des sentiments mitigés : ils ont des idées au sujet de comment il faudrait répondre aux personnes ivres, mais se sentent souvent incapables d’agir en conséquence en raison de la peur.

Les racines coloniales des problèmes d’alcool

La compassion et la tristesse exprimées à l’égard des « soûlons » viennent du fait que les gens de Chisasibi comprennent pourquoi tant de personnes ont ce qu’ils considèrent être des problèmes d’alcool. Les propos de ces personnes font écho au travail de chercheurs qui ont retracé les effets à long terme du contact avec les explorateurs, commerçants et colons européens sur la consommation d’alcool dans leur communauté[16]. Deux aspects en particulier de l’expérience coloniale reviennent plus souvent dans les discussions au sujet de Chisasibi.

L’un d’eux est le régime d’écoles résidentielles canadien, qui a fonctionné de la fin des années 1800 jusqu’à la fin des années 1900. Il a été mis en place par le gouvernement fédéral en partenariat avec les églises chrétiennes. Le but de ces écoles était d’assimiler les populations autochtones du Canada au style de vie eurocanadien. Enlever les enfants de leur famille et communauté en leur interdisant de pratiquer leur culture était un moyen pour les autorités fédérales et les chefs religieux d’interrompre la transmission intergénérationnelle des cultures autochtones (Commission de vérité et réconciliation, 2015).

Il existe une documentation abondante sur les répercussions de ces écoles à court et à long terme sur les vies des survivants et leurs descendants[17]. Traumatisés et honteux de leurs expériences dans ces institutions, incapables de communiquer avec leur famille ou de s’y reconnaître après une absence prolongée, bien des survivants se sont tournés vers l’alcool et d’autres substances pour engourdir leur souffrance. Ces comportements ainsi que d’autres, combinés avec une enfance dépourvue d’amour parental et criblée de sévices, ont contribué à un manque de compétences parentales et, dans bien des cas, à la perpétuation de la violence. Le traumatisme lui-même a été transmis d’une génération à l’autre, ayant même des répercussions sur la jeunesse d’aujourd’hui, qui n’a pas fréquenté les pensionnats.

L’autre thème majeur qui revient dans les conversations sur le taux élevé de consommation d’alcool à Chisasibi est la relocalisation de la communauté de Fort George à son site actuel. Au début des années 1970, Hydro-Québec s’est lancée dans des projets hydroélectriques élaborés dans la région, sans consulter la population d’Eeyou Istchee. Les Eeyous entamèrent des procédures judiciaires afin de protéger leur territoire. À l’issue de cette lutte, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) fut signée. Ce traité moderne protège un certain nombre des droits ancestraux des Eeyous tout en décrivant les droits et responsabilités du gouvernement provincial en matière d’exploitation du territoire (Richardson, 1976 ; Salisbury, 1986).

Les projets hydroélectriques étaient autorisés à se faire en respectant les paramètres établis par la CBJNQ. La construction du complexe de La Grande 1 (LG1), situé à peu près à 30 km au sud de l’embouchure de la rivière, changea le débit de la rivière et on s’inquiéta à propos de l’érosion accrue sur l’île Fort George. Tandis qu’à l’origine, Hydro-Québec s’était engagée à financer l’amélioration des infrastructures de l’île, il devint nécessaire (ou moins cher, dépendant à qui on parle) de relocaliser la communauté (Cree Nation of Chisabi, 2006b ; Salisbury, 1986 ; Richardson, 1976). De la sorte, les gens de Fort George, de même qu’environ 200 maisons, furent relocalisés à l’emplacement actuel de Chisasibi autour des années 1978-1981 (2006b).

Selon Niezen (2009) et les participants à la présente recherche, la relocalisation de l’île Fort George mena à une augmentation de la consommation d’alcool et d’autres substances, du nombre de suicide ainsi qu’à un accroissement de la violence. On donne généralement deux raisons pour cela. La première est pratique : l’alcool était plus facile à obtenir après la relocalisation. Avec le nouveau village, une route reliant Chisasibi à la route de la Baie James fut construite et la bourgade de Radisson fut créée par Hydro-Québec. Pour avoir de l’alcool, il suffisait désormais de se rendre à Radisson, à 45 minutes de voiture (Grand Coucil of the Crees, s.d.).

L’autre raison qui est souvent évoquée par les participants et chercheurs pour expliquer l’augmentation de la consommation est le bouleversement social et culturel causé par la relocalisation. Tanner (1999) affirme que les changements rapides comme ceux qu’entraîne la relocalisation d’une communauté causent un sentiment d’impuissance au sein de la population. Henriksen (2009) et Shkilnyk (1985) fournissent tous les deux des descriptions ethnographiques des bouleversements sociaux et du sentiment de désespoir qui envahissent les communautés autochtones à la suite des relocalisations forcées. Niezen (2009) décrit le deuil que vécut la communauté de Chisasibi après la perte d’une si grande partie de son assise territoriale et de plusieurs modes de subsistance traditionnels. En effet, les participants à la présente recherche se rappelaient l’époque de Fort George comme étant plus paisible et axée vers la communauté, comparativement au chaos perçu de la vie à Chisasibi aujourd’hui.

Les Eeyous de Chisasibi sont bien conscients et même préoccupés par les causes historiques de ce qu’ils considèrent comme une crise dans leur communauté. S’inscrivant dans une plus longue histoire coloniale qui commença il y a des siècles avec les premiers explorateurs et commerçants, les perturbations culturelles relativement récentes décrites ci-haut ont causé bien des remous et ont mené à une intoxication généralisée qui, à son tour, ajouta à la tourmente sociale.

Points de vue des buveurs de Chisasibi : monde vécu et agentivité

Comme le remarque Piron (1994), la façon que l’anthropologie aborde les racines coloniales de la consommation d’alcool chez les peuples autochtones ne tient pas compte de l’agentivité des personnes qui boivent. Toutefois, les points de vue des résidents locaux, décrits ci-haut, montrent clairement que les Eeyous considèrent les individus buveurs comme responsables de leur choix de boire, tout en reconnaissant le rôle que joue l’histoire coloniale dans la consommation élevée d’alcool à Chisasibi. Ainsi, il est possible de tenir compte de l’agentivité tout en reconnaissant les processus sociohistoriques plus larges.

En effet, les points de vue que les buveurs et ex-buveurs de Chisasibi ont partagés révèlent l’étendue de leur engagement auprès des forces et phénomènes interpersonnels, sociaux et historiques qui font partie de leur monde ou réalités vécues. Les mondes vécus par les buveurs de Chisasibi incluent une compréhension et des interactions à multiples facettes entre les réalités de leur communauté, les points de vue des autres membres de la communauté et les histoires personnelles des buveurs eux-mêmes.

D’autre part, le niveau d’engagement qui est mis en évidence dans leurs histoires et perspectives personnelles démontre qu’ils sont conscients de leur propre agentivité en ce qui a trait aux choix qu’ils font et aux processus dans lesquels ils s’impliquent. Ces choix ne concernent pas seulement leur consommation d’alcool, mais aussi la construction de leurs propres identités, leurs relations et leurs occupations. En soi, le fait d’avoir conscience de leur agentivité influence leurs identités d’une manière plus profonde que le simple fait d’être des « soûlons » et agit sur leurs aspirations au-delà du désir de cesser de boire.

« Alors, c’est pour ça que nous sommes... eh bien, comme nous sommes... » : la connaissance qu’ont les buveurs des raisons pour lesquelles ils boivent

Plusieurs anthropologues ont parlé d’agentivité et d’autres idées connexes, comme la volonté, en mettant l’accent à la fois sur le rôle de la conscience de soi et des processus internes, et sur l’engagement avec les états extérieurs et autres agents. Garro (2010), par exemple, a affirmé que la conscience de soi et la connaissance de ce qui est important pour soi sont essentielles à la concrétisation de la volonté, décrite comme un aspect de l’agentivité. Elle ajoute que la volonté, donc l’agentivité et la conscience de soi qui y est associée, se développe à travers le récit de sa propre histoire ou la construction de celle-ci en tenant compte d’une myriade de sources de connaissances. Pareillement, Mattingly (2010) a examiné la manière dont l’action ne prend son sens qu’en référence aux histoires plus larges, la sienne et celles des autres, ainsi qu’à toutes les circonstances qui ont marqué ces histoires.

L’argument avancé veut que les buveurs soient des agents dans la mesure où ils pensent et s’engagent activement en connaissant les causes historiques des bouleversements communautaires et familiaux qui ont affecté leur vie et la vie de leur famille. De même, ils sont des agents pour autant qu’ils réfléchissent sérieusement aux états psychiques induits par ces expériences. Bref, ils connaissent les répercussions des traumatismes multigénérationnels en eux et chez les autres, ainsi que les forces sociales, politiques et historiques qui ont contribué à ce traumatisme.

États émotionnels : souffrance, colère et honte

Les discussions avec les buveurs et ex-buveurs de Chisasibi ont révélé qu’ils ont une connaissance approfondie des divers facteurs expliquant leur consommation d’alcool et celle de leurs pairs. Les raisons principales mentionnées par les buveurs pour expliquer pourquoi ils ont commencé et continué à boire sont des émotions négatives intenses. Bien des personnes ont décrit la souffrance émotionnelle et la colère intenses et accablantes comme point de départ de leur consommation. Codie, par exemple, un informateur clé se rappelle qu’il « était toujours très en colère » pendant sa jeunesse, et que cette colère s’est accrue lorsqu’il a commencé à boire excessivement (35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011).

La honte a été mentionnée par plusieurs des participants relativement à leur consommation continuelle. Une grande partie de cette honte dérivait de la perception qu’ils avaient de leur propre comportement par rapport à l’alcool – perception qui reflétait généralement celle d’autres membres de la communauté. Dale, par exemple, expliquait : « Quand je suis sobre, je me sens gêné de ce que je fais quand je suis saoul […] Alors, je bois plus pour me sentir mieux. » (24 ans, Chisasibi, 27 mai 2011) L’incapacité perçue d’arrêter de boire est souvent revenue aussi comme une source de honte, en plus d’autres sources : la honte d’être autochtone, la honte de l’incapacité perçue de ne pas bien parler l’anglais et le défaut de réussir ses études ou de remplir ses obligations familiales.

La souffrance, la colère et la honte que les gens ressentent lorsqu’ils sont sobres font place à des sentiments plus positifs lorsqu’ils boivent. Gavin souligne que « Les gens boivent parce qu’ils ont honte. Ils se sentent coupables de quelque chose, ils ont honte d’eux-mêmes […] Ils boivent pour se sentir mieux pendant un moment, puis le cycle recommence. » (36 ans, Chisasibi, 28 avril 2011) Toutefois, bien des participants ont aussi reconnu que le fait de boire intensifie les émotions. Codie, Tabitha et Tad, parmi d’autres, ont tous admis que leurs émotions s’intensifiaient avec la prise d’alcool. Très souvent, cela était dû aux actes qu’ils commettaient lorsqu’ils étaient intoxiqués, comme agresser des membres de leur famille.

Famille, amis, communauté et société : les mondes vécus par les buveurs aux niveaux micro et macro

La souffrance, la colère et la honte étaient généralement décrites en lien avec des problèmes personnels, psychologiques et émotionnels de leur vie quotidienne, qui constitue le monde vécu de ces individus. Il apparaît clairement dans les histoires des buveurs et ex-buveurs qu’ils comprennent comment ces problèmes se situent à l’intersection de facteurs macro (historiques et politiques) et micro (famille et communauté) ayant une incidence sur leur vie.

