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Les politiques de « tolérance zéro » s’attaquant aux drogues ont rapidement mené à l’engorgement des tribunaux et des centres de détention (Brochu, 2005). C’est la raison pour laquelle l’offre de traitement aux toxicomanes référés par le système de justice est apparue comme une solution alternative à l’incarcération. Aux États-Unis, de 40 à 50 % des personnes qui participent aux programmes de traitement de la toxicomanie subventionnés par le gouvernement proviennent du système de justice criminelle (Anglin et coll.[1], cités par Sullivan, 2008). Ainsi, depuis les dix dernières années, l’intérêt scientifique porté aux enjeux posés par l’intervention en contexte de pouvoir et de subordination n’a fait qu’augmenter.

Néanmoins, la mise en pratique des interventions qui ciblent les clients référés par le système de justice présente certaines particularités. Normalement, ces individus sont considérés comme peu motivés, résistants ou dans un état de déni face à leurs problèmes, ce qui ne suscite habituellement pas l’enthousiasme des intervenants (Brochu et coll., 2006 ; Burke et Grégoire, 2007). De surcroît, il semble que ces individus auraient des besoins spécifiques qui ne sont pas facilement satisfaits à travers les approches classiques d’intervention (Brochu et coll., 2002 ; Coden et coll., 2006).

Actuellement, la discussion portant sur les traitements sous contrainte s’avère polarisée (voir Hough, 2002 ; Seddon, 2007 ; Sullivan et coll., 2008). D’un côté se trouvent les opposants à ce genre de programme, dont l’opinion se fonde sur des arguments éthiques ou cliniques contre l’imposition d’une intervention, et de l’autre, les partisans qui soulignent que, d’une façon générale, une majorité des toxicomanes ne commencent pas leur traitement sans une pression externe.

Ces désaccords enrichissent la littérature scientifique qui présente ainsi d’intéressants débats sur les questions cliniques et éthiques des programmes (Vandevelde et coll., 2006), sur les différentes formes de traitements efficaces (McIntosh et Saville, 2006) et la façon dont ils sont offerts (Cosden et coll., 2006), sur le niveau de coercition optimal pour assurer la participation et l’impact des interventions auprès d’une clientèle non volontaire (Young, 2002), et sur les différentes caractéristiques des individus référés (Hartley et Phillips, 2001 ; Webster et coll., 2006), pour ne citer que quelques-uns d’entre eux. Malgré ce développement des connaissances, il semble que la prolifération des traitements imposés par la Cour ait créé un décalage entre leur mise en place et la recherche de meilleures pratiques (Belenko, 2002).

Étant donné l’utilisation croissante des traitements de la toxicomanie recommandés par la Cour (Brocato et Wagner, 2008) et les importantes retombées de cette pratique pour les interventions cliniques, notre but est de discuter de la disposition (ou non) des clients à changer leur consommation de psychotropes. Ainsi, ce texte a pour objectif de vérifier l’état des connaissances actuelles sur la motivation des personnes référées par le système de justice à des programmes de traitement de la toxicomanie. Préalablement à cette discussion, nous souhaitons présenter des aspects conceptuels qui concernent d’une part les traitements sous contrainte et d’autre part, la motivation au changement.

Problématique

Les traitements sous contrainte[2]

Habituellement, le traitement sous contrainte est considéré comme étant la contrepartie du traitement volontaire (Seddon, 2007). Dans le denier cas, l’individu entrerait en traitement librement et par son initiative propre, tandis que dans le premier, la démarche thérapeutique lui serait imposée par un tiers. Si, à première vue, cette distinction peut paraître évidente, une analyse plus approfondie du concept de coercition révèle qu’elle serait plutôt simpliste. En fait, plusieurs auteurs ont démontré que le processus de coercition serait mieux conceptualisé en termes de continuum qu’en tant que variable dichotomique (Longshore et coll., 2004 ; Marlowe et coll., 1996 ; Seddon, 2007).

Dans ce sens, Farabee et coll. (1998) affirment que le terme « traitement sous contrainte » peut avoir différentes significations tout au long d’un continuum de restrictions qui varient en fonction des différents stades du processus de justice criminelle. La coercition peut refléter l’offre du juge qui propose à l’individu un choix entre l’incarcération ou la participation à un programme de traitement pour la toxicomanie, les recommandations des agents de probation pour suivre un traitement à l’intérieur d’un plan de supervision, les conditions de probation imposées par la Cour ou encore le placement non volontaire de détenus dans des programmes de traitement. Évidemment, l’intensité de la coercition utilisée dans chacun de ces stades serait différente.

Dans un autre ordre d’idées, Rhodes (2000) note qu’après tout, la coercition est par nature subjective. C’est la perception de la persuasion à travers les menaces qui influencera le comportement du client et non le degré de menaces qui existerait objectivement. Néanmoins, Szmukler et Appelbaum (2008) soulèvent que l’expérience subjective de se sentir contraint à faire quelque chose n’est pas forcément liée à ce qu’on entend objectivement par « coercition ». Les propos des clients quant au fait d’être soumis à une pression par leur intervenant seraient reliés à d’autres variables, comme leur perception de justice dans le processus d’engagement dans le traitement et les bénéfices perçus du traitement. Par contre, le point de vue du client quant au degré de coercition auquel il est soumis serait utile au clinicien dans la mesure où cela lui permettrait d’éclairer les objectifs et les moyens de l’intervention.

Comme on peut le remarquer, ces discussions conceptuelles constituent toujours un travail continuel, les études empiriques alimentant continuellement les débats théoriques et vice-versa. Quoi qu’il en soit, si d’un côté les aspects conceptuels méritent plus d’attention et de recherches, l’utilisation croissante des interventions sous contrainte semble pousser à investiguer davantage l’impact de ces programmes.

Ainsi, en vue d’analyser l’efficacité des traitements sous contrainte destinés aux contrevenants, Farabee et coll. (1998) ont sélectionné 11 études empiriques publiées entre 1976 et 1996. D’après les auteurs, les études soutiennent généralement l’utilisation du système de justice comme source efficace de référence des individus vers des programmes d’intervention. Cette procédure semble également contribuer à la rétention et à l’engagement des clients dans les programmes. Cependant, lorsqu’il est question de l’impact des interventions sous contrainte sur les résultats du traitement[3], les conclusions tirées des études divergent : cinq rapportent une relation positive entre la coercition et les résultats, quatre ne trouvent pas de différence et deux rapportent une relation négative. Les auteurs expliquent ces divergences à l’aide de trois arguments. Premièrement, les termes utilisés dans les études (« référé par la Cour » ou « contraint par le système de justice ») rendent l’identification du niveau de pression utilisé très difficile et, en conséquence, la comparaison des études. Deuxièmement, même si les études portent sur des échantillons de contrevenants, les niveaux de coercition exercée variaient beaucoup, pouvant indiquer une différence importante dans les trajectoires de consommation et de criminalité, ce qui expliquerait que les résultats découlant des traitements varient en fonction des caractéristiques du participant. Troisièmement, aucune donnée n’est disponible concernant la qualité d’implantation des programmes. Il n’est donc pas possible de garantir que leur mise en pratique soit restée fidèle au protocole. Finalement, et plus important pour ce texte, les auteurs remarquent qu’aucune étude recensée n’évaluait la motivation des clients soumis aux traitements sous contrainte. Or, il se pourrait que le rôle de cette variable de grande importance clinique ait été éclipsé par l’intérêt scientifique accordé aux pressions externes.

