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Introduction

Plusieurs enquêtes canadiennes indiquent que la prévalence de la consommation d’alcool durant la grossesse serait plus élevée chez les Québécoises que chez les autres Canadiennes avec des taux variant de 17,7 % à 34,1 % comparativement à 10,5 % à 12,4 % (Gouvernement du Québec, 2009). Par ailleurs, les prévalences canadiennes apparaissent similaires à nos voisins américains avec 9,4 % de consommation d’alcool durant la grossesse (SAMHSA, 2014a).

En ce qui a trait à la consommation de drogues illicites durant la grossesse, selon les différentes enquêtes menées au Canada, la prévalence varierait de 1 % à 5 % (Agence de la santé publique du Canada, 2009 ; Beaucage, 1999 ; Ordean et Kahan, 2011). Ces chiffres sont également similaires aux États-Unis avec une prévalence variant de 1,4 % à 4,6 % (Center for Substance Abuse Treatment, 2009).

Au-delà de l’effet tératogène de l’alcool, les risques associés à la consommation d’alcool et de drogues durant la grossesse peuvent avoir de nombreux impacts sur le déroulement de celle-ci, mais également sur la santé du bébé à naître (Carson et al., 2010 ; Couture, Fillion-Bilodeau, Kokin, Legault et Brown, 2008 ; Finnegan, 2013). On observe notamment un risque de fausse couche, de retard de croissance intra-utérin, de mort intra-utérine tardive, d’accouchement prématuré (Carson et al., 2010 ; Finnegan, 2013), de détresse foetale, de sevrage à la naissance, de troubles neurologiques, du syndrome de mort subite, de faible poids à la naissance, etc. (Couture et al., 2008 ; Finnegan, 2013). Devant ces prévalences et conséquences préoccupantes et dans le but de prévenir la morbidité et la mortalité des enfants, il apparaît pertinent de s’intéresser aux modèles d’intervention les plus efficaces auprès des femmes enceintes et des mères consommatrices de psychotropes. Ainsi, le présent article a pour objectif d’effectuer une synthèse des constats actuels relativement à l’efficacité des programmes de traitement intégré auprès de cette clientèle.

L’intervention auprès des femmes enceintes : une priorité

Les femmes enceintes ont été identifiées comme un groupe prioritaire sur le plan de l’accès aux services en dépendance en raison des conséquences potentielles sur leur santé et celle du bébé à naître (Gouvernement du Québec, 2008 ; MSSS, 2006). De nombreuses recommandations en matière de dépistage, de counseling et d’interventions multidisciplinaires d’ordre biomédical et psychosocial ont été émises afin d’offrir des services appropriés aux femmes en âge de procréer ou enceintes. Il est non seulement recommandé d’intervenir tôt durant la grossesse, mais aussi de façon préventive auprès des femmes en âge de procréer (Carson et al., 2010 ; Finnegan, 2013 ; OMS, 2014 ; SAMHSA, 2014). Les actions préventives et curatives s’inscrivent donc dans un continuum et l’intégration des services apparaît être une stratégie valorisée auprès de cette clientèle.

Le concept d’intégration des services fait référence au « processus qui permet de resserrer les liens entre les acteurs d’un système organisé qui coopèrent à un projet collectif » (Contandriopoulos, Denis, Touati et Rodriguez, 2001, p. 41). Dans le domaine de la toxicomanie, les pratiques favorisant l’intégration des services, au sens « d’assurer une cohésion, une continuité et un maillage étroit entre les différents services destinés aux personnes vulnérables et aux prises avec de multiples besoins », est de plus en plus valorisée (Desrosiers et Ménard, 2010  ; Rush, Fogg, Nadeau et Furlong, 2008  ; Santé Canada, 2002) et peut s’effectuer de différentes façons (Brousselle, Lamothe, Sylvain, Foro et Perreault, 2010  ; Fleury, Perreault et Grenier, 2012). Chez les femmes enceintes présentant une problématique de consommation, de nombreuses études ciblant différents modèles d’intégration de services ont été répertoriées notamment aux États-Unis et au Canada (Lavergne et Morrisette, 2012 ; Marsh, Smith et Bruni, 2011 ; Milligan, Niccols, Sword, Thabane, Henderson, Smith et Liu, 2010 ; Niccols, Milligan, Sword, Thabane, Henderson et Smith, 2012).

