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Introduction

Les familles immigrantes arrivent au pays avec des connaissances importantes en matière de santé et de bien-être ancrées dans les savoirs familiaux et collectifs, connaissances susceptibles d’être reproduites ou encore transformées en contexte de migration (Vatz Laaroussi, 2001). Dans leur trajectoire, la période périnatale apparaît comme un moment privilégié d'apprentissage et de transmission de pratiques et de savoirs familiaux. Elle permet également à plusieurs de se familiariser avec les services médicaux québécois. Débute alors une succession de contacts impliquant une multiplicité de professionnels et de services et la rencontre de savoirs professionnels parfois différents des leurs. Cette période périnatale apparaît donc comme un moment où les différences entre les pratiques et savoirs familiaux des professionnels et des familles font l’objet de négociations.

De plus, au Québec, le processus de médicalisation de la maternité (Baillargeon, 2004; Lazarus, 1994) s'est accompagné d'une multiplication de savoirs et de normes biomédicaux et sociaux en matière de périnatalité variant parfois d'un service ou d'une spécialité à l'autre (Vadeboncoeur, 2004). Dans un tel contexte, il est ligitime de se demander comment s’opère la conciliation des pratiques et des savoirs des familles et des professionnels. Tant en milieu de soins spécialisés[1] qu'en première ligne[2], les services de santé associés à la périnatalité prennent place dans des environnements complexes où les questions relatives à la diversité sociale, ethnique et religieuse font partie intégrante de l'intervention (Fortin, 2004; Bibeau, 2000). La présence croissante d’immigrants au Québec, et plus particulièrement à Montréal, pose ainsi aux praticiens de nouvelles questions, tantôt liées à la variabilité des structures familiales et à la diversité des croyances religieuses, tantôt à celle des pratiques culturelles tant des usagers que des intervenants. Ces interrogations s’étendent au processus de prise en compte de cette diversité au sein de la pratique, l’espace clinique étant un espace de négociation de ces différentes perspectives. Quelle place la confession religieuse occupe-t-elle dans cette dynamique? Comment la religion influence-t-elle les pratiques familiales?

D’immigration récente au Québec, les personnes de confession musulmane embrassent une diversité à la fois culturelle et ethnique. C’est à ce titre qu’elles retiendront davantage notre attention dans les pages qui suivent. L’Islam est en effet un référent ouvert qui peut conduire à une variabilité de façons d’être, de se dire et de se vivre musulman (Le Gall, 2003; Helly, 2002 ; Fortin et al., en cours). De plus, comme bien d’autres groupes, les musulmans sont détenteurs de plusieurs cultures aux frontières poreuses (Cowan et al., 2001; Cuche, 2001). À cette dimension religieuse s’ajoutent le parcours migratoire, les expériences d’établissement, les liens de sociabilité ainsi que la structure familiale comme autant de contextes qui influencent le migrant et la place qu’il occupe dans l’espace thérapeutique (Fortin, 2004, Cognet et Fortin, 2003; Nazroo, 2004; Le Gall, en cours).

Déroulement du texte

Ce texte est inspiré d’une recherche naissante et des expériences de terrain des auteures. Il traite de la période périnatale comme d’un moment charnière pour la transmission de savoirs familiaux. Ici, notre questionnement est double : comment s’opère cette transmission en contexte migratoire, et quelle place occupent ces savoirs dans l’espace biomédical? Nous postulons que chacun des acteurs est porteur de savoirs, de normes et de pratiques de soins qu’ils ne partagent pas toujours; que ces savoirs, ces normes et ces pratiques sont dynamiques et perméables; et enfin que la rencontre clinique donne lieu sinon à une renégociation, du moins à une conciliation des positions de chaque acteur social.

Nous proposons ici une réflexion autour de la rencontre, lors de la naissance d’un enfant, entre des familles et des professionnels de la santé. État de la question ou réflexions de deux anthropologues, nous abordons ces questions en situant d’abord l’immigration au Québec et plus particulièrement dans le contexte montréalais. Nous présentons ensuite les milieux de soins concernés par la périnatalité et terminons par une analyse de quelques-uns des enjeux plus généraux que soulève le pluralisme dans le champ de la santé. Les savoirs et les pratiques, d’abord familiaux et ensuite professionnels, sont alors discutés. Littérature, observations et données recueillies nous permettent ici de discuter ces savoirs, d’une part à la lumière de la migration et les modes de transmission documentés, d’autre part, la place de celles-ci dans la rencontre clinique.

En guise de conclusion, nous réaffirmons l’importance de cette négociation des savoirs en contexte pluraliste, puisqu’il s’agit là d’une voie permettant sans doute de rendre les services de santé plus accessible. Et tout en accordant une attention particulière aux dimensions culturelles et sociales des besoins et du soin, il reste que nous ne pouvons les soustraire aux conditions dans lesquelles ces dimensions prennent un sens, c’est-à-dire les conditions d’établissement des migrants La prise en considération du contexte de vie permet, en effet, de mieux cerner comment le social et le culturel s’imbriquent au quotidien.

