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Introduction

Les programmes actuels de contrôle du tabac adoptent de plus en plus des approches comportant des stratégies et des niveaux multiples (Ontario Tobacco Research Unit, 2003 ; Campaign for Tobacco-Free Kids, 2003 ; Centers for Disease Control and Prevention, 1999 ; O’Connor et coll., 2001). Ces programmes sont en accord avec notre connaissance de plus en plus profonde des déterminants complexes et internes qui influencent les habitudes de consommation du tabac (Smedley et Syme, 2001 ; Green et coll., 1996). Les chercheurs sont parvenus à une connaissance substantielle de ces déterminants en produisant des modèles socio-écologiques plus sophistiqués pouvant servir comme guide à des programmes exhaustifs de contrôle du tabac. Cependant, un écart existe du fait que cette recherche interventionnelle sur la prévention et l’arrêt du tabac n’incorpore pas pleinement cette même perspective socio-écologique. Nous suggérons que le champ de la recherche interventionnelle sur le contrôle du tabac devrait utiliser une perspective socio-écologique pour mieux refléter la manière dont les déterminants sous-jacents et leurs voies correspondantes interagissent.

Le but de cet article est de discuter la façon dont les modèles socio-écologiques pourraient mieux informer la recherche interventionnelle dans le domaine du contrôle du tabac. Nous établissons une distinction entre les termes « recherche interventionnelle », « programmes » et « politiques ». La recherche interventionnelle fait référence à l’évaluation des traitements pour l’arrêt du tabac ou des innovations en matière de prévention quant à leur efficacité ou leur efficience. Nous utilisons le terme « programmes » pour désigner des services communautaires évalués ou non. Les « politiques » font allusion à de larges priorités stratégiques qui guident la planification et les programmes à l’intérieur d’une juridiction géopolitique. Les déterminants concernent des variables indépendantes ou des facteurs associés à l’initiation, à la consommation ou à l’arrêt du tabagisme ; les déterminants internes reflètent la relation hiérarchique, interdépendante ou réciproque parmi quelques variables, tel le comportement des jeunes vis-à-vis du tabac, lequel s’insère dans la question plus large de la famille et des habitudes de consommation du tabac chez les pairs.

Nous commencerons cet article par une brève discussion des modèles socio-écologiques. Nous présenterons ensuite l’état des connaissances sur les interventions en contrôle du tabac par rapport à notre compréhension croissante des déterminants sous-jacents. Nous fournirons des exemples de programmes et de politiques exhaustifs sur le contrôle du tabac en accord avec une approche socio-écologique. Afin de faire progresser le champ de la recherche interventionnelle, nous discuterons des implications de l’utilisation d’un cadre socio-écologique pour orienter le choix de modèles et de méthodes de recherche pour des études interventionnelles. Finalement, en utilisant l’exemple des adolescents et des transitions développementales, nous illustrerons comment la réflexion raffinée et nuancée sous-jacente aux modèles socio-écologiques peut éclairer les voies d’intersection et offrir de nouvelles possibilités pour des points d’intervention de contrôle du tabac.

L’exploration des modèles socio-écologiques

Les modèles socio-écologiques décrivent la relation entre les comportements de santé et la communauté et les sous-systèmes sociaux interpersonnels et organisationnels (Green et coll., 1996 ; Richard et coll., 1996 ; Sallis et Owen, 1997). Ces modèles aident à exposer de façon claire les complexités des déterminants de santé et les influences environnementales sur la santé (Green et coll., 1996). Ce type de pensée systémique montre la nécessité de créer des conditions environnementales qui soutiennent et promeuvent des changements de comportements efficaces et prolongés.

Un changement est apparu au cours des dernières décennies dans les cadres conceptuels de promotion de la santé. Les praticiens et les chercheurs en sont venus à reconnaître les limites d’une concentration de stratégies visant le changement de comportement individuel et se dirigent maintenant vers des approches qui répondent à la réciprocité entre la biologie, les comportements de santé et l’environnement (Green, 2006). Le Canada a été un leader mondial dans ce changement, conceptualisant la santé dans une perspective plus large (Lalonde, 1974 ; Organisation mondiale de la Santé, 1986 ; Epp, 1986 ; Labonté, 1993) et décrivant en conséquence les influences environnementales et sociales sur la santé (Federal, Provincial, and Territorial Advisory Committee on Population, 1999 ; Santé Canada, 2002).

