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Partout où ils se sont déplacés, partout où ils ont enquêté, les premiers ethnologues ont très tôt cherché à rassembler du matériel généalogique, à rencontrer les mémoires vivantes de telles ou telles communautés, de tels ou tels villages, pour reconstituer les chainons de filiation et d’alliance qui unissent chacun de leurs membres, mais aussi pour accéder aux terminologies de parenté et autre vocabulaire utilisé pour « parler famille ». En d’autres termes, ils ont utilisé la généalogie tel un dispositif d’enquête pour mettre à jour, décrire et analyser les systèmes de parenté propres aux sociétés qu’ils observaient; un usage instrumental que l’on retrouve notamment chez les pères de l’anthropologie sociale comme Lewis H. Morgan (1871) et William H. Rivers (1968).

Avec la popularisation de la pratique généalogique, de nouveaux horizons de recherche se sont progressivement dressés devant les spécialistes de la parenté, amenant ceux-ci à faire de la généalogie non plus seulement un outil d’analyse anthropologique mais un objet d’étude à part entière. En enquêtant auprès de personnes qui sont en recherche incessante d’ancestralité et d’enracinement, à savoir les généalogistes, en utilisant leurs pratiques et en examinant leurs savoir-faire, ils ont alors tenté de mieux comprendre la manière dont des hommes et femmes usent individuellement et collectivement de leurs mémoires, de leurs liens de parenté et plus largement encore de leurs identités.

C’est aux États-Unis qu’apparaissent les premiers écrits du genre. Signés de la main de Tamara Hareven (1978) puis de celle de Cardell Jacobson (1986), ces travaux offrent de faire le point sur les conditions de popularisation de la quête généalogique, cherchant à comprendre comment une pratique réservée à une élite a accédé, en l’espace de quelques décennies, au rang de phénomène de société. Prenant appui sur le succès de la saga Racines, le livre d’Alex Haley (1976) adapté quelques années plus tard pour le petit et grand écran, leurs travaux questionnent les raisons d’un intérêt grandissant pour ce que l’on a appelé alors la « généalogie ethnique ».

Dans une société, en l’occurrence la société américaine, où la reconstitution de lignées ascendantes a longtemps été l’apanage des seules familles de colons anglo-saxons – familles soucieuses d’affirmer la supériorité de la race blanche et d’afficher leurs soutiens à la cause impérialiste – ces auteurs montrent comment la passion généalogique s’est peu à peu transformée pour s’ouvrir à une population de plus en plus large et diversifiée : Afro-Américains, descendants de migrants italiens, grecs ou irlandais... En résumé, elle serait devenue l’oeuvre de minorités, de groupes ethniques soucieux de voir confirmer leurs singularités, leurs spécificités identitaires. Si l’on souhaite retracer sommairement la genèse d’un tel processus de démocratisation, il conviendrait d’évoquer, d’une part, l’intensité et à la diversité des mouvements migratoires qui accompagnèrent le peuplement, sinon la colonisation d’États nouveaux comme les États-Unis et, d’autre part, le changement de regard que l’on prête, là-bas, aux questions de différences culturelles. Semblant s’être imposées comme un enjeu de justice et d’équité sociale, les généalogies sont devenues simultanément l’objet de valorisations, voire de convoitises et de revendications. C’est ainsi que dans les années 1970, la montée des mouvements afro-américains et la poussée du multiculturalisme ont amené divers groupes culturels dont les origines se situent ailleurs que dans l’Angleterre protestante à partir à la recherche de leurs ancêtres, de leurs villages d’origines pour mieux identifier ce qui les distinguait les uns des autres, mais aussi ce qui les différenciait des descendants de colons anglophones.

Il ne fait aucun doute que cette « ethnicisation » de la quête des racines constitue une mutation majeure à l’oeuvre dans le secteur de la généalogie tout comme les représentations de la famille qui lui sont associées, celles-ci s’avérant en effet beaucoup plus collégiales qu’autrefois, puisque émancipées des seules références agnatiques (Caron, 2006). Reste que si l’on veut faire le point sur la manière dont cet univers s’est métamorphosé, au cours des dernières décennies, on ne peut s’empêcher de remarquer que d’autres éléments ont contribué à transformer le cadre d’exercice de cette pratique et à élargir ses enjeux.