Plus récemment, Perry et coll. (2009) ont réalisé une recension systématique des écrits dans le but de vérifier l’influence du contexte des traitements sous contrainte sur la criminalité et la consommation de psychotropes des individus contrevenants toxicomanes. Les auteurs ont conclu que les communautés thérapeutiques démontraient de meilleurs résultats, diminuant significativement la récidive criminelle et la rechute en termes de consommation (probablement grâce à la durée et à l’intensité de ces programmes résidentiels). Par contre, les programmes d’intervention axés plutôt sur la supervision intensive des individus (tests de dépistage de drogues et surveillance dans la communauté) ont démontré peu ou aucun impact sur les deux variables dépendantes considérées.

Néanmoins, l’analyse de l’impact des interventions sous contrainte s’avère très délicate, étant donné les différentes caractéristiques des programmes, des clients et des politiques sous-jacentes aux programmes, l’extrême complexité des contextes où ces programmes sont déployés, les divers niveaux d’intensité de la coercition utilisée, ainsi que les importantes limitations méthodologiques de la plupart des recherches qui s’intéressent à leur efficacité (Klag et coll., 2005 ; Perry et coll., 2009 ; Stanford et Arrigo, 2005 ; Stevens et coll., 2005).

Quoi qu’il en soit, depuis 1988, des auteurs renommés répètent que, contrairement aux croyances des milieux cliniques, les individus qui commencent un traitement sous ordonnance de la Cour pourraient diminuer leur consommation autant que ceux qui le font volontairement (Anglin, 1988 ; Anglin et coll., 1989 ; Farabee et coll., 1998 ; Prendergast et coll., 2002 ; Stevens et coll., 2005). Dans ce sens, plusieurs pistes d’investigations s’ouvrent pour mieux comprendre le processus de modification de comportement dans des contextes contraignants.

Parmi les divers thèmes de recherche privilégiés, certains auteurs (Farabee et coll., 1998 ; Seddon, 2007 ; Stevens et coll., 2005) croient que l’étude de la motivation au changement dans ces contextes peut significativement contribuer au développement des connaissances sur l’utilisation efficace de la coercition dans les traitements de la toxicomanie. L’importance accordée à la motivation est attribuable notamment à deux constats. D’abord, il semble que la motivation au changement aurait un important rôle à jouer dans les résultats des traitements de la toxicomanie (Longshore et Teruya, 2006) et que les clients qui se font imposer des traitements seraient habituellement moins motivés au changement que leurs pairs volontaires (Grégoire et Burke, 2004 ; Marlowe et coll., 2001 ; Schneeberger et Brochu, 2000).

Par ailleurs, le concept de « motivation » n’est pas facile à définir et encore moins à mesurer. Si, auparavant, la motivation était considérée comme une simple variable reliée aux caractéristiques de la personnalité de l’individu, à ses forces et vulnérabilités, les deux dernières décennies nous ont permis de prendre conscience de la complexité, du dynamisme et des diverses dimensions de ce concept et nous ont fait réaliser l’importance de sa compréhension à l’avancement des pratiques cliniques en toxicomanie (DiClemente, 2006).

La motivation au changement

Dans le domaine de la toxicomanie, la motivation de l’individu pour chercher, s’engager et compléter un traitement est vue comme centrale, affectant autant le processus que les résultats de l’intervention (Grégoire et Burke, 2004 ; Simpson et coll., 1997). En ce sens, DiClemente et ses collègues allèguent :

Although complicated by physiological and psychological dependence, an abuser’s motivation and intentions represent a critical part of the process of recovery and healing.

DiClemente et coll., 2004, p. 103

L’étude à large échelle connue sous le nom DATOS (Drug Abuse Treatment Outcome Study) a conclu que la motivation constitue un prédicteur de la rétention pour toutes les modalités de traitement considérées (Joe et coll., 1998). Par ailleurs, la rétention est habituellement associée aux résultats positifs du traitement (Carroll, 1997). Ainsi, les clients les plus motivés compléteraient plus souvent les programmes d’intervention et obtiendraient des changements comportementaux significatifs. Cependant, malgré son importance clinique et les efforts des scientifiques, la compréhension du processus de motivation au changement demeure un défi tant pour les chercheurs que pour les cliniciens.

William Miller a contribué largement à l’avancement des connaissances en critiquant la conceptualisation classique qui concevait la motivation comme étant uniquement reliée aux caractéristiques personnelles de l’individu. D’après lui, cette façon de voir les choses conduirait à des « self-fulfilling prophecies », à la culpabilisation de la personne et au découragement des thérapeutes dans leurs tentatives d’intervenir sur sa motivation (Miller, 1985). Grâce à Miller, entre autres, la conception de la motivation comme étant fluctuante, dynamique et influençable pendant le traitement, prévaut clairement dans la littérature scientifique plus récente.

L’idée de la motivation en tant que variable changeante au fil du temps se retrouve aussi à la base du modèle transthéorique du changement (MTC, DiClemente, 2006). Ce modèle s’avère le plus populaire et le plus étudié lorsqu’il est question de la motivation des individus aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Le corpus théorique du MTC propose que la motivation soit conceptualisée en termes de « stades » et de « disposition » au changement. Ainsi, les clients qui commencent un traitement devraient être évalués par rapport à leur « stade de motivation » à s’engager dans le processus de changement. Un individu se situe dans le stade de la « précontemplation » quand il ne reconnaît pas avoir un problème ou besoin d’un traitement. Dans un premier temps, la motivation apparaît lorsque la personne commence à reconnaître les problèmes causés par sa consommation de drogues (« contemplation »). Par la suite, le niveau de motivation augmente dans la mesure où la possibilité et les options pour le changement sont prises en considération (« préparation »), la personne agit alors en fonction du changement souhaité (« action »), par exemple en tentant d’arrêter ou de diminuer sa consommation par elle-même ou en entrant dans un programme de traitement. Finalement, l’individu passe par une phase de consolidation des changements (« maintien ») pendant laquelle il intégrera ses acquis en lien avec cette nouvelle façon de se comporter face à la drogue. Il faut souligner que le MTC considère que les stades de changement sont dynamiques, pouvant fluctuer constamment au fil du temps. De plus, la motivation au changement serait reliée à un comportement et à un objectif spécifique (DiClemente et coll., 2004). Ainsi, un polyconsommateur de drogues peut se trouver au stade de l’action face à sa consommation de cocaïne et au stade de précontemplation pour ce qui est de son usage d’alcool et de cannabis.

