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Le tabagisme demeure le premier facteur de risque pour les trois premières causes de décès au Canada (Makomaski et Kaiserman, 2004). En 2002, les coûts attribuables au tabagisme s’élevaient à 4,360 milliards de dollars canadiens, dont 78,1 milliards de dollars en coûts directs de soins de santé. Par ailleurs, les principaux indicateurs recueillis par les enquêtes épidémiologiques révèlent une évolution favorable du tabagisme au Canada entre 1994-1995 et 2003 (Bernier et Hamel, 2006), notamment une baisse de 6,6 % de la prévalence des fumeurs actuels (de 30,5 % en 1994-1995 à 23,9 % en 2003), une baisse du nombre moyen de cigarettes fumées par jour (de 18,6 à 15,9 cigarettes) et une augmentation du taux d’abandon de la cigarette (de 50,1 % à 53,6 %) chez les jeunes de 15 à 24 ans.

L’usage du tabac s’accompagne souvent d’autres conduites à risque pour la santé, tel l’usage d’alcool (Hoffman et coll., 2001 ; National Institute of Alcohol Abuse and Alcoholism, 1998 ; Weitzman et Chen, 2005) et d’autres substances psychoactives illicites (Aung et coll., 2004). L’usage concomitant de la cigarette, de l’alcool et du cannabis a des effets défavorables sur la persistance de la consommation et le rétablissement des individus. À cela s’ajoute le risque additionnel pour la survenue de certaines maladies contribuant significativement au fardeau global de la maladie (Taylor et Rehm, 2006).

La concomitance de l’usage de la cigarette et de l’alcool

Il existe une relation significative entre l’usage d’alcool et le nombre de cigarettes consommées par jour (Friedman et coll., 1991), la durée d’usage du tabac et certains indicateurs de dépendance à la nicotine alors que les fumeurs ont 1,3 fois plus de chances de consommer de l’alcool par rapport aux non-fumeurs (Shiffman et coll., 1995). De plus, les personnes en traitement pour troubles liés à l’alcool rapportent une probabilité accrue d’être un fumeur ou un grand fumeur (Bien et Burge, 1990 ; Bobo, 1992 ; Toneatto et coll., 1995). En effet, entre 80 % et 85 % des personnes alcooliques fument la cigarette (Patten, 1996), un taux trois fois plus élevé que dans la population générale alors que 70 % des alcooliques sont de grands fumeurs (Collins et Marks, 1995) comparativement à une proportion de 10 % dans la population générale.

Chez les adolescents, en plus de l’association observée entre l’usage du tabac et la consommation d’alcool (Chen et Kandel, 1995 ; Hoffman et coll., 2001 ; Hughes, 1995 ; Hurt, 1994), l’usage de l’une de ces deux substances augmente également le risque de s’initier à d’autres substances illicites (Kandel, 2002). Kandel (2002) a montré que l’initiation à n’importe quelle substance susceptible d’engendrer une dépendance augmente le risque d’initiation à d’autres substances tandis que l’usage concomitant de plus d’une substance augmente significativement le risque de l’usage d’une substance additionnelle. Ainsi, l’alcool et le tabac se révèlent être les premières substances auxquelles les jeunes s’initient et constituent un risque important pour l’usage de cannabis qui, à son tour, augmente le risque d’usage d’autres substances illicites.

L’usage combiné du tabac et de l’alcool produit une synergie qui constitue un risque additionnel pour la santé, notamment pour divers types de cancers, certaines maladies coronariennes et les blessures accidentelles reliées au trafic routier et aux incendies (Taylor et Rehm, 2006). Ainsi, comparativement à des personnes non fumeuses qui ne consomment pas d’alcool, le risque relatif pour développer un cancer de la bouche et de la gorge est sept fois plus élevé chez les fumeurs, six fois plus élevé chez les buveurs et 38 fois plus élevé chez les fumeurs qui consomment de l’alcool (Blot, 1992).