Le but de cet article est précisément de revenir sur les changements à l’oeuvre dans le secteur de la généalogie. Ici, ce ne sont pas tant les nouvelles catégories de population touchées par l’envie de se découvrir de lointains ancêtres qui nous intéressent que l’apparition sur le marché de la généalogie de techniques d’investigations inédites. En ce sens, nous souhaitons nous attarder plus particulièrement sur deux révolutions technologiques qui ont particulièrement contribué à bouleverser l’univers de la généalogie de même que l’image quelque peu archaïque qui colle à ses adeptes. Il s’agit de l’informatique et d’Internet, d’une part, et des biotechnologies, d’autre part; des outils et des savoirs qui, s’ils apparaissent comme de plus en plus manipulés aujourd’hui en généalogie, prouvent que les chasseurs d’ancêtres et de racines ne sont pas que des inconditionnels de bibliothèque parcourant à longueur de journée de vieux registres poussiéreux ou d’anciennes archives de famille.

La généalogie à l’ère de l’informatique

Des systèmes de documentation en mutation

L’utilisation de l’informatique en généalogie est multiple. Elle coïncide, de manière partielle, avec l’exploitation qui en est faite par des administrations civiles, des enceintes documentaires ou patrimoniales. Rappelons à ce titre en effet que depuis plusieurs décennies, des bibliothèques et centres d’archives ont commencé à indexer puis à numériser leurs bases de données, permettant à tout un chacun d’accéder rapidement à des informations biographiques par l’intermédiaire d’un support informatique. Au moment où elles ont été introduites, l’ensemble de ces mesures signifiait très concrètement pour le généalogiste la possibilité à plus ou moins long terme de consulter le contenu d’un corpus archivistique, et ce, sans avoir à ouvrir un registre ni même à tourner les pages d’un manuscrit. En effet, la numérisation des données lui promettait l’accès direct à de multiples données biographiques, que ce soit sur un lecteur de microfilms d’abord ou un simple écran d’ordinateur ensuite, en même temps qu’elle entendait participer, de manière beaucoup plus globale, à la fin de l’ère papier (Allemand, 2001).

Interrogeons-nous un instant sur l’identité des personnes et institutions qui tirent bénéfice de ces processus. Une première issue consisterait à désigner là non pas tant le milieu des généalogistes que celui des archivistes. L’apparition de l’informatique a eu des effets considérables dans ce secteur, permettant à un corps professionnel tout entier de s’assurer de la bonne préservation des registres qu’il tient en sa possession. C’est d’ailleurs dans le but de limiter les détériorations provoquées par la consultation incessante, voire croissante, des archives que l’usage de l’informatique a été envisagé dans leur environnement de travail, ce qui a eu pour conséquence majeure de révolutionner profondément les techniques et métiers de la documentation (Garcia, 2001).

Pour les historiens de famille, en revanche, les conséquences de l’informatisation sont moins manifestes. Un élément pourrait même nous conduire à relativiser l’enjeu et l’impact que représente pour eux l’introduction des ordinateurs. Il s’agit de l’attachement que les généalogistes manifestent à l’égard des archives papier, symboles d’ancienneté, d’apparente authenticité (Sagnes, 2001). Tout se passe en effet comme si le fait de manipuler avec ses propres mains un vieil acte de naissance, ou tout autre texte constitué du vivant de leurs ancêtres, leur permettait d’accéder directement au passé; un passé appréhendé ici sous un angle éminemment sensoriel. Toucher l’archive en plus de la visualiser favorise symboliquement l’appropriation de ce qui n’est plus. C’est gagner en profondeur historique. C’est pourquoi, les généalogistes recherchent-ils toujours, aujourd’hui encore, le contact avec les sources les plus anciennes même si les nouvelles technologies de l’information leur permettent de tenir matériellement du moins ces originaux à distance.