Les recherches utilisant le MTC ont identifié deux aspects du concept de disposition : la disposition au changement (une combinaison de la perception du problème et de la confiance en sa capacité de changer) et la disposition envers le traitement (la motivation pour chercher et accepter de l’aide). Il semble exister une importante distinction entre ces deux aspects, ce qui aurait d’importantes retombées sur la pratique clinique (DiClemente et coll., 2004). Par exemple, quelqu’un peut prendre conscience de son problème et souhaiter changer son comportement sans forcément être prêt à accepter une aide professionnelle. Ou, au contraire, une personne peut vouloir participer à un programme de traitement, malgré son niveau important d’ambivalence concernant les changements qu’elle doit apporter à son mode de vie.

Toutefois, la distinction conceptuelle entre la disposition « à changer » et celle « envers le traitement » ne fait pas consensus. D’après Drieschner et coll. (2004), les concepts de motivation au traitement et de motivation au changement doivent être considérés comme équivalents, car du point de vue des individus qui suivent un traitement, les deux auraient pratiquement la même signification.

Un autre aspect important pour les analyses présentées subséquemment s’appuie sur l’influence des sources internes et externes de la motivation d’un individu. Dans la littérature, on retrouve constamment les expressions « motivation interne » et « motivation externe ». Cette distinction est probablement apparue pour la première fois dans les travaux de Deci et Ryan (1985) :

Intrinsically motivated behaviors are ones for which the rewards are internal to the person. The actor engages in them out of interest and to feel competent and self-determining. Extrinsically motivated behaviors are ones that the actor performs to receive some extrinsic reward.

Deci et Ryan, 1985, p. 194

Ainsi, la motivation interne est affectée par des facteurs cognitifs, émotionnels et physiques propres aux individus, par exemple : le stress physique et émotionnel, le désir de devenir une personne meilleure, l’insatisfaction envers son style de vie et la reconnaissance des problèmes causés par la consommation de drogues. Quant à elle, la motivation externe résulterait de pressions et conséquences externes à l’individu, comme la perte du soutien familial ou social, les problèmes au sein de l’environnement de travail et les pressions légales (Hiller et coll., 2009).

Méthodologie

Nous avons réalisé une recension des articles publiés en anglais ou en français durant la période de 1998 à 2009 portant sur des thèmes en lien avec « la motivation dans les traitements sous contrainte ». Les banques de données PsychInfo, Medline, Current Contents, Social Work Abstracts, Criminal Justice Abstracts et NCJRS ont été utilisées à partir d’une liste de mots-clés préétablie. Les mots-clés : motivation, readiness, motivational interviewing ont été croisés avec : coerced treatment, mandated treatment, coercion, coerced care, drug abuse, substance abuse, court-based drug treatment, drug court, incarceration, drug-involved offenders, prison[4]. En plus, afin de compléter l’analyse, nous avons décidé d’inclure certains articles clés, largement cités, qui ont été publiés avant la période ciblée par cette étude (Anglin, 1988 ; Anglin et coll., 1989 ; Farabee et coll., 1998).

Étant donné que le niveau de contrainte n’est pas toujours bien explicité dans les articles, nous avons retenu ceux dont l’implication du système de justice ou des instances pénales dans le contexte de traitement était évidente : les traitements pendant l’incarcération ou la probation et les traitements résidentiels ou communautaires pour les personnes référées par le système de justice[5].

Afin de discuter la motivation des individus qui ont été dirigés vers un traitement de la toxicomanie par le système de justice, la section d’analyse présente trois sous-sections. D’abord, des études qui discutent de la motivation des clients non volontaires au traitement seront analysées. Ensuite, le rôle de la motivation externe (pressions externes) dans le changement sera examiné. Finalement, nous nous pencherons sur le rôle de la motivation interne en mettant en lumière la « théorie du bas-fond ».

La motivation dans les traitements sous contrainte

Plusieurs études réalisées auprès de clients en traitement pour un problème d’abus aux substances psychoactives indiquent que des niveaux plus élevés de motivation en début de traitement sont associés à la diminution de la consommation de psychotropes et de la récidive criminelle (par ex. : Shen et coll., 2000 ; DeLeon et coll., 2000). De telles conclusions préoccupent les intervenants qui oeuvrent auprès d’individus référés par le système de justice étant donné que ces ceux-ci sont reconnus pour leur carence motivationnelle, leur résistance face aux interventions et leur faible reconnaissance de leurs problèmes (Farabee et coll., 1998 ; Shearer et coll., 2005 ; Brochu et coll., 2006 ; Vandevelde et coll., 2006).

Les réactions des milieux cliniques face aux clients référés par la Cour sont exposées dans l’étude de Schneeberger et Brochu (2000), qui ont interviewé 20 intervenants du domaine de la toxicomanie au Québec. Les participants confirment que les personnes judiciarisées en traitement présenteraient une faible motivation interne et peu de reconnaissance de leurs problèmes. Les conclusions de cette recherche pourraient être ainsi résumées :

Les pressions judiciaires exercées chez l’individu en traitement, ainsi que sur les ressources qui les reçoivent sont aussi au nombre des difficultés mentionnées par les participants. (...) Cette situation fait en sorte que les ressources de réadaptation reçoivent souvent des individus peu motivés à suivre un traitement, ce qui ne facilite en rien leur pratique.

Schneeberger et Brochu, 2000, p. 141

La recension de Farabee et coll. (1998) va dans le même sens en précisant que les personnes judiciarisées seraient moins prêtes à s’engager dans une démarche thérapeutique en dépit du fait que leurs besoins seraient semblables à ceux de leurs pairs volontaires. Dans un contexte de traitement communautaire pour la toxicomanie, Marshal et Hser (2002) mentionnent que les clients impliqués avec le système de justice présenteraient une motivation interne plus faible, seraient moins prêts à reconnaître leurs problèmes de toxicomanie et souhaiteraient moins d’aide en comparaison aux individus sans démêlés avec la justice. En plus, l’étude de Vandevelde et coll. (2006) effectuée auprès des individus contrevenants incarcérés ou récemment libérés de la prison en traitement pour la toxicomanie conclut que :

In accordance with other studies, we found evidence supporting the statements that the motivation of judicial clients towards change in general and treatment for various problems in particular is low and primarily extrinsic.