En outre, l’association tabac-alcool comporte également un effet au niveau de la cessation tabagique. Alors que 49 % des individus qui ne sont pas alcooliques réussissent à arrêter de fumer, seulement 7 % des fumeurs dont l’alcoolisme est avéré y parviennent (DiFranza et Guerrera, 1990). Par ailleurs, les personnes ayant des problèmes liés à l’alcool semblent avoir une plus faible motivation à arrêter de fumer (Sobell et Sobell, 1995) et une plus grande probabilité de recommencer à fumer (Simon et coll., 1992).

Plusieurs explications de nature bio-psychosociale ont été apportées pour rendre compte de l’association entre l’usage d’alcool et de tabac (Room, 2004). Les études chez les animaux de laboratoire concluent à la présence de mécanismes neurobiologiques de tolérance croisée, à savoir que l’usage continu d’une substance induirait une plus grande tolérance vis-à-vis de l’autre substance. Par exemple, on observe une tolérance partielle à l’éthanol chez des souris infusées avec de la nicotine de façon chronique de même qu’une tolérance partielle à la nicotine chez les souris traitées chroniquement à l’éthanol (Collins et coll., 1988 ; Lopez et coll., 2001). De plus, certains facteurs génétiques communs pourraient expliquer la sensibilité initiale pour l’alcool et le tabac.

Par ailleurs, tout en reconnaissant l’apport non négligeable des facteurs génétiques, les modèles psychosociaux invoquent l’hypothèse de la présence de facteurs communs au niveau des caractéristiques individuelles (Griffin et coll., 2003) – tels l’âge et le genre – et au niveau de l’environnement, par exemple, le milieu socio-économique, le type d’environnement familial et les conditions de vie en général. Ces facteurs communs seraient sous-jacents à un ensemble de conduites à risque et expliqueraient leur concomitance (Jessor, 1993).

L’usage concomitant du tabac et de l’alcool comporte des coûts socio-économiques très significatifs pour le Canada (Rehm et coll., 2006) et, même si le calcul n’a pas été fait, nous pouvons faire l’inférence que leur usage concomitant représente également un risque important pour la santé publique. On constate en effet que, malgré la disponibilité de données populationnelles robustes au sujet des habitudes de consommation dans la population canadienne, telle la base de données de l’Enquête de santé dans les collectivités canadiennes – Cycle 2.1 (ESCC) (2003) utilisée dans cette étude, peu de travaux ont permis d’estimer et d’analyser la concomitance de ces conduites addictives au Canada. La présente étude a pour objectif de dresser un profil détaillé des habitudes de consommation de tabac ainsi que de la concomitance de l’usage et de l’usage excessif d’alcool dans la population générale et dans différents sous-groupes de celle-ci. De façon spécifique, cette étude propose trois questions :

  1. Quelle est la prévalence du tabagisme et le niveau d’exposition des non-fumeurs à la fumée du tabac secondaire (FTS) dans la population canadienne âgée de 12 ans et plus au sein des principaux sous-groupes socio-économiques de la société (genre, âge et revenu) ?

  2. Quelle relation existe-t-il entre le mode d’usage du tabac, d’une part, et l’usage et l’usage épisodique excessif d’alcool, d’autre part ? Et ce, notamment au niveau :

    1. De la prévalence de la concomitance de l’usage du tabac et de l’alcool dans la population générale de même que parmi les principaux sous-groupes socio-économiques (genre, âge et revenu) ;