Milieu urbain et contexte de soins

L’immigration au Québec

Les personnes nées à l’extérieur du Canada constituent une part importante et croissante de la population québécoise[3], surtout à Montréal où elles comptent pour 28 % de l’ensemble de la population. Généralement associée à l’origine nationale ou ethnique, cette diversité est aussi de nature religieuse (Meintel et LeBlanc, 2003; Bibby, 2002; Helly, 1997). Parmi les pays les plus représentés au sein de la nouvelle immigration, se trouvent des pays caractérisés par une forte présence de musulmans; de fait, au cours des dernières années (1991-2001), la présence musulmane a plus que doublé d’effectifs, passant de 45 000 à 108 620 au Québec et de 41 000 à 100 185 à Montréal (Statistique Canada, 2001). La confession musulmane est ainsi devenue la seconde religion en importance au Québec, après le catholicisme. En 2001, les musulmans comptaient pour 11 % des Montréalais nés à l’étranger (Statistique Canada, 2004). De manière générale toutefois, à la différence des vagues migratoires plus anciennes, l’immigration actuelle provient de plus de 100 pays. Si ,en 1969, les dix principaux pays d’origine totalisaient près de 80 % des sources d’immigration, cette proportion chutait à 45 % en 1999 (Piché, 2003)[4]. Les migrants sont aussi plus nombreux à se déplacer, les allers-retours entre le pays d’origine et le pays d’installation étant plus fréquents, voire intégrés aux modes de vie. Le maintien d’attaches dans plusieurs lieux est aussi facilité par la multiplication et l’efficacité des modes de communication (Glick Schiller et al., 1995 ; Faist, 2000; Morawska, 2003; Portes et al., 1999). Cette pluralité de points de repères, tout comme la mondialisation des échanges, favorise une mobilité de la culture et des symboles. L’on peut voir en cette mondialisation l’agent d’une relative homogénéisation culturelle induite, entre autres, par la diffusion d’émissions de télévision à grande écoute[5]; d’autres voient en plus dans l’emploi des signaux satellite une « standardisation » de certaines pratiques religieuses[6]. En corollaire, plusieurs anthropologues soulignent une réappropriation locale de cette diffusion de masse. À travers les travaux de chercheurs comme Geertz (1995), Appadurai (2001, 1996) ou Hannerz (1996), cette question d’homogénéisation est nuancée et associée au phénomène de mondialisation, aux notions de modernités multiples et de diversités locales. Certes, Afghan Star reprend une formule éprouvée en Amérique du Nord, à l’instar de ces chaînes de restauration rapide qui se multiplient dans les lieux les plus éloignés. Or les habitudes de consommation, tout comme le sens que revêt la fréquentation de ces lieux, diffèrent d’un endroit à l’autre (Welz, 2004).

Le profil de l’immigrant privilégié au Québec est celui d’une personne jeune, scolarisée, professionnellement compétente et francophone de préférence, du moins en ce qui concerne les migrants de la catégorie « indépendant », c'est-à-dire les gens d’affaires, les investisseurs et les travailleurs autonomes. Il existe trois catégories d’immigrants, les « indépendants » représentant environ 60 % de ceux et celles qui sont admis au Québec. Ceux-ci sont pleinement soumis à la grille de sélection[7] mise en place par le gouvernement du Québec et sont visés par les objectifs de la politique d’immigration de la province. À cela, ajoutons qu'ils doivent être en bonne santé. Les personnes de la catégorie « famille » (conjoint, jeunes enfants, père, mère) doivent être parrainées pendant trois ans par un proche parent, citoyen canadien ou résident permanent. Ils ne sont pas soumis aux critères de sélection mentionnés plus haut, exception faite du bilan médical et de l’enquête de sécurité. Cette catégorie représente environ 30 % des migrants qui s'établissent au Québec. Enfin, les « réfugiés » comptent pour 12 % des migrants admis annuellement.

Par ailleurs, la migration au Québec est essentiellement à caractère urbain et montréalais. Près de 90 %[8] des migrants internationaux élisent domicile dans la région métropolitaine, où la population immigrante atteint 26,5 %[9]. Environ 30 000 migrants arrivent ainsi chaque année à Montréal. Certains quartiers, tels Côte-des-Neiges et Bordeaux-Cartierville, font figure de territoires d’accueil pour ces populations. Ces quartiers se caractérisent par un pourcentage élevé d’immigrants et par la présence de près d’une centaine de groupes ethniques[10]. En ce qui concerne la population musulmane en particulier, on observe qu’elle se concentre dans les arrondissements Saint-Laurent, Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, Ville-Marie et Ahuntsic-Cartierville (Ville de Montréal, 2004).

