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Le champ de l’éducation familiale comprend en son essence une dualité dans la mesure où il renvoie à la fois à l’action éducative exercée par la famille envers ses enfants et à des interventions socio-éducatives visant à soutenir les parents dans certains aspects de l’éducation de leur progéniture. D’ailleurs, selon les pays, le déploiement des programmes d’éducation familiale relève de départements tantôt dédiés à l’éducation, comme c’est le cas au Royaume-Uni, tantôt à la santé et aux services sociaux, notamment au Canada et en Finlande (Shulruf et al., 2009). Une étude internationale menée dans 50 pays sur 6 continents révèle que les programmes d’éducation familiale sont très répandus et qu’en tant qu’objet, ils intéressent beaucoup le grand public (Darling et Turkki, 2009).

Origines de l’éducation familiale

L’éducation familiale repose sur l’idée que pour assurer le bien-être des enfants, il faut soutenir leurs parents en développant leurs compétences, et donc intervenir auprès d’eux. D’un point de vue historique, cette forme d’intervention émane du travail des organisations chargées de donner des services aux familles qui sont apparues au Québec dans les années 1930 (Turcotte et al., 2012). À cette époque, différents facteurs amènent la société à prendre conscience des conditions très difficiles dans lesquelles vivent les familles et la nécessité de développer des actions afin d’y remédier (Child Welfare League of Canada, 2007). L’industrialisation et les mouvements de population qu’elle entraîne viennent modifier les réseaux de soutien naturels. La crise économique rendra saillantes les différences économiques et les conséquences de la pauvreté sur les familles. Parallèlement, les connaissances scientifiques concernant le développement des enfants font prendre conscience à la société de leur fragilité et de leurs besoins spécifiques. Ceci s’accompagne d’un changement de valeurs et d’attitudes vis-à-vis des enfants et de la manière dont il faut s’en occuper (Child Welfare League of Canada, 2007). De nouvelles pratiques parentales voient le jour avec la reconnaissance de la fragilité de l’enfance et de la responsabilité éducative des parents; l’organisation familiale passe alors d’un modèle patricentré à un modèle centré sur l’enfant (Laurendeau, 1985; Neyrand, 2003; Pouliot, Turcotte et Monette, 2009). Un ensemble d’actions seront posées, dont la formation de professionnels chargés de s’occuper des enfants et la création de lois visant à les protéger (Child Welfare League of Canada, 2007).

S’il se dégage un consensus sur le fait qu’il faut faire quelque chose pour soutenir les enfants en difficulté, la « meilleure » façon de répondre à leurs besoins fera l’objet de débats pendant un bon moment. Essentiellement, il s’agissait de déterminer qui est en meilleure posture pour aider un enfant vulnérable. On retrouve les premières traces de ce débat dans les annales de la Commission des assurances sociales (1930) alors que les tenants de l’aide institutionnelle (impliquant le retrait de l’enfant de sa famille) s’opposaient à ceux qui affirmaient que le fait de tout miser sur les institutions désorganisait la famille et que l’enfant a le droit d’être protégé par sa famille et dans sa famille (D’Amours, 1986). Avec le temps, cette dernière conception prendra le dessus et sera affirmée très clairement par la communauté internationale lors de la signature de la Convention relative aux droits de l’enfant en 1989.

Les valeurs et surtout les connaissances actuelles en la matière abondent en arguments fondés empiriquement voulant que la famille d’origine de l’enfant demeure, dans la grande majorité des situations, le milieu le plus propice à son développement et que toute interruption dans cette relation lui soit négative (Leung, Monit Cheung et Stevenson, 1994; Whittaker, 1990). La reconnaissance de la participation active des parents comme facteur d’efficacité de l’intervention a fait ressortir la nécessité d’impliquer tous les acteurs susceptibles de pouvoir contribuer au mieux-être de l'enfant (Atkins-Burnett et Allen-Meares, 2000; Beaudoin et al., 2000; Campbell, 2002; Leung, Caruso-Whitney, 1997; Hurth et Goff, 2002; James et Chard, 2010; Mahoney et Wiggers, 2007; Pandit, 2008; Terrisse et Brynczka, 1990). On a ainsi assisté au passage d’une pratique sociale « paternaliste » à une pratique misant davantage sur les ressources et capacités des clients de contrôler leur situation (Berg, 1996; Hegar et Hunzeker, 1988). Cette nouvelle vision de ce qui est « dans le meilleur intérêt de l’enfant » est venue changer radicalement le paysage des services à l’enfance offerts par les établissements publics au Québec, comme ailleurs. Depuis la fin des années 1990, la notion de développement des compétences se situe aussi au coeur des interventions offertes dans le milieu communautaire qui offre des services aux familles (Ouellette, 2005). Les pratiques sont fortement influencées par l’approche centrée sur la famille, approche soutenant que la famille naturelle est le milieu de vie le plus susceptible d’assurer le développement harmonieux de l’enfant, d’où la nécessité de reconnaître et de soutenir les compétences de la famille (Pouliot et al., 2009)