Les modèles socio-écologiques contribuent à l’identification des déterminants à différents niveaux de système et suggèrent les relations qui existent entre eux. Les déterminants tels que les politiques sur la consommation du tabac, les réseaux de pairs et le revenu sont généralement compris, dérivés d’une recherche qui examine les liens entre les facteurs de risques et la consommation du tabac. Il se peut cependant que des déterminants plus internes ou plus implicites, par exemple les attentes culturelles, soient négligés. Les modèles socioculturels suggèrent également des interconnexions complexes parmi ces déterminants. Par exemple, non seulement les déterminants affectent-ils le résultat, mais ils peuvent également s’influencer ou se modifier les uns les autres. Les taxes sur les cigarettes ont une forte influence sur la consommation de cigarettes lorsque le revenu disponible est limité. Un autre exemple de la complexité du système est la présence de déterminants ou d’éléments du système qui sont dynamiques par nature ; par exemple, une récession économique peut faire apparaître des habitudes de consommation du tabac différentes de celles d’une période de prospérité économique. La compréhension de la complexité des déterminants liés au tabac et des relations existant entre eux, facilitée par l’utilisation des modèles socio-écologiques, offre un grand potentiel pour le progrès des interventions dans le contrôle du tabac.

Le processus actuel de discernement des déterminants socio-écologiques des problèmes de santé est fondamental pour la recherche interventionnelle future. Cependant, une coupure demeure entre notre compréhension des déterminants de la consommation du tabac et notre application de cette compréhension à la recherche interventionnelle sur la prévention et l’arrêt du tabagisme. Une solide compréhension de l’interrelation entre les déterminants de santé produira les processus et les interactions requis pour la planification et l’évaluation d’interventions efficaces dans le contrôle du tabac. Des modèles socio-écologiques sont nécessaires pour une construction adéquate des interrelations entre les déterminants, menant ensuite à des recherches interventionnelles de contrôle du tabac ayant pour cible de nombreux niveaux du système (Edwards et coll., 2004).

Est-ce que la recherche sur les interventions dans le contrôle du tabac reflète notre compréhension des déterminants socio-écologiques du comportement vis-à-vis du tabac ?

La littérature sur les déterminants a généralement établi une association entre les résultats reliés au tabac et les facteurs issus d’une variété de niveaux socio-écologiques. En d’autres termes, le comportement vis-à-vis du tabac est relié à des attributs de niveau individuel aussi bien qu’à des conditions et des cadres sociaux, physiques et environnementaux. Par exemple, les déterminants de l’usage du tabac chez les jeunes incluent des facteurs de niveau intrapersonnel (esprit de rébellion), interpersonnel (statut socioéconomique, pression des pairs, influence de la fratrie, influence parentale) ainsi que des facteurs de niveau communautaire (accès aux cigarettes et disponibilité de celles-ci) (Best et coll., 1988 ; Conrad et coll., 1992 ; Flay et coll., 1983 ; Tyas et Pederson, 1998).

Afin de déterminer dans quelle mesure les déterminants sont présents dans la littérature sur la recherche interventionnelle concernant l’arrêt et la prévention du tabac, nous avons examiné deux importantes sources de recherche sur le contrôle du tabac : la base de données Cochrane et des articles récents parus dans le journal Tobacco Control. La base de données Cochrane est une source importante de comptes rendus sur des essais cliniques et des études d’efficacité. Quarante-deux comptes rendus dans le domaine du tabac font actuellement partie de la base de données. La majorité de ces comptes rendus examine des interventions axées sur l’individu telles que des arrêts de la consommation de tabac de type comportemental et pharmacologique. Une minorité (moins de 25 %) examine des interventions visant d’autres niveaux du modèle socio-écologique (par exemple, le marketing social et les stratégies médiatiques) et la plupart ont exploré l’impact de ces stratégies indépendamment les unes des autres.