Au Canada, citons à titre d’exemple le programme de prévention torontois « Breaking the cycle ». Celui-ci a pour objectif d’intervenir au stade prénatal et de la petite enfance et vise à donner aux femmes les moyens de faire face aux difficultés complexes qui découlent de la consommation d’alcool et de drogues. Elles sont ainsi sensibilisées aux impacts de la consommation en plus d’avoir accès à des soins prénataux, des soins de santé pour elles-mêmes et leur enfant dans un contexte respectueux et sans jugement (Pepler, Motz, Leslie, Jenkins, Espinet et Reynolds, 2014). Le programme de Vancouver « Sheway » fournit pour sa part des services de santé et des services sociaux aux femmes enceintes et mères d’enfant de moins de 18 mois ayant une problématique d’alcool et de drogue. Le programme met l’accent sur le bon déroulement de la grossesse et l’expérience parentale positive après la naissance. De nombreux services sociaux et de santé sont donc offerts en plus d’autres aides telles que l’accès à des repas chauds quotidiens, de l’épicerie, etc. (Poole, 2000).

Au Québec, quelques programmes de traitements résidentiels permettant d’héberger la mère et son enfant pendant toute la durée du traitement pour dépendance sont également disponibles (April, Ouimet, Venne, Gagnon et Hein, 2011). D’autres programmes, dont le projet Main dans la main du Centre des naissances du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) a pour objectif, entre autres, de joindre les futures mères consommatrices d’alcool ou de drogues ainsi que leur conjoint afin de maximiser leur chance de prendre eux-mêmes soins de leur enfant à la naissance (Lavergne et Morissette, 2012). Le programme Jessie, pour sa part, correspond à une collaboration entre le Centre de réadaptation en dépendance de Montréal – Institut universitaire (CRDM-IU) et le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU). Ce programme vise la mobilisation des parents vers un changement de comportement de consommation et l’amélioration des pratiques parentales en vue d’éviter un signalement ou de faire cesser le risque de compromission pour la santé et la sécurité de l’enfant (Blaquière et Paquet, 2009). Beaucoup d’efforts ont donc été déployés afin de mettre sur pieds des programmes de traitement intégré permettant de répondre aux multiples besoins de ces femmes. Toutefois, malgré l’abondance des publications sur le sujet, que sait-on de l’efficacité des programmes de traitement intégré sur les comportements de consommation, l’issue de la grossesse ou encore sur les pratiques parentales ?

L’efficacité des programmes de traitement intégré

Peu d’études, à notre connaissance, ont documenté l’efficacité des programmes de traitement intégré par l’entremise de méta-analyses. En fait, Milligan, Niccols, Sword, Thabane, Henderson, Smith et Liu (2010) ont réalisé une première méta-analyse visant à connaître l’efficacité des programmes de traitement intégré chez les mères abusant de substances. Ensuite, d’autres méta-analyses en ont découlé, notamment pour connaître l’efficacité des programmes de traitement intégré sur l’issue de la grossesse et la santé des enfants nés de femmes engagées dans ceux-ci (Milligan, Niccols, Sword, Thabane, Henderson et Smith, 2011) et l’efficacité des programmes de traitement intégré sur les pratiques parentales (Niccols, Milligan, Sword, Thabane, Henderson et Smith, 2012).

Une méta-analyse correspond essentiellement à une recension des écrits qui permet de regrouper la littérature disponible sur un sujet, d’évaluer la qualité des études retenues au regard de la méthodologie utilisée (la méthode d’échantillonnage, le type de mesure, la présence ou non de groupe de comparaison, la répartition entre les groupes au hasard ou non) et d’évaluer la taille de l’effet. La taille de l’effet, pour sa part, représente une différence de moyenne standardisée entre deux groupes. La taille de l’effet peut être calculée à partir de la moyenne et de l’écart-type des groupes qui font l’objet de la comparaison ou à partir d’autres analyses statistiques (Test t, r de pearson, ANOVA), selon le type de variables. Ainsi, une taille de l’effet de 0,2 est faible, 0,5 modéré et 0,8 forte (Potvin, 2014). Ensuite, des analyses complémentaires permettent de connaître, par exemple, la taille de l’effet composé qui prend en compte l’ensemble des études de la méta-analyse. Enfin, une fois la taille de l’effet composé connue, il est aussi possible de calculer l’hétérogénéité des tailles de l’effet. Cette analyse permet de connaître si les résultats de la méta-analyse sont hétérogènes ou homogènes. Lorsque ceux-ci sont hétérogènes, il est permis de questionner si les études incluses dans la méta-analyse mesurent le même phénomène (Potvin, 2014).