Plus généralement, Montréal est une ville singulière sur le plan ethnique, puisque plusieurs groupes minoritaires y maintiennent leur langue et leur religion[11]. Les institutions publiques doivent faire écho à cette hétérogénéité, surtout dans les domaines de l’enseignement, des services sociaux et de la santé. Aujourd'hui, les instances politiques insistent sur cette adaptation des institutions à une société plurielle. Elles le font tantôt dans une perspective de « convergence culturelle » (MCCI, 1990), tantôt à travers un discours plus assimilateur de « convergence civique » (MRCI, 2001). Les enjeux sont nombreux et soulèvent les passions, particulièrement en regard des projets nationaux et de l’État[12]. Or la recherche de modèles conceptuels capables d’englober la diversité ethnique et religieuse demeure entière (Fortin, 2002, 2000).

À l’instar de la ville où ils se trouvent, les milieux de soins sont bien entendu caractérisés par la même diversité de population. Ce pluralisme[13] urbain nous permet de mieux scruter la rencontre des savoirs et des pratiques. Comment se conjugue une potentielle diversité de normes et de valeurs en situation de grossesse, d’accouchement et de postnatal[14]? Plusieurs études soulignent le bien-fondé de la prise en compte de cette diversité à la fois sociale, culturelle et religieuse des usagers. Ces études concluent qu’en se faisant, les pratiques cliniques, médicales et paramédicales s’améliorent (Lock et Nichter, 2002; Fermi, 2001; Barnes et al., 2000; Ahmad, 1996; Bibeau, 1994). Nombre de situations documentées dans le cadre d’une étude en cours[15] en milieu hospitalier donnent à voir l’importance de développer des pratiques cliniques bien arrimées à la diversité sociale et culturelle urbaine. Ce n’est qu’à travers elles que l’on favorisera la mise en place d’une relation de confiance soignant-soigné et l’élaboration de programmes de soins qui aient un sens pour les familles. Cette dimension relationnelle, qu’elle soit nommée « relation de confiance » ou « alliance thérapeutique », renvoie à une dynamique complexe où interviennent un ensemble d’éléments structurants et dont les principaux acteurs sont le soignant, la mère, le père, parfois la famille élargie, le nouveau-né et même le foetus[16]. Elle influencera inévitablement toute collaboration entre acteurs en rencontre clinique et, a fortiori, toute prise de décision concernant par exemple les soins prénataux et l’alimentation, les soins postnatals ou, à l’autre bout du spectre, l’interruption de grossesse en cas d’anomalie grave ou de pratiques invasives auprès de nouveau-nés au pronostic réservé.

Les milieux de soins

Le XXe siècle a donné lieu à un processus de médicalisation de la grossesse et de l’accouchement (Baillargeon, 2004, 1999). Les parents disposent maintenant de nombreux services de périnatalité, tous offerts en cliniques privées, en centres hospitaliers (rencontres prénatales, cliniques de grossesse, accouchement, séjour hospitalier en postpartum, projets expérimentaux) ou en CLSC (suivi prénatal, suivi postnatal); ils ont également accès aux sages femmes qui pratiquent dans les maisons de naissance et aux groupes communautaires durant les premiers mois de vie de leur enfant. Ce foisonnement de services donne lieu à une multiplication d’experts (médecins, infirmières, nutritionnistes, etc.) tant en première ligne qu’en contexte de soins tertiaires. Les CLSC offrent un éventail de programmes et d’activités qui complètent, en périodes pré ou périnatale, les services offerts par les cliniques privées et les hôpitaux (Battaglini et al., 2000). En milieu hospitalier, la grossesse et le périnatal ont largement dépasser les limites de la seule obstétrique; ils sont aussi objets d’analyses pour d’autres spécialistes qui interviendront en fonction de leur champ respectif de compétence[17] en plus des différentes professions autres que médecin, c.-à-d. infirmières, psychologues et travailleurs sociaux.

Face à la multitude d’experts et de services, les parents adoptent différentes attitudes à l’égard des soins de santé périnatale. À certains moments, les services sont davantage consultés, certains types de services ou professionnels consultés plutôt que d’autres. Au Québec, à partir des années 60, la très grande majorité des femmes consultaient un médecin dès le début d’une grossesse, accouchaient à l’hôpital et soignaient leurs enfants suivant les directives médicales (Baillargeon, 2004). Ce portrait, quoiqu’en évolution pour les non-immigrantes (l’avènement des maisons de naissance, par exemple, ou encore la popularité croissante des médecines alternatives[18]), semble différent en ce qui concerne les immigrantes qui, selon Hyman (2001), auraient moins recours aux services de soins au Québec en comparaison des non-immigrantes[19]. Le suivi prénatal précoce et régulier serait moins présent, tout comme le recours aux rencontres prénatales, même si, au Québec, 99 % des femmes (immigrantes et non-immigrantes confondues) accouchent en centre hospitalier (ou de santé) (MSSS, 2003)[20]. De plus, les immigrantes feraient plus souvent appel au médecin dans les derniers mois de la grossesse (suivi périnatal), notamment dans certains groupes où les femmes désirent ne rien divulguer de leur état de grossesse le plus longtemps possible (Dupuy-Grondin et al., 1996). Cet écart dans les modalités de consultation est paradoxal, la naissance d’un enfant étant un événement particulièrement investi pour les familles immigrantes, le bien-être des enfants étant souvent au coeur des motifs ayant conduit à la migration (Fortin, 2000; Heneman et al., 1994; Le Gall, 2001; Rousseau et al., 2004).