Les champs d’action de l’éducation familiale

Sur le continuum de l’intervention, l’éducation familiale est utilisée tout autant dans une perspective de promotion, en préparant, par exemple, les familles à traverser les moments charnières de leur vie, que dans une orientation thérapeutique et éducative, en soutenant l’action de parents qui rencontrent des difficultés dans l’exercice de leurs rôles parentaux (Turcotte et al., 2012). La grande étendue des activités regroupées sous le parapluie de l’éducation familiale n’est pas étrangère à la diversité des acteurs qui sont engagés dans ce champ d’action. L’analyse des besoins des familles émane bien souvent des observations menées par les associations familiales qui ont pour vocation de faire des propositions auprès de diverses institutions et de renseigner les pouvoirs publics sur les réalités quotidiennes des familles (UNAF-UDAF, 2008). Néanmoins, on constate, dans les faits, que les gouvernements ont généralement tendance à cibler les familles vulnérables, celles qui sont désavantagées; on peut mentionner à cet égard le Programme d’action communautaire (PACE) du gouvernement canadien (Beaudoin, Simard, Turcotte et Turgeon, 2000; Shulruf et al., 2009; Agence de la santé publique du Canada, 2012). À côté du travail des associations familiales, qui fournissent un éclairage sur les besoins des familles, les pratiques sont aussi façonnées par les législations visant à protéger la sécurité ou le développement des jeunes. À cet égard, toutes les lois en matière de la protection de la jeunesse, qu’elles proviennent de l’Angleterre, de l’Australie, de la Belgique, de la France, de l’Italie, du Canada ou des États-Unis reconnaissent le rôle central des parents dans l’éducation de leur enfant (Healy, 1998, Serbati, ce numéro). Par exemple, les récentes modifications apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec insistent particulièrement sur l’importance d’impliquer les parents dans l’intervention et de leur offrir tous les services disponibles afin de mettre un terme à la situation compromettante (Goubau, ce numéro; Saint-Jacques et al., 2011). En Italie, l’éducation familiale a pris son essor sous l’impulsion de la loi 285 qui concerne les Dispositions en matière de promotion des droits et perspectives pour l’enfance et l’adolescence. En voulant se conformer à l’esprit de la Convention relative aux droits de l’enfant (Organisation des Nations-Unies, 1989), le législateur italien reconnaît l’importance que les enfants puissent grandir auprès de leurs parents et qu’en cas de difficulté, il faut soutenir les parents plutôt que de s’y substituer (Serbati et al., ce numéro).

Par ailleurs, si l’éducation familiale se déploie dans des contextes de difficultés sévères, elle est aussi très présente dans le domaine de l’intervention précoce et de l’éducation (Asdih, ce numéro). Dès lors, le champ de l’éducation familiale s’est élargi en rejoignant une population beaucoup plus large et en intégrant des activités développées en réponse à un problème spécifique ou en fonction d’une clientèle cible. Ses assises théoriques se sont également diversifiées; elles peuvent aussi bien faire référence à des cadres d’inspiration behavioriste, humaniste, écosystémique, neurobiologique ou psychodéveloppementale (Turcotte et al., 2012). L’idée d’impliquer les parents dans l’intervention est une conception qui transcende les secteurs d’intervention, les disciplines et les pays.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les recherches en éducation familiale ont pris un essor considérable en psychologie, service social, sociologie et pédagogie, notamment en raison de l’impact reconnu de l’éducation sur la personnalité et les aptitudes de l’enfant (ASPC, 2010; Durning, 1995; Pourtois et Desmet, 1997; Pourtois et Fontaine, 1998; Singly, 1993).