Vandevelde et coll., 2006, p. 301

En fait, s’il était possible de classer les personnes toxicomanes en deux groupes distincts : celles qui veulent vraiment abandonner définitivement leur consommation et celles qui désirent ardemment la poursuivre, il serait aisé d’affirmer que les personnes du premier groupe présenteraient un meilleur pronostique de traitement. Toutefois, classer les individus comme « motivés » ou « non motivés » nous contraint à nier la possibilité d’ambivalence qui existe avant et pendant le processus de changement (Hough, 2002). Or, les aspects motivationnels dans des contextes où l’individu n’a pas choisi librement l’intervention à laquelle il sera soumis s’avèrent beaucoup plus complexes qu’on pourrait le prévoir. Ainsi, considérer une personne dirigée par le tribunal comme étant « non motivé » d’emblée peut s’avérer un préjugé associé à sa situation légale.

C’est ce qu’illustrent Orlando et coll. (2003) qui ont interrogé des jeunes en probation, référés par la Cour, à propos de leur expérience dans des traitements résidentiels de la toxicomanie (n=291). Les résultats indiquent que plus de 50 % des participants ont reconnu avoir besoin d’intervention pour régler leurs problèmes de consommation et leurs conflits familiaux. Dans le même sens, certaines personnes en traitement sous contrainte judiciaire affirment qu’elles auraient commencé volontairement un traitement si elles avaient eu l’opportunité de le faire auparavant (Farabee et Leukefeld, 2001). En fait, des évidences empiriques démontrent que les individus référés légalement à des traitements de la toxicomanie ne sont pas tous également résistants au traitement (Longshore et coll., 2004). Le fait qu’une pression légale soit exercée dans le but d’inciter une personne à commencer son traitement ne signifie pas nécessairement que toutes les personnes dans cette situation aient été forcées dans ce processus.

C’est donc dire que l’utilisation des services de santé, dans le but de modifier un comportement considéré comme problématique, semble constituer une disposition cognitive et comportementale multidéterminée qui dépasserait l’influence exercée par la source de référence de l’individu. En outre, indépendamment du cheminement parcouru vers les interventions professionnelles, chez la plupart des individus qui commencent un traitement pour leur problème de toxicomanie, on retrouve un important degré d’ambivalence concernant l’engagement dans la démarche thérapeutique et les possibilités de changement (Hough, 2002 ; Klag et coll., 2005). Il est ainsi possible que l’image du client judiciarisé comme étant une personne « non motivée » puisse être, dans une certaine mesure, associée à des difficultés pratiques vécues tout au long du traitement.

Dans son étude, Whiteacre (2007) a tenté de mieux comprendre les défis pratiques vécus par les intervenants lorsque la Cour leur réfère des personnes toxicomanes. Il a ainsi interrogé des professionnels travaillant auprès des jeunes dans un programme de traitement relié à un tribunal spécialisé de la toxicomanie sur leur opinion concernant le système d’application des sanctions utilisé dans ce contexte. Les participants étaient ambivalents lorsqu’il était question de l’efficacité des sanctions en tant qu’outil thérapeutique, surtout en considérant la non-conformité de certains jeunes face aux conséquences appliquées par les éducateurs. Afin de neutraliser la tension créée par la difficulté d’intervenir auprès des jeunes, les intervenants attribuaient leur non-conformité au manque de motivation de ces clients, en concluant ainsi que le traitement sous contrainte ne fonctionnerait que pour les individus qui sont « prêts » pour le traitement. Nous sommes d’accord avec Whiteacre (2007) pour affirmer que cette position pose un paradoxe important pour les traitements ordonnés par la Cour, lesquels sont en soit des interventions préconisées afin d’offrir une possibilité de changement à des individus non motivés à le faire. Les déclarations des intervenants témoignent de la nécessité de leur offrir du soutien et de la supervision clinique afin que la pertinence des interventions leur apparaisse plus clairement. Étant donné que l’intervention clinique consiste en un processus interactif (Miller et Rollnick, 2006), l’ouverture aux possibilités de changement serait souhaitable dans les deux pôles de la relation (clients et intervenants).

En fait, l’intérêt pour la motivation au changement dans les contextes de traitements sous contrainte s’est accru au cours des dernières années, comme en témoignent les nombreuses publications sur ce thème. Toutefois, probablement en raison de la récente dissémination des traitements ordonnés par la Cour, la plupart des recherches ciblant la motivation développent des aspects fondamentalement descriptifs de la problématique. Elles s’occupent de tracer le profil des clients non volontaires (Brecht et coll., 2005 ; Brochu et coll., 1999 ; Broner et coll., 2005 ; Marshall et Hser, 2002 ; Roberts et coll., 2007), d’analyser les facteurs impliqués dans leur rétention et engagement au traitement (Brocato et Wagner, 2008 ; Hepburn et Harvey, 2007 ; Hiller et coll., 2002 ; Lang et Belenko, 2000 ; Orlando et coll., 2003 ; Knight et coll., 2000 ), ainsi que d’examiner les caractéristiques des programmes offerts (Farabee et coll., 1999 ; Fisher, 2003 ; Grella et coll., 2007 ; Polcin, 2001 ; Schippers et coll., 1998 ; Sia et coll., 2000).

Tout compte fait, malgré l’augmentation des études portant sur les interventions dans les contextes contraignants, les discussions approfondies sur les dimensions de la motivation en lien avec ce contexte spécifique de traitement demeurent peu nombreuses. Parmi les articles recensés, nous avons pu en identifier certains qui présentaient d’intéressants débats à propos des dimensions externe et interne de la motivation dans les contextes contraignants. Malgré la quantité limitée d’articles ciblant ce type de discussion conceptuelle, nous croyons que la compréhension de ces dimensions pourra nous insuffler d’intéressantes réflexions sur la mise en pratique des traitements sous contrainte. En fait, il semblerait que la dimension subjective de la coercition (une pression externe) serait intimement reliée au concept de motivation (une pression interne) (Seddon, 2007). Dans les prochaines sections, nous tenterons d’organiser les principales constatations des chercheurs qui ont analysé les liens entre la motivation externe ou interne et l’utilisation de la coercition dans les traitements de la toxicomanie.

La motivation externe

Il semble que ces pressions externes ne soient pas étrangères aux individus toxicomanes en général. On considère que la plupart des individus qui commencent un traitement pour leur problème de toxicomanie le font sous la pression d’un tiers (Marlowe et coll., 2001). Dans ce sens, Polcin et Weisner (1999) ont étudié les différentes sources de pressions subies par 927 individus qui commençaient un traitement pour l’alcoolisme. Plus de 40 % des participants ont affirmé avoir reçu un ultimatum d’au moins une personne pour entrer en traitement, tandis qu’il était commun qu’un ultimatum soit imposé par plus d’une personne. La source la plus courante d’ultimatum était la famille, suivie du système de justice et des professionnels de la santé. Les participants de race blanche, jeunes adultes (18 à 39 ans) et mariés ou ayant un conjoint de fait, rapportaient davantage avoir subi un ultimatum. Il est à noter que la gravité de la toxicomanie ne serait pas associée à l’intensité des pressions subies.