C’est dire combien la transformation des profils sociodémographiques des patients (associée à la diversification de la population urbaine) ainsi que l’évolution des situations cliniques (notamment les processus de dépistage et les progrès en néonatologie) et celle des orientations politiques en matière de services de santé posent de nouveaux défis (Cognet et Fortin, 2003; Day et Brodsky, 1998). La diversité religieuse, sociale et culturelle des acteurs donne lieu à un questionnement quotidien. Les professionnels de tous horizons sont nombreux à souligner la complexité accrue des problématiques médicales. Les percées technologiques et le développement de nouvelles thérapies modifient le contexte clinique (Sainsaulieu, 2003; Lock, 2002). Quant à la formation des professionnels de la santé, elle est largement imprégnée d’une perspective biologique de l’individu (Katz, 1999; Good, 1998). De l’avis même des intervenants en milieu médical, ce modèle ne permet pas de cerner l’autre dans toute sa diversité (Fortin, 2004; Leanza, 2001). En cela, le pluralisme urbain est une occasion d’élargir le modèle biomédical et d’envisager la clinique comme lieu privilégié de conciliation de savoirs (espace clinique comme lieu de rencontres de rationalités parfois diverses) et la prise en compte des dimensions humaines, sociales et culturelles des enfants et des familles, dimensions qui doivent s’articuler aux autres aspects des soins (médicaments, technologie, chirurgie, etc.) (Fortin et Laprise, à paraître; Bibeau et Fortin, en préparation).

Pluralisme et santé

En dépit du nombre croissant d’immigrants au Québec, l’utilisation des services par les familles est encore très peu documentée. Bon nombre de naissances à Montréal sont attribuées aux femmes immigrantes (44 % de 1998 à 2000) (Saulnier, 2004). Dans le cas de la maternité et des systèmes de soins, les conceptions entourant la naissance varient fortement au plan culturel. Les stratégies de dépistage précoce, les normes de soins, les notions de viabilité et de risques associés s’inscrivent dans une conception donnée de la santé et du meilleur intérêt de la mère, du foetus et de l’enfant. Le rapport à la vie, à la qualité de la vie et à la mort (dans le cas d’anomalies foetales ou de pathologies complexes chez les nouveau-nés par exemple, ou encore de naissances précoces et des conséquences d’une grande prématurité) sont des conceptions à la fois individuelles et partagées, modulées par des histoires familiales, des orientations religieuses, des trajectoires de vie, autant d’élements qui renvoient à de grands ensembles de sens (De Plaen, 2004). Les pratiques sanitaires proposées par les professionnels peuvent à leur tour différer de celles observées dans le milieu d’origine des parents immigrants et transmises par leurs proches, alors que ces derniers représentent généralement une source importante d’information et de soutien pour les nouveaux parents. Cette diversité de perspectives caractérise également le personnel biomédical, qu’il soit de milieu hospitalier ou de première ligne. Ce faisant, l’espace clinique est non seulement un espace biomédical, mais aussi un espace social et relationnel où normes, valeurs, modèles professionnels, sociaux et culturels se rencontrent.

La période périnatale représente un moment charnière pour le nouvel arrivant, l’inscrivant symboliquement dans la société d’accueil. La naissance d’un enfant en terre d’immigration est certainement un ancrage important dans celle-ci. Parfois, cette période peut aussi mettre en évidence l’absence du réseau de soutien familial (entraide et transmission des savoirs liés à l’arrivée des enfants) tout en favorisant des relations avec les institutions de la société locale. Le réseau de santé joue effectivement ce rôle intégrateur et la portée des rencontres cliniques dépasse souvent largement les dimensions sanitaires (Fortin, 2000; Bibeau et al., 1992; Battaglini et al., 2000). Les services de santé font partie intégrante du processus d’adaptation sociale des familles immigrantes (Massé, 1995). C’est également le cas du système périnatal en tant qu’espace de contacts réguliers des parents immigrants avec la société d’adoption. Néanmoins, alors qu’une majorité d’études sur la religion et la santé s’intéressent à l’influence positive de la spiritualité sur la santé, peu d’études se penchent sur l’effet de la religion sur les pratiques de soins et le recours aux soins et services. Citons néanmoins l’étude de Lacombe (et al., 2002), réalisée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) auprès des communautés culturelles (1998-1999), laquelle révèle que les migrants du Maghreb et du Moyen-Orient sont plus nombreux que la population générale à accorder de l’importance à la vie spirituelle et à croire à son effet positif sur la santé physique. Quand aux rares études documentant l’utilisation des services de périnatalité par des migrantes musulmanes, elles font ressortir certaines pratiques spécifiques. Dans une recherche portant sur les facteurs de vulnérabilité des immigrantes enceintes, Battaglini et al. (2000) notent que lors de la grossesse, les répondantes du Moyen-Orient ont majoritairement été suivies par un médecin de même origine qu’elles. Pour leur part, les femmes musulmanes rencontrées par Tsianakas et Liamputtong (2002) en Australie préfèrent être suivies par des médecins de sexe féminin lors de leur grossesse.