Un compte rendu des résumés de tous les articles des cinq dernières années du journal Tobacco Control a été fait. Il est à noter que Tobacco Control a une orientation internationale et aborde une variété d’approches pour le contrôle du tabac, y compris des évaluations de politiques, de programmes, ainsi que des recherches sur le comportement. À première vue, nous nous attendions à ce que des études visant une gamme plus étendue de déterminants du tabac soient identifiées. Pour les besoins de l’étude, les articles ont été classés comme suit : a) interventions antitabac simples ; b) interventions antitabac multiples (c’est-à-dire deux stratégies d’information ou plus, à deux niveaux du système ou plus) ; c) interventions pro-tabac (menées habituellement par l’industrie du tabac) ; d) déterminants de la consommation du tabac ; e) autres (par exemple, méthode, mesure, fréquence, surveillance, etc.). Les résultats apparaissent au Tableau 1 et démontrent que la recherche interventionnelle publiée dans ce journal révèle principalement des modalités simples plutôt que multiples.

Tableau 1

Articles publiés dans Tobacco Control de 2001-2006

Articles publiés dans Tobacco Control de 2001-2006

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Étant donné la somme croissante de littérature sur les déterminants sociaux du comportement vis-à-vis du tabac, on pouvait s’attendre à ce qu’un corpus grandissant de littérature interventionnelle, en ce qui concerne l’usage du tabac, se concentre sur les interactions humaines et environnementales combinées de même que sur les facteurs contextuels sociaux au sens large. Toutefois, la recherche sur la littérature interventionnelle dans la base de données Cochrane et Tobacco Control ne semble pas refléter cette attente.

Programmes et politiques de contrôle du tabac basés sur la socio-écologie

Par contraste avec la littérature sur la recherche interventionnelle pour le contrôle du tabac, il existe un grand nombre de programmes et de politiques exhaustifs qui incorpore une perspective socio-écologique au contrôle du tabac. L’évolution des programmes et des politiques a démontré une attention croissante envers les interrelations complexes entre les déterminants de la consommation du tabac. Bien qu’elles ne soient pas nécessairement et explicitement fondées sur une perspective socio-écologique, ces interrelations témoignent néanmoins d’un accord avec cette approche. Nous les illustrons ici par deux exemples nord-américains et un exemple international.

Exemple 1 : Le programme californien de contrôle du tabac

Le programme californien de contrôle du tabac est un exemple exhaustif. Il a été créé en 1989 à la suite d’une augmentation des taxes sur le tabac par l’État de Californie et de l’engagement simultané du gouvernement à soutenir le contrôle du tabac (Rohrbach et coll., 2002). Les objectifs du programme comprenaient la réduction de l’exposition à la fumée de tabac environnementale, l’opposition aux messages positifs sur le tabac, la réduction au minimum de l’accès au tabac par les jeunes, et l’arrêt du tabagisme (Rohrbach et coll., 2002 : 977). Ce programme représentait à l’époque une approche nouvelle pour le contrôle du tabac aux États-Unis et a poussé plusieurs états à l’imiter.

Selon Rohrbach et coll. (2002 : 976), les interventions utilisées dans le programme peuvent être groupées en trois catégories, à savoir : 1) une campagne médiatique antitabac utilisant différents formats ; 2) des politiques de contrôle du tabac et des programmes d’éducation publique mis en oeuvre au niveau local et régional ; et 3) des politiques et des programmes mis en oeuvre au niveau scolaire. Ces stratégies de programme avaient pour objectif d’engendrer une baisse de la consommation du tabac dans la population en modifiant les normes sociopolitiques des communautés et en diminuant l’acceptabilité du tabac (Rohrbach et coll., 2002). La campagne médiatique a été une intervention particulièrement efficace de ce programme en mettant l’accent sur l’exposition aux initiatives de marketing de l’industrie du tabac et en essayant d’influencer les perceptions du public concernant les commandites du tabac.

Exemple 2 : Stratégie de contrôle du tabac de l’Ontario

Le gouvernement de l’Ontario a lancé une stratégie provinciale de contrôle du tabac au milieu des années quatre-vingt-dix avec une incitation à l’action du Directeur en chef de la santé publique. C’est ainsi que le Conseil de la santé du premier ministre de l’Ontario a fixé des objectifs de réduction du tabagisme et identifié des sous-groupes prioritaires dans la population. Une stratégie provinciale antitabac a été mise en place. La loi de 1994 sur la réglementation de l’usage du tabac a interdit la vente de tabac dans les distributeurs automatiques et a rendu illégale la vente ou la fourniture de tabac à toute personne de moins de 19 ans. Entre-temps, divers programmes ont été mis en oeuvre parmi lesquels des campagnes médiatiques, une augmentation des taxes sur le tabac, des stratégies de contrôle et de surveillance et l’établissement d’un groupe de travail sur la consommation du tabac.