Dans le cas du présent article, les résultats issus des méta-analyses permettent d’indiquer s’il y a supériorité des approches, c’est-à-dire si les programmes de traitement intégré comportent des effets significativement favorables comparativement à d’autres modèles de traitement. La section suivante abordera les constats observés de ces méta-analyses.

L’efficacité de programmes de traitement intégré chez les femmes enceintes et mères abusant de substances

Milligan et al. (2010) ont retenu 21 études (2 essais randomisés, 9 études quasi expérimentales et 10 études de cohortes) publiées entre 1990 et 2007. Les études incluses dans leur méta-analyse ciblaient des femmes enceintes ou des mères, ayant une problématique de consommation de substances et le programme de traitement devait viser la consommation et au moins un service concernant l’enfant (soins prénataux, soins à l’enfant, soutien parental tel que le développement d’habilités). Également, les mesures devaient permettre de documenter la durée du traitement, l’achèvement du traitement, l’utilisation de substances chez la mère et le bien-être de la mère ou de l’enfant.

Tableau 1

Études comparant des programmes de traitement intégrés à l’absence de traitement

Études comparant des programmes de traitement intégrés à l’absence de traitement
Traduction libre. Milligan et al., 2010, p. 6

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Le Tableau 1 montre que la taille de l’effet varie de faible à forte c’est-à-dire de 0,18 à 1,41. Ainsi, il est possible de conclure que le traitement intégré ambulatoire ou résidentiel réduit significativement la consommation de substances et les femmes sont significativement plus nombreuses à obtenir un résultat négatif à leur test toxicologique comparativement aux femmes ne recevant aucun traitement.

Les auteurs ont également évalué l’efficacité de dix études de cohorte où ils se sont attardés aux changements de comportements de consommation maternelle, et ce, que le programme soit de type résidentiel, ambulatoire ou de substitution à la méthadone. Les mesures des études retenues portaient sur le changement de comportement de consommation en termes de sévérité de la consommation de substances, de nombre de jours de consommation, de la durée d’abstinence, du montant d’argent investit pour l’achat d’alcool ou de drogues quelques mois après le programme de traitement. En somme, les résultats montrent une diminution significative de la sévérité des comportements de consommation et du nombre de jour de consommation chez les femmes engagées dans un programme de traitement intégré. Enfin, les tailles de l’effet composé de ces différentes mesures varient de 0,40 à 0,65 (modérée), ce qui soutient la pertinence des programmes de traitement intégré.

Tableau 2

Études comparant des programmes de traitement intégrés à des programmes de traitement non intégré

Études comparant des programmes de traitement intégrés à des programmes de traitement non intégré

† Inclus la taille de l’effet globale pour le dépistage toxicologique ; * Substance Abuse Subtle Screening Inventory-2; ◊ Taille de l’effet rapportée, SE et p non disponibles.

Traduction libre. Milligan et al., 2010, p. 9

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Le Tableau 2 montre que les tailles de l’effet sont petites et non significatives. Ainsi, les programmes de traitement intégré, qu’ils soient de type ambulatoire, résidentiel, en milieu carcéral ou auprès de femmes en traitement de substitution à la méthadone, ne présentent aucune différence statistiquement significative comparativement aux programmes de traitement non intégré. Il est donc permis de penser à une équivalence des approches. Par ailleurs, lorsque l’on regroupe les études par type de mesures, il est possible de constater que dans les quatre études utilisant des mesures toxicologiques, on n’observe pas de différence significative entre les programmes de traitement intégré et non intégré (Barkauskas et al., 2002 ; Carroll et al., 1995 ; Chang et al.,1992 ; Luthar et al., 2007). La taille de l’effet composé de ces quatre études indique que le pourcentage d’usagères obtenant un résultat négatif à leur test toxicologique (démonstration de l’absence de consommation de substances) n’est pas significativement différents entre les types de programmes. Quant aux deux études utilisant des mesures autorapportées (Sowers et al., 2002 ; Suchman et al., 2004), la taille de l’effet composé de celles-ci indique que les femmes ont rapporté un pourcentage d’abstinence non statistiquement différent entre les types de programmes. Ces résultats ne permettent donc pas de déterminer la supériorité des programmes de traitement intégrés sur les programmes non intégrés.