Les savoirs

La diversification socioculturelle de la population se manifeste par de multiples conceptions de la santé et de la maladie de même que par des besoins et des attentes spécifiques en matière de santé, ce qui n’est pas sans impact sur l’organisation et la prestation des services. Une récente étude sur l’adéquation des services de première ligne aux besoins des immigrants met en évidence des lacunes relatives à l’offre de services à ces populations et à la nécessité d’adapter les services (Tousignant, Le Gall et al., IRSC, 2002-2004). Selon Battaglini et al. (2000), il en va de même des services prénataux destinés aux populations vulnérables qui n’atteignent pas leur cible en ce qui concerne les femmes d’immigration récente, lesquelles présentent plusieurs caractéristiques d’une population à risque. Des recherches soulignent la nécessité d’un arrimage des services à la diversité des usagers pour une meilleure efficacité des soins[21]. Sans cet arrimage, cette hétérogénéité pourrait même favoriser les inégalités face aux soins (Wear, 2003). L’arrivée relativement récente de migrants musulmans dans la société d’accueil pose de nouvelles questions aux praticiens, qu’elles soient liées aux croyances religieuses, aux pratiques culturelles ou encore à l’influence de la famille élargie ou des membres de la communauté.

Les savoirs familiaux

La famille est non seulement consommatrice de soins mais également productrice de santé et de soins de santé (Cresson, 1995, 2001, 2006). Elle influence les habitudes de vie et les comportements liés à la santé de ses membres, contribue à prévenir la maladie ou à porter assistance à ses membres lors de problèmes de santé physique et mentale. La famille accompagne les malades en plus de prodiguer des soins à toutes les personnes passagèrement ou durablement dépendantes, aux enfants et aux personnes âgées, à l’ensemble de leurs proches, dans ce que Cresson (1995, 2001) appelle le travail domestique de santé. Ce travail englobe aussi l’éducation à la santé (Cicchelli-Pugeault, 2003), c.-à-d. la transmission de conseils, de pratiques, d’un ensemble de règles et d’habitudes pour se maintenir en bonne santé et faire face à la maladie. La période périnatale est d’ailleurs un moment privilégié d’apprentissage et de transmission de pratiques et de savoirs familiaux. Elle amorce un nouveau cycle de relations avec la parenté où les échanges de sociabilité et de soutien s’intensifient. Au Québec, les premières relevailles sont généralement considérées comme un lieu d’intervention spécifique de la parenté, alors que les échanges de sociabilité et de soutien s’intensifient, pour assister la mère du nourrisson (Dandurand et Ouellette, 1995). L’arrivée d’un enfant serait aussi un événement important qui relance souvent le don dans la famille, entre les générations et dans la fratrie (Godbout et Charbonneau, 1996). Or à Montréal, dans le cas des familles immigrantes, le réseau de soutien des femmes immigrantes n’est pas toujours présent lors de la naissance d’un enfant. Couplée à la migration, la grossesse peut donc souvent être source de grand stress et parfois d’isolement pour les femmes d’immigration récente, particulièrement celles dont le processus d’insertion est jumelé à une précarité matérielle (Fortin, 2000, Battaglini et al., 2002a, Battaglini et al., 2000). Cela dit, la naissance en dehors du réseau traditionnel de soutien entraîne aussi un plus grand investissement du père qui voit son rôle s’accroître dans la sphère domestique (Battaglini et al., 2002b)

Même lorsque la famille élargie est éloignée géographiquement, les échanges familiaux persistent et l’information circule par l’entremise d’Internet, du téléphone et aussi de la visite, pendant la grossesse ou après l’accouchement, de proches parents (mère, belle-mère, soeurs ou tantes) vivant à l’étranger (Vatz Laaroussi, 2002). En effet, plusieurs exemples de solidarité transnationale sont observables lors de la naissance d’un enfant au sein, notamment, des Libanais chi’ites notamment (Le Gall, 2001). Lorsqu’elles éprouvent le besoin d’être rassurées, les femmes se tournent vers leur mère, leurs soeurs et leur belle-mère, lesquelles vivent rarement à proximité. Les différentes phases de la grossesse donnent lieu à diverses interrogations, qu’il s’agisse de soins à prodiguer à la mère et à l’enfant ou pour connaître les pratiques traditionnelles et les rites postnatals spécifiques. Citons l’exemple d’une répondante libanaise qui téléphone au Liban pour demander à sa mère comment préparer le kamhié, un plat à base de blé bouilli parfumé à l’eau de rose que l’on sert lorsque l’enfant perce sa première dent.