En 1999, Ashley et ses collaborateurs ont exposé les éléments essentiels d’une stratégie exhaustive dans un rapport au ministère de la Santé, dont notamment une utilisation intensive des médias de masse, des taxes sur le tabac, une législation exigeant des lieux publics sans fumée, une aide à l’arrêt du tabagisme, des programmes d’éducation publique, des programmes scolaires et des interdictions de marketing. La Stratégie antitabac de l’Ontario reflète de quelle manière les déterminants de la consommation du tabac participent au risque cumulatif du tabagisme, et comment une programmation peut viser des déterminants particuliers et les relations entre ceux-ci. Au nombre des bienfaits du programme exhaustif prévus par l’équipe, on mentionne la prévention de 3 000 morts prématurées et une diminution de 140 000 journées d’hospitalisation en dix ans d’application du programme.

Exemple 3 : Convention-cadre de lutte antitabac de l’OMS

L’une des initiatives internationales les plus récentes et sans doute la plus célèbre touchant le contrôle du tabac est la Convention-cadre de lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) (2003a). L’Organisation mondiale de la Santé (s.d.) définit une convention-cadre comme « un instrument juridique international exécutoire qui établit des engagements d’ordre général et un système général de gouvernance pour un sujet d’intérêt ». L’OMS explique également qu’en raison de la mondialisation, les pays ne peuvent plus contrôler la production et la consommation de tabac simplement par une législation domestique.

Ce document historique est le résultat d’une collaboration internationale, où des nations ont été invitées à signer à titre de parties contractantes, et a exigé un minimum de 40 pays signataires pour que la Convention prenne effet (Organisation mondiale de la Santé, 2003a, 2003b). La Convention est devenue exécutoire dans un pays 90 jours après la ratification nationale (Organisation mondiale de la Santé, 2003a). Le nombre total de pays contractants s’élève à 168, à divers stades de ratification nationale, pour un total de 131 nations participantes (Organisation mondiale de la Santé, 2006a, 2006b). La Convention-cadre de lutte antitabac est entrée en vigueur le 27 février 2005.

Conformément aux articles de la Convention, les parties contractantes s’engagent à un large éventail d’interventions dans le contrôle du tabac, allant de changements de politiques à des programmes de prévention et d’arrêt du tabagisme. Les articles 6-19 (Organisation mondiale de la Santé, 2003a : 7-17) énumèrent les éléments les plus souvent mis en application par la Convention. Les groupes d’action comprennent entre autres : 1) la réduction de la demande par des contrôles de prix et hors prix ; 2) le contenu du produit, le marketing et les restrictions de ventes ; 3) les mesures de contrôle de l’exposition environnementale ; 4) l’éducation et la prise de conscience du public ; et 5) la responsabilisation de l’industrie et la réorientation industrielle vers des activités alternatives économiquement viables. Ainsi, les actions spécifiques visent un grand nombre de déterminants de la consommation du tabac, y compris l’accès des produits du tabac aux mineurs et la fixation des prix, les facteurs médiateurs tels que les campagnes de marketing et le contenu du produit, et les déterminants contextuels comme les politiques gouvernementales et les accords commerciaux.

Ces exemples reflètent clairement une application de ce que nous savons sur les déterminants socio-écologiques sous-jacents de la consommation du tabac et incorporent une approche à plusieurs niveaux du contrôle du tabac. Nous maintenons que les cadres socio-écologiques devraient également fournir une perspective critique pour la recherche interventionnelle reliée aux programmes de contrôle du tabac.

Approches méthodologiques reflétant un angle socio-écologique

L’incorporation d’une perspective socio-écologique dans la recherche interventionnelle pour le contrôle du tabac exige des projets et des modèles méthodologiques innovateurs. Les comptes rendus synthétiques, la modélisation hiérarchique à plusieurs niveaux, les comptes rendus corrélatifs des cas et la cartographie de réseaux sont des techniques émergentes possibles qui peuvent être utilisées pour surmonter les défis méthodologiques dans la recherche interventionnelle pour le contrôle du tabac.