La famille en tant qu’instance éducative représente le lieu privilégié des premières interactions et des premiers apprentissages relationnels, sociaux et cognitifs de l’enfant. Elle est ainsi la première instance éducative et socialisatrice de l’enfant. Au-delà de l’importance accordée aux caractéristiques structurelles des familles, les études plus récentes explorent le lien entre les pratiques éducatives et les aspects interactionnels du fonctionnement de la famille. Ces études s’intéressent à « l’ensemble du fonctionnement familial en rapport avec l’éducation : particulièrement, elles décrivent et analysent les attitudes, pratiques, comportements éducatifs, attentes, rôles, besoins, motivations, projets des parents » et tentent de déterminer leurs effets sur le développement de l’enfant (Pourtois, 1989, p. 70). L’éducation parentale, est « une activité volontaire de la part des parents qui s'efforcent de changer les interactions qu'ils établissent avec leurs enfants en vue d'encourager chez ceux-ci, l'émergence de comportements jugés positifs et de réduire la production de comportements jugés négatifs » (Pourtois, 1979, p. 71). Toutefois, « si la famille contribue pour une part importante au développement cognitif, affectif et social de l’enfant, ce dernier peut lui aussi avoir une influence sur les adultes » (Bardou, 2011, p.44). L’éducation recouvrerait ainsi l'ensemble des actions favorables à l’intégration de l'enfant à la vie sociale par le développement de ses potentialités valorisées par le groupe social auquel il appartient.

Actuellement, plusieurs changements affectent l'éducation, ses fonctions, ses moyens et ses objectifs relativement aux multiples transformations et évolutions démographiques, économiques et sociales. Ainsi, les travaux actuels en éducation familiale se doivent de tenir compte de l’évolution de la famille occidentale actuelle tant en ce qui concerne sa place dans la société que sa structure et sa composition; les modifications liées au statut de l’enfant et de la structure familiale affectent particulièrement les rôles éducatifs et induisent des difficultés et des préoccupations nouvelles.

En l’espace d’une quarantaine d’années, la conception de la famille a évolué. « Si dans les années 70, époque où l'on croyait que tout était possible et où le désir d'une plus grande liberté occupait les esprits, la famille étant perçue comme une entité répressive et frustrante, depuis les années 90, elle représente davantage le symbole de la sécurité, un milieu où l'on se sent protégé, à l'abri des difficultés économiques et sociales de notre époque » (Bardou, 2011, p.44).

De nombreux facteurs et processus sous-jacents aux changements familiaux de ces dernières décennies (évolutions des valeurs sociales, nouveaux comportements démographiques, accès de plein droit des femmes au marché du travail) ont entraîné des modifications autour de la cellule familiale remettant en cause le mode de vie intime du couple et de la famille, les concepts de paternité, de procréation, de fidélité. Dès lors, l’éducation familiale a subi des changements considérables, suscitant de nouvelles thématiques de recherches : compréhension d’une nouvelle répartition des rôles parentaux (Lecamus, 1997), des familles monoparentales et homoparentales, des problèmes de violence familiale, des relations famille-école comme facteur de réussite/échec scolaire de l’enfant, pour ne citer que celles-là (Deslandes, 2004; 2005; Oubrayrie et Lescarret, 1997; Oubrayrie et Safont, 2011).

La famille constitue en cela une microsociété dans laquelle l'enfant et l’adolescent vont se situer, se définir, en accord ou en opposition. Elle demeure le champ privilégié de l'apprentissage de la vie et du développement de la personnalité de l'enfant et de l’adolescent leur permettant de se construire à partir de modèles affectifs et sociaux (Baumrid, 1991; Steinberg, 1992) en vue d’une socialisation et d’une personnalisation réussies (Wallon, 1959).