En fait, il est probable que la coercition (pression externe) agisse comme un agent motivateur (externe), c’est-à-dire qu’elle encouragerait les personnes éprouvant des problèmes avec l’alcool ou les drogues à commencer un traitement et à y rester. Marlowe et coll. (2001) notent que les individus qui ont affirmé être entrés en traitement pour leur toxicomanie à la suite de pressions sociales, de graves problèmes financiers, ou les deux, étaient plus assidus au traitement et présentaient davantage de résultats négatifs pour la consommation de drogues dans le test d’urine (indiquant abstinence) que leurs pairs affirmant avoir pris la décision d’entrer en traitement par eux-mêmes.

Par ailleurs, la rétention du client en traitement pourrait être, entre autres, influencée par sa motivation externe en lien avec les pressions de son entourage. En d’autres mots, l’individu pourrait rester en traitement afin d’éviter les conséquences possibles de ce comportement (par ex. : divorce, chômage, incarcération) (Grégoire et Burke, 2004). Cette question a attiré l’attention de plusieurs chercheurs qui se sont intéressés au rôle de la contrainte judiciaire dans la rétention des clients en traitement. Cet intérêt s’explique par le fait que le temps passé en traitement est reconnu comme l’un des meilleurs prédicteurs des résultats post-traitement (Simpson et coll., 1997). Plus encore, les détenus ayant complété un programme d’intervention de la toxicomanie pendant leur incarcération ont présenté des taux significativement inférieurs d’arrestation lors des 12, 24 et 36 mois qui ont suivi leur libération comparativement aux individus qui ont décroché du programme en cours de route (Warner et Kramer, 2009).

Perron et Bright (2008) ont utilisé les données d’une enquête nationale sur les traitements publics de la toxicomanie (National Treatment Improvement Evaluation Study, NTIES) pour analyser la relation entre la coercition et la rétention des clients aux programmes offerts. La coercition légale a été associée à la rétention pour les trois modalités de traitement considérées (résidentiel à court-terme, résidentiel à long terme, et non-résidentiel) en réduisant significativement le risque d’abandon prématuré chez les clients. Dans le même ordre d’idées, Young et Belenko (2002) ont comparé trois groupes d’individus référés par le système de justice à un même traitement résidentiel à long terme (14 à 24 mois). Deux groupes participaient à des programmes très structurés et contraignants (sous la surveillance des tribunaux spécialisés dans la toxicomanie) et un autre groupe a pris part à une structure plus habituelle et souple (par exemple, sous la supervision des agents de probation ou de libération conditionnelle). La probabilité de persévérer en traitement pour une période de six mois ou plus était presque trois fois plus élevée pour les clients dirigés par des sources plus contraignantes.

Toutefois, malgré la motivation externe issue des pressions et du contrôle subis, le degré d’engagement des individus dans les programmes de traitement est très variable. Sung et coll. (2001) ont analysé les comportements de non-conformité des clients d’un traitement résidentiel à long terme (16 à 24 mois) offert comme alternative à l’incarcération. Les facteurs qui distinguent les clients « non engagés » (plus jeunes, faible scolarisation, peu d’expérience sur le marché du travail et implication dans le système de justice à un jeune âge) des clients « engagés » sont également en corrélation avec des facteurs comme l’usage de drogues dures, une courte rétention et des résultats négatifs du traitement dans des recherches antérieures. Ainsi, les mêmes dynamiques causales qui amènent une personne à s’impliquer dans la consommation de drogues et dans la criminalité peuvent entraver son engagement dans le traitement et augmenter ses possibilités d’échec. En plus, les clients non engagés sont normalement très perturbateurs dans les contextes d’intervention et monopolisent une énorme partie des ressources disponibles. En ce sens, il serait très important de les identifier et d’intervenir auprès d’eux de façon ponctuelle le plus tôt possible. Par ailleurs, Sung et coll. (2001) observent que la difficulté des clients à suivre les règles et les règlements du programme souligne l’importance de rendre ces règlements plus flexibles, surtout pendant les stades initiaux, afin de diminuer le décrochage, augmenter leur motivation et assurer la suite de l’intervention.

There appears to be a real potential for ameliorating the impact of initial manifestations of non-compliance, given that the majority of the noncompliant clients did eventually engage in and complete treatment.

Sung et coll., 2001, p. 161

Les résultats des études de Grégoire et Burke (2004) et de Burke et Grégoire (2007) effectuées auprès d’individus en traitement dans l’un des cinq programmes publics considérés indiquent qu’un ordre judiciaire peut faciliter à la fois la rétention des clients en traitement et la diminution de la gravité de la consommation (mesurée selon les critères de l’échelle d’évaluation Addiction Severity Index - ASI). Dans leur première publication, ils concluent que l’implication des individus dans le système de justice peut être associée à une plus grande motivation au changement. Les auteurs notent que les individus sous coercition avaient trois fois et demie plus de chance d’endosser les items du Readiness to Change Questionnaire, dont les résultats indiquent des changements actuels de comportement en relation avec la diminution de la consommation. Ainsi, la rétention en traitement résultant de la coercition légale peut, en partie, refléter des changements sous-jacents parmi les clients sous contrainte (Grégoire et Burke, 2004). Dans leur deuxième publication, ces auteurs utilisent les données de l’entrevue de suivi six mois après la fin du traitement. Les individus référés par la Cour avaient une plus grande probabilité de se déclarer abstinents de l’alcool et des drogues durant les 30 jours qui ont précédé leur entrevue. Ces personnes avaient également une plus grande probabilité de diminuer la gravité de leur consommation à la suite du traitement. En outre, la motivation au changement, évaluée lors de l’admission au traitement, n’était pas associée à la consommation de psychotropes rapportée dans l’entrevue de suivi (Burke et Grégoire, 2007). Cette dernière conclusion, ajoutée à celle de Sung et coll. (2001), laisse supposer que la motivation au changement puisse se développer dans un contexte thérapeutique, en dépit de son absence ou son caractère fondamentalement externe au début de l’intervention.

Cependant, les résultats de Brochu et coll. (2006) auprès des contrevenants en traitement pour la toxicomanie démontrent que la perception de la menace du système de justice aurait un impact sur la rétention des clients en traitement, quoique cet impact n’ait été observé que pendant la période préalable à l’imposition de la sentence. De plus, la persévérance dans le traitement ne serait pas forcement associée à des changements positifs dans la vie des participants, du moins en termes d’usage des drogues.

