Hommage à Marie-Andrée Bertrand (1925-2011)[Record]

  • Comité de rédaction de Drogues, santé et société

Marie-Andrée Bertrand nous a quittés subitement le 6 mars dernier. Professeure émérite de criminologie à l’Université de Montréal, membre de l’Ordre national du Québec depuis 2005, Marie-Andrée Bertrand a toujours été une femme de tête, d’action et de passion. Elle a marqué de façon permanente les différents champs d’intervention dans lesquels elle s’est impliquée. Que ce soit à titre d’intervenante sociale, de criminologue, de féministe, de syndicaliste, d’antiprohibitionniste ou de chercheure, elle a toujours su mettre de l’avant des valeurs telles que la liberté d’action, l’égalité et la dignité humaine. Elle s’est toujours affichée en faveur de la défense des groupes et des individus les plus vulnérables, comme les femmes détenues et les toxicomanes. C’est pourquoi elle s’en est toujours pris aux pratiques et aux politiques dont la portée discriminatoire avait pour effet d’exacerber les conditions de précarité dans lesquelles se retrouvent ces individus. Elle a ainsi su mettre sa pensée critique au service des plus démunis, et ce, de façon admirable. Ce fut le cas en particulier en ce qui concerne les politiques sur les drogues, alors qu’elle a joué un rôle central dans la remise en question du régime prohibitionniste, tant sur le plan national qu’international. Appelée à l’automne 1969 à siéger à la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales (Commission Le Dain), elle s’est rapidement démarquée par sa position radicale, quoique pragmatique, en ce qui concerne les mécanismes de contrôle de l’usage des drogues. Dans son rapport minoritaire, elle prend une position courageuse pour l’époque, en recommandant la mise en place d’un régime de légalisation de toutes les drogues. Bien qu’elle s’entende avec ses collègues de la Commission concernant l’objectif de réduire les méfaits associés à la prise de drogues, elle émet une dissension au niveau des moyens proposés pour y arriver. Alors que les autres commissaires recommandent de lever l’interdiction pénale uniquement pour la possession de cannabis, Marie-Andrée Bertrand recommande la décriminalisation de la possession de toutes les drogues et la création d’un système de distribution légale de ces substances. Ses recommandations s’appuient sur la conviction profonde que le recours au droit pénal s’avère inefficace en matière de réduction des méfaits associés aux drogues, tout en générant pour les consommateurs des conséquences aussi graves sinon plus que celles engendrées par le produit. Elle affirme alors qu’« invoquer le droit pénal pour régir le comportement des individus en ce qui a trait à leur mode de vie personnel, leurs habitudes ou leur vie privée, c’est outrepasser le domaine du droit et sa finalité, c’est abuser de ce puissant instrument de contrôle avec d’inévitables conséquences pratiques et morales » (Commission Le Dain, 1973, p. 230). Elle s’inscrit dès lors dans une perspective largement inspirée de l’utilitarisme de John Stuart Mill, en affirmant que le droit pénal ne devrait être utilisé que pour réprimer des comportements qui représentent un préjudice sérieux à autrui. Elle dénonce aussi les effets pervers de la prohibition, en soulignant qu’il s’agit d’une stratégie qui est très mal adaptée pour répondre à l’usage problématique de drogues. Pour elle, la toxicomanie devrait relever non pas du registre du droit criminel, mais plutôt du registre des soins de santé. « Il semble particulièrement illogique, inefficace et inhumain d’avoir recours au droit pénal contre les toxicomanes (…) Ce dont les toxicomanes ont besoin, c’est de compassion, de soins médicaux et psychiatriques » (Commission Le Dain, 1973, p. 232). Elle dénonce le recours aux mesures répressives, exigeant qu’on les remplace par des mesures plus réalistes et humaines qui considéreraient les toxicomanes avant tout comme des individus manifestant des besoins de soutien et d’accompagnement. Elle …