Pour autant, peut-on en conclure que l’informatisation des registres civils et paroissiaux de même que l’apparition des nouvelles technologies d’information et de communication sont restées sans conséquence quant aux pratiques et modes de recherches généalogiques? Non, et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce qu’il devient de plus en plus difficile, pour les généalogistes, d’accéder à des sources originales. Le fait que les administrations civiles ou religieuses choisissent de protéger et de préserver leurs données de toute manipulation extérieure contraint bien souvent ces derniers à recourir à des duplicatas pour progresser dans leurs quêtes. Mais plus encore, tout laisse penser que l’entrée de la généalogie dans la sphère de l’informatique et du numérique a accéléré sa conversion en un produit de consommation. En l’espace de deux décennies, on a vu apparaître sur le marché de la généalogie un bon nombre de logiciels spécialisés dans la chasse aux ancêtres. Des centaines de CD-Rom produits, tantôt par des associations d’historiens de famille, tantôt par des sociétés marchandes, sont ainsi commercialisés chaque année. Á titre d’exemple, citons le cas d’une entreprise irlandaise qui a publié grâce au concours des généalogistes professionnels qu’elle rémunère pas moins de quinze versions électroniques d’anciens actes notariés, de reliures de presse ou encore de recensements de population.

Il ne fait aucun doute que l’acquisition de ces instruments et outils de recherche représente un coût financier certain pour le généalogiste. Reste qu’elle lui offre cependant la possibilité quelque peu inédite d’établir son histoire de famille presque à domicile; une alternative que d’aucuns rendent responsable de la perte de dynamisme du tourisme à vocation généalogique, là ou d’autres études sous-entendent seulement qu’elle peut favoriser tout à la fois la délocalisation et la démultiplication des lieux de recherches généalogiques (Heinlen, 2007; Ministère de la Culture et de la Communication, 2007). Plus encore, tout se passe comme si la démocratisation de l’outil informatique, de même que son entrée dans la sphère du privé et du domestique, permettait au chasseur de consanguins de s’éloigner physiquement des intermédiaires (archivistes, bibliothécaires, officiers d’état civil…) par lesquels il passe ordinairement pour sonder les confins de sa mémoire et de sa parenté.

Internet

Mais ce qui, en matière d’informatique, a modifié de manière encore plus considérable l’univers de la généalogie est Internet.

D’abord, parce qu’avec ce nouvel outil de communication, une nouvelle manière d’entrer en généalogie est apparue. Il n’est pas rare en effet d’entendre des personnes dire qu’elles se sont mises à s’intéresser à leur histoire de famille en inscrivant leur nom de famille sur des moteurs de recherche électroniques (Ministère de la Culture et de la Communication, 2007). Les sites liés à la « généalogie » apparaitraient d’ailleurs à ce titre parmi les plus consultés – après ceux qui ont trait au sexe et à la sexualité –, ce qui tendrait d’ailleurs à prouver que la pratique généalogique est plus qu’un loisir, elle est une réponse à ce qui est ressenti comme un véritable impératif social, c'est-à-dire la nécessité cumulée de s’identifier à des référents familiaux – et, surtout, des référents biologiques –, de se connaître un ancrage territorial et une profondeur historique. Et parce qu’il permettrait d’obtenir des réponses rapides à tous ceux qui n’ont « pas encore découvert les vertus d’un patient travail dans les archives », Internet jouirait d’un relatif potentiel d’attraction, favorisant ainsi à sa manière la popularisation de la recherche généalogique (Harvey, 2005 : 298).

Utilisé pour identifier des homonymes, pour reconstituer des cousinages, Internet a ensuite contribué à ancrer la généalogie dans un univers éminemment transnational. Il favorise la mise en réseau de personnes qui partagent un intérêt commun pour l’histoire de famille, voire pour l’histoire de leur propre famille, sans pour autant vivre à proximité l’une de l’autre. Aussi procure-t-il à tous les quêteurs de parenté qui l’utilisent l’occasion de croire qu’ils forment une communauté, un monde de semblables, et ce, malgré les kilomètres qui les séparent parfois. D’ailleurs, le fait qu’ils puissent, ensemble, partager des idées et engager un certain nombre d’actions communes via des sites ou forums de discussion spécialisés renforce ce sentiment.