    2. Du risque d’usage et d’usage épisodique excessif d’alcool associé au mode d’usage du tabac ;

    3. De la relation entre l’usage du tabac et le niveau de santé autodéclaré.

Méthodologie

Échantillon

Les données de cette étude proviennent de l’ESCC – Cycle 2.1, une enquête transversale visant à recueillir de l’information sur l’état de santé, l’utilisation de services et les déterminants de la santé de la population canadienne âgée de 12 ans et plus. Le cycle 2.1 de l’ESCC a été conduit entre janvier et décembre 2003, dans 126 régions sociosanitaires couvrant toutes les provinces et territoires canadiens. Sont exclus de l’enquête les habitants des réserves amérindiennes, des terres de la couronne, les membres à temps complet des Forces armées canadiennes et les habitants de certaines régions éloignées. L’ESCC – cycle 2.1 emploie trois stratégies d’échantillonnage : une première fondée sur la base aréolaire selon un échantillonnage en grappe stratifié, une seconde fondée sur la base de listes de numéros de téléphone et une troisième sur une base de sondage à composition aléatoire (CA) de numéros de téléphone (Statistique Canada, janvier 2005).

L’échantillon final de l’ESCC comporte 134 072 répondants représentatifs de la population canadienne, des provinces et des territoires. Au total, 144 836 ou 87,1 % des ménages contactés ont accepté de participer à l’étude et un individu par ménage était désigné comme répondant. Parmi les ménages participants, 92,6 % des participants éligibles ont accepté de participer pour un taux de réponse combiné de 80,7 % à l’échelle canadienne.

Il est à noter que dans le fichier maître à partir duquel les analyses ont été effectuées grâce au service téléaccès de Statistique Canada, 1 501 observations supplémentaires ont été ajoutées à l’échantillon du Québec comparativement au fichier public. Ces données proviennent de certaines régions du Nord du Québec dont la taille de la population est inférieure à 15 000 habitants. Toutefois, en raison de leur faible proportion, l’ajout de ces observations ne devrait pas affecter le taux de réponse global de l’enquête et ne semble pas avoir d’effet sur les paramètres estimés.

Dans la présente étude, nous avons utilisé exclusivement l’échantillon représentatif des dix provinces canadiennes excluant les 2 547 répondants des territoires canadiens, pour un sous-échantillon final de 135 573 individus. La faible taille des échantillons des territoires ne permettait pas de les inclure dans les analyses comparatives entre les diverses régions du Canada.

Mesures

L’étude comporte cinq variables mesurant les habitudes de consommation de tabac et l’exposition à la fumée secondaire, quatre variables de consommation d’alcool, trois variables socio-économiques et une mesure géographique.

Consommation de tabac et exposition à la fumée secondaire

À partir de trois variables mesurant l’expérience de consommation de tabac (« Avez-vous fumé une centaine de cigarettes ou plus durant votre vie ? » ; « Avez-vous déjà fumé une cigarette entière ? » ; « Actuellement, fumez-vous des cigarettes tous les jours, à l’occasion ou jamais ? »), nous avons établi une typologie de fumeurs en quatre catégories (1 = « fumeurs réguliers » ; 2 = « fumeurs occasionnels » ; 3 = « anciens fumeurs » ; 4 = « non-fumeurs à vie »). Nous avons également analysé une mesure de consommation moyenne de cigarettes fumées par jour pour les fumeurs réguliers (« Actuellement, combien de cigarettes fumez-vous par jour ? »).

L’exposition à la fumée secondaire de façon régulière a été mesurée dans trois endroits différents : 1) le foyer (« En comptant les membres du ménage et les visiteurs réguliers, y a-t-il quelqu’un qui fume à l’intérieur de votre maison, chaque jour ou presque chaque jour ? »), 2) les lieux publics (« Au cours du dernier mois, avez-vous été exposé à la fumée des autres, chaque jour ou presque chaque jour, dans des lieux publics [tels que les bars, les restaurants, les centres commerciaux, les arénas, les salles de bingo, les salles de quilles] ? »), et 3) un véhicule privé (« Au cours du dernier mois, avez-vous été exposé à la fumée des autres, chaque jour ou presque chaque jour, dans une automobile ou dans un autre véhicule privé ? »).