Cette quête de connaissance en contexte migratoire et le phénomène d’isolement cité précédemment n’excluent pas l’émergence d’une forte solidarité locale chez les migrantes françaises et « franco-maghrébines » [i.e. Françaises d’origine maghrébine] en période périnatale (Fortin, 2002). Un réseau constitué de migrants et de non-migrants, conationaux, coconfessionnels ou autres est mis en place afin de palier l’absence de l’entraide traditionnellement assumée par la famille. Cette situation contrastait d’ailleurs avec celle documentée auprès des Libanaises (Fortin, 2000)[22]. Cela dit, la trajectoire d’établissement des Françaises est néanmoins plus aisée, les Franco-maghrébines présentant un parcours d’insertion économique et social beaucoup plus ardu.

La périnatalité est un moment où les expressions du soin et les modes de vie dominants de la culture se manifestent le plus fortement (Groleau, 1998). Dans cette perspective, les soins au nouveau-né s’inscrivent dans un cadre culturel et les parents de toutes origines sont porteurs de pratiques de maternage transmises de génération en génération, tout en étant en évolution. Les coutumes, les croyances et les rituels qui entourent la grossesse diffèrent d’une région à l’autre. Par exemple, une pratique répandue dans les pays arabes et observée par Kuster et al. (2002) chez des couples algériens à Montréal consiste à glisser un minuscule Livre coranique dans le lit du nouveau-né, près de sa tête, pour le protéger du mauvais oeil qui pourrait lui causer un malaise ou une maladie. La récitation d’une sourate du Coran dans l’oreille du nourrisson est également un des rituels observés par quelques-uns des migrants musulmans interrogés dans le cadre d’une étude en cours (Fortin, Le Gall, LeBlanc). Par ailleurs, l’Islam dicte non seulement la vie politique et sociale des musulmans, mais il exerce aussi une grande influence sur les activités quotidiennes des familles, incluant les soins de santé. On peut penser ici à la circoncision des jeunes garçons ou encore à l’allaitement qui est fortement recommandé par le Coran durant les deux premières années de l’enfant (Roberts, 2003). De plus, si la question de l’avortement n’est pas directement posée dans le Coran ou les Hadiths (traditions), les principales écoles de jurisprudence islamique se prononcent sur sa légitimité, d’où une diversité dans les pratiques d’un pays à l’autre (Yount, sous presse). Le statut social, la religion, le milieu d’origine (rural ou urbain), la trajectoire migratoire et l’histoire personnelle façonnent les croyances et les pratiques susceptibles de moduler l’évolution de la grossesse, l’accouchement et, en définitive, la santé de la mère et du nourrisson. Comme le rappelle Vatz Laroussi (2001), les familles immigrantes arrivent au pays avec des connaissances importantes en matière de santé et de bien-être ancrées dans les savoirs familiaux et collectifs, susceptibles d’être reproduites ou encore transformées en contexte de migration.

Cela dit, les parents peuvent se référer aux conseils de leur famille ou des professionnels, adopter certaines pratiques et en rejeter d’autres (diversité dans les comportements). Certains parents veulent se soustraire à l’emprise de la famille élargie (Battaglini et al., 2000; Fortin, 1994). D’autres, au contraire, se réfèrent à leurs savoirs et vivent très difficilement l’éloignement de leur famille (Le Gall, 2001). Même lorsque le désir de migrer s’inscrit dans une démarche d’autonomie ou d’éloignement d’une relative norme imposée par la « communauté », comme Fortin (2002) le constatait à l’égard des migrants franco-maghrébins, il reste que la maternité, et plus encore chez la primipare, est un moment où les savoirs familiaux gagnent en importance et sont recherchés par la future mère. En effet, une recherche sur les soins postnatals chez de jeunes familles d’origine algérienne vivant à Montréal montre que la famille élargie est perçue comme un lieu privilégié d’apprentissage et de transmission des pratiques, des croyances et des valeurs culturelles, alors que les aînés demeurent les modèles à suivre pour les soins des enfants et de la mère (Kuster et al., 2002). Néanmoins, la volonté de transmettre les savoir-faire de maternage varie d’un groupe à l’autre, les femmes privilégiant les compétences professionnelles ou les connaissances familiales dans l’accompagnement de la maternité. Chez les Vietnamiens par exemple, les femmes accordent à la parenté, principalement aux générations ascendantes, une place importante durant leur accouchement, alors que les Maghrébines et plus généralement les Européennes semblent privilégier les compétences professionnelles dans l’accompagnement de la maternité (Vatz Laaroussi, 2002). Nous retiendrons, enfin, qu’il s’agit là de tendances et que même lorsque les savoirs familiaux sont prioritaires pour la femme concernée, celle-ci peut également suivre les conseils professionnels. À leur tour, ces conseils pourront être source de négociation avec la famille.