Au niveau micro, les problèmes de famille et la pression exercée par les pairs étaient le plus souvent mentionnés comme causes initiales de la consommation d’alcool. De nombreux participants ont parlé de la violence familiale et du manque d’affection dans leur enfance comme ayant contribué à leur souffrance émotionnelle et leur colère, décrites ci-dessus. L’alcool et l’ivrognerie étaient présents dans presque tous les cas décrits, particulièrement là où il y avait violence physique ou psychologique. Selon Dean, la présence de l’alcool et l’ivrognerie à la maison « créent une impression de normalité. Tu es habitué à ça. » (44 ans, Chisasibi, 3 avril 2011) Les propos de Codie corroborent ceux de Dean : « Je pensais tout simplement que c’était quelque chose qui arrivait dans toutes les familles. » (35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011)

Ce sentiment de normalité par rapport à la consommation d’alcool a fait en sorte que c’était plus facile de céder à la pression des pairs. Adam, par exemple, décrit comment il a commencé à boire vers 12 ou 13 ans, tandis qu’il voulait impressionner une fille de son âge : « Elle buvait, alors, je voulais être cool comme elle et boire aussi. » (22 ans, Chisasibi, 22 mai 2011)

Les histoires que les buveurs et ex-buveurs ont partagées montrent qu’ils sont conscients que leur milieu familial d’origine a créé un terrain psychique fertile pour l’influence des pairs sur leur consommation d’alcool. Leurs histoires reflètent également leur compréhension du contexte sociohistorique plus large, ou macro, qui a contribué à leurs mondes vécus, notamment les aspects de l’interférence coloniale décrits ci-haut. Bon nombre de participants ont fait remarquer que l’héritage laissé par les écoles résidentielles a joué un rôle important dans leur patrimoine familial ; survivre aux pensionnats a causé un tel stress psychologique à leurs parents ou grands-parents que ceux-ci furent incapables d’élever leurs enfants avec amour. Tabitha fit un commentaire sur les répercussions indirectes de ces institutions : « Plus tard, j’ai compris pourquoi ma mère avait été aussi violente. Elle a vécu tellement de choses dans ces écoles. Elle ne savait pas comment aimer. » (44 ans, Chisasibi, 12 avril 2011)[18]

Les buveurs ont conscience d’autres phénomènes, découlant d’une histoire de perturbations coloniales, qui sont propices à de hauts taux de consommation d’alcool. Caleb, par exemple, a fait des liens entre boire et les comportements connexes, et les relations coloniales :

Ils sont venus et nous ont imposé tout leur système. Ils nous ont déplacés, ils nous ont placés dans leurs propres écoles et entreprises. Nous voulons avancer… nous devons nous adapter et faire les choses à leur manière. Nous sommes obligés d’utiliser l’argent maintenant – nous n’avions pas besoin d’argent avant. Mais maintenant, oui. Et si nous voulons fonctionner avec de l’argent, nous devons faire affaire avec la banque de l’homme blanc. C’est décourageant, parce que ce n’est pas notre manière de faire. Pareil pour l’école. Le travail. La politique. Tout. Alors, c’est pour ça que nous sommes... eh bien, comme nous sommes. »

35 ans, Chisasibi, 10 avril 2011

« En fin de compte, il faut que tu comprennes par toi-même » : l’agentivité des buveurs

Il est clair que les participants qui étaient buveurs ou ex-buveurs savaient quels aspects de leurs mondes vécus avaient influencé leur comportement et ils connaissaient les impacts de ce comportement. Les points de vue de ces individus démontrent aussi qu’ils étaient engagés activement dans le discours de la communauté élargie sur l’alcool et sa consommation. La position de la communauté concernant les racines coloniales du problème d’alcool et les impacts sociaux de cette consommation se reflète dans leurs histoires. En tant que telles, la conscience de soi et la référence à l’histoire élargie de soi et des autres, comme celle des parents ou grands-parents — toutes deux des composantes de l’agentivité selon Garro (2010) et Mattingly (2010) — sont présentes.

Si ces individus ont conscience qu’il y a des facteurs de niveau micro et macro qui ont contribué à leurs expériences de vie, ou à leur monde vécu, ils savent aussi qu’ultimement, ils font le choix de boire à chaque fois qu’ils le font. À ce sujet, ils s’accordent avec les membres de la communauté qui tiennent les buveurs responsables de leur choix de boire, en dépit des croyances voulant que les buveurs ne soient pas eux-mêmes lorsqu’ils sont en état d’ébriété.

Throop (2010) décrit en termes phénoménologiques la reconnaissance du contrôle de l’individu sur ses propres actions par « s’appartenir » — reconnaître son propre rôle dans l’action. Par ailleurs, le processus décisionnel qu’ils ont décrit révèle une évaluation forte qui, comme le définit Taylor (1985), est un contributeur nécessaire de l’agentivité morale. Une telle évaluation requiert une profonde conscience du savoir à la disposition d’un individu, et elle entraîne un dilemme moral dans lequel la personne est consciente des impacts de ses actions et de la perception sociale de celles-ci. L’individu qui décide d’adopter un certain comportement, comme celui de boire, qui est susceptible d’être perçu par lui-même ou par les autres comme bon ou mauvais, prend en considération l’image qu’il a de lui-même. Il tient compte de la manière dont son identité sera validée ou invalidée par chaque action. Tout ceci nécessite la conscience décrite ci-haut.

Plusieurs des interviewés mentionnés précédemment ont expliqué qu’ils ont consciemment choisi de boire ou de continuer de boire pour répondre aux attentes des autres, ou pour éviter ou retarder la confrontation à des émotions difficiles. Dans d’autres cas, ils reconnaissent qu’ils ont continué de boire malgré le tort qu’ils causaient à d’autres ce faisant. Dans ces exemples et dans d’autres, les individus en question exerçaient clairement un certain degré d’agentivité en évaluant les options qu’ils avaient à ce moment-là. Ils ne croyaient pas nécessairement faire le bon choix, même au moment de choisir. Mais ils avaient tout à fait conscience qu’ils faisaient un choix et qu’ils avaient le pouvoir d’en faire un autre.

La question de l’agentivité et du choix était parfois verbalisée directement par les participants. Le sujet revenait souvent dans les conversations portant sur le fait d’arrêter ou de réduire la prise d’alcool, ainsi que sur les problèmes sociaux, politiques et juridiques.

Sur la question juridique, justement, les participants ont dit à maintes reprises que le fait de boire dans un contexte où cela constituait à la fois une transgression sociale et une transgression de la loi était une manière d’exercer leur liberté de choix. Ils ont plusieurs fois déclaré faire le choix de boire comme un affront direct à un règlement qui, selon eux, brime les droits individuels : « Pourquoi devrions-nous être traités différemment, juste parce que nous sommes autochtones ? Fuck ça ! Les Blancs peuvent aller au magasin dans leur propre ville et acheter de la bière s’ils le veulent. Nous méritons le même droit. » (Tad, 35 ans, Chisasibi, 23 janvier 2011) Plusieurs individus ont aussi raconté que leur choix de boire était déterminé, au moins en partie, par leur désir de se rebeller contre l’autorité ou d’aller à contre-courant.

En ce qui a trait au choix de réduire ou d’arrêter la consommation d’alcool, les buveurs et ex-buveurs ont souvent expliqué leur raisonnement d’une manière qui montrait clairement qu’ils procédaient à une évaluation forte. Pour Tabitha et Dean, la prise de conscience des impacts de leur consommation d’alcool sur leur famille les poussa à arrêter de boire complètement. De leur point de vue, il était nécessaire de complètement s’abstenir de boire de l’alcool. Le fait d’arrêter était un moyen d’assurer leur développement personnel, leur permettant d’être de meilleurs conjoints et parents.

Certains individus qui buvaient au moment de ce travail de terrain, modérément ou excessivement, sentaient que l’abstinence totale n’était pas le seul choix possible pour se développer comme personne et améliorer ses relations familiales. Plutôt, plusieurs buveurs ont choisi de réduire la fréquence de leur consommation ou la quantité qu’ils buvaient « Je bois encore et je me saoule parfois. Je sors déambuler avec tous les autres soûlons. Mais je vis dans deux mondes. Parce que j’ai travaillé sur mes problèmes personnels. Et je peux travailler sur mes problèmes, m’améliorer et quand même sortir et m’amuser de temps en temps. » (Gavin, 36 ans, Chisasibi, 28 avril 2011)

Selon Gavin et d’autres qui choisissent de réduire leur consommation plutôt que d’arrêter totalement, le problème n’est pas le fait de boire en soi et l’abstinence complète ne règle pas nécessairement les problèmes qui ont mené à la consommation d’alcool. « Ils peuvent arrêter de boire, mais ça ne veut pas nécessairement dire que leurs problèmes vont s’en aller. Ils apprennent tout simplement ce qu’il faut faire et dire. » (Gavin, 36 ans, Chisasibi, 28 avril 2011) Dean, qui a complètement cessé de boire, est partiellement d’accord avec cette idée : « Bien, tu peux arrêter de boire, mais ce n’est pas assez pour régler tous tes problèmes. Il faut que tu travailles sur les trucs plus profonds aussi. […] En fin de compte, il faut que tu comprennes par toi-même. » (44 ans, Chisasibi, 3 avril 2011)

D’autres participants ont exprimé une plus grande ambivalence quant à leurs choix. Codie, par exemple, a alterné entre les périodes de beuverie, d’abstinence et de modération. Il a reconnu avoir choisi ces différentes voies en espérant trouver celle qui lui conviendrait. « Parfois, je me dis que je devrais cesser complètement. J’arrête pendant un bout de temps et je me sens bien. Mais ça ne dure pas, tsé. Alors, je pense que je devrais simplement diminuer. » (35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011) Winnifred a exprimé des sentiments mitigés à propos de son habitude de boire exactement deux verres de vin rouge par soir : « [Mes enfants] l’acceptent et me disent « C’est correct, maman », mais je m’inquiète à ce sujet-là quand même. Je ne supporte pas l’idée de leur faire du mal. Parce qu’avant, je buvais beaucoup. » (29 ans, Chisasibi, 5 juin 2011) Malgré cette ambivalence exprimée, les réponses de ces individus démontrent la tendance à analyser et évaluer les divers choix qui se présentent devant eux.

Entre l’option de s’abstenir complètement et celle de réduire la fréquence de la consommation ou la quantité bue, il y a des choix contextuels que les participants s’identifiant comme non-buveurs ou ex-buveurs ont décrits. Du point de vue de certains individus, boire n’est un problème que dans le contexte de la communauté – boire dans une ville « blanche » n’engendre pas les mêmes problèmes. Ceci reflète une vision du monde dans laquelle l’individu et la communauté sont inextricablement liés. Ainsi, l’agentivité de la personne inclut la capacité de différencier les impacts de ses choix selon le contexte précis.

Pareillement, certaines personnes qui s’abstiennent de boire excessivement ou publiquement prendront plaisir à consommer de l’alcool modérément chez eux, en compagnie de leurs famille et amis. L’explication qui a été donnée dans ces cas-là est que contrairement à bien d’autres membres de la communauté, ceux-là sont capables de boire avec modération. Par conséquent, leur choix de boire en secret est plus légitime, car ils ne créeront pas de problèmes dans la communauté ou ne se bagarreront pas[19].