De surcroît, Internet apparaît à chacun d’eux comme une ressource d’autant plus nécessaire qu’elle leur sert d’outil pour recueillir des informations généalogiques singulières, par le biais de courriels envoyés auprès d’homonymes par exemple. Ce faisant, elle s’impose comme un moyen original de contourner les autorités et administrations qui détiennent des corpus de données biographiques. Internet est une plateforme de discussion particulièrement apprécié et appréciable. Là, sur des sites associatifs et des forums, les historiens de famille peuvent débattre des organismes publics ou marchands qui offrent des services d’aide à la constitution ou à la reconstitution de généalogies. C’est ainsi qu’au-delà du rôle purement informatif qu’on peut lui reconnaître, Internet offre aussi aux quêteurs de parenté le pouvoir considérable d’exprimer leurs pensées et à travers elles, le pouvoir de faire et de défaire publiquement un ensemble de réputations. Les personnes qui, en Irlande, aux États-Unis ou encore en France, ont fait de la généalogie une activité professionnelle y sont évaluées de manière informelle de même que le contenu de certains corpus d’informations biographiques ou que la qualité des prestations offertes par tel ou tel centre de recherches.

La généalogie à l’ère de la biotechnologie

Venons-en à la seconde révolution technologique, celle qui concerne plus particulièrement la génétique et les sciences du vivant.

La fin du XXe siècle est marquée par l’apparition d’une nouvelle cohorte d’individus, ou plutôt d’organismes, prêts à instrumentaliser la demande identitaire émanant des quêteurs de parenté. Les entreprises de biogénétiques figurent parmi ceux-là, tout comme d’ailleurs les institutions touristiques et les établissements marchands qui mettent au point et commercialisent tout un tas de produits et d’artefacts pour des généalogistes en quête d’identité : manuels d’enquête, blasons de familles, arbres généalogiques vierges, séjours sur la terre ancestrale (Legrand, 2006a, 2006b). Implantés le plus souvent dans les pays anglo-saxons, comme les États-Unis ou encore la Grande-Bretagne, les laboratoires d’analyses n’hésitent pas à commercialiser des tests d’ADN pour permettre aux généalogistes, hommes ou femmes, de clarifier et établir leur filiation. Parallèlement, c’est tout leur réseau de parenté qu’ils leur proposent de redéfinir sur la base de la lecture comparative de leurs marqueurs génétiques. Ceci est intéressant à plus d’un titre.

La force de la preuve

D’abord, parce qu’elle établit la possibilité de voir confirmer ou infirmer scientifiquement un apparentement. L’envoi d’échantillons sanguins ou corporels à des laboratoires d’analyse génétique montre qu’aujourd’hui ce que cherche le généalogiste avant tout, c’est se rapprocher au plus près d’une vérité absolue, d’une preuve lui permettant de confirmer, de manière irréfutable, qui il est et qui sont réellement ses consanguins.

C’est d’ailleurs sur le registre de la scientificité que jouent en partie les laboratoires de généalogie génétique pour attirer de nouveaux candidats, ceux-ci n’ayant de cesse de souligner l’incontestabilité de leurs résultats de même que le statut de preuve, voire de vérité, qui leur est réservé. Une telle allégation fait sans nul doute écho au statut que certains états de droit accordent à la génétique. En effet, dans le domaine de la justice, les tests d’ADN sont largement utilisés pour identifier et confondre un criminel et des dizaines de procédures sont entamées chaque année pour « faire parler l’ADN » et établir la responsabilité pénale d’une personne, élargissant ainsi le spectre des dispositifs d’identification individuelle préexistants (l’empreinte digitale, vocale ou cornéenne; groupes et rhésus sanguins). Mise au service de la justice, la scientificité génétique est également sollicitée pour définir de futures orientations thérapeutiques : faire avancer les connaissances épidémiologiques, découvrir le gène responsable de telle ou telle maladie. Même si, comme l’ont souligné à juste titre Marilyn Strathern (1995) et Claudia Fonseca (2002), tous les individus ne partagent pas d’expérience directe de ces découvertes, il n’est pas surprenant dans ce contexte de voir des représentations se forger autour du caractère « légitime » et « scientifique » de la recherche génétique.