Comptes rendus synthétiques

Contrairement aux méta-analyses et aux comptes rendus systématiques, les comptes rendus synthétiques font référence à une synthèse d’études pilotes réalisées avec des modèles et méthodes différents. Par exemple, la méthode permet la combinaison d’études pilotes expérimentales, non expérimentales et qualitatives (Whittemore et Knafl, 2005). La recherche interventionnelle socio-écologique peut être caractérisée par un grand nombre de mini-études qui évaluent séparément l’efficacité de chaque intervention. Ainsi, les comptes rendus synthétiques représentent une approche permettant de comprendre de façon complète l’efficacité des interventions sur l’attitude vis-à-vis de la consommation de tabac dans son ensemble. Cela est particulièrement important à comprendre étant donné l’effet synergique (prédit) des interventions multiples connexes. Les comptes rendus synthétiques sont une approche qui réunit à la fois les perspectives des méthodes réductionnistes et des méthodes riches en contexte. De plus, cette technique aide les chercheurs en leur permettant de tenir compte du fait que certaines approches interventionnelles se prêtent à une recherche quantitativement orientée (par exemple, des interventions comportementales) et que d’autres approches sont de préférence examinées par des méthodes qualitatives ou mixtes (par exemple, l’impact de politique).

Modélisation à plusieurs niveaux

L’analyse de régression simple est utile pour la compréhension des déterminants multiples, au niveau individuel, des comportements vis-à-vis du tabac. Les interventions de nature socio-écologique agissent à plusieurs niveaux et exigent par conséquent une approche analytique différente des modèles de régression simple. La modélisation hiérarchique à plusieurs niveaux (MLM) est une méthode analytique qui génère des modèles de régression à différents niveaux du système pour identifier des indices de résultats individuels (Kothari et Birch, 2004). Ces modèles sont séparés, mais évalués simultanément. Par exemple, il serait possible d’identifier des indices potentiels d’arrêt de consommation du tabac au niveau intrapersonnel (connaissance), au niveau interpersonnel (influence des pairs) et au niveau social (accès aux produits du tabac). La modélisation hiérarchique à plusieurs niveaux maintient l’intégrité de ces déterminants internes. Elle représente une manière quantitative d’obtenir une riche description des différents niveaux d’influence, ainsi que des influences entre les niveaux, sur les résultats individuels (voir par exemple Kothari et coll., 2007, en cours de révision). Elle fournit également une compréhension détaillée des différences de résultats pour tous les milieux. Cette technique est idéale pour l’analyse secondaire d’enquêtes au sein de la population ou pour des études pilotes conçues pour examiner un nombre adéquat (30 ou plus) d’unités hiérarchiques (magasins, écoles, quartiers).

Études de cas multiples

La recherche interventionnelle qui adopte un angle socio-écologique porte également son attention sur les déterminants contextuels, définis comme les influences axées sur les lieux aussi bien qu’au niveau macro dans l’environnement social, politique et économique (par exemple, accords sur le commerce du tabac, recours collectifs en justice). La méthode de l’étude de cas est « …une exploration d’un système ou cas (ou de cas multiples) limité dans le temps par une collecte de données détaillée et approfondie comprenant de nombreuses sources d’information riches en contexte » (Creswell, 1998 : 61 ; Dyke, 2004). Dans le cas où la recherche interventionnelle socio-écologique débouche sur des études faites dans un petit nombre de villes ou d’organisations, il faut utiliser des méthodes systématiques pour tirer des conclusions dans tous ces contextes juridictionnels. Une rigoureuse analyse corrélative des cas (Yin, 2003) permet au contexte particulier, comme unité d’analyse, de rester intact. Cette façon de faire fournit des perspectives utiles sur la façon dont les interventions complexes ont un impact sur les déterminants insérés à l’intérieur de contextes juridictionnels et socio-politiques particuliers.