Consommation d’alcool

Les quatre mesures de consommation d’alcool sont : 1) le statut de buveur (« Au cours des 12 derniers mois, est-ce que vous avez bu un verre de bière, de vin, de spiritueux ou de toute autre boisson alcoolisée ? » = « oui » ;« non »), 2) la fréquence de consommation d’alcool (« Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous consommé des boissons alcoolisées ? » ; 1 = « moins d’une fois par semaine », 2 = « une fois par semaine ou plus »), 3) le nombre de verres moyen consommé par jour au cours de la semaine précédant l’enquête pour les buveurs hebdomadaires ; cette variable est basée sur la somme du nombre de verres rapporté pour les sept jours précédents l’enquête (« En remontant à partir d’hier, combien de verres avez-vous bus ? »), et 4) la fréquence de consommation de cinq verres ou plus lors d’une même occasion (« Au cours des 12 derniers mois, combien de fois avez-vous bu cinq verres ou plus d’alcool à une même occasion ? ») ; la variable a été dichotomisée (1 = « une fois par mois ou plus », 2 = « moins d’une fois par mois »).

État de santé autorapporté

Cette variable décrit l’état de santé de la personne selon son propre jugement, une valeur élevée indiquant une évaluation positive de son état de santé (0 = « Mauvaise », 1 = « Passable », 2 = « Bonne », 3 = « Très bonne », 4 = « Excellente »).

Trois variables socio-économiques ont été analysées : 1) le genre (« homme » ; « femme »), 2) l’âge (« 12-19 ans » ; « 20-29 ans » ; « 30-44 ans » ; « 45-64 ans » ; « 65 ans et plus »), 3) le revenu total du ménage qui permet de classer le revenu en fonction du revenu total du ménage et du nombre de personnes qui composent le ménage (« Revenu inférieur » ; « Revenu inférieur moyen » ; « Revenu moyen » ; « Revenu supérieur moyen » ; « Revenu supérieur »).

Finalement, une variable géographique permet d’identifier la province de résidence des répondants (« Terre-Neuve et Labrador » ; « Île-du-Prince-Édouard » ; « Nouvelle-Écosse » ; « Nouveau-Brunswick » ; « Québec » ; « Ontario » ; « Manitoba » ; « Saskatchewan » ; « Alberta » ; « Colombie-Britannique »).

Étant donné que l’ESCC possède un plan complexe d’échantillonnage, les erreurs-types ont été ajustées pour l’effet de plan en utilisant la méthode de rééchantillonnage Bootstrap (Lohr, 1999).

Résultats

Portrait global des habitudes tabagiques au Canada

Selon les données de l’ESCC, 23 % des Canadiens âgés de 12 ans et plus fument la cigarette, dont 5,1 % occasionnellement et 17,9 % sur une base quotidienne. Ces derniers rapportent fumer en moyenne 15,8 cigarettes par semaine (Tableau 1). De plus, la moitié des non-fumeurs actuels sont d’anciens fumeurs. Par ailleurs, les résultats révèlent que ce portrait global diffère significativement selon les sous-groupes de la société, notamment selon le genre, l’âge, le revenu et selon la province de résidence.

Les fumeurs réguliers sont majoritairement des hommes (19,5 % des hommes comparativement à 16,3 % des femmes), âgés de 20 à 44 ans. De plus, les hommes qui fument régulièrement consomment un plus grand nombre de cigarettes par jour (17 cigarettes) comparativement aux femmes (14,5 cigarettes) alors que le nombre de cigarettes fumées est plus élevé chez les personnes âgées de 20 à 64 ans comparativement aux plus jeunes et aux personnes de 65 ans et plus.

La distribution des fumeurs réguliers et des anciens fumeurs semble suivre un gradient qui ne s’observe pas pour la distribution des non-fumeurs à vie et la quantité de cigarettes fumées par semaine. En effet, on observe une tendance à fumer inversement proportionnelle au revenu parmi les fumeurs réguliers, la prévalence la plus élevée se retrouvant parmi les individus à revenu inférieur et la plus faible chez les personnes ayant un revenu supérieur. Au contraire, les anciens fumeurs suivent une tendance inverse avec la proportion la plus élevée dans le groupe à revenu supérieur et la proportion la plus faible parmi les individus à revenu inférieur.