La force des représentations

Mais au-delà du fait que cette science est jugée indiscutable et utile jusque dans le champ médical, l’introduction de la génétique en généalogie atteste aussi et surtout la prégnance du biologique dans notre manière de penser la parenté. L’utilisation de la génétique en généalogie fait écho, dans son application même, aux représentations de l’hérédité. Ces tests utilisent le sang pour révéler des degrés de consanguinité là où d’aucuns utilisent, de manière plus traditionnelle, les attitudes et signes corporels pour détecter d’éventuelles ressemblances et confirmer, ce faisant, un apparentement (Vernier, 1989).

Ne se satisfaisant pas des données recueillies dans les centres de documentation ou sur Internet, les généalogistes d’aujourd’hui n’hésitent donc plus à transformer leur corps en un véritable outil d’investigation généalogique. À travers l’exploration des composantes de sa personne, le généalogiste entend ainsi non seulement comprendre qui il est et d’où il vient mais aussi découvrir ce qu’il tient de ses ancêtres. Cette dernière perspective est d’ailleurs d’autant plus recherchée qu’elle est vivement encouragée par bon nombre de médecins de famille. En effet, et comme le note Kaja Finkler (2001), ceux-ci n’auraient de cesse d’inciter leurs patients à retracer leurs généalogies, et ce, pour mieux mettre en lumière des maladies qui ont affecté sinon tué leurs aïeux. En d’autres termes, les spécialistes de la santé auraient contribué à transformer la généalogie en un instrument de prévention; une forme de représentation qui, si elle a été largement reprise par les médias, offre en soi une manière originale de répondre à cette volonté toujours plus forte de vivre dans un monde aseptisé. Ce faisant, cette entrée de la génétique en généalogie aurait également participé à la construction de mémoires familiales « négatives ». Celles-ci seraient articulées autour de pathologies ou de maladies diagnostiquées comme héréditaires parce que transmissibles par le biais du père ou de la mère.

Cette glorification des liens du sang – qui prend, notamment au sein d’associations patronymiques, la forme de larges collectes de substances corporelles – est d’autant plus frappante que, parallèlement, nos sociétés voient s’intensifier les demandes de reconnaissance, voire d’accréditation, envers des formes de parenté, des façons d’exercer la parentalité, les plus sociales et les plus électives (Copet-Rougier, 1999, Cadoret, 2002, Delaisi de Parseval et Collard, 2007). Nous vivons dans des sociétés où, d’un côté, l’on statue pour ou contre l’adoption par des couples homosexuels, pour ou contre la commercialisation de substances ou de tissus procréatifs et où, d’un autre côté, règnent de plus en plus de quêteurs de parenté soucieux de clarifier leur identité à l’aune de leur patrimoine génétique. Pour autant, ce serait une erreur de réduire la généalogie à ce qui serait de l’ordre du réactionnisme culturel sous le seul prétexte que d’aucuns usent de leur corps et de leur sang pour identifier un cercle de consanguins. En effet, nous savons que ce qui motive avant tout le généalogiste, c’est cette quête d’une histoire à soi, sur soi et de soi (Sagnes, 1998). Ceci implique, pour le généalogiste, la possibilité de sélectionner ses référents généalogiques au gré des qualités et des destinées qu’il souhaite s’approprier, au gré aussi du souci d’hétérogénéité qui peut l’animer, au gré enfin des héritages qu’il veut revendiquer, sinon transmettre à sa propre descendance.

Conclusion

Mais si la généalogie reste avant tout une affaire de choix, jusqu’à quel point ces choix permettent-ils de modifier la parenté et le cercle d’appartenance de celui qui la pratique? Plus concrètement, se découvrir une consanguinité, une filiation grâce à l’ADN ou à la recherche informatique suffit-il véritablement à transformer l’identité du généalogiste et ses relations à autrui? En outre, suffit-il à deux individus de partager une mémoire, ou des éléments précis de celle-ci, par exemple une référence commune à un même ancêtre, un nom ou un marqueur génétique, pour se vivre au présent comme des parents? Basée sur des relations réciproques d’obligations et d’échanges, la parenté se veut un bien collectif. Elle doit être un sentiment partagé et consenti, ou du moins c’est ainsi qu’elle est vécue dans l’idéal, de sorte qu’il n’est pas possible de prétendre qu’Internet et la génétique puissent à eux seuls fournir des éléments d’information performatifs, et ce, en dépit de toutes les opportunités nouvelles qu’ils offrent aux généalogistes d’aujourd’hui et de demain.