Analyse de réseaux sociaux

Comparée à des mesures de changement comportemental individuel, l’analyse de réseaux sociaux peut fournir une meilleure compréhension des processus de changement collectif et des interconnexions entre les niveaux du système qui peuvent être essentielles pour produire un changement prolongé. L’analyse de réseaux sociaux est une technique établie (Wasserman et Faust, 1994) qui pourrait trouver de nouvelles applications dans la recherche interventionnelle pour le contrôle du tabac axée sur la socio-écologie. Cette technique tente de mesurer la manière dont des groupes de personnes sont rattachés, engagés, communiquent entre eux et partagent de l’information, comme la connaissance des experts. Elle a déjà été utilisée dans les études sur le tabac (par exemple, Krauss et coll., 2004), et elle est soulignée ici comme moyen pour mesurer le changement obtenu par une combinaison d’interventions concentrées à un niveau contextuel plus large. Par exemple, Valente (1996) décrit la façon dont l’analyse de réseaux sociaux peut servir à déterminer le degré de succès d’une action collective ou comme une intervention elle-même. Par ailleurs, Valente et Fosados (2006) décrivent comment les réseaux sociaux peuvent servir de véhicules pour influencer les principaux leaders d’opinion. L’analyse de réseaux sociaux fournit un moyen d’examiner les structures sociales traversant les niveaux du système socio-écologique – elle produit une matrice de relations et met l’accent sur les liens à l’intérieur des niveaux du système et entre eux.

Les modèles socio-écologiques offrent de nouvelles orientations pour la recherche interventionnelle : l’exemple des adolescents

L’application d’un modèle socio-écologique à la consommation du tabac chez les adolescents apporte une vision élargie dans la conceptualisation de points d’intervention possibles. De plus, le modèle s’apparente mieux à la nature dynamique du changement à chaque niveau du système. Ce « changement » se réfère à tout ce qui pourrait être promu par des interventions ainsi qu’à des changements qui surviennent naturellement (par exemple, les changements développementaux). L’application du modèle socio-écologique a des conséquences en ce qui concerne la conception de la recherche interventionnelle et le choix des indices des résultats.

L’adolescence marque le commencement de la période de transition développementale vers le début de l’âge adulte. Elle est souvent associée à un taux plus élevé d’expérimentation avec le tabac et le début d’une dépendance physique et psychologique, ce qui situe ce groupe d’âge au premier plan des interventions pour la prévention et l’arrêt de la consommation du tabac (Jairath et coll., 2003 ; Stanton et Smith, 2002). Cette période de transition accroît la vulnérabilité à la consommation de tabac en raison de l’évolution des croyances et des valeurs qui influencent le choix de comportement (Chassin et Presson, 2001). De plus, le développement hâtif des mécanismes d’autorégulation (Novak et Clayton, 2001), le manque de résistance à la consommation du tabac, le manque d’auto-efficacité (Tucker et coll., 2002), la tendance à faire l’expérience de comportements à risque lorsque l’occasion se présente (Kremers et coll., 2004 ; Wild, 2006) et des réponses physiologiques exacerbées à un produit créant une dépendance peuvent tous interagir pour augmenter le risque de consommation du tabac chez les adolescents.

Bien que l’impact des transitions développementales sur les comportements vis-à-vis de la consommation de tabac ait déjà fait l’objet d’une étude (Chassin et Presson, 2001), un modèle socio-écologique approfondit ce dialogue en portant l’attention sur l’interaction entre ces caractéristiques transitionnelles et les facteurs contextuels externes. Cette interaction est illustrée par la recherche en examinant la relation entre le contexte scolaire et les caractéristiques individuelles d’autorégulation. Novak et Clayton (2001) ont examiné les patterns de consommation du tabac d’élèves des écoles primaires et secondaires tels que déterminés par l’interaction entre trois mesures d’autorégulation et deux variables d’environnement scolaire. L’autorégulation émotionnelle serait alors sensible à des contextes scolaires différents associés à des transitions dans la consommation du tabac. Les auteurs ont énoncé le principe qu’une forte régulation émotionnelle constitue un facteur de protection qui atténue la possibilité de consommer du tabac dans des contextes à haut risque. Ainsi d’après une étude, les élèves qui manifestaient un niveau plus bas de régulation émotionnelle dans des environnements scolaires ayant un niveau plus élevé de participation du corps enseignant et un niveau plus élevé de discipline de la part des enseignants avaient moins tendance à commencer à fumer (Novak et Clayton, 2001), montrant ainsi que certains contextes scolaires peuvent être protecteurs pour des élèves dont la régulation émotionnelle est faible. Des études similaires ont été faites par d’autres chercheurs (Aveyard et coll., 2004 ; Tucker et coll., 2002 ; Kothari et coll., 2007, en cours de révision).