De ce qui précède, il apparaît clairement que le choix, comme composante de l’agentivité, est un thème important du point de vue des buveurs ou des ex-buveurs. Évidemment, le processus d’évaluation et de choix n’est pas toujours direct et il est parfois contradictoire, comme on peut le constater dans les propos des individus qui ont des pensées conflictuelles à propos de leurs propres choix. Mais l’approche phénoménologique en anthropologie, qui s’intéresse à l’expérience de vie et aux changements de perspectives qui l’accompagnent, considère l’ambiguïté inhérente aux dilemmes de la vie comme une source importante de connaissance (Desjarlais et Throop, 2011). Elle reconnaît que la compréhension qu’a l’individu de son propre rôle et de son agentivité change au fil de son histoire (Throop, 2010).

En outre, il existe plusieurs formes de connaissance dans la vision du monde d’un même individu qui peuvent soit se complémenter et s’activer mutuellement ou se contredire. Comme l’a reconnu Jackson (1996), « Les connaissances par lesquelles une personne vit ne sont pas nécessairement identiques aux connaissances par lesquelles elle explique la vie. » Comme l’a reconnu Jackson (1996, p. 2), les connaissances servant à expliquer la vie réfèrent à différentes visions du monde qui, souvent, se rivalisent tandis que les connaissances servant à vivre se forment avec l’expérience de vie au fil des interactions humaines ; ces deux formes de connaissance interagissent et s’alimentent mutuellement. Cela ne contredit pas ni ne minimise le degré d’agentivité des individus en question. En effet, cela démontre la complexité des processus à l’oeuvre dans l’agentivité personnelle.

« Pas juste un soûlon » : l’agentivité, l’identité et les aspirations

En contraste avec la honte fréquemment exprimée par les buveurs et ex-buveurs, décrite dans une section précédente, la fierté aussi a été fréquemment exprimée. Cette fierté portait à la fois sur leur capacité de remplir leurs rôles professionnels et sociaux dans leur communauté, et leur appartenance à la communauté eeyoue locale. Sur ces deux aspects, ils ont fait référence à « qui je suis » et « ce que je peux faire », comme il est décrit dans cette section.

Le concept d’agentivité utilisé dans ce travail renvoie à la création de sens par l’individu engagé s’aidant des informations disponibles, des autres personnes et des institutions. Selon Taylor (1985), il y a une relation entre l’identité de l’individu, telle qu’elle s’est créée, du moins en partie, à travers son engagement, et les choix qu’il fait à l’issue d’une évaluation forte. Ses choix sont instruits par la perception qu’il a de lui-même, et ils influencent à leur tour cette perception de lui et de son identité propre : « Par conséquent, notre identité est définie par certaines évaluations qui sont indissociables de nous en tant qu’agents » (Taylor, 1985, p. 34). D’autre part, Wisnewski (2008) désigne le dialogue social comme un élément crucial de la perception de soi en tant qu’agent. En effet, il a souligné l’importance du « soi dialogique » qui est engagé avec les autres et avec les institutions sociales dans un processus continu de développement de soi et de ces institutions. Les connaissances reçues, les croyances et les normes ont un impact sur la perception qu’a l’individu de la vie et de ses expériences ; chaque personne s’engage consciemment auprès de celles-ci pour créer du sens.

Mattingly (2010), dans sa description de la volonté en tant que processus de réorientation du soi allant au-delà de chaque moment de choix, affirme que la volonté, donc l’agentivité, met en jeu le conflit interne qui accompagne le processus de définition du soi à long terme. Le changement effectué intentionnellement dans le but de devenir un nouveau genre de personne nécessite la création de sens qui, selon Garro (2010, p 47), requiert d’adopter « des cadres narratifs culturellement disponibles pour organiser temporellement, bien que provisoirement, un enchaînement plausible d’événements. » En d’autres mots, les individus utilisent toutes leurs connaissances disponibles et leurs expériences de vie pour comprendre leur propre histoire de vie, et donner un sens à leurs identités et actions.

Les expériences de vie et visions du monde des buveurs et ex-buveurs de Chisasibi, telles que décrites et expliquées en entrevue, mettent en évidence le fait que leurs identités et aspirations sont établies et créées en grande partie par ce processus. Leur implication dans leur monde vécu – en particulier, les connaissances et concepts présents dans leur communauté, et leur reconnaissance des multiples facteurs qui ont influencé le cours de leurs expériences vécues chaque jour – contribue aux idées qu’ils nourrissent à propos de qui ils sont, qui ils peuvent être, et ce qu’ils peuvent accomplir. Cela se révèle dans leurs positions à l’égard des décisions sur la consommation d’alcool à court et à long terme, décrites ci-haut. Cela est également explicite dans leurs commentaires sur leurs propres identités et aspirations.

Identités et aspirations culturelles et spirituelles

L’éventail de points de vue des membres de la communauté au sujet des divers aspects de l’identité et de la participation culturelles et spirituelles se reflète dans l’éventail de points de vue exprimés par les buveurs et ex-buveurs. Cela indique un certain degré de participation au savoir et à la vision communautaires. Tandis que la communauté élargie se bat pour préserver un certain patrimoine eeyou dans un contexte de mondialisation et d’influence coloniale, de nombreux buveurs disent que leur héritage eeyou a contribué à la formation de leurs propres identités et espoirs d’avenir.

Plusieurs buveurs et ex-buveurs ont exprimé des sentiments positifs à propos de l’identité eeyoue. Ces sentiments étaient le plus souvent exprimés en lien avec l’appartenance culturelle, la connaissance et l’utilisation du langage, et les aspirations à l’égard de certains comportements ou activités reliés à l’héritage eeyou : « Je suis fier d’être cri. Et je suis content de connaître ma propre langue. » (Dale, 24»ans, Chisasibi, 29 avril 2011) Pareillement, Tad, Caleb, Gavin, Tabitha et bien d’autres parlent fièrement de la culture eeyoue et de ce qu’ils perçoivent comme étant une tendance autochtone à la résilience dans l’adaptation aux changements provoqués par l’interférence coloniale.

De nombreux interviewés, qu’ils soient saouls ou sobres, ont montré de l’intérêt pour les activités en forêt communément associées au mode de vie traditionnel des Eeyous, comme pêcher, chasser ou simplement passer du temps au camp forestier de la famille[20]. À maintes reprises, ils ont raconté des histoires à propos du temps passé dans la forêt, incluant l’apprentissage des techniques de survie dans la brousse ou les incidents comiques qui leur sont arrivés pendant ces activités. Cet intérêt pour les activités en forêt a souvent été abordé dans le contexte d’une prise de décision sur la consommation d’alcool. Dale, par exemple, aspire à participer aux activités forestières et ce faisant, à reconnecter avec sa famille : « Cela me donne une raison de dessaouler, au moins pour un temps. » (24 ans, Chisasibi, 29 avril 2011)

Bon nombre de buveurs et d’ex-buveurs ont aussi parlé de leur fierté en rapport avec la religion et la spiritualité, et de l’importance de celles-ci dans l’expression de leurs identités, leur appartenance à la communauté et leurs aspirations. Comme c’est le cas pour le thème plus général de l’identité culturelle, leur participation aux idées locales est mise en évidence dans les propos des buveurs. Il existe trois tendances spirituelles dans la communauté : la spiritualité de la vie en forêt, qui concerne la relation entre les humains et le territoire ; le christianisme et ses diverses branches, comme l’anglicanisme, le pentecôtisme et le catholicisme ; et les rituels et cérémonies qualifiés souvent de « panautochtones »[21]. Les buveurs et ex-buveurs réfèrent à toutes ces formes de spiritualité lorsqu’ils parlent de leurs identités et aspirations.

Ces aspirations peuvent viser le sentiment de bien-être ou le fait de devenir une meilleure personne en général. Par exemple, Dale a décrit le sentiment de bien-être qu’il a associé à la chasse : « Ça me fait du bien d’être là-bas, de faire corps avec tout. » (24 ans, Chisasibi, 29avril 2011) De même, Adam a confié que le fait d’être nouvellement converti (born again) l’a aidé à améliorer son image de soi : « Dieu m’a aidé à comprendre ma vie. » (22 ans, Chisasibi, 22 mai 2011). Codie a parlé des sentiments d’appartenance et de puissance intérieure (empowerment) qu’il a ressentis lorsqu’il a participé à une cérémonie de sudation pour la première fois : « Je me suis senti vraiment bien pour la première fois depuis longtemps. Comme si ma vie avait un sens. » (35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011)

Lorsqu’il était question de leurs objectifs de réduction ou d’élimination de la consommation d’alcool, les buveurs et ex-buveurs ont souvent parlé de s’identifier et d’aspirer à une plus grande participation aux formes de spiritualité qui existent dans leur communauté. En racontant sa participation aux huttes de sudation et à la danse du Soleil annuelle, Agatha a souligné que « ces cérémonies me donnent de la force. Elles me rapprochent de Dieu. Et cela m’aide à continuer sur cette voie [de l’abstinence]. » (46 ans, Montréal, 29 mars 2015)

Les personnes qui participent aux activités eeyoues en forêt, et à la spiritualité qui est souvent considérée comme inhérente à ces activités, disent que cela leur procure un sentiment de paix et de sérénité ; de plus, en combinaison avec la nécessité de se concentrer sur la survie dans la forêt, cela les aide à éliminer le désir ou le besoin de boire. La notion que la vie traditionnelle en forêt est une voie vers la sobriété et vers une vie saine est très répandue à Chisasibi et dans d’autres communautés autochtones du nord (Niezen, 2009 ; Adelson, 2000). Qui plus est, Kirmayer et al. (2000) ont inféré des résultats des enquêtes sur la santé dans la région de la baie James que les excursions dans la forêt ont des effets bénéfiques sur les membres des communautés eeyoues actuelles. Ils ont soutenu que, en plus de l’accès réduit à l’alcool et du plus grand accès à la nourriture sauvage, l’environnement forestier fournit un contact avec la nature, un sens de la spiritualité et de la solidarité familiale. En effet, de nombreuses initiatives visant à aider les jeunes à surmonter des problèmes de boisson et autres comportements toxicomaniaques comportent des enseignements en forêt. Par exemple, un projet réalisé par le comité Chisasibi Miyupimaatisiiun et le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James consiste à amener des groupes de jeunes dans la forêt en compagnie d’aînés qui leur offrent des enseignements traditionnels de survie en forêt (Chisasibi Wellness, 2014)[22].

Il ressort de ce qui précède que l’utilisation des connaissances et valeurs acquises dans la communauté de même que l’agentivité engagée au moment d’évaluer les impacts et résultats possibles de certaines décisions sont liées à la manière que les buveurs eeyous, passés et présents, créent du sens dans leur vie. Cette création de sens permet aux individus d’établir un sentiment d’identité par rapport à leur héritage en tant qu’Eeyous et par rapport à une des spiritualités présentes dans leur communauté. Leurs aspirations à des activités culturellement acceptables sont déterminées par leur participation aux valeurs de la communauté et contribuent au processus continu de création de sens qui découle d’un tel engagement.