Regards croisés sur l’éducation familiale

Ce numéro traduit bien la diversité et la complexité de ce champ d’action. L’éducation familiale y est abordée sous l’angle des pratiques mises en oeuvre par des intervenants en direction des parents et des enfants qui vivent dans des contextes présentant des risques d’adaptation. Les familles sont considérées ici à risque lorsque des facteurs d’ordre individuel, familial ou environnemental les exposent à une plus grande probabilité de développer des problèmes d’adaptation. Les articles font particulièrement référence aux familles rendues vulnérables en raison de leur parcours migratoire, de leur faible scolarisation et de leur précarité socioéconomique, quand il ne s’agit pas de parents recevant des services parce que leurs enfants vivent dans des conditions qui compromettent leur sécurité ou leur développement. Ce numéro d’Enfances, Familles, Générations examine ces questions dans une perspective internationale et multidisciplinaire. Les auteurs discutent des représentations et des pratiques d’acteurs provenant de France, d’Italie et du Québec. L’éducation familiale est examinée telle qu’elle se déploie dans le domaine des services sociaux, de l’éducation, de la santé et de l’intervention communautaire. Ce regard croisé est d’autant plus riche que les auteurs y ayant contribué appartiennent à différentes disciplines que sont la psychologie, le service social l’éducation et le droit. Bien que l’appréhension de l’éducation familiale à travers six textes ne permette pas de tirer des conclusions sur les similitudes et les différences selon les disciplines, les champs ou les pays dans lesquels celle-ci se déploie, il convient de relever les nombreux points de convergence qui se dégagent de l’ensemble des articles.

On constate d’abord que l’éducation familiale s’appuie sur la croyance que les enfants, pour se développer adéquatement, ont besoin d’être accompagnés par des parents compétents. Elle entraîne dans son sillage toute une démarche visant à impliquer les parents dans l’intervention et à reconnaître leurs compétences (Deslandes, 2001; Larivée et al., 2006), ce qui se traduit par un changement de paradigme sur le plan de la relation parents-professionnel (Brousseau, ce numéro). Plutôt que de se positionner en expert, l’intervenant cherchera à partager le pouvoir, puisqu’il considère que les compétences se développent par la reconnaissance des forces et des potentiels des parents et par l’augmentation du pouvoir qu’ils peuvent exercer sur leur vie (De Montigny et Lacharité, ce numéro; Le Bossé et al., 2002; Saint-Jacques et al., 2009; Serbati et al., ce numéro). Ainsi, l’éducation familiale est étroitement associée à la collaboration avec les parents, à leur implication dans l’intervention, à la reconnaissance de leurs forces et au développement de leur potentiel d’action. Cette plus grande implication des parents soulève, par ailleurs, un enjeu concernant le partage du pouvoir entre les parents et les intervenants (Jésu, 2007) et une remise en cause des rôles traditionnels de l’aidant et de l’aidé (De Montigny et Lacharité, ce numéro; Le Bossé et al., 2002; Saleebey, 2006;). Cette transformation rend très pertinente l’étude des représentations qu’ont les intervenants de l’implication parentale, ce que n’ont pas manqué de faire plusieurs auteurs de ce numéro.

Une analyse transversale des articles de ce numéro montre aussi l’importance accordée aux représentations des acteurs. Dans la mesure où la relation entre parents et professionnel est teintée par les représentations qu’ils se font d’eux-mêmes, de l’autre et de leur situation (Lessard et Turcotte, 2000), la façon dont les parents se perçoivent eux-mêmes et la façon dont les professionnels se représentent les parents sont des éléments clés de l’éducation familiale (Kettani et Euillet, ce numéro). Des liens étroits se tissent entre, d’une part, les représentations que se font les intervenants des parents, l’importance qu’ils accordent à les impliquer et, d’autre part, les pratiques réelles qui sont mises de l’avant (Asdih; De Montigny et Lacharité; Serbati et al., ce numéro).