Les transitions développementales représentent un risque accru de passer d’une consommation expérimentale du tabac à un usage quotidien et à l’accoutumance – un point de changement de trajectoire. À ce sujet, des études récentes décrivent le succès variable de programmes de réduction de la consommation de tabac axés sur l’école (Renaud et coll., 2003). Bien que les raisons possibles de cette variabilité soient nombreuses, il est possible que le fait que les transitions développementales n’aient pas été suffisamment ciblées, en ce qui concerne la consommation de tabac à l’intérieur d’une perspective socio-écologique, ait entravé l’adaptation appropriée des interventions pour cette population. D’autre part, le modèle proposé par Breinbauer et Maddaleno (2005) intègre les deux approches développementale et écologique à la réduction de la consommation de tabac des adolescents.

Les points clés de l’intervention sont exceptionnels en ce qu’ils peuvent être positionnés au niveau personnel, intrapersonnel, communautaire et politique ; ils peuvent être définis par les transitions développementales (par exemple, lorsque les adolescents passent de la maison familiale à une existence indépendante) ; ou, ils peuvent être reliés à des transitions contextuelles (par exemple, nature cyclique de l’école par rapport à l’influence des pairs). L’identification des points d’intervention clés exige une meilleure compréhension de la façon dont les différentes voies (par exemple, les transitions développementales, contextuelles ou personnelles) interagissent. Les modèles socio-écologiques peuvent aider à identifier les déterminants reliés au tabac, les voies et leurs interconnections.

Conclusion

Bien que les programmes de promotion de la santé publique répondent de mieux en mieux aux complexités des déterminants de la santé, la recherche interventionnelle a été à la traîne. Les modèles socio-écologiques offrent des façons de formuler des complexités du monde réel pouvant aider à informer la recherche interventionnelle, une recherche qui capte le système complexe des influences parmi et entre les déterminants. Les explorations des modèles socio-écologiques ont ajouté une concentration sur les niveaux d’intervention multiples pour la promotion de la santé (Edwards et coll., 2004 ; Hancock, 1993). Quoique nous sachions maintenant que de nombreuses interventions visant des secteurs et des niveaux multiples ont de fortes chances de créer un changement durable (Edwards et coll., 2004 ; Crozier Kegler et Miner, 2004 ; Mancini et Marek, 2004), il reste encore beaucoup à apprendre sur les déterminants de la santé et les stratégies connexes cruciales pour les environnements qui promeuvent la santé publique.

De nombreuses questions délicates sur l’intervention dans le domaine du contrôle du tabac demeurent et doivent être examinées. Des applications sophistiquées de cadres socio-écologiques constituent une base pour des avenues de recherche prometteuses. Les praticiens, les chercheurs dans le contrôle du tabac et les organisations de la promotion de la santé doivent travailler en collaboration et s’appuyer sur leur compréhension des modèles socio-écologiques pour progresser dans ce domaine. Il est temps de découvrir la concordance des méthodes innovatrices, lesquelles rendent compte d’une réciprocité dans les comportements de santé reliés au tabac et à l’environnement, et de répondre à la synergie entre les interventions à niveaux et stratégies multiples. Des techniques analytiques sont nécessaires pour examiner les relations internes parmi les déterminants et les relations réciproques entre les déterminants et le contexte.

Des options prometteuses pour la recherche interventionnelle future sur le contrôle du tabac incluent l’utilisation de modèles qui reflètent les transitions dynamiques caractéristiques du cours de la vie. De plus, l’application de méthodes qui captent et explicitent les liens et les relations entre les personnes et leurs contextes organisationnels et juridictionnels mérite l’attention pour obtenir des résultats durables d’arrêt et de prévention.

Le contrôle du tabac a depuis longtemps été au premier plan de la recherche en santé, de l’application de programmes et de politiques en promotion de la santé. Le moment est venu maintenant pour les chercheurs en intervention sur le contrôle du tabac de prendre la tête du mouvement et de refléter de façon appropriée les niveaux d’influence démontrés par la recherche sur les déterminants.