Identités et aspirations familiales et sociales

Les buveurs et ex-buveurs réfléchissent aussi aux idées locales de rôles familiaux et sociaux pour créer leurs propres identités et définir leurs propres aspirations. À l’instar de la population générale de Chisasibi, les buveurs et ex-buveurs parlent souvent de leurs relations familiales dès le début de la conversation. Les divers rôles familiaux d’une personne – comme être la fille ou le fils, la soeur ou le frère, l’épouse ou l’époux, la mère ou le père, la grand-mère ou le grand-père, la tante ou l’oncle, la cousine ou le cousin – ont une grande influence sur la manière dont elle exprime ses identités et aspirations.

Comme il a été décrit précédemment, la famille d’une personne et la manière dont elle est traitée par ses parents ou les autres adultes étaient les facteurs les plus fréquemment mentionnés lorsqu’il était question des diverses influences sur la trajectoire de vie d’une personne. Pareillement, lorsque les participants se décrivaient – leurs identités et leurs espoirs pour le futur – leur situation familiale et leurs rôles au sein de leur famille étaient au coeur de la discussion. Codie a déclaré à maintes reprises que ses aspirations en matière de réduction d’alcool et d’amélioration de lui-même en général étaient basées sur le désir de devenir un meilleur père : « Je ne veux pas que ma fille grandisse comme moi. » (35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011) Tabitha a également mentionné explicitement l’importance de son rôle de mère lorsqu’elle parlait de son identité et de sa trajectoire de vie en général : « J’ai des enfants qui comptent sur moi. Dans tout ce que je fais, je dois penser à leur bien-être. » (44 ans, Chisasibi, 12 avril 2011)

Ces témoignages font écho à la grande valeur accordée à l’interdépendance familiale dans la communauté de Chisasibi et dans la société eeyoue en général. Non seulement le rôle familial d’une personne constitue une partie centrale de son identité, mais le fait de remplir les devoirs associés à son rôle fait partie de ses aspirations à contribuer pleinement à sa famille et par extension à sa communauté. Que les buveurs parlent de leurs aspirations générales ou de leurs aspirations ayant trait à la consommation d’alcool, il apparaît clairement que leur adhésion aux valeurs culturelles qui accordent de l’importance aux relations familiales est essentielle.

Les aspirations professionnelles et les identités qui sont associées à ce type de réalisation sont reliées à l’accomplissement des devoirs familiaux. Les choix de carrière des buveurs et ex-buveurs vont de la menuiserie à l’enseignement, en passant par le travail social et le commerce en ville. L’éducation est typiquement considérée comme la première étape vers l’atteinte de ce but. Par conséquent, en phase avec la communauté qui encourage les jeunes à finir l’école secondaire et à poursuivre des études supérieures, bien des buveurs se donnent ce but pour s’encourager à changer leur comportement face à l’alcool : « Je veux arrêter de boire, puis retourner à l’école pour finir mes études secondaires. L’éducation aux adultes. » (Codie, 35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011)

Comme il a été mentionné ci-haut, le processus d’arrêter ou de diminuer n’est pas toujours linéaire. Pour beaucoup de gens, changer la quantité ou la fréquence de leur consommation d’alcool se fait sur le long terme, avec des périodes d’abstinence et des périodes d’indulgence. Cette tendance se reflète dans le rendement scolaire fluctuant de nombreux buveurs et ex-buveurs. Selon bon nombre de travailleurs dans le système d’éducation, il s’agit d’une tendance nuisible. Cela dit, le travail de Runnels (2007) met en évidence le fait que les premiers peuples n’ont pas une attitude linéaire par rapport à l’éducation. Dans ses entrevues avec de jeunes femmes eeyoues qui fréquentaient le système scolaire par intermittence depuis des années, à Chisasibi, Runnels démontra que le fait d’être en dehors du système scolaire n’était pas toujours perçu comme une barrière à la réussite. En d’autres mots, pour bien des Eeyous, ce n’est pas une nécessité d’avoir un diplôme d’études secondaires à un certain âge ou à une certaine étape de la vie. L’apprentissage continue à se faire même en dehors des classes, pendant les périodes où l’individu ne fréquente pas l’école.

De nombreux buveurs et ex-buveurs qui vivaient ou avaient vécu l’expérience scolaire d’une manière non linéaire ont exprimé des sentiments semblables. Ce qu’ils avaient déjà acquis n’était ni perdu ni détruit à cause de leur absence : « Ce n’est pas grave si je ne l’ai pas fait d’un coup, comme ils disent qu’on est censé faire. Ça a été fait. » (Tad, 34 ans, Chisasibi, 17 février 2011) Pour certains, la lutte pour trouver le chemin du retour, même de multiple fois, fait partie du processus d’apprentissage et de réussite : « J’en ai appris beaucoup sur moi-même de cette façon. Et je n’ai pas fini. » (Codie, 35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011) Cela concorde avec la description que Mattingly (2010) fait de la volonté comme processus de réorientation et la lutte intérieure que vit une personne qui change sa perception d’elle-même.

Dans l’ensemble, la manière que les buveurs, passés et présents, expriment leur désir d’atteindre certains buts et de mieux remplir leurs responsabilités sociales et familiales fait écho aux impératifs locaux que tous les membres de la communauté devraient viser. Se faire du mal à soi-même, c’est faire du mal à sa famille et à sa communauté. Toutefois, s’aider soi-même, c’est aider toutes les personnes que l’on côtoie. Alors, les efforts pour réduire ou éliminer la consommation d’alcool sont souvent liés à des objectifs qui augmenteront les chances d’une personne d’atteindre la réussite scolaire, et ensuite, professionnelle. Cette réussite leur permettra de subvenir aux besoins de leur famille ou de la future famille qu’ils espèrent fonder et ainsi de contribuer au bien-être de la communauté élargie. Cela coïncide avec les propos de Mattingly (2010) qui considère la réorientation du soi comme une affaire communautaire : « Le soi, qui est une construction narrative, n’est pas un accomplissement individuel, mais une construction qui s’édifie dans la communauté. » (p. 36)

De tout cela, il ressort que les buveurs reconnaissent le point de vue de la communauté voulant que la consommation d’alcool soit une barrière à la réussite scolaire, professionnelle, familiale et sociale. Toutefois, plutôt que de concevoir la consommation d’alcool comme un attribut déterminant leurs identités, bien des buveurs voient leurs aspirations comme le fondement de la façon dont ils aimeraient se définir. Boire peut être un obstacle ou une barrière, mais ce n’est pas comment ils se définissent en tant qu’individus ou membres de la communauté : « Je suis un soûlon, mais je ne suis pas juste un soûlon. J’ai des trucs à régler. Néanmoins, j’ai des projets. Il y a des choses que je veux faire. Je ne suis pas juste un soûlon. » (Codie, 35 ans, Chisasibi, 16 avril 2011)

Conclusion

Cette recherche, menée avec une approche phénoménologique, a mis de l’avant les voix des buveurs et ex-buveurs. Le but était de faire la lumière sur leurs identités et aspirations exprimées et de souligner le degré d’agentivité qu’ils exercent dans leur engagement envers les différents éléments de leur monde vécu, comme le contexte sociopolitique dans lequel ils vivent et les diverses idées qui circulent dans leur communauté.

À l’instar des autres communautés autochtones au Canada et à travers le monde, le haut taux de consommation d’alcool et d’ivrognerie à Chisasibi, particulièrement parmi les jeunes hommes, est un des impacts les plus visibles du processus de colonisation, selon les gens eux-mêmes et selon la littérature scientifique sur le sujet. Les résidents de Chisasibi qui ont participé à cette recherche ont démontré une profonde compréhension des causes historiques des problèmes d’alcool, des manières dont les comportements de consommation sont perpétués aujourd’hui et des impacts que ces comportements ont sur le bien-être de leur communauté. Cette compréhension fait écho aux travaux d’anthropologie et autres ouvrages scientifiques portant sur le sujet de la consommation d’alcool chez les premiers peuples. Pour ce qui est des personnes qui ne boivent pas, elles expriment une ambivalence envers les membres de la communauté qui boivent.

De toute évidence, les buveurs autochtones ne sont pas déconnectés de leur communauté ni de leur société. Au contraire, ils sont profondément investis dans le monde qui les entoure. Au fil de leurs expériences quotidiennes, ils interagissent avec les éléments de leur monde vécu et y contribuent. Cela se manifeste dans leur connaissance des raisons et des impacts de leur consommation d’alcool, et leur prise de conscience par rapport à leurs propres processus décisionnels. Cela se révèle également dans leur intérêt pour les forces historiques, sociales et politiques qui ont contribué à leurs propres expériences quotidiennes, et à la grande diversité de valeurs et de perceptions que la communauté a à leur sujet en tant que buveurs.

D’autres membres de la communauté peuvent, par exemple, exprimer de l’ambivalence au sujet des personnes qui boivent, en particulier les personnes qui boivent en public et au point de devenir ivres. Néanmoins, cette ambivalence est un des aspects qui contribuent à la perception que les buveurs ont d’eux-mêmes, de leur consommation d’alcool et de leur statut dans la communauté.

À son tour, cet engagement, ainsi qu’une conscience professée de la complexité de la décision de boire en matière d’acceptabilité morale, démontre à quel point les buveurs exercent leur agentivité en prenant des décisions à propos de leur propre comportement, en lien avec l’alcool ou non. Cela démontre aussi dans quelle mesure ils créent du sens en se basant sur leurs expériences et leur participation aux connaissances et aux valeurs locales. Cette création de sens est liée à leurs aspirations à s’engager et à accomplir des choses dans leur communauté, et à la manière qu’ils conçoivent les identités rattachées à ces aspirations. En effet, la relation entre les choix d’une personne et son identité est dialectique. Un individu ou un agent se livre à des évaluations morales fortes pour faire son choix, basé sur la perception qu’il a de lui-même et sur ce qu’il croit que les autres ont comme perception de lui. Réciproquement, ses choix nourrissent son identité et son image de soi à long terme.

Nous espérons que plus de chercheurs travaillant avec cette population appliquent une approche similaire et que les personnes autochtones et allochtones qui oeuvrent auprès des buveurs de Chisasibi et d’ailleurs acquièrent une nouvelle perspective sur les gens qu’ils souhaitent servir. Pour pleinement reconnaître l’humanité des personnes qui boivent, il est crucial de retirer les lentilles à travers lesquelles on voit les buveurs principalement comme des « soûlons » et des « zombies », comme si c’était là l’aspect prédominant de leurs identités. Bien que cela puisse être le cas du point de vue des buveurs eux-mêmes dans certaines circonstances, leurs objectifs de vie et leur perception d’eux-mêmes montrent que les façons qu’ils ont d’interagir avec le monde et de créer du sens sont beaucoup plus larges que ça.

Mettre l’accent sur les aspirations et les autres identités des personnes qui boivent, plutôt que sur leur comportement face à l’alcool, pourrait être une première chose à faire pour les traiter avec dignité. À cette fin, cela peut être utile de voir les buveurs comme des individus qui participent activement aux valeurs de leur communauté. En ce sens, il est important de souligner que les mondes vécus ou les expériences de vie des buveurs de Chisasibi englobent des aspects de la vie qui ne concernent pas la consommation d’alcool.

Les buveurs qui ont partagé leurs histoires ne sont pas juste des « soûlons ». Ils sont des Autochtones, des Cris ou des Inuits. Ils sont des jeunes, des parents, des soeurs, des frères, des enfants et petits-enfants. Ils sont étudiants ou travaillent dans un endroit précis. Ils suivent les traditions spirituelles ou les mélangent ; ils sont chasseurs, trappeurs et pêcheurs. Ils maintiennent les traditions et adoptent les nouveautés. Mais surtout, ils sont des humains à part entière qui sont capables de faire des choix moraux, d’avoir une pensée rationnelle et des aspirations pour leur avenir, et l’avenir de leur famille et communauté[23].


