Mot de présentation[Record]

  • Joseph J. Lévy,
  • Janine Pierret and
  • Christine Thoër

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  • Joseph J. Lévy
    Université du Québec à Montréal

  • Janine Pierret
    Centre national de la recherche scientifique, France

  • Christine Thoër
    Université du Québec à Montréal

La consommation des médicaments est en progression dans la plupart des pays occidentaux. L’allongement de la durée de vie, le vieillissement de la population, la médicalisation croissante de problématiques sociales, l’intensification et la diversification de l’offre pharmaceutique sont parmi les facteurs qui contribuent à cette tendance lourde. Les études pharmaco-épidémiologiques et surtout de sciences sociales montrent cependant que les usages des médicaments débordent la dimension biomédicale et qu’ils sont entourés de représentations et d’affects complexes. Dès les années 1960-1970, et sous l’influence des cliniciens, la question du respect des prescriptions médicales dans les cas de maladies de longue durée et au traitement quotidien (par exemple, le glaucome, l’hypertension et plus récemment l’infection à VIH) a fait l’objet de travaux en termes d’observance et d’adhésion. Si certains malades tendent à ne pas adhérer à leur traitement, l’abandonnant à brève échéance, pour d’autres, la relation au médicament peut se poursuivre longtemps, donnant dans certains cas naissance à des formes d’assuétude. Ces études soulignent aussi l’ambivalence des individus à l’égard des produits pharmaceutiques, le rapport au médicament étant souvent appréhendé, alternativement, comme remède ou comme poison. Si les médicaments sont au coeur du dispositif biomédical contemporain et constituent les modes de traitements dominants d’un nombre croissant de maladies, ils tendent aussi à se diffuser dans d’autres domaines, outrepassant leur statut thérapeutique pour devenir des substances visant au maintien ou à l’amplification de fonctions physiques ou mentales, et ce, souvent en dehors des normes de prescription reconnues par les instances médicales. Ces pratiques ne sont pas nouvelles puisque l’on retrouve historiquement plusieurs occurrences de détournement des médicaments à des fins non médicales. Toutefois, elles semblent aujourd’hui, sous l’influence des injonctions dominantes de performance et d’esthétique corporelle, s’étendre à de nouvelles couches de la population comme les adolescents et les jeunes adultes. De plus, on observe une diversification des usages et des patterns de consommation des médicaments détournés, sans doute favorisée par la multiplication des classes de médicaments disponibles, prescrits et non prescrits. À titre d’exemple, les études épidémiologiques américaines indiquent une augmentation constante des usages non médicaux des médicaments au cours des dernières années (Lessenger et Feinberg, 2008). Les analgésiques constituent les médicaments les plus fréquemment employés suivis des tranquillisants et des stimulants. Ces tendances générales gagneraient à être précisées en tenant compte des usages plus circonscrits. Ainsi, sur le plan du dopage sportif, les études nationales confirment une progression de cette pratique, comme l’ont souligné plusieurs études américaines, mais aussi en France où en 20 ans, le pourcentage des résultats positifs a été multiplié par cinq (Binsinger et Friser, 2002). L’usage d’autres classes de médicaments comme les psychostimulants est aussi en augmentation dans la population générale américaine (Kroutil et coll., 2006) ainsi que le recours à des substances pour contrôler l’anxiété et l’humeur, en particulier les benzodiazépines, comme c’est le cas en France (Frauger et coll., s.d.). Le contrôle de la douleur ou la quête d’états de conscience modifiés peuvent aussi entraîner l’usage de médicaments opioïdes non prescrits comme la morphine, l’oxycodine et d’autres médicaments, comme l’ont souligné plusieurs études américaines (Cicero et coll., 2005 ; Dowling, Storr et Childcoat, 2006) avec des formes d’abus ou de dépendance observées tant dans les régions rurales qu’urbaines (Hays, 2004). Au Canada, les produits opioïdes remplacent souvent l’héroïne (Fischer et coll., 2006). L’amélioration des fonctions sexuelles fait aussi appel à l’utilisation détournée de médicaments et peut être associée à l’usage d’autres drogues (Lévy et Garnier, 2007 ; Fisher et coll., 2006 ; Smith et Romanelli, 2005). Enfin, la volonté de modifier la masse corporelle peut également entraîner le recours à des médicaments, tout comme l’éclaircissement de …

Appendices