En somme, les études indiquent que la plupart des individus qui commencent un traitement de la toxicomanie le font en fonction d’une source de motivation externe, le système de justice n’étant qu’un exemple parmi d’autres. Les pressions externes auraient donc un rôle important à jouer en favorisant l’entrée et la rétention en traitement des individus initialement non motivés. Cependant, les conclusions concernant l’influence des pressions sur l’engagement des clients dans le processus thérapeutique ainsi que sur leur changement de comportement s’avèrent plutôt mitigées. Par ailleurs, les études actuelles soulignent l’important rôle de la motivation interne dans le processus de changement des individus judiciarisés (Cosden et coll., 2006 ; DeLeon et coll., 2000 ; Joe et coll., 1998).

La motivation interne

Les études qui ont porté sur la motivation au traitement suggèrent que la perception des clients quant à la gravité de leurs problèmes et la reconnaissance de leur besoin de traitement sont associées à la rétention et à l’engagement dans le traitement ainsi qu’aux résultats qui en découlent (Cosden et coll., 2006 ; Joe et coll., 1998 ; DeLeon et coll., 2000).

Cet aspect a été corroboré par Rosen et coll. (2004). Ces derniers notent que les détenus qui reconnaissaient leur problème de consommation et qui souhaitaient recevoir de l’aide pour le régler avaient plus de probabilités de s’engager dans un traitement de la toxicomanie offert pendant l’incarcération. De surcroît, les individus qui étaient davantage préparés à agir pour modifier leur consommation avaient des attentes plus positives concernant les bénéfices du traitement. Autrement dit, des niveaux plus élevés de motivation interne sont reliés à l’engagement cognitif dans le processus thérapeutique.

Dans un même ordre d’idées, Sung et coll. (2004) ont analysé le rôle de la motivation sur l’engagement des individus référés par la Cour à un traitement en communauté thérapeutique (n=150). Les clients qui se conformaient davantage au traitement étaient plus conscients des conséquences préjudiciables de leur consommation de drogues et percevaient davantage l’importance de l’intervention. Les résultats indiquent l’importance des variables reliées à la motivation interne pour l’engagement des personnes dans le programme d’intervention qui leur est proposé.

La motivation interne du client (notamment la reconnaissance d’un problème avec les drogues) semble aussi associée à la qualité de la relation thérapeutique établie avec les intervenants (Brocato et Wagner, 2008 ; Sia et coll., 2000) et à la satisfaction des clients envers le programme offert (Sia et coll., 2000). Sia et coll. (2000) soulignent que les individus en probation qui montraient les niveaux de motivation interne les plus élevés évaluaient leurs intervenants, la qualité des sessions et le personnel de la sécurité plus positivement que les individus plus résistants.

Contrairement à certaines études citées dans la section antérieure concernant l’association entre la motivation externe et la rétention dans le traitement, la recherche de Knight et coll. (2000), utilisant les données du DATOS[6] (Drug Abuse Treatment Outcome Studies), indique que la disposition motivationnelle (motivation interne) serait, statistiquement parlant, le principal prédicteur de la rétention. Ce résultat se maintient même après avoir contrôlé les mesures sociodémographiques, l’usage de drogues et d’autres caractéristiques du client. De surcroît, cette étude montre que la motivation (interne) au traitement, et non les pressions légales (externes), serait le prédicteur le plus important de l’engagement du client dans le traitement.

Dans ce sens, Melnick et coll. (2001) ont étudié la participation de détenus toxicomanes à un programme de traitement du type communauté thérapeutique offert dans une prison. Les chercheurs ont noté que la conformité apparente au traitement, fondée seulement sur les pressions externes, sans la présence de la motivation interne au changement, n’est plus associée à des résultats positifs du traitement (abstinence et absence de criminalité) dès que le client n’est plus sous l’influence des agents externes. Cela est conforme aux postulats théoriques de Ryan et Deci (2000a) : si un changement de comportement résulte d’une motivation interne, il se maintiendra plus longtemps ; si, au contraire, un changement résulte d’une motivation externe, il demeurera seulement en présence des contrôles extrinsèques. Ainsi, l’augmentation de la motivation interne devrait constituer un objectif à privilégier par les interventions en toxicomanie.

Ce point de vue est corroboré par Farabee et coll. (1998) qui concluent que la coercition fonctionnerait comme une source de motivation externe pour inciter un individu à entamer un traitement, mais que le développement de la motivation interne serait fondamental pour le changement de comportement. Le passage d’une motivation fondée sur les pressions externes à une internalisation graduelle des raisons des changements semble non seulement possible, mais essentiel pour accéder aux bénéfices du traitement.

Pour leur part, Marlowe et coll. (2001) avancent que les individus impliqués avec le système de justice criminelle rapporteraient un mélange de motivations internes et externes qui les inciteraient à amorcer un traitement. D’ailleurs, il semble que les pressions internes et externes ne soient pas des dimensions complètement séparées ou indépendantes, il existerait plutôt une relation interactive entre elles (Seddon, 2007). Conformément à la suggestion de Grégoire et Burke (2004), la coercition légale peut augmenter la disposition au changement des participants d’un traitement non résidentiel public. Parallèlement, la recension des écrits de Longshore et coll. (2004) sur les traitements sous contrainte pour les contrevenants toxicomanes conclut que « external and internal motives may jointly affect treatment success when external pressure is internalised or ‘transformed’ into an internal motive » (Longshore et coll., 2004, p. 115-116).

Or, si la motivation interne du client est associée à de meilleurs pronostics du traitement sous contrainte (Cosden et coll., 2006 ; Rosen et coll., 2004), de nouvelles questions surgissent quant aux facteurs qui détermineraient cette motivation. Habituellement, on associe la motivation interne d’un toxicomane à son expérience de conséquences négatives en lien avec sa consommation et à la souffrance vécue face à sa condition (Hiller et coll., 2009 ; Shen et coll., 2000 ; Webster et coll., 2006). Dans les milieux de pratique clinique, il est fréquent d’entendre dire qu’un individu ne changera pas tant et aussi longtemps qu’il n’aura pas vécu des problèmes importants en lien avec sa consommation. Conséquemment, plus les déclarations des clients sont imbriquées de déchirement, de chagrin, de détresse et de malheur, plus on a tendance à les considérer motivés et prêts à changer. C’est ce que nous appellerons dans ce texte « la théorie du bas-fond » (en anglais « hitting the bottom »).

La « théorie du bas-fond »

La « théorie du bas-fond » implique que la trajectoire toxicomane amène la personne sur une route qui devient trop pénible pour elle, la personne cherchera alors des moyens pour s’en sortir. Ainsi, les individus qui affirment avoir vécu le plus de problèmes seraient davantage prêts au changement et, de ce fait, seraient en mesure de mieux profiter du traitement et auraient plus de chances d’arriver à des résultats positifs (Shen et coll., 2000). Cette « théorie » est confirmée par certaines études. En utilisant un échantillon d’individus en traitement pour des problèmes de toxicomanie, Shen et coll. (2000) concluent que la motivation au traitement serait déterminée davantage par la reconnaissance des problèmes récents reliés à la consommation que par ceux vécus au cours de la vie. Aussi, une plus grande motivation au traitement à été associée à des améliorations significatives dans tous les domaines mesurés par l’ASI (consommation de drogues et d’alcool, problèmes médicaux et psychiatriques) dans l’entrevue de suivi six mois après la fin du traitement.