Introduction

“I’m a drunk but I’m not just a drunk. I need to work a few things out. But I have plans. Things I want to do. I’m not just a drunk”

Codie[1], 35 years old, Chisasibi, April 16, 2011

This paper is relevant to the theme of this issue in multiple ways.[2] Firstly, the people who are of direct concern in this paper, Eeyou (Cree) drinkers in Chisasibi, Quebec, are often considered by their fellow community members and by non-Indigenous medical and educational personnel to be situated on or even beyond the limits of their own community. While they may be perceived as having a tenuous hold in the core community because of their relationships and inherited identities, they are treated in a manner that demonstrates ambivalence about their true status. Secondly, many of these considerations have to do with uncertainty about the pervasiveness of local behavioural norms and the cultural identities to which they are attached.

Rather than use an interventionist approach or one specific to the field of public health, this paper examines some aspects of the lives of Eeyou drinkers and former drinkers from an anthropological approach, more specifically an ethnographic approach. The goal of the article is to demonstrate the extent to which these individuals show the capacity for agency, which includes the ability to act on one’s personal circumstances as well as the awareness of this ability.[3] It is hoped that this perspective will give new insight to medical professionals working with this population.[4]

The anthropological study of drinking, prominent in the 1970s and 1980s, has tended to highlight the wide array of cultural perceptions of drinking and drunkenness that exist in the world (see Mandelbaum, 1965; Douglas, 1987, Heath, 1987 & 1998). However, anthropological studies of drinking among Indigenous populations have tended to focus on drinking perceived as excessive and culturally disruptive (Levy & Kunitz, 1974). Piron (1994) has indicated that the prevailing anthropological discourse on Indigenous drinker locates this behaviour in a web of social problems related to disruptions caused by Euro-North American interference in Indigenous social and cultural systems. In this scenario, drinkers are caught in an inevitable series of events that leads from centuries of colonial exploitation to disrupted communities. Within these disrupted communities, drunkenness is both a result of this disruption and a cause, or exacerbating factor, of further disruption in the form of violence and suicide.

As Piron (1994) argued, this explanatory model on its own oversimplifies the complex issue of drinking by reducing it to an unavoidable link in a causal chain and, therefore, overlooks individual agency. Similarly, Thatcher (2004) and Waldrum, Herring & Young (1995) have reminded their readers that attributing problem drinking solely and unprobematically to the story of colonization removes human agency from the equation and locates Indigenous people as powerless victims of history. Therefore, despite the omnipresence of alcohol as an element of social disruption in much of the anthropological literature on Indigenous societies in Canada, little is known among non-Indigenous populations about the lives and perspectives of Indigenous drinkers. With some exceptions such as Brody (1970), Spicer (1997), and Spradley (1988), the perspectives and experiences of Indigenous drinkers are rarely discussed in anthropology.

The impacts on Indigenous societies of colonization, neocolonialism, attempts at assimilation and all the social ills that accompany them can in no way be denied or minimized. Indeed, this macro-level explanatory model has been useful in helping non-Indigenous people understand the historical and socio-political context of Indigenous drinking. However, some questions remain. How do drinkers themselves explain their relationship to alcohol? How do they situate their behaviour within a larger historical, political, and social context? How do they relate to their community and cultural heritage? What do they aspire to in terms of family life, education, and work? To ignore these questions as anthropologists is tantamount to assuming, or at they very least leading our readers to assume, that drinkers have no thoughts on these issues: no reflective engagement with their own drinking; no awareness of what has led them to drink; no concerns about cultural continuity and heritage; no hopes for the future; and, therefore, no agency.

To gain insight on the worldviews and identities of Indigenous drinkers, ethnographic fieldwork consisting of participant-observation and interviews and employing a phenomenological approach was conducted among Eeyou drinkers in Chisasibi, Quebec. To understand the social context within which these worldviews and identities are formed, the local context was considered: statistics about alcohol consumption, the perception of people who drink on behalf of those who do not, and links with the history of colonization. The concepts of lifeworld and agency are employed to demonstrate how Eeyou drinkers create meaning in their lives and how this meaning comes into play as a tool of self-identification in a social landscape that is permeated with ambivalence toward the act of drinking and toward drunkenness. Major themes that emerge from the interviews conducted with current and former drinkers include an awareness of the micro and macro level causes of their drinking, the importance of individual agency, and how this agency is related to their identities and aspirations.[5]

Field Site and Methods

Ethnographic fieldwork was conducted in Chisasibi, Quebec from August 2010 to August 2011 for doctoral research affiliated with the anthropology department at l’Université de Montréal.[6] Chisasibi, which means the Big River, is an Eeyou (Cree) community situated in Eeyou Istchee, or “the land of the people”, the area of Northern Quebec that is the ancestral homeland of the Eeyou (Cree Cultural Institute, n.d.).[7] At the time of this fieldwork (2010 to 2011), the population of Chisasibi numbered at approximately 4,484 people (Statistics Canada, 2012). The large majority of residents is Eeyou, with a small Inuit minority and a significant number of non-Indigenous people.[8]

Fieldwork consisted primarily of interviews and participant-observation.[9] Unstructured discussion-style interviews were used to learn about the worldviews of participants. These interviews took the shape of discussions on agreed upon themes, such as an individual’s life experiences at different ages, family and community relations, aspirations for the future, rather than a series of questions and answers. A total of 114 such discussions were conducted with members of the community of Chisasibi.[10] Participant-observation in the form of engagement in casual and organized events in the community, such as work at the local high school, shopping, talent shows, hockey games, and a host of cultural activities and workshops held in the community, was an important source of insight. Spontaneous reactions to community events and current issues were shared during these activities.

A Phenomenological Approach

The methodological practice employed in this research focussed on learning from Indigenous drinkers and former drinkers, who would not usually be heard either in the daily realm of life in their community, in the larger society, or in the academic realm. Several anthropologists such as Cole (1992), Cruikshank (1990), Preston (1986), and Rosaldo (1993) have advocated methodologies that would lead to the inclusion, in anthropological discourse, of the voices of people who are marginalized in their own communities. The perspectives and experiences shared by these participants demonstrate interactions between the individual, society, and culture. Further, it is crucial to take account of how people with less political power in a society interpret their own lives, these interpretations being no more biased than those of more powerful members of the society (Rosaldo, 1993).

In line with the goal to highlight the voices of Indigenous drinkers, a phenomenological approach was applied. Phenomenological research is centred on the ways in which participants experience life events and how they use them as reference points to create meaning. This approach centers the daily lived reality of the people with whom ethnographers work (Jackson, 1996) and considers the “dynamic ways that individual actors shift between differing attitudes in the context of their engagement with their social and physical needs” (Desjarlais & Throop, 2011, p. 88). This entails an acknowledgement that lived experience is uncertain and ambiguous and that individuals are continually engaged in a reconfiguration of their own understanding of this experience.

Phenomenological anthropology does not deny objective states, such as socio-political structures, or the existence of hidden meanings. These states are included in the concept of lifeworld, or lived reality: “that domain of everyday immediate social existence and practical activity, with all its habituality, its crises, its vernacular and idiomatic character, its biographical particularities, its decisive events and indecisive strategies” (Jackson, 1996: p. 7). As described by Desjarlais & Throop (2011), the lifeworld includes all manner of practical components of everyday life, including those that are “historically conditioned” (p. 91). As such, the phenomenological approach does not take a deterministic view of the socio-political and historical processes that contribute to people’s lifeworlds. However, they are considered as entities and realities with which individuals and groups must engage as they create meaning.

Further, a phenomenological approach places all forms of knowledge on equal footing (Jackson 1996) and seeks to “restore credibility to native perspectives that have already been undermined by professional knowledge and power” (Katz & Csordas, 2003, pp. 275-276). Whether experiences are religious in nature (Knibbe & Versteeg, 2008), or involve other states of being that have not traditionally been taken seriously by scholars in anthropology such as addiction (Garcia, 2014), nervous distress (Rabelo & Souza, 2003), personal struggle (Desjarlais, 1996), experiencing honour or shame (Abu-Lughod, 1986), and dreaming (Goulet, 1994), the meanings attributed to these experiences and states by the participants are taken as seriously as any other form of knowledge. With its emphasis on experience and meaning creation and its acceptance of states that are not usually taken seriously by scientific inquiry, a phenomenological approach is perfectly suited to the project of including the voices of Indigenous drinkers in scholarly discourse.

Chisasibi, Drinking, and Social Disruption

The high incidence of alcohol use in Indigenous communities of Northern Québec, among other phenomena such as drug use, violence, and suicide, is described in quantitative terms by several researchers. Anctil and Chevalier (2008), Barss (1998), Simard et al. (1996), Kirmayer et al. (2000), Mercier et al. (2002), Muckle et al. (2007), and Petawabano et al. (1994), have discussed the rates and patterns of alcohol consumption in Eeyou Istchee and other Northern Indigenous communities in the two decades preceding the time of this research.

Their statistics, many collected close to the time the research discussed in this paper was conducted, show a higher incidence of drinking, particularly binge drinking, among youth and among males. For example, Anctil and Chevalier (2008) found that 21.2% of Eeyou respondents in the age categories of 12-17 and 18-29 indicated that they had consumed 5 drinks or more at least once per week in the year preceding the study. Furthermore, Anctil and Chevalier’s (2008) study indicated that only 10.6% of women had consumed alcohol at this rate compared with 17.2% of men. These numbers are similar to statistics gathered for other First Nations communities in Canada. According to a health survey conducted between 2008 and 2010 by L’enquête régionale sur la santé des Premières Nations (ERS) 2008/10 (2012), “près des deux tiers [des adultes] qui consomment de l’alcool le font de manière excessive (c.-à-d., 5 consommations ou plus en une occasion au moins une fois par mois au cours des 12 mois précédents). Les hommes des Premières Nations sont plus susceptibles que les femmes de consommer de façon excessive” (p. 105).

These statistics support the experiences expressed many Chisasibi residents: alcohol use is omnipresent in the community and many people take issue with the tendency to binge drink, particularly among young males. Further, almost all the anecdotes of public drinking described by research participants or witnessed in the context of this research involved a majority of young men.[11]

Chisasibi residents and scholars have also shown concern with social phenomena related to drinking, such as violence and suicide, described by both Niezen (2009) and Tanner (1999) as “social pathologies”. Barss (1998), in reference to the Eeyou, has indicated that alcohol use was detected in most incidents of suicide or attempted suicide from 1982-1991. A newsletter in Chisasibi indicated that “Of all the suicides and suicide attempts that have occurred in Chisasibi almost all of the persons were either under the influence of alcohol and/or drugs” (Chisasibi Police Report, 2012, p. 4). Based on a survey of studies conducted among Indigenous peoples in North America between the 1970s and early 2000s, Kirmayer et al. (2007) also affirmed that: “Alcohol intoxication has been noted to be a major factor contributing to suicide in most studies of Aboriginal people” (p. 38).

Some scholars working on Indigenous drinking in North America have questioned the causal relationship between alcohol and these other phenomena. Westermeyer (1979), for instance, pointed out that in the century preceding his work, suicide and homicide rates among the Diné and Apache remained unchanged while rates of alcohol use increased. Petawabano et al. (1994) pointed out the possibility that alcohol use varies with other behaviours in a corollary manner, resulting from the same factors rather than having a causal relationship to each other.