Finalement, la prévalence du tabagisme varie significativement selon la province de résidence. C’est en Colombie-Britannique que l’on note la proportion la plus faible de fumeurs réguliers (14,1 % comparativement à 17,9 % au Canada) alors que la prévalence la plus élevée se retrouve au Nouveau-Brunswick et au Québec. Ces deux provinces affichent des prévalences significativement plus élevées que celles de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Par ailleurs, l’Ontario affiche une prévalence inférieure à celle du Québec et des provinces atlantiques.

Exposition à la fumée de tabac secondaire dans les lieux publics et privés

Le tableau 2 révèle que, comparativement aux hommes, les femmes se disent moins exposées à la fumée de tabac secondaire (FTS) au foyer, dans les lieux publics et dans un véhicule privé. Par ailleurs, comparativement aux autres groupes d’âge, ce sont surtout les jeunes de 12 à 19 ans, suivis des 20 à 29 ans, qui se disent exposés à la FTS au foyer (23,4 % des 12-19 ans et 13,2 % des 20-29 ans), dans les lieux publics (28,1 % des 12-19 ans et 28,7 % des 20-29 ans) ou dans un véhicule privé (22,2% des 12-19 ans et 15,5 % des 20-29 ans). Finalement, la proportion d’individus déclarant avoir été exposés à la FTS dans les lieux publics est similaire pour tous les niveaux de revenus alors que l’exposition à la FTS dans les lieux privés, notamment le foyer et un véhicule, est la moins rapportée dans les groupes à revenu supérieur (8,1 % au foyer et 8,4 % dans un véhicule privé).

Concomitance de la consommation d’alcool et de cigarettes

Le tableau 3 révèle que, globalement, la population canadienne âgée de 12 ans et plus comprend 77,5 % de buveurs et 23,1 % de fumeurs. Règle générale, la majorité de la population (57,5 %) boit sans fumer alors qu’une faible proportion fume sans boire (3,1 %). On constate également qu’une personne sur cinq s’abstient à la fois du tabac et de l’alcool et qu’une même proportion consomme à la fois du tabac et de l’alcool dans la population. Ces deux derniers comportements ne semblent pas être complètement indépendants dans la mesure où la proportion de buveurs est plus élevée parmi les fumeurs (87 % des fumeurs boivent) que dans la population générale (77,4 % de buveurs) et dans la mesure où la proportion de fumeurs est plus élevée parmi les buveurs (26 % des buveurs fument) comparativement à la population générale (22,9 %).

Figure 1

Prévalence des fumeurs réguliers au Canada selon le genre, l’âge, le revenu et la province de résidence

Prévalence des fumeurs réguliers au Canada selon le genre, l’âge, le revenu et la province de résidence

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Tableau 1

Profils de fumeurs selon le genre, l‘âge, le revenu et la province de résidence au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus, ESCC Cycle 2.1, 2003

Profils de fumeurs selon le genre, l‘âge, le revenu et la province de résidence au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus, ESCC Cycle 2.1, 2003

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Tableau 2

Exposition quotidienne ou quasi quotidienne des non-fumeurs à la fumée secondaire selon le genre, l’âge et le revenu au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus, ESCC Cycle 2.1, 2003

Exposition quotidienne ou quasi quotidienne des non-fumeurs à la fumée secondaire selon le genre, l’âge et le revenu au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus, ESCC Cycle 2.1, 2003

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Tableau 3

Concomitance de la consommation de cigarette et d’alcool selon le genre, l‘âge, le revenu et la province de résidence, au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus (ESCC Cycle 2.1, 2003)

