Mot de présentationPenser ensemble les limites de la société et de la drogue[Record]

  • Marc Perreault

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  • Marc Perreault
    Directeur du numéro

Drogue et société, voilà deux mots familiers que nous employons sans nous interroger sur leur signification. Cette familiarité leur procure chacun une polysémie variable selon l’usage et l’intention. On parle volontiers de l’amour comme d’une drogue douce ou dure. On compare les dépendances comportementales à des drogues. Jusqu’à la philosophie qui devient drogue (Tellez, 2012) ! On parle de société secrète, de société intoxiquée (Xiberras, 1989) ou encore de société globale comme si le mot société allait de soi. Vraiment ? Au départ de ce numéro , il y a l’idée que derrière l’impression de connaître les sens des mots « drogue » et « société » se dissimulent des représentations qui constituent autant de biais subjectifs dans nos approches. Le défi est ambitieux : interroger la notion de drogue sous l’angle de la société et à la fois questionner les conceptions de la société depuis la perspective des drogues. Le territoire à couvrir est immense. Aussi a-t-il fallu privilégier des pistes d’explication parmi plusieurs. L’histoire des notions de drogue et de société est marquée par les mêmes vicissitudes. Toutes les deux s’introduisent dans l’épistémologie moderne en portant les espoirs de progrès du positivisme. Toutes les deux connaissent le désenchantement du 20e siècle en se révélant des vecteurs d’exclusion. Autant les bons que les mauvais usages des drogues se distinguent historiquement selon les classes et les statuts, autant de nos jours les sociétés se définissent principalement par ce qu’elles ne sont pas et ce qu’elles excluent. Sans entreprendre une histoire des notions de drogue et de société, rappelons le passage d’une conception essentiellement positive de la société et des drogues à une représentation davantage négative, sinon ambivalente. Du latin societas dérivé de socius (associé, compagnon), le mot société apparaît en français vers 1140 . Son occurrence dans les traités philosophiques est cependant rare avant la fin du 17e siècle. Les moralistes du 16e et du 17e siècle l’utilisent en faisant principalement allusion à la vie de salon et à l’art de conversation  de la « bonne société ». « La ville, explique La Bruyère (1688), est partagée en diverses sociétés, qui sont autant de petites républiques, qui ont leurs lois, leurs usages, leur jargon, et leurs mots pour rire » (La Bruyère, 2008 : 270). On assiste avec les moralistes à une sécularisation de la notion de société qui devient un « espace sans hiérarchie » où « la sacralité dérivée de la cour » ne subsiste plus (Parmentier, 2000 : 130). « Dans la société, c’est la raison qui plie la première » (La Bruyère, 2008 : 226). Au 18e siècle, la noblesse de la « société de cour » rivalise de plus en plus avec les couches bourgeoises ascendantes, en particulier avec les financiers dont elle ne peut se passer du soutien pour maintenir leur train de vie (Elias, 1985 : 40-45). Rang social et puissance sociale ne coïncident plus dans les années qui marquent la fin de l’Ancien Régime (ibid. : 308-309). Une nouvelle « société civile » se dessine. Telle que la conçoit Locke (2008 [1690] : 256-292) elle est l’union d’« un certain nombre de personnes » formant d’un « accord mutuel » un « corps politique » dans le dessein de « conserver leurs propriétés » que sont leurs vies, leurs libertés et leurs biens . C’est, ni plus ni moins, la « société bourgeoise » des propriétaires veillant « à détourner la part d’intervention du pouvoir dans leurs intérêts communs » (Habermas, 1993 : 65-66). La société est une abstraction conceptuelle qui se confond tantôt avec l’État, …

Appendices