Whether it is a cause or a correlate of other “social pathologies”, alcohol is considered to be an important element within a web of socially disruptive behaviours. The preoccupation with alcohol consumption among the official leadership of Chisasibi is evident in a by-law that bans the sale of alcohol and possession of alcohol (Banning Alcohol in Chisasibi, 2008; German, 2008). Notwithstanding the stated goal of the by-law to target bootleggers (German, 2008), it has the very real impact of criminalizing the consumption of alcohol and, therefore, the behaviour of all the people in the community referred to as “drunks”. However, the perception of “drunks”, drinking, and drunkenness is coloured by much more than the legal status of drinking.

“Drunks” and “zombies”: Perceptions of drinkers, drinking, and drunkenness

Discussions with people in Chisasibi, whether they drink or not, often include expressions of disapproval and anger about the behaviour of heavy and public drinkers.[12] Many people refer to “drunks” or “zombies”: these terms refer to individuals who walk around town in a state of intoxication. They are usually in groups but occasionally an individual can be seen wandering alone.[13]

The terms “drunks” and “zombies” are usually reserved to refer to people who engage in public drinking and drinking to the point of drunkenness. As subjective as the latter may be, it is usually described by people in Chisasibi as a state in which an individual becomes non-functional and incoherent. Another aspect that is commonly expressed about this state is that people are not themselves; they have lost their personality.

This “loss of self” does not absolve drinkers of accountability. In the eyes of many in Chisasibi, the individuals in question made the choice to drink in the first place. In that respect, then, the act of drinking in public or to what is considered excess is largely perceived as a transgressive behaviour, even if the things that people do in this state are not always considered to be of their own will.

With people not being themselves, their behaviour can be unpredictable, often defying culturally accepted norms for behaviour.[14] Accordingly, references to “drunks” and “zombies” often include fears that drunkenness could lead to verbal aggression or other dangers. Therefore, in public encounters with drunken individuals, the safest course of action in the eyes of many is to ignore them and walk away.

However, this reaction is nearly always permeated with ambivalence and nervousness. Individuals who are drunk on a regular basis are seen as people who are suffering and in need of help and compassion. But help and compassion are hard to offer because these individuals are unpredictable and scary while in a drunken state. Therefore, many people expressed mixed feelings: they have ideas on how they should respond to drunken individuals, but often feel unable to act on those feelings because of fear.

The colonial roots of problem drinking

The compassion and sadness expressed toward “drunks” are linked with the understanding that people have of the reasons why so many people engage in what they perceive as problem drinking. The words of people in Chisasibi echo the work of scholars who have traced the long-term effects of contact with European explorers, traders, and settlers on alcohol use on their community.[15] Two aspects in particular of the colonial experience are most frequently discussed in relation to Chisasibi.

One of these is the Canadian residential school system, which operated from the late 1800s until the late 1900s. It was put into place by the federal government in partnership with Christian Churches. The goal of these schools was to assimilate the Indigenous populations of Canada into a Euro-Canadian lifestyle. Taking children away from families and communities and forbidding them to engage in their own cultural practices was a means by which federal authorities and Church leaders sought to interrupt inter-generational transmission of Indigenous cultures (Truth and Reconciliation Commission of Canada, 2015).

There is much documentation on the short and long-term impacts of these schools on the lives of survivors and their descendants.[16] Traumatized and shamed by their experiences in these schools, and unable to communicate with or relate to their families after a prolonged absence, many survivors turned to alcohol and other substances to numb the pain. These and other behaviours, combined with a childhood devoid of parental love and riddled with abuse, contributed to a lack of parenting skills and, in many cases, the perpetuation of abuse. As such, trauma was transmitted throughout generations and has impacts on the youth of today, who did not attend the schools.

The other major topic of discussion with regards to high rates of alcohol use in Chisasibi is the relocation of the community from Fort George to its current site. In the early 1970s, Hydro-Quebec embarked on elaborate hydro-electric projects in the area without consulting the people of Eeyou Istchee. The Eeyou began court proceedings to protect their land. The result of the struggle was the signing of the James Bay and Northern Quebec Agreement (JBNQA), a modern treaty that guaranteed a number of ancestral rights to the Eeyou while outlining the provincial government’s rights and responsibilities regarding exploitation of the land (Richardson, 1976; Salisbury, 1986).

Hydro-electric projects were allowed to proceed within the parameters established by the JBNQA. The construction of the La Grande 1 (LG1) complex roughly 30 km from the mouth of the river changed the flow of the river and there were some concerns about the increased erosion of Fort George Island. While Hydro-Quebec had originally committed to financing the improvement of the island’s infrastructure, it became necessary (or less expensive, depending on with whom one is speaking) to relocate the community (Cree Nation of Chisasibi, 2006b; Salisbury,1986; Richardson, 1976). Thus, the people of Fort George, along with about 200 houses, relocated to the current location of Chisasibi over the course of 1978-81 (Cree Nation of Chisasibi, 2006b).

According to Niezen (2009) and to participants in this research, the relocation from Fort George Island led to an increase in alcohol and substance abuse, suicide, and violence. Two main reasons are commonly indicated for this. The first one is practical: alcohol was more easily obtained after the relocation. Along with the new village, a road connecting Chisasibi to the James Bay Highway and the Hydro-Quebec settlement of Radisson was constructed. Obtaining alcohol had become a matter of driving 45 minutes to Radisson (Grand Council of the Crees, N/D - Social impacts).

The other reason for this increase that is often cited both by research participants and scholars is the level of social and cultural disruption brought about by the relocation. Tanner (1999) has argued that rapid changes such as ones brought about by community relocations lead members of a population to feel powerless. Henriksen (2009) and Shkilnyk (1985) both provide ethnographic descriptions of the social disruptions and sense of despair in Indigenous communities after forced relocations. Niezen (2009) discussed how the community of Chisasibi was in a state of grieving after the loss of much of their land base and of many of their traditional ways of making a living. Indeed, participants in the present research remembered life on Fort George as being more peaceful and community oriented compared to the perceived chaos of life in Chisasibi.

People in Chisasibi are clearly aware of and concerned with historical causes of what they perceive as a crisis in their community. Part of a longer story of colonialism that began centuries ago with the first explorers and traders, the relatively recent cultural disruptions summarized above have caused much upheaval and led to widespread intoxication, which, in turn, adds to the social turmoil.

Drinkers’ perspectives in Chisasibi: Lifeworlds and Agency

As Piron (1994) argued, the ways in which anthropological literature discusses the colonial roots of Indigenous drinking overlooks the agency of people who drink. However, from the description of local views above, it is clear that people in Chisasibi hold individual drinkers accountable for their choice to drink while recognizing the role colonial history has played in the high rates of drinking in their community. It is therefore possible to consider agency while taking into account broader social historical processes.

Indeed, the perspectives shared by drinkers and former drinkers in Chisasibi reveal the extent to which they engage with the various inter-personal, social, and historical forces and phenomena that are a part of their lifeworlds, or lived realities. The lifeworlds of Chisasibi drinkers comprise multifaceted understandings of and interactions between the realities of their community, perspectives of their fellow community members, and the personal histories of drinkers themselves. Furthermore, the level of engagement that is evident in their personal stories and perspectives demonstrates that they are cognizant of their own agency with regards to the choices they make and the processes in which they engage. These choices are not only with respect to their drinking behaviours but in relation to the construction of their self-identities and to their relationships and occupations. As such, awareness of their own agency affects their sense of identity in ways that go beyond being “drunks” and it affects their aspirations in ways that go beyond a desire to quit alcohol.

“That’s why we are … well, the way we are”: Drinkers’ Awareness of Why They Drink

Several anthropologists have discussed agency and related ideas such as will with a focus both on the role of self-awareness and internal processes and on engagement with external states and other agents. Garro (2010), for example, has argued that self-awareness and knowledge of what matters to an individual are crucial to the enactment of will, described as one aspect of agency. Further, she has argued that will, and therefore agency and the self-awareness that is associated with it, develop through narrative, or a construction of one’s own story that takes into account myriad sources of knowledge. Similarly, Mattingly (2010) has discussed the way in which action takes its meaning only in reference to a larger life stories, one’s own and those of others, and all the circumstances that have affected these stories.

It is argued here that drinkers are agents inasmuch as they actively think about and engage with knowledge of the historical causes of community and familial disruptions that have affected their and their families’ lives. At the same time, they are agents insofar as they reflect deeply about the emotional states that result from these experiences. In short, they are aware of the impacts of multi-generational trauma in themselves and others as well as the social, political, and historical forces that have contributed to this trauma.

Emotional States: Pain, Anger, and Shame

Discussions with drinkers and former drinkers in Chisasibi revealed that there is a deep awareness of the various factors involved in their own drinking and that of peers. The primary reasons that drinkers mentioned for why they started and continued to drink are intense negative emotions. Intense and overwhelming emotional pain and anger was described by multiple people as a starting point for their drinking. Codie, a key informant in this research, recalled that he: “just felt so angry all the time” in his youth, and that this anger increased when he began to drink heavily (35 years old, Chisasibi, April 16, 2011).

Shame was discussed by several research participants in relation to their ongoing drinking behaviour. A large part of this shame derived from their perceptions of their own drinking behaviour – perceptions which usually mirrored those of other community members. Dale, for example, explained: “when I’m sober I’m embarrassed about what I do when I’m drunk […] So I drink more to feel OK” (24 years old, Chisasibi, May 27, 2011). The perceived lack of ability to stop drinking was also frequently mentioned as a source of shame in addition to other sources of shame: shame with respect to being Indigenous, shame with respect to a perceived lack of capacity in spoken English, and inadequacy with respect to scholarly success or the capacity to fulfill familial obligations.

Feelings of pain, anger, and shame that people experience when sober are often eclipsed by more positive feelings when they drink. Gavin emphasized that: “People drink because they’re ashamed. They feel guilty about something, they’re ashamed of themselves […] Then they drink to feel better for a while, and then the cycle starts all over again” (36 years old, Chisasibi, April 28, 2011). However, many research participants also acknowledged that drinking intensified the emotions. Codie, Tabitha, and Tad, among others, all agreed that their emotions intensified the more they drank. Very often, this was due to actions in which they engaged while intoxicated, such as the abuse of family members.

Family, Friends, Community, and Society: Micro and Macro Levels of Drinkers’ Lifeworlds

Pain, anger, and shame were typically described in relation to personal, psychological, and emotional issues arising from the daily realities that shape the lifeworlds of the individuals in question. It is clear from the stories drinkers and former drinkers shared that they are aware of how these issues are situated at the intersection of macro-level (historical and political) and micro-level (family and community) factors that affect their lives.

At the micro-level, family issues and peer pressure were most frequently cited as initial causes for drinking. Many participants discussed family violence or a lack of childhood affection as an aspect of their upbringing that contributed to the emotional pain and anger described above. Drinking and drunkenness were present in nearly all the cases described, particularly in the cases where physical or emotional violence was present. According to Dean, the presence of drinking and drunkenness in the home: “creates a sense of normality. It’s what you’re used to” (44 years old, Chisasibi, April 3, 2011). Codie’s words show agreement: “I just thought this was something that happened in all families” (35 years old, Chisasibi, April 16, 2011).