Concomitance de la consommation de cigarette et d’alcool selon le genre, l‘âge, le revenu et la province de résidence, au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus (ESCC Cycle 2.1, 2003)

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La concomitance de l’usage de la cigarette et de l’alcool est particulièrement élevée chez les hommes, les jeunes de 20 à 29 ans et chez les personnes à revenu inférieur alors que le non-usage des deux substances est rapporté surtout par les femmes, les jeunes de 12 à 19 ans (ce qui était attendu étant donné que l’âge légal pour consommer en public est de 18 ou de 19 ans selon les provinces), les personnes de 65 ans et plus ainsi que les personnes à revenu moyen ou inférieur. Finalement, alors que l’alcool suit un gradient selon lequel la consommation augmente selon le revenu, la consommation de cigarettes suit un gradient inverse, diminuant en fonction du revenu.

Tabac et alcool : le risque du risque

Pour mieux comprendre la relation entre l’usage du tabac et de l’alcool, il est utile d’examiner la probabilité associée à l’usage et l’usage épisodique excessif d’alcool selon le type de fumeurs. La figure 2a montre que, comparativement aux non-fumeurs, il y a 3,5 fois plus de buveurs parmi les fumeurs réguliers, 3,6 fois plus de buveurs parmi les anciens fumeurs et 5,9 fois plus d’entre eux parmi les fumeurs occasionnels. Cette dernière probabilité est significativement plus élevée que dans les deux autres groupes.

Selon la figure 2b, il y a 1,7 fois plus de grands buveurs (ayant consommé 5 verres ou plus lors d’une même occasion au moins une fois par mois au cours des 12 derniers mois) parmi les anciens fumeurs que parmi les non-fumeurs. Toutefois, ce sont les fumeurs qui présentent la probabilité la plus élevée de rapporter des épisodes de grande consommation, avec quatre fois plus de grands buveurs parmi les fumeurs réguliers et 4,3 fois plus parmi les fumeurs occasionnels comparativement aux non‑fumeurs.

Finalement, la quantité moyenne d’alcool consommée lors de la semaine varie significativement selon le statut tabagique. En effet, des comparaisons de moyennes, utilisant des tests z (Statistique Canada, 2005) et appliquant la correction de Bonferroni avec un seuil global de 5 %, révèlent que la quantité consommée lors de la semaine précédant l’enquête suit un gradient selon le statut tabagique. Ainsi, les fumeurs réguliers déclarent consommer un nombre de verres significativement plus élevé que les fumeurs occasionnels [Mréguliers = 1,4, Moccasionnels = 1,2 ; z(12497) = 3,95, p < .0001]. Ces derniers rapportent consommer un plus grand nombre de verres que les anciens fumeurs [Moccasionnels = 1,2, Manciens = 0,9 ; t(25270) = 6,91, p < .0001] lesquels consomment moins que les non-fumeurs [Manciens = 0,9, Mnon-fumeurs = 0,7 ; z(32914) = 11,90, p < .0001].

La figure 3 révèle que la perception de son état de santé général est significativement liée à la consommation d’alcool et de tabac. Ce sont les buveurs qui ne fument pas qui se perçoivent le plus en santé comparativement aux personnes qui fument et boivent [Mbuveurs = 2,78, Mbuveurs et fumeurs = 2,57 ; z = 19.91, p < 0.0001], ces derniers se perçoivent en meilleure santé que les personnes qui s’abstiennent d’alcool et de tabac [Mbuveurs et fumeurs= 2,57, Mabstinents= 2,52 ; z (98918) = 3,63, p < 0.0001]. Ce sont les fumeurs qui ne boivent pas qui rapportent le niveau de santé le plus bas (Mfumeurs= 2,2).