Le savoir expert

Et qu’en est-il du savoir expert? L’intervention en santé est toujours inscrite dans une dynamique professionnelle et un contexte organisationnel qui définissent des mandats, des statuts et des rôles. Ainsi, les experts détiennent un mandat de soutien où prédomine leur rôle de détenteur de savoirs et de pouvoir sur la personne en difficulté et sa famille (Saillant, 1999; Lefebvre et al., 2003). Cette asymétrie dans le rapport repose, outre les compétences médicales, sur les ressources sociales et symboliques (Taboada-Leonetti 1994; Bourdieu, 1986) conférées, notamment, par le fait qu’ils représentent (volontairement ou non) à la fois une institution légitime de la société locale et une profession (hôpital, CLSC, médecin, infirmière, psychologue). Cette reconnaissance attribue aux professionnels du soin une légitimité pour intervenir. Ils disposent de ressources humaines et financières qui leur permettent de traduire efficacement leurs savoirs et leurs visées thérapeutiques en actions et en programmes (Dandurand et Ouellette, 1995).

Au Québec, le processus de médicalisation de la maternité s’est accompagné de l’adoption de nouvelles manières de concevoir la grossesse et les soins aux nourrissons. Même si la période d’hospitalisation post-partum a été considérablement réduite, elle n’en demeure pas moins le moment privilégié où se transmettent les renseignements usuels concernant les soins postnatals pour les bébés et les femmes (allaitement, hygiène et soins du bébé, soins de base à la nouvelle accouchée, etc.). Les façons de faire proposées par les professionnels sont, elles aussi, évolutives : le discours sur l’allaitement en témoigne[23].

Par ailleurs, les avancées génétiques, les stratégies de dépistage d’anomalies foetales, les progrès en néonatologie de même que les notions de viabilité et de risques associés au devenir de l’enfant s’inscrivent dans une conception donnée de la santé et du meilleur intérêt de la mère, du foetus, de l’enfant et de la famille. Dans les cas de grossesse à risque ou de grande prématurité, la trajectoire de soins est parsemée de prises de décisions qui mettent en jeux des normes et des valeurs parfois concordantes, parfois opposées[24]. Les médecins et les infirmières n’hésitent d’ailleurs pas à souligner leur inconfort, voire leur incompréhension face à la dynamique d’échanges lors des rencontres cliniques, ou encore ne savent comment cheminer lorsque les trajectoires de soins s’opposent (Fortin et al., IRSC en cours). Ce phénomène transforme les savoirs et les pratiques institutionnels et pose de nouveaux défis éthiques dans un contexte où la recherche d’un consensus est souvent complexe. Invoquant des motifs religieux, certains parents voudront mener à terme une grossesse tout en sachant que le foetus est sévèrement atteint et que son pronostic est extrêmement sombre. À l’inverse, d’autres voudront interrompre la grossesse pour des pathologies beaucoup moins graves. Comment interviennent les différents experts dans cette prise de décision? Comprendre ces moments clés équivaut à s’interroger sur la dynamique de la rencontre clinique sur les différents champs d’expertise impliqués et leurs possibles interrelations, les parents, les praticiens et leurs savoirs respectifs. De plus, ces savoirs, tout comme ceux des parents, ne sont pas uniformes d’un service à l’autre ni d’une spécialité à l’autre comme l’observe Vermeulen (2004) en comparant deux services de néonatalogie aux Pays-Bas et en Belgique. McHaffie (2001) a aussi mis en évidence cette variabilité interpersonnelle et interinstitutionnelle en étudiant la perception des parents face à la responsabilité décisionnelle d’arrêt de traitements périnatals dans différents hôpitaux britanniques.

La rencontre clinique comme renégociation des savoirs

Les professionnels de la santé et les familles sont porteurs de croyances, de normes et de valeurs qu’ils ne partagent pas toujours. Chacun intervient avec son cortège d’identités, de statuts, de rôles et de références. Les premiers interviennent sur la base d’une compétence d’experts, en vertu d’un mandat de soutien aux familles. En plus de normaliser les pratiques de ces dernières, ils ont un pouvoir parfois direct parfois indirect de sanctionner les conduites jugées inadéquates ou, dans certains cas, de se substituer aux familles. L’intervention en santé est toujours inscrite dans une dynamique professionnelle et un contexte organisationnel qui définissent des mandats, des statuts et des rôles. Ainsi, les professionnels détiennent un mandat de soutien où prédomine leur rôle de détenteur du savoir et du pouvoir sur la personne en difficulté et sa famille (Lefebvre et al., 2003). Ce rôle repose sur un capital social et symbolique acquis hors le champ familial, leur conférant la compétence nécessaire à l’intervention. En aidant ou en se substituant à la famille, les professionnels de la santé imposent des valeurs, des normes et des règles de conduite fondées sur leurs savoirs spécialisés, lesquels tendent parfois à disqualifier les savoirs informels et leur transmission (Dandurand et Ouellette, 1995; Cresson, 1995, 2000; Pennec, 2004). C’est que les conceptions véhiculées par les modèles d’intervention ne correspondent pas toujours à celles des usagers et de leurs proches, en particulier en contexte interculturel (Meintel et al., 1999). Surtout qu’à ce savoir d’expert s’ajoutent des savoirs implicites, fruits des expériences vécues auprès de la clientèle (Rhéaume et Sévigny, 1988) et des histoires individuelles (Sévigny, 1993)[25]. L’activité professionnelle autour des soins tend à modifier l’activité traditionnelle des familles et à créer des exigences nouvelles dans l’accomplissement des soins, parfois extérieures à leur conception de la santé (Favrot-Laurens, 1995).