This sense of normality around drinking made it that much easier to respond to peer pressure. Adam, for example, described how he started drinking when he was about 12 or 13 because he wanted to impress a girl around his age: “She drank, so I wanted to be cool like her and drink too” (22 years old, Chisasibi, May 22, 2011).

The stories shared by drinkers and former drinkers reflect an awareness that their initial family environment created an emotional terrain on which the influence of peers to drink could flourish. They also reflect an awareness of the wider historical and social, or macro-level, contexts that contributed to their lifeworlds, such as the aspects of colonial interference described above. Many research participants noted that the residential school legacy had a large role to play in their familial inheritance; surviving residential school placed such emotional strain on their parents or grandparents that they were unable to raise their children in a loving way. Tabitha commented on this indirect impact of residential schools: “Later on, I understood why my mom was so abusive. She went through so much at those schools. She didn’t know how to love” (44 years old, Chisasibi, April 12, 2011).[17]

Drinkers are aware of other phenomena tied to a history of colonial disruption that have been conducive to high levels of drinking. Caleb, for example, made connections between drinking and related behaviours and colonial relations:

“They came and imposed their whole system on us. They moved us, they put in their own schools and businesses. We want to get ahead … we have to adapt and do things their way. We’re forced to use money now – we didn’t need money before. But now we do, and if we want to deal with money, we have to deal with the White man’s bank. It’s discouraging because these aren’t our ways. Same with school. Work. Politics. Everything. So that’s why we are … well, the way we are”

35 years old, Chisasibi, April 10, 2011

“In the end, you have to figure it out for yourself”: Agency Among Drinkers

It is clear that research participants who were drinkers and former drinkers were aware of the aspects of their lifeworlds that influenced their behaviour and of the impacts of this behaviour. The perspectives of these individuals also demonstrate that were actively engaged with the wider community-based discourse on alcohol and drinking. Community perspectives on the colonial roots of problem drinking and on the social impacts of this drinking are reflected in their stories. As such, the self-awareness and reference to larger stories of the self and of others, such as their parents or grandparents, both of which are components of agency according to Garro (2010) and Mattingly (2010), are present.

If these individuals are aware that there are micro and macro level factors that have contributed to their lived experiences, or lifeworlds, they are also well aware that they ultimately make the choice to drink each time they drink. On this point, they are firmly in agreement with community members who hold drinkers accountable for their choice to drink, in spite of ideas about drinkers not being themselves while drunk.

This recognition of one’s own control over one’s action is described in phenomenological terms by Throop (201) as “own-ness” – a recognition of one’s own role in an action. Further, the process of decision-making they described indicates the use of strong evaluation which, as described by Taylor (1985), is a necessary contributor to moral agency and requires a deep awareness of the knowledge that is available to an individual and entails a moral dilemma in which the individual is aware of the impacts of their actions and of the social perception of these actions. An individual choosing to engage in a behaviour such as drinking, that may be perceived by themselves or others as right or wrong, is taking into account their own sense of self and how their self-identity will be validated or invalidated by each action, which requires the awareness described above.

Several of the interviewees cited above explained that they actively chose to drink or to continue drinking in efforts to live up to the expectations of others or to avoid or delay having to deal with difficult emotions. In other cases, they acknowledged that they kept drinking in spite of the harm they were causing others in doing so. In these and other examples, the individuals in question were clearly exercising a level of agency in evaluating the options that were available to them at the time. They did not necessarily believe that they made the right choice, even at the time they were making it. But they were quite aware that they were making a choice and that they had the power to make a different one.

The issue of agency and choice was sometimes directly verbalized by research participants. The topic often came up in conversations about stopping or reducing alcohol consumption, but it also came up when discussing legal, social and political issues. On the latter topic, individuals often expressed that drinking in a context where it is both a legal and social transgression is a means of appropriating the freedom of choice. It was often stated that the choice to drink is made as a direct affront to a by-law that is seen as an assault to individual rights: “Why should we be treated differently just because we’re Native? Fuck that. White people can go into a store in their own town and buy beer if they want. We deserve the same right” (Tad, 35 years old, Chisasibi, January 23, 2011). Several individuals also expressed that their choice to drink was at least partly shaped by a desire to rebel against authority or go against the grain.

With regards to choices about reducing or quitting alcohol consumption, current and former drinkers often explained their reasoning in a way that showed quite clearly that they were engaging in acts of strong evaluation. For Tabitha and Dean, the growing realization of the impacts that their drinking had on their families led them to stop completely. In their view, it was necessary to completely abstain from alcohol. Stopping was a means of achieving personal growth, allowing them to be better spouses and parents.

Some individuals who were drinking, moderately or heavily, at the time of this fieldwork felt that complete abstention was not the only available choice toward personal growth or improved family relations. Rather, several drinkers chose to reduce their frequency or quantity of drinking: “I still drink and get hammered sometimes, go out walking around with all the other drunks. But I live in two worlds. Because I’ve been working on my shit. And I can work on my shit and improve myself and still go out and have fun sometimes” (Gavin, 36 years old, Chisasibi, April 28, 2011).

According to Gavin and others who chose to reduce their consumption rather than stop altogether, drinking is not the problem in and of itself and complete abstinence does not necessarily fix the problems that led one to start drinking. “They can stop drinking but it doesn’t necessarily make the problems go away. They just learn what to do and what to say” (Gavin, 36 years old, Chisasibi, April 28, 2011). Dean, who stopped drinking completely, partly concurred with this idea: “Well, you can stop drinking but that’s not enough to fix all your problems. You gotta work on the deeper stuff too. [ . . .] In the end, you have to figure things out for yourself” (44 years old, Chisasibi, April 3, 2011).

Other individuals expressed more ambivalence regarding their choices. Codie, for example, alternated between periods of binge drinking, abstinence, and moderation. He acknowledged that he chose these different paths, hoping to find the way that would work for him. “Sometimes I think I should stop completely. And I do for a while, and it feels good. But it doesn’t last, eh. So I think I should try to just slow down” (35 years old, Chisasibi, April 16, 2011). Winnifred expressed mixed feelings about her habit of having exactly two glasses of red wine every night: “[My kids] accept it and tell me: ‘It’s ok Mom.’ But I worry about it too. I can’t stand the thought that I hurt them. Because I used to drink a lot” (29 years old, Chisasibi, June 5, 2011). Despite this expressed ambivalence, these individuals’ responses demonstrate a tendency to analyze and evaluate the various choices at their disposal.

Between the options of complete abstention and reduction of frequency or quantity of consumption, there are some contextual choices that were described by some research participants, some of whom identified as non-drinkers or former drinkers. In the view of some individuals, drinking is only problematic in the context of the community – drinking in a “white” town does not lead to the same problems. This reflects a worldview in which the individual and the community are inextricably linked. Personal agency therefore includes the capacity to discern the impacts of one’s choices in a specific context.

Similarly, some individuals who abstained from public or heavy drinking would enjoy moderate quantities of alcohol in their homes with close family and friends. In these cases, the explanation given was that, unlike many community members, they were able to drink in moderation. This made their choice to drink in secret a legitimate one, as they would not be causing problems in the community or getting into fights.[18]

From the above, it is clear that choice, as an aspect of agency, is an important theme in the views of drinkers and former drinkers. To be sure, the process of evaluation and making choices is not always straightforward and is sometimes contradictory, as seen in the words of individuals who have conflicting thoughts about their own choices. But a phenomenological approach in anthropology, with its focus on life experience and the shifting perspectives that this entails, considers the ambiguity inherent to the dilemmas of life to be an important source of knowledge (Desjarlais & Throop, 2011). It is acknowledged that as one’s story unfolds, a person’s understanding of their own role and agency shifts (Throop, 2010).

Further, even within an individual worldview, different forms of knowledge exist which may either complement and enable each other or contradict each other. As Jackson (1996) acknowledged: “The knowledge whereby one lives is not necessarily identical with the knowledge whereby one explains life” (p. 2). If the knowledge used to explain life refers to different and often competing worldviews and the knowledge used to live life is shaped through human interactions with life experience, those two forms of knowledge interact and inform each other. This does not contradict or minimize the level of agency of the individuals in question. Indeed, it demonstrates the intricacy of the processes involved in personal agency.

“Not Just a Drunk”: Agency, Identity, and Aspirations

As a counterpoint to frequent expressions of shame by current and former drinkers, described in a previous section, there were also frequent expressions of pride. This pride was expressed in terms of both their capacity to fulfill social and professional roles in their community and their belonging to the local Eeyou community. In both of these aspects, references were made to who one is and what one can do, as described in this section.

The concept of agency employed in this work concerns the creation of meaning through engagement with available knowledge, other people, and institutions. According to Taylor (1985), there is a relationship between one’s self-identity, as created at least in part through this engagement, and the choices one makes through strong evaluation. One’s choices are informed by one’s self-perception and, in turn, further affect that very perception of self and one’s self-identity: “Our identity is therefore defined by certain evaluations which are inseparable from ourselves as agents” (Taylor, 1985, p. 34). Furthermore, Wisnewski (2008) identified social dialogue as a crucial element of people’s own perception of themselves as agents. Indeed, he emphasized the “dialogical self” that engages with others and with social institutions in an ongoing process of development of the self and of those institutions. Received knowledge, beliefs, and norms have an impact on the individual’s perception of life and experiences; each individual consciously engages with them to create meaning.

Mattingly (2010), in her description of will as a process of reorientation of the self that goes beyond discrete moments of choice, argues that will, and therefore agency, involves the internal struggle that is involved with a person’s process of defining a long-term sense of self. The intentional shift toward being a different kind of person involves meaning creation which, according to Garro (2010), requires engagement with “culturally available narrative frameworks to temporally order, however tentatively, a culturally plausible unfolding of events” (p. 47). In other words, people engage with all available knowledge and life experiences to make sense of their own life stories and to make meaning of their own identities and actions.

The life experiences and worldviews of current and former drinkers in Chisasibi, as described and explained in interviews, make it clear that their identities and aspirations are established and created in large part through this process. Their engagement with their lifeworlds – in particular, the knowledge and ideas present in their communities and their awareness of the multiple factors that have affected the course of their daily lived experiences – contribute to their ideas about who they are, who they can be, and what they can achieve. This is evident in their views about their short- and long-term decisions about drinking behaviour, described above. It is also evident in their comments about their own identities and aspirations.

Cultural and Spiritual Identities and Aspirations

The range of community views about the various aspects of cultural and spiritual identity and participation is reflected in the range of views expressed by current and former drinkers. This indicates a degree of engagement with local knowledge and perspectives. As the wider community struggles to maintain a sense of Eeyou heritage in a context of globalization and colonial influence, many drinkers also point to aspects of Eeyou heritage in the formation of their own identities and hopes for the future.

Several current and former drinkers expressed positive feelings about Eeyou identity. These feelings were most frequently expressed in relation to cultural belonging, language knowledge and use, and aspirations toward certain behaviours or activities related to Eeyou heritage: “I’m proud to be Cree. And I’m glad I know my language,” (Dale, 24 years old, Chisasibi, April 29, 2011). Similarly, Tad, Caleb, Gavin, Tabitha, and many others proudly talked about Eeyou culture and what they perceived as an Indigenous tendency toward resilience in adapting to change brought about by colonial interference.