Interprétation

Cette étude épidémiologique basée sur l’analyse secondaire des données de l’ESCC – cycle 2.1 permet de poser trois constats : 1) ce premier portrait de l’association entre l’usage d’alcool et du tabac et leur concomitance au Canada réitère des résultats obtenus antérieurement dans d’autres pays ; 2) le portrait du tabagisme au Canada et sa relation à l’alcool ne se distribuent pas de manière aléatoire, mais sont largement tributaires de l’appartenance des individus aux divers groupes socio-économiques de la société ; 3) le contexte d’usage semble être une piste importante à explorer dans l’étude de la concomitance alcool-tabac.

Figure 2

Probabilité d’être un buveur, probabilité d’être un buveur épisodique excessif selon le type de fumeur, au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus (ESCC Cycle 2.1, 2003)

Figure a

Figure b

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Figure 3

Santé physique autorapportée selon le statut de fumeur, de buveur et leur concomitance, au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus (ESCC Cycle 2.1, 2003)

Santé physique autorapportée selon le statut de fumeur, de buveur et leur concomitance, au sein d’un échantillon représentatif de la population canadienne de 12 ans et plus (ESCC Cycle 2.1, 2003)

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D’une façon générale, contrairement à l’usage exclusif du tabac, la consommation d’alcool demeure un comportement largement répandu dans la population alors qu’une personne sur cinq rapporte avoir consommé du tabac et de l’alcool au cours des 12 derniers mois. De plus, la probabilité de rapporter une grande consommation d’alcool est plus élevée parmi les fumeurs (occasionnels et réguliers) comparativement aux anciens fumeurs, la probabilité la plus faible étant parmi les non-fumeurs. Cette association entre le fait de fumer et une grande consommation d’alcool corrobore l’hypothèse d’une interaction physiologique entre les effets de la nicotine et la tolérance à l’éthanol. En effet, l’étude récemment publiée par Parnell, West et Chen (2006) suggère que le ralentissement de la fonction gastrique en raison de l’absorption de nicotine pourrait induire une personne à boire une plus grande quantité d’alcool pour ressentir l’effet recherché. Toutefois, malgré l’importance des facteurs biologiques, il serait imprudent de négliger l’influence déterminante du contexte de consommation. Comme le suggèrent nos données, pour plusieurs consommateurs, l’usage excessif de l’alcool et du tabac apparaît circonscrit à des contextes physiques et sociaux spécifiques qui sont propices à l’usage de substances et qui tolèrent les excès.

Les résultats montrent également que l’usage exclusif du tabac, l’usage exclusif de l’alcool et l’usage des deux substances se distribuent inégalement à travers les groupes d’âge, les niveaux de revenu et entre les genres.

Le sous-groupe de fumeurs qui ne boit pas (3 % de l’échantillon) est principalement constitué de femmes, d’individus âgés de 30 ans et plus et se répartit selon un gradient décroissant selon le revenu. Pour sa part, le groupe de buveurs qui ne fume pas est majoritairement composé d’hommes se répartissant selon un gradient croissant selon le revenu. La concomitance est la plus élevée parmi les hommes, les personnes à revenu inférieur et les jeunes de 20 à 29 ans.

Ces résultats peuvent être compris selon les postulats de base de l’épidémiologie sociale (Berkman et Kawachi, 2000) et des modèles explicatifs en sociologie de la santé (Cockerham, 2005). Selon ces modèles, l’individu, de par son appartenance sociale, s’insère dans un environnement physique, social et psychologique qui détermine l’ensemble des choix qui s’offrent à lui. L’interaction entre les possibilités, que permettent le milieu et la capacité individuelle à sélectionner ces choix, amène l’individu, et plus largement son groupe, à adopter un style de vie collectif plus ou moins favorable à la santé. Collectivement, les groupes sociaux représentent des univers différents dans lesquels les options possibles et les choix individuels s’actualisent dans des styles de vie différents et des comportements de santé distincts qui produisent des écarts de santé dans la population.