Globalement les résultats issus de la méta-analyse de Milligan et al. (2010) montrent que les programmes de traitement intégré réduisent significativement la sévérité des comportements de consommation, le nombre de jours de consommation et favorisent l’atteinte de l’abstinence. Par ailleurs, les auteurs observent une taille de l’effet de faible à élevée en faveur des programmes de traitement intégré lorsque ceux-ci sont comparés à des groupes d’usagères ne recevant aucun traitement. D’ailleurs, dans les études de cohortes, où des mesures sont prises au début, à la fin et quelques mois après un programme de traitement intégré, les résultats démontrent une taille de l’effet modérée, ce qui milite en faveur de l’efficacité des programmes intégrés. Enfin, lorsque l’efficacité des programmes intégrés est comparée aux programmes de traitement non intégré, les résultats de leur méta-analyse ne montrent aucune différence entre les groupes. Toutefois, les auteurs mentionnent que ces résultats pourraient s’expliquer par de nombreuses limites méthodologiques, dont le peu d’études comparatives, la faible qualité des études répertoriées et le nombre de données manquantes leur permettant d’évaluer les retombées de ces études.

L’efficacité de programmes de traitement intégré sur l’issue de la grossesse et les enfants nés de mères engagées dans ce type de traitement

En suivi à la méta-analyse précédente, Milligan et al. (2011) ont évalué l’efficacité de programmes de traitement intégré sur l’issue de la grossesse. À partir des mêmes critères d’inclusion, ils ont retenu dix études publiées entre 1990 à 2009. Les auteurs constatent que les études sélectionnées dans le cadre de leur méta-analyse comportent plusieurs distinctions sur le plan des devis de recherche (essai randomisé, quasi expérimental), sur le plan de l’échantillonnage (femmes enceintes ou mères) et sur le plan des mesures (poids à la naissance, circonférence de la tête, proportion d’enfants ayant un petit poids à la naissance, proportion d’enfants nés de façon prématurée, durée d’hospitalisation…). Ainsi, compte tenu de l’hétérogénéité des études, les auteurs ont calculé la taille de l’effet en les regroupant selon la similarité des mesures.

Tableau 3

Études comparant des programmes de traitement intégré à l’absence de traitement sur l’issue de la grossesse

Études comparant des programmes de traitement intégré à l’absence de traitement sur l’issue de la grossesse
Traduction libre. Milligan et al. (2011), p. 547

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Le Tableau 3 présente six études comparant l’issue de la grossesse de femmes engagées dans un programme de traitement intégré versus des femmes ne recevant aucun traitement. La plupart des programmes de traitement intégré, qu’ils soient de type ambulatoire ou résidentiel, entraînent de meilleurs résultats sur l’issue de la grossesse comparativement à l’absence de traitement. En effet, la taille de l’effet varie de faible à forte pour plusieurs aspects de la grossesse.

Tableau 4

Taille de l’effet composé de programmes de traitement intégré comparés à l’absence de traitement

Taille de l’effet composé de programmes de traitement intégré comparés à l’absence de traitement

*p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 ; K = nombre d’étude utilisant cette mesure.

Traduction libre. Milligan et al. (2011), p. 550

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Par ailleurs, les tailles de l’effet composé varient de faibles à fortes (0,37 à 0,87), plus spécifiquement en ce qui concerne le poids à la naissance, la circonférence de la tête, le taux de bébés ayant un faible poids à la naissance, les complications à la naissance et sur le taux de toxicologie négatif. Ces résultats permettent d’avancer que les programmes de traitement intégré comportent des avantages significatifs sur certains aspects de l’issue de la grossesse comparativement à l’absence de traitement. Enfin, les auteurs ont effectué une analyse permettant de connaître l’hétérogénéité des résultats de leur méta-analyse. Ainsi, ils observent une différence significative pour une variable en particulier, c’est-à-dire le poids à la naissance. Afin de savoir si cette différence est déterminée par la clientèle, le programme ou les caractéristiques du devis de l’étude, les auteurs ont réalisé des analyses comparatives. Ils concluent que les programmes résidentiels intégrés où les enfants peuvent être admis avec leur mère auraient un effet significativement plus favorable sur le poids du bébé à la naissance comparativement au programme de traitement intégré où les enfants ne seraient pas admis.