Many interviewees, whether drunk or sober, showed interest in bush activities commonly associated with a traditional Eeyou way of life such as fishing, hunting, or simply spending time at their families’ bush camps.[19] They frequently recounted stories of time spent in the bush, including learning bush skills or humorous incidents that had happened to them as part of these activities. This interest in bush activities was often discussed in the context of making decisions about drinking. Dale, for example, aspired to participate in bush activities and reconnect with his family in the process: “It gives me a reason to sober up, at least for a while” (24 years old, Chisasibi, April 29, 2011).

Many drinkers and former drinkers also included pride and interest in religion and spirituality in their expressions of self-identity, community belonging, and aspirations. As is the case with the more general topic of cultural identity, engagement with local ideas is evident in the words of drinkers. There are three main spiritual trends in the community: spiritual aspects of bush life, involving relationships between humans and the land; various branches of Christianity, such as Anglicanism, Pentecostalism, and Catholicism; and rituals and ceremonies often referred to as “pan-Native”.[20] Current and former drinkers refer to all of these forms of spirituality in discussions of their identity and aspirations.

These aspirations may deal with feelings of well-being or with becoming a better person in general. For example, Dale described the feelings of well-being he associated with hunting: “It feels great to be out there, to be one with everything,” (24 years old, Chisasibi, April 29, 2011). Similarly, Adam indicated that being “born again” helped him improve his sense of self: “God has helped me figure out my life” (22 years old, Chisasibi, May 22, 2011). Codie explained how his first attendance at a sweat lodge ceremony had given him a sense of personal empowerment and belonging: “I felt so good for the first time in a long time. Like my life had meaning” (35 years old, Chisasibi, April 16, 2011).

Identifying with, and aspiring to, greater participation in one of the available spiritual streams in the community was often discussed by current and former drinkers in direct relation to goals about reducing or eliminating their own drinking behaviour. When talking about her participation in sweat lodges and the annual Sun Dance, Agatha explained that “these ceremonies give me strength. They bring me closer to God. And this helps me continue on this path [of not drinking]” (46 years old, Montreal, March 29, 2015).

Participants in local Eeyou bush activities and the spirituality that is often seen as inherent to these activities explain that the sense of peace and serenity, combined with the focus on survival that is necessary in the bush, help eliminate the desire or need to drink. The idea that traditional bush life is a path toward sobriety and a good life is quite prevalent in Chisasibi and in other northern Indigenous communities (Niezen, 2009; Adelson, 2000). Moreover, Kirmayer et al. (2000) inferred from the results of health surveys in the James Bay area that excursions to the bush by members of contemporary Eeyou communities are beneficial. They argued that, in addition to the lack of access to alcohol and greater access to bush food, the bush environment still provides contact with nature, a sense of spirituality and family solidarity. Indeed, many initiatives to help youth overcome problems related to drinking and other intoxication behaviours involve bush teachings. For example, an initiative in collaboration between the Chisasibi Miyupimaatisiiun Committee and the Nishiyuu Department of the Cree Board of Health and Social Services of James Bay brings groups of youths out to the bush in the company of Elders who offer traditional bush teachings (Chisasibi Wellness, 2014).[21]

It is clear, from the above, that engagement with received community knowledge and values as well as agency with respect to evaluating the impacts and likely outcomes of decisions are tied in with the ways in which Eeyou drinkers, past and present, create meaning in their lives. This meaning creation enables individuals to establish a sense of self-identity in relation to both their heritage as Eeyou individuals as well as one of the various spiritual streams present in their community. Aspirations toward culturally sanctioned activities are shaped by engagement with community values while contributing to the ongoing process of meaning creation that arises through such engagement.

Familial and Social Identities and Aspirations

Current and former drinkers also engage with local ideas about familial and social roles to create their own identities and form their own aspirations. As is the case with the general population of Chisasibi, current and former drinkers often discussed family relationships early on in conversation. As such, one’s various family roles, such as child, sibling, spouse, parent, grandparent, aunt, uncle, or cousin, play a large part in the ways people express their identities and aspirations.

As described above, one’s family environment and treatment by parents and other adults was one of the most frequent factors mentioned when discussing the various influences on a person’s life trajectory. Similarly, when describing themselves – their identities and their hopes for the future – one’s current family situation and one’s role in that family were often at the forefront of the discussion. Codie repeatedly stated that his aspirations concerning the reduction of alcohol consumption and improving himself overall were centred around being a better father: “I don’t want my little girl to grow up like I did” (35 years old, Chisasibi, April 16, 2011). Tabitha explicitly mentioned the importance of her maternal role as well when discussing her identity and her general life trajectory: “I have children counting on me. Everything that I do, I have to think about their well-being” (44 years old, Chisasibi, April 12, 2011).

These testimonies echo the high value that is placed on familial interdependence in the community of Chisasibi and in Eeyou society in general. Not only is one’s family role a central part of one’s identity, but the accomplishment of the duties that are associated with that role are a part of one’s aspirations to be a fully contributing member of their family and, by extension, their community. Whether drinkers are referring to general aspirations or to aspirations specific to their drinking behaviours, it is clear that engagement with cultural values attached to the importance of family relations is significant.

Related to the fulfillment of familial duties are aspirations about professional achievement and the identities that are associated with this specific kind of achievement. Career paths expressed by current and former drinkers ranged from carpentry to teaching to social work to running a business in town. Education was typically seen as the first step toward that goal. Therefore, in line with much of the encouragement in the community for youth to finish high school and pursue higher education, many drinkers use this as a goal to encourage them to change their drinking behaviour: “I want to stop drinking, then go back and finish high school. Adult education” (Codie, 35 years old, Chisasibi, April 16, 2011).

As described above, the process of quitting or reducing one’s consumption is not always a linear one. For many, changing the quantity or frequency of alcohol they consume is a long-term affair, with periods of abstinence and periods of indulgence. This trend is reflected in a fluctuation in school-related achievements for many current and former drinkers. To many workers in the educational system, this is a damaging tendency. However, the work of Runnels (2007) highlights that Indigenous attitudes toward education are not linear. In her interviews with young Eeyou women in Chisasibi, who were in and out of the school system for many years, Runnels demonstrated that time out of the school system is not always perceived as a barrier to success. In other words, completing a high school degree does not, for many Eeyou, need to happen by a certain age or stage in life. Learning continues to happen even outside of the classroom during periods of absence from school.

Many drinkers and former drinkers who were currently experiencing or had experienced schooling in a non-linear fashion expressed similar sentiments. What they had already achieved was not lost or destroyed by a period of absence: “It doesn’t matter that I didn’t do it all at once like they say you’re supposed to do. It got done” (Tad, 34 years old, Chisasibi, February 17, 2011). For some, the struggle involved in finding one’s way back, even multiple times, is part of the learning process and achievement: “I learned a lot about myself that way. And I’m not done.” (Codie, 35 years old, Chisasibi, April 16, 2011). This is consistent with Mattingly’s (2010) description of will as a process of reorientation and the internal struggle involved in changing one’s sense of who they are.

Overall, the ways in which drinkers, past and present, express their desire to accomplish certain goals and become better at fulfilling their social and familial responsibilities echo local imperatives about what all community members should strive for. Harming oneself harms one’s family and community. However, helping oneself help all of those with whom one relates. So, the quest to reduce or eliminate drinking from one’s life is often linked to goals that will enhance a person’s chances for scholastic and, later, professional achievement. And these achievements will help them provide for a family that they either already have or hope to find and participate in the well-being of the wider community. As per Mattingly’s (2010) reference to the reorientation to the self as a community affair, “The self that is narratively constructed is not an individual achievement but a self constructed in community” (p. 36).

Within all of this, there is an acknowledgement and engagement with the community view that drinking is a barrier to success on the scholastic, professional, familial, and social level. Rather than see drinking as a defining feature of their identities, though, many drinkers see their own aspirations as the foundation of how they wish to define themselves. Drinking may be a hindrance or a barrier, but it is not who they consider themselves to be as individuals and as community members: “I’m a drunk but I’m not just a drunk. I need to work a few things out. But I have plans. Things I want to do. I’m not just a drunk” (Codie, 35 years old, Chisasibi, April 16, 2011).

Conclusion

This research, conducted using a phenomenological approach, centred the voices of current and former drinkers. The purpose was to shed light on their expressed identities and aspirations and to highlight the level of agency they exercise in their engagement with various elements of their lifeworld, such as the socio-political context within which they live and the various ideas that circulate in their community.

As in many other Indigenous communities in Canada and around the world, a high rate of drinking and drunkenness in Chisasibi, particularly among young men, is one of the most visible impacts of the process of colonization, according to the people themselves and academic literature on the topic. Chisasibi community members who participated in this research expressed a deep comprehension of the historical causes for drinking, of the ways in which drinking behaviour is perpetuated today, and of the impacts of this behaviour on well-being of their community. This comprehension echoes anthropological and other scholarly works on the topic of Indigenous drinking. For people who do not drink, it results in expressions of ambivalence toward their fellow community members who drink.

Clearly, Indigenous drinkers are not disconnected from their communities and from society. Rather, they are deeply engaged with the world around them. Over the course of daily life experiences, they interact and engage with elements of their lifeworlds. This manifests in their awareness of the reasons for and impacts of their drinking and their awareness of their own decision-making processes. It also manifests in their engagement with knowledge about the historical, social, and political forces that have contributed to their own daily experiences as well as the wide array of community values and community perceptions of them as drinkers. Other community members may, for instance, express ambivalence toward people who drink, especially people who drink publicly and to the point of drunkenness. But this ambivalence is one of the aspects with which drinkers engage in their own perception of themselves, of their drinking, and of their status in the community.

In turn, this engagement and a professed awareness of the complexity of decision-making when it comes to the acceptability of morality of the choice to drink demonstrates the extent to which they exercise agency in decisions about their own behaviours, drinking or otherwise. It also demonstrates the degree to which they create meaning based on their experiences and their engagement with local knowledge and values. This meaning creation is tied in with their aspirations for various levels of community involvement and achievement, and how they conceive of the identities that are related to those aspirations. Indeed, the relationship between an individual’s choices and their identity is dialectical. An individual, or agent, makes deep, often moral evaluations about their choices based on their self-perception and what they believe others’ perceptions of them to be. In turn, their choices feed their identity and long-term sense of self.

It is hoped that more researchers working with this population apply a similar approach and that Indigenous or non-Indigenous people who work with Indigenous drinkers in Chisasibi and elsewhere will gain a new perspective on the people they wish to serve. To fully recognize the humanity of people who drink, it is crucial to discard the lens through which one sees drinkers primarily as “drunks” or “zombies”, as though this were the overarching aspect of their identities. While this may be the case in the views of drinkers themselves in some limited circumstances, their discussions of their life goals and their self-perception shows that the ways in which they interact with the world and create meaning is much wider than this.

A focus on the aspirations and wider identities of people who drink rather than on the drinking behaviour itself could be a step toward lifting people up. To this end, it is useful to see drinkers as individuals who are actively engaged with the values of their community. As such it is important to note that the lifeworlds, or life experiences, of Chisasibi drinkers include engagement with aspects of life not directly concerned with drinking.

The drinkers who shared their stories are “not just drunks”. They are Indigenous, Cree or Inuit. They are youth, parents, siblings, children or grandchildren. They are students or workers in a specific location. They are followers of specific spiritual tradition or blend of traditions, hunters, trappers, and fishers. They are maintainers of traditions and adopters of novelty. Most importantly, they are well-rounded humans who are capable of moral choices and rational thought and who have aspirations for their future and that of their families and community.