Par ailleurs, l’étude de Hiller et coll. (2009) auprès de 661 détenus toxicomanes note que des degrés plus élevés de motivation au traitement sont associés à des niveaux plus élevés de problèmes reliés aux drogues tels les problèmes professionnels, familiaux et de santé physique. De surcroît, les symptômes les plus sévères de dépression et d’anxiété étaient associés à un degré plus élevé de reconnaissance du problème ainsi qu’à un plus fort désir d’aide. Autrement dit, les personnes qui éprouvaient des problèmes plus graves avaient des niveaux plus élevés de motivation au traitement, reconnaissaient plus souvent leur besoin d’aide et souhaitaient obtenir du soutien pour atteindre des changements à long terme.

De même, Webster et coll. (2006) ont examiné les différences de motivation au traitement entre les hommes et les femmes d’un échantillon de participants à des traitements dans le contexte d’un tribunal spécialisé dans la toxicomanie. Les auteurs affirment que les femmes ont rapporté plus de symptômes de troubles mentaux ainsi que plus de problèmes dans des domaines associés à la détresse psychologique que les hommes. En outre, la sévérité des problèmes de santé mentale serait associée à une plus grande motivation au traitement pour les femmes.

Substance users who are experiencing more distress and mental health problems may be more likely to recognize the problems associated with their substance use, and may thus be willing to accept help with their substance use.

Webster et coll., 2006, p. 445

Toutefois, cette association ne s’est pas avérée significative en ce qui concerne les hommes. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que l’expression de souffrance et la recherche d’aide sont des comportements plus acceptés socialement pour les femmes que pour les hommes (Webster et coll., 2006). Ces conclusions nuancent de façon importante les résultats obtenus par l’étude précédente. Ainsi, il semble que non seulement la gravité des problèmes et le désir d’aide motiveraient les personnes au traitement, mais également leur disposition personnelle pour demander et accepter de l’aide.

Sous un autre angle d’analyse, Sung et coll. (2004) notent que les individus plus jeunes et ayant de bonnes capacités physiques se conformaient moins au traitement d’une communauté thérapeutique auquel ils avaient été référés par le tribunal. Les auteurs croient que les changements biologiques et psychologiques résultant du processus de maturation peuvent probablement contribuer à une meilleure conformité au traitement, sauf si d’autres problèmes de santé mentale sont présents. Encore une fois, ces résultats ont tendance à pointer vers la « théorie du bas-fond ». Or, les individus plus jeunes n’ont peut-être pas encore eu le temps d’expérimenter des conséquences plus graves liées à leur consommation, incluant les conséquences physiques qui résultent d’un usage fréquent et à long terme de psychotropes.

Toutefois, il semble que la « théorie du bas-fond » mériterait plus d’attention, car si la motivation est fréquemment associée à la gravité des problèmes, l’impact de ces deux variables sur les résultats du traitement semble moins évident. Rapp et coll. (2003) ont fait appel à une cohorte de clients provenant de deux programmes de traitement publics afin d’analyser le rôle de la motivation du client dans son acceptation du traitement. Pour ce faire, ils ont évalué la motivation en début de traitement. Comme prévu, la motivation au traitement était associée à la gravité des problèmes reliés à la consommation. En outre, la source de référence de l’individu (système de justice ou non) ne s’est pas avérée significativement associée à la motivation. Qui plus est, pour la majorité des clients, aucun lien n’a pu être observé entre la gravité des problèmes associés à la motivation en début d’intervention et la gravité de la toxicomanie (mesurée par l’ASI) après six mois.

À première vue, les résultats de Rapp et coll. (2003) semblent appuyer la « théorie du bas-fond », car les clients éprouvant des problèmes plus significatifs seraient plus motivés en début de traitement. Toutefois, les conclusions finales ouvrent sur de nouvelles voies de compréhension de la problématique. On remarque que la motivation initiale du client n’était pas associée aux résultats six mois plus tard. Ainsi, en dépit du fait que les clients qui éprouvaient plus de problèmes (grave dépendance à l’alcool et aux drogues, traitements de la toxicomanie antérieurs, cocaïne et crack comme drogues de préférence et chômage) étaient plus motivés au traitement, il reste que, du fait de l’intensité élevée de leurs problèmes, ces personnes rencontreraient également plus de barrières, rendant leur récupération plus difficile. Bref, les clients initialement plus motivés peuvent aussi présenter plus de difficultés à amorcer un changement durable en cours de traitement.

Une autre étude confirme les conclusions de Rapp et coll. (2003). Cosden et coll. (2006) se sont intéressés aux effets de la motivation et de la gravité des problèmes sur les résultats des traitements ordonnés par le tribunal. Les résultats ont été considérés en termes de rétention en traitement et de récidive criminelle. Les auteurs concluent que la motivation rapportée par le client en début de traitement ne constitue pas un fort prédicteur des résultats. Les variables associées à la rétention en traitement et à la récidive seraient plutôt des facteurs relatifs aux habilités de la personne à bien fonctionner en communauté, comme l’emploi avant l’incarcération et l’historique d’incarcérations.

Thus, for many individuals, having the skills to function without drugs may be more critical to their treatment than having a desire to change their behaviour.

Cosden et coll., 2006, p. 614

La portée de ces conclusions sur la pratique clinique semble incontournable. Rapp et coll. (2003) suggèrent aux cliniciens d’éviter de se borner aux interventions qui ciblent le déni et la résistance du client dans les stades initiaux du traitement. En fait, ils les invitent à prêter davantage attention au développement de stratégies d’intervention capables d’encourager l’engagement du client, surtout pour ceux qui ne manifestent aucune motivation à prendre part au traitement. Par ailleurs, ces résultats nous poussent à questionner les croyances selon lesquelles les clients impliqués dans le système de justice auraient des pronostics de traitement plus sombres comparés à ceux qui recherchent l’aide (apparemment) par eux-mêmes.

En résumé, si le lien entre motivation et gravité des problèmes est souvent confirmé, celui entre la motivation en début de traitement et les résultats du traitement (dit autrement, le changement de comportement) semble plus nébuleux. Ainsi, d’après notre analyse des études publiées, la « théorie du bas-fond » ne serait que partiellement appuyée. Les individus démontrant le plus de motivation et rapportant le plus de problèmes en début de traitement sont souvent considérés comme étant les « plus faciles » dans les milieux d’intervention. Cette croyance pourrait entraîner une sous-estimation des difficultés actuelles vécues par ces personnes ainsi qu’à un sous-investissement au niveau des interventions, ce qui pourrait en retour retarder considérablement le changement à long terme. Par ailleurs, les individus perçus comme « résistants » pourraient ne pas être inévitablement destinés à l’échec dans l’éventualité où des approches motivationnelles seraient utilisées dès le début de leur participation au programme. Évidemment, des recherches futures sont requises afin d’examiner empiriquement ces constats.