En ce qui a trait à la santé publique, les disparités observées dans la distribution entre les sous-groupes de la population de l’usage de l’alcool, du tabac ou des deux permettent de conclure à la nécessité de mettre en place des actions préventives et des interventions cliniques adaptées et spécifiques à ces sous-groupes. Le développement d’approches ciblées prend tout son sens en présence de groupes dont les modèles de consommation et la sous-culture sont dissemblables et dont les moins favorisés sont les moins réceptifs aux campagnes préventives et les moins susceptibles d’utiliser les services mis à la disposition de la population.

Notre étude révèle également que la proportion de buveurs est significativement plus élevée parmi les fumeurs occasionnels. Elle est la plus faible parmi les non-fumeurs et est équivalente parmi les fumeurs réguliers et les anciens fumeurs. Ainsi, l’usage d’alcool et de tabac serait plutôt lié à l’occasion dans laquelle l’individu se retrouve qu’à la fréquence de l’usage. Le rôle du contexte physique et social a été largement démontré dans le champ de l’alcool. La configuration contextuelle de la consommation (« avec qui », « pourquoi » et « où ») crée des dimensions symboliques, relationnelles et physiques qui sont plus ou moins permissives en regard des conduites de consommation (Demers et coll., 2002 ; Greenfield et Room, 1997 ; Klein et Pittman, 1990 ; Simpura, 1991). En ce qui a trait au tabac, il est probable que certains contextes sont associés favorablement à un usage concomitant de l’alcool et du tabac en raison des règles en vigueur dans ces milieux. Une personne peut être non fumeuse au quotidien, mais se permettre de fumer une ou deux cigarettes lors de sorties sociales avec des amis dans un bar ou une brasserie. L’usage du tabac serait occasionnel et vécu comme tel par la personne et associé à des contextes et des circonstances de socialisation ou de festivités où alcool et tabac se marient bien dans un laps de temps bien circonscrit.

Il est important de noter que les variations observées entre les différentes provinces et indiquant un taux supérieur au Québec et dans les provinces atlantiques comparativement aux autres provinces devraient être interprétées avec prudence. Il faut se rappeler qu’au cours des deux dernières années, la stratégie de lutte au tabagisme au Québec a connu un essor exceptionnel sur le plan de mesures législatives prohibant l’usage du tabac dans les endroits publics et en matière de campagnes de sensibilisation, de promotion de la santé et de services offerts à la population. Avec la mise en vigueur de la récente législation, le cliché obtenu en 2004 avec l’ESCC – cycle 2.1 pourrait être légèrement modifié à la baisse.

Cette étude comprend des limites. Le devis transversal de l’ESCC ne permet pas de comprendre, de façon subtile et nuancée, l’influence de l’usage d’une substance sur le mode d’usage de l’autre. De plus, l’analyse secondaire des données de l’ESCC se limite aux variables mesurées. Ainsi, les questions épidémiologiques relatives à la concomitance des autres conduites addictives, comme le jeu et la consommation de substances illicites, notamment le cannabis, demeurent entières. En effet, on sait déjà que les usages de l’alcool et du tabac ont une relation significative avec l’usage des substances illicites, surtout le cannabis, le jeu excessif ainsi que le risque qui leur est associé (Agrawal et coll., 2006 ; Arsenault et coll., 2001 ; Aung et coll., 2004 ; Highet, 2004). L’examen avec des mesures diagnostiques valides, des troubles liés aux substances et au jeu excessif, qui sont optionnels dans cette enquête, assurerait une compréhension écologique des dépendances que seule une enquête portant sur une population générale permettrait de générer.

Au moment où la recherche fondamentale établit les liens neurobiologiques existant entre les diverses dépendances et au moment où les praticiens se rendent compte de la nécessité clinique de prendre en compte l’ensemble des dépendances chez chacun de leurs patients pour augmenter l’efficacité du traitement (Valleur et Matysiak, 2006), il devient nécessaire que la recherche en épidémiologie s’intéresse à l’ensemble des conduites addictives dans la population générale et aux facteurs psychosociaux qui les lient entre elles.