Tableau 5

Études comparant des programmes de traitement intégré aux programmes de traitement non intégré

Études comparant des programmes de traitement intégré aux programmes de traitement non intégré
Traduction libre. Milligan et al. (2011), p. 549

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Tableau 6

Taille de l’effet composé de programmes de traitement intégré comparativement à des programmes de traitement non intégré

Taille de l’effet composé de programmes de traitement intégré comparativement à des programmes de traitement non intégré

*< 0,05 ; **< 0,01 ; ***< 0,001

Traduction libre. Milligan et al., (2011), p. 550

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Le Tableau 5 rapporte quatre études comparant l’issue de la grossesse de femmes engagées dans un programme de traitement intégré à celles d’un programme de traitement non intégré. Globalement, les résultats montrent que les femmes engagées dans les programmes de traitement intégré présentent de meilleurs résultats sur l’issue de leur grossesse avec une taille de l’effet qui varie de faible à forte. Toutefois, les tailles de l’effet composé indiquent que les femmes engagées dans un programme de traitement intégré sont davantage présentes à leur suivi prénatal et tendent à moins donner naissance à leur bébé de façon prématurée (Tableau 6). Par ailleurs, bien que les programmes de traitement intégré ne présenteraient pas d’avantages significatifs en ce qui a trait au poids à la naissance, à l’âge gestationnel, aux complications à la naissance et à la durée d’hospitalisation après la naissance, favoriser la présence au rendez-vous de suivi prénatal des femmes enceintes correspond à un facteur déterminant sur l’issue de la grossesse.

Enfin, bien que les résultats de la méta-analyse de Milligan et al. (2011) mettent en lumière l’hétérogénéité des programmes destinés aux femmes enceintes et mères ayant une problématique de consommation, les tailles de l’effet composé montrent la supériorité des programmes de traitement intégré sur l’absence de traitement et quelques aspects de l’issue de la grossesse, lorsque comparés à des programmes de traitement non intégré.

L’efficacité de programmes de traitement intégré sur les pratiques parentales

En suivi à la méta-analyse plus large de Milligan et al. (2010), Niccols et al. (2012) ont évalué l’efficacité de programmes de traitement intégré sur les pratiques parentales. À partir des critères d’inclusion initiaux, ils ont retenu quatre essais randomisés publiés entre 1990 et 2011. Essentiellement, les auteurs ont constaté que ces études comportaient des distinctions en termes d’échantillonnage (femmes enceintes ou mères), de mesures (engagement dans les services de protection de l’enfant, risque de maltraitance, qualité de la relation parent/enfant, etc.) et des délais à l’intérieur desquels ces mesures ont été réalisées (début de traitement, fin de traitement, 6 semaines après le traitement, 6 ou 12 mois après le traitement).

Tableau 7

Essais randomisés comparant des programmes de traitement intégré à des programmes de traitement non intégré sur les pratiques parentales

Essais randomisés comparant des programmes de traitement intégré à des programmes de traitement non intégré sur les pratiques parentales
Traduction libre. Niccols et al., (2012), p. 7

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Les résultats du Tableau 7 montrent que les tailles de l’effet varient de faibles à fortes et que certains programmes de traitement intégré obtiennent significativement de meilleurs résultats comparativement aux programmes de traitement non intégré. C’est le cas notamment des programmes évalués par Luthar et Suchman (2000) et de Suchman et al. (2010 ; 2011). D’une part, les femmes exposées au programme de traitement intégré incluant le traitement standard de substitution à la méthadone et la participation à un groupe de psychothérapie relationnelle pour les mères axé sur le fonctionnement de la mère (gestion de la colère, de la dépression) et les capacités parentales (discipline en fonction de l’âge de l’enfant, alternatives aux punitions physiques) ont significativement amélioré leur interaction affective (Luthar et Suchman, 2000). D’autre part, les femmes exposées au programme de traitement intégré incluant le traitement ambulatoire standard pour abus de substance et une intervention fondée sur l’attachement ont significativement amélioré leur comportement affectif, leur fonctionnement et tendent à être plus sensibles à leur enfant après 3 mois de traitement. Toutefois, au suivi 6 mois plus tard, aucune différence n’a été observée entre les groupes (Suchman et al., 2010 ; 2011).

Enfin, au terme de leur méta-analyse, Niccols et al. (2012) concluent que les programmes de traitement intégré obtiennent de meilleurs résultats que les programmes de traitement non intégré sur certaines pratiques et attitudes parentales. Ces résultats soutiennent l’importance d’intervenir auprès des parents ayant une problématique de consommation afin de réduire les risques auxquels peuvent être exposés les enfants en brisant le cycle de la dépendance et en améliorant le fonctionnement parental.