Conclusion

La principale conclusion de cette recension d’écrits a trait à la difficulté d’établir des distinctions binaires dans le contexte des traitements sous contrainte. Tout d’abord, il ne semble pas y avoir de démarcation claire entre les traitements sous contrainte et les traitements volontaires. Étant donné qu’une grande partie des usagers des traitements de la toxicomanie mentionnent y être entrés à la suite de pression provenant de leur environnement, il importe de s’intéresser à l’intensité de la coercition exercée dans ces contextes plutôt que de se limiter à la simple présence ou l’absence de coercition.

Aussi, la distinction entre des individus considérés comme étant motivés ou non motivés s’avère plutôt simpliste et trompeuse compte tenu des avancées scientifiques qui soulignent la présence d’ambivalence face au changement chez la plupart des toxicomanes. Encore une fois, il serait plutôt question de comprendre le niveau de motivation de chacun. De plus, il semble que la source de référence n’ait pas vraiment de lien direct avec la motivation du client. Autrement dit, les clients référés par le système de justice ne seraient pas, d’emblée, plus ou moins prêts à changer que les autres.

Dans le même sens, les conclusions des études précédentes nous permettent d’avancer qu’une distinction binaire entre les deux aspects de la motivation (externe et interne) ne serait pas pertinente. Nous faisons écho à Ryan et Deci (2000b) pour qui la motivation humaine serait mieux représentée par un continuum allant de l’absence de motivation, en passant par différents niveaux de motivation externe pour finalement arriver à différents degrés de motivation interne. En ce qui concerne les traitements sous contrainte, la motivation externe serait utile pour amener et garantir, dans une certaine mesure, la rétention des clients en traitement. Toutefois, ce sont les aspects internes de la motivation qui semblent les plus impliqués dans le processus de modification des comportements. Donc, certains usagers qui réussissent à modifier leur comportement criminel ou leur consommation de substances à l’aide d’un programme de traitement sous contrainte seraient probablement passés d’un stade où la motivation externe prédomine à un autre où la prise de conscience a fait naître une motivation interne à changer.

En d’autres mots, c’est bien le processus de développement de la motivation interne à partir des pressions externes qui devrait occuper nos recherches futures. L’investigation sur le processus de développement de la motivation interne à partir des facteurs reliés à l’environnement social (le rôle des pairs, de la famille, de l’emploi), et au programme de traitement (les relations interpersonnelles, l’alliance de travail avec l’intervenant et les règles) aidera non seulement à approfondir notre connaissance des enjeux motivationnels dans les contextes d’autorité, mais à adapter les programmes à la clientèle non volontaire, qu’elle soit recommandée par le système de justice ou non.

D’ailleurs, la possibilité de motiver les individus initialement non volontaires à changer leur comportement est une bonne nouvelle pour les milieux d’interventions. À vrai dire, nous souhaiterions que cette analyse puisse encourager les intervenants qui oeuvrent auprès des toxicomanes référés par le système de justice, tels que ceux interviewés par Schneeberger et Brochu (2000), à garder espoir face au manque de motivation apparent de leurs clients. Malgré la forte présence des pressions externes et la résistance naturelle de ces derniers, les études ici citées nous indiquent qu’un contexte adéquat et accueillant pourrait favoriser le développement de la motivation au changement.

Les possibilités d’adaptation des programmes de traitement offerts aux clients référés par la Cour sont innombrables ; il s’agirait simplement de mettre la créativité au service de la science. Sia et coll. (2000) proposent l’utilisation des techniques d’entretien motivationnel afin de favoriser l’engagement des clients non volontaires. Dans leur étude, les individus en probation, référés par le tribunal à des programmes de traitement de la toxicomanie, ont été divisés en deux groupes. Un des groupes était exposé à un module basé sur l’approche motivationnelle et l’autre au traitement conventionnel. Les individus ayant participé au programme d’entraînement motivationnel étaient plus engagés dans le traitement et manifestaient plus de satisfaction envers les intervenants et les sessions en comparaison au groupe contrôle. Donc, il semble que les approches motivationnelles encouragent la motivation et l’ouverture des clients judiciarisés envers le traitement.

Par ailleurs, nous partageons les inquiétudes de Perron et Bright (2008) concernant la qualité des programmes de toxicomanie offerts aux personnes judiciarisées. Puisque l’utilisation de la coercition soustrait aux individus la possibilité de prendre des décisions par rapport au traitement auquel ils participent, des recherches comparatives seront indispensables afin de se prononcer tant sur la qualité des services offerts aux clients volontaires qu’aux non volontaires. En fait, la qualité des services offerts semble essentielle à la rétention et à l’engagement des individus dans le traitement (Fiorentine et coll., 1999). Cette constatation est particulièrement encourageante, car elle suggère que le changement et l’amélioration de nos pratiques cliniques peuvent avoir un impact significatif sur le changement de nos clients.

Bref, malgré le stade relativement embryonnaire des recherches qui se sont intéressées à la motivation dans les traitements sous contrainte, cette recension est porteuse de deux bonnes nouvelles. Premièrement, les clients référés par le système de justice ne forment pas un groupe homogène dont la motivation se situe au seul stade de précontemplation. Deuxièmement, même à ce stade de motivation, plusieurs stratégies d’intervention sont possibles afin de travailler la motivation des clients et ainsi améliorer les pratiques.

Nous émettons toutefois une mise en garde. En fait, si la gravité de la consommation et des problèmes vécus peut être reliée à une plus grande motivation au changement en début de traitement, ces mêmes facteurs peuvent également représenter des obstacles redoutables au changement de comportement. Ainsi, le fait de « toucher le bas-fond » n’est pas forcément une condition qui facilite le changement et pourrait conduire à l’adoption de perception erronée de la part du personnel en ce qui concerne l’intensité nécessaire des interventions offertes à certains individus.

Finalement, nous croyons que les programmes d’intervention qui accueillent des individus dirigés par le système de justice nous offrent l’opportunité d’accéder aux diverses variables qui sont en lien avec la motivation au changement et de mieux les comprendre. Étant donné que la rétention des individus dans le traitement semble facilitée par les contraintes légales, les cliniciens et chercheurs disposent d’un contexte singulier pour l’investigation des facteurs pouvant influer sur le processus de changement ainsi que sur la qualité des services offerts.

…our findings indicate that what clients ‘bring’ into treatment is frequently less important than what they find when they get there. (…) …they will engage in treatment when they believe that treatment, ancillary services, and counsellor activities will address (their) life problems.

Fiorentine et coll., 1999, p. 205