De leur côté, les familles, détentrices de savoirs profanes représentent un espace de réinterprétation des savoirs professionnels et sont libres de suivre ou non les avis des experts. Peu de recherches portent sur la rencontre des savoirs spécialisés et profanes et sur les pratiques sanitaires de chacun; pourtant, la question mérite d’être approfondie. Certains travaux ont révélé comment l’échange entre professionnels et profanes peut impliquer le partage des compétences et des responsabilités (Favrot-Laurens, 1995; Pennec, 2004; Lesemann et Martin, 1993; Bungener, 1993). Pour aider, la famille doit disposer de compétences parfois acquises auprès des professionnels, notamment lorsque les proches participent à des actes jugés très techniques ou spécialisés. Toutefois, l’extension de l’expertise n’est pas automatique et certaines compétences demeurent l’apanage des professionnels qui sont réticents à les transmettre (Guberman et al., 1987; Therrien, 1987). Par ailleurs, les compétences et les savoirs des familles ne sont pas toujours pris en compte par les praticiens de la santé (Levine et Zucherman, 2000). Certains évoquent la disqualification des interventions familiales autour de l’enfant par les professionnels de la santé (Cicchelli-Pugeault, 2003; Baillargeon, 2004). Au contraire, dans d’autres cas, les familles et les malades peuvent être vus comme partenaires dans les soins, et leur travail et leur expertise reconnus par les professionnels, ce que montre Waissman (1995) dans le cas de la prise en charge d’une maladie grave comme l’insuffisance rénale chronique. Pour notre part, tout en reconnaissant la prépondérance du premier discours dans l’espace clinique, plusieurs nuances s’imposent (Fortin, en préparation). Comme Lesemann et Chaume (1989), nous croyons que, loin d’être hermétiques, les logiques d’assistance différentes des familles et des professionnels s’influencent réciproquement et se transforment au fil des ans.

Conclusion

L'écart possible entre les pratiques et les savoirs familiaux et professionnels peut représenter un obstacle important à l'accessibilité des services, d'où l'importance d'acquérir une meilleure connaissance de la conciliation des pratiques et des savoirs. Dans cette perspective, considérant que la santé de la population en partie est liée à la qualité et à l’accessibilité des services médicaux (Programme national de santé publique, 2003-2012), il devient important de mieux cerner l’interface entre les familles immigrantes et les institutions de santé. Alors que les immigrants récents présentent un état de santé meilleur que celui de la population en général (en raison des biais de sélection notamment), cette différence semble s’estomper avec le temps (Chen et al., 1996). Les immigrants récents sous-utilisent même les services de santé lors des premières années d’établissement (Kobayashi et al., 1998; Hyman, 2001; Leduc et al., 2000; Leduc et Proulx, 2004; Le Gall, en cours).

Une meilleure connaissance de cette conciliation des savoirs favorisera à son tour l'émergence d'une pratique pluraliste traversée par des dimensions socioculturelles et religieuses, de normes et de valeurs pouvant inspirer les médecins, les infirmières et les autres professionnels du milieu hospitalier ainsi que les intervenants de première ligne. Certes, le champ de la communication (et de l’interprétariat) revêt une importance certaine dans le contexte pluriel de nos sociétés et le report de ce pluralisme en milieu de santé (voir notamment Leanza 2005 sur cette question). Au-delà des mots toutefois, nous nous interrogeons sur cette diversité de normes et de valeurs sous-jacentes aux pratiques familiales et professionnelles entourant la périnatalité et sur la place accordée à cette variabilité au sein de l’échange clinique tant de première ligne qu’en milieu de soins spécialisé.

En dernier lieu, les populations immigrantes sont souvent ciblées comme des populations vulnérables. Cette vulnérabilité est associée à des questions de précarité de ressources, dont les ressources relationnelles, elles-mêmes étroitement associées aux ressources économiques[26]. « Poverty is a key feature of the social contexts in which cultural [and religious, notre ajout] are made to matter » (Fox, 2000 : 9). Les travaux épidémiologiques concluent à une « solide » relation entre les inégalités socio-économiques et la santé, même si les mécanismes de cette relation ne sont que partiellement saisis (Nguyen et al., 2003, Contandriopoulos, 1999). L’anthropologue Fassin (2000, 1996) évoque pour sa part les « hiérarchies sociales inscrites dans le corps »[27]. C’est dire le lien entre les dimensions culturelles et sociales et comment, tout en s’intéressant à la transmission des savoirs sanitaires en contexte migratoire, il reste que nous sommes interpellés par les conditions dans lesquelles cette transmission, ou non-transmission, s’effectue et comment les différents « acteurs » négocient ces nouvelles situations de vie.