Discussion

L’objectif du présent article est d’effectuer une synthèse des constats actuels relativement à l’efficacité des modèles d’intervention favorisant l’intégration des services auprès des femmes enceintes et des mères consommatrices de psychotropes. Quatre constats se dégagent de la présente synthèse :

  1. L’abondance d’écrits scientifiques se rapportant à la parentalité et à la toxicomanie met en lumière les nombreux efforts déployés pour répondre aux besoins complexes de cette clientèle.

  2. Lorsque l’on s’intéresse à l’efficacité des programmes de traitement intégré, il devient plus difficile d’identifier des études comparables en raison des nombreuses distinctions méthodologiques. Citons par exemple la taille des échantillons, la composition des échantillons (femmes enceintes/mères), les devis d’études (essai randomisé, quasi expérimental) et la qualité de ceux-ci évaluée à l’aide de grilles validées, la variété des programmes de traitement évalués (résidentiel, ambulatoire, traitement de substitution) ou encore la variété de mesures utilisées pour évaluer l’efficacité des programmes de traitement intégrés (consommation, issue de la grossesse, pratique parentale).

  3. Malgré les nombreuses limites méthodologiques relevées, les experts du domaine ont établi des lignes directrices et des recommandations qui soutiennent les programmes de traitementintégré.

  4. Les résultats observés dans le cadre de méta-analyses portent à croire que les programmes de traitement intégré présentent un effet supérieur comparativement à l’absence de traitement ou au programme non intégré en ce qui a trait aux aspects suivants :

    1. Lorsque comparés à l’absence de traitement, les programmes de traitement intégré indiquent des résultats supérieurs sur la réduction de la consommation de substances et les femmes sont significativement plus nombreuses à obtenir un résultat négatif à leur test toxicologique (indiquant l’abstinence). Les programmes de traitement intégré contribuent également à un meilleur poids à la naissance, à la circonférence de la tête et à la réduction des complications à la naissance.

    2. Lorsque comparés aux programmes de traitement non intégré, les programmes de traitement intégré indiquent des résultats supérieurs concernant la présence des femmes à leur suivi prénatal. Elles tendent à moins donner naissance à leur bébé de façon prématurée. Elles tendent à davantage améliorer leur interaction affective et leur sensibilité auprès de leur enfant ainsi que leur fonctionnement.

Retombées, limites et pistes de recherche future

La présente synthèse fournit un accès aux connaissances actuelles concernant l’efficacité de programmes de traitement intégré auprès des femmes enceintes et mères consommatrices de psychotropes. Ces connaissances peuvent être utiles pour guider les prestataires de services notamment en leur fournissant différents modèles de traitement à déployer afin de mieux répondre aux multiples besoins de cette clientèle. Les différentes cibles d’intervention (consommation, issue de la grossesse, pratiques parentales) utilisées afin de documenter l’efficacité des programmes peuvent également inspirer les professionnels oeuvrant auprès de cette clientèle dans l’élaboration de leur plan d’intervention ou toutes autres stratégies favorisant l’engagement de ces femmes dans leur traitement.

En contrepartie, peu d’études permettent de documenter l’efficacité des programmes de traitement intégré. En effet, l’hétérogénéité des programmes rend difficile le cumul de preuves. Ultérieurement, il serait souhaitable de réaliser davantage d’études utilisant des devis plus robustes de type essai randomisé afin de mieux documenter le potentiel des programmes de traitement intégré. Il serait également approprié d’évaluer l’efficacité de la combinaison de services nécessaires ou le moment où les dispenser afin d’assurer le succès de la grossesse. Il serait finalement pertinent de s’intéresser à la sévérité des comportements de consommation, aux types de substances consommées ainsi qu’aux caractéristiques des femmes enceintes et mères sur l’issue de leur grossesse.

Conclusion

L’objectif du présent article était d’effectuer une synthèse des constats actuels relativement à l’efficacité des modèles d’intervention favorisant l’intégration des services auprès femmes enceintes et mères consommatrices de psychotropes. La présente synthèse indique que les programmes de traitement intégré contribuent significativement au changement de comportement de consommation, sur l’issue de la grossesse ainsi que sur les pratiques parentales. Par ailleurs, compte tenu du peu d’études comparables et des nombreuses distinctions méthodologiques entre les études répertoriées, il apparaît justifié de poursuivre les travaux permettant de documenter davantage le potentiel des programmes de traitement intégré.