Un autre enjeu majeur dans le domaine de l’éducation familiale concerne l’efficacité, voire la raison d’être de cette forme d’intervention (Moran et Ghate, 2005). Les programmes d’éducation familiale sont-ils efficaces? Quels sont les facteurs qui favorisent l’atteinte des objectifs? Quelles sont les limites, inconvénients et risques associés à ces pratiques? Les articles de Brousseau et de Serbati, Gioga et Milani sont particulièrement consacrés à ces questions. Enfin, l’éducation familiale peut être offerte dans un contexte prescrit qui comporte des dilemmes éthiques. Quels enjeux sont soulevés lorsque l’éducation familiale est offerte à des parents qui reçoivent des services sur une base non volontaire et que le résultat compte autant (sinon plus) que le processus? (Goubau, ce numéro)

Ce numéro comprend un premier texte de Kettani et Euillet qui traite de l’engagement paternel. Dans un contexte où la précarité touche un nombre croissant de familles, les auteurs estiment essentiel de s’interroger sur l’expérience paternelle des hommes qui connaissent des difficultés socio-économiques, puisqu’une meilleure compréhension de leurs spécificités est nécessaire à l’élaboration de moyens de prévention et d’accompagnement socio-éducatif appropriés. D’autant plus que les travaux sur le sujet sont encore parcellaires et débouchent sur des résultats contradictoires.

À l’aide d’une méthodologie quantitative basée sur échantillon de 187 pères, ayant au moins un enfant âgé de 2 à 6 ans, elles ont étudié la façon dont les pères en situation de précarité socio-économique vivent leur paternité et s’engagent auprès de leurs enfants. En comparant les réponses de 82 pères en situation de précarité socio-économique à celles d’un groupe de comparaison de 105 pères, elles ont relevé peu de différences entre les deux groupes de pères en ce qui a trait à l’engagement paternel. Par contre, les pères en situation de précarité socio-économique se sentent plus stressés et moins compétents dans leur rôle de père. Ce résultat les amène à la conclusion que la perception de la contrainte financière joue un rôle plus central sur le bien-être des familles et les processus familiaux que les mesures plus objectives de pauvreté. D’où la pertinence de privilégier, tant en recherche qu’en intervention, une approche de la précarité socio-économique qui intègre l’aspect psychologique.

Leurs résultats les amènent également à suggérer plusieurs pistes d’intervention, notamment : la mise sur pied de services d’écoute et de soutien dans le vécu de la paternité, le développement de services de soutien à domicile, la création d’espaces et d’activités dans lesquelles les pères peuvent se reconnaître et se réaliser, l’aménagement de temps de rencontre leur permettant d’échanger en groupe avec d’autres pères, la mise en valeur de leurs compétences et la remise en question des représentations à l’égard des pères en situation de précarité, représentations qui peuvent constituer des messages implicites de disqualification.

Centrée sur l’étude des représentations des enseignants, Asdih nous propose de discuter de la collaboration école-famille, élément essentiel à la réussite scolaire de l’élève. Cette collaboration, se voulant fondée sur un engagement réciproque des parents et des enseignants dans l’accompagnement à la scolarité de l’enfant, sur le respect mutuel et l’établissement d’un lien de confiance entre eux, s’avère constamment repensée au regard des changements institutionnels de l’école et du réaménagement de la formation des enseignants en France. Selon une approche compréhensive, l’auteure s’est centrée sur le discours d’enseignants d’école primaire à propos de leurs interventions et interactions collaboratives auprès de familles confrontées à des situations où les facteurs de précarité socio-économique, de migration et de faible scolarisation sont combinés. Elle vise à identifier sur quoi s’étaye l’aide apportée par les enseignants, quels sont les obstacles rencontrés au regard de l’engagement des parents et quelles en sont les résonances sur la qualité et la pertinence de leurs interventions.

Ses entretiens semi-directifs explorent plusieurs dimensions : la représentation de l’école et la conception du métier d’enseignant, la conception et le fonctionnement éducatif de la famille, les difficultés éducatives repérées, l’implication à l’école, le sens accordé à l’éducation parentale, les attentes à leur égard, les représentations des familles, les relations avec elles. L’analyse de discours révèle que les enseignants communiquent avec justesse et pertinence, sont conscients du rôle et des compétences des parents et innovent au-delà de la demande institutionnelle, convaincus de l’importance de la collaboration, mais désenchantés ou « opérationnellement » épuisés. Cependant, la motivation des enseignants ne suffit pas à elle seule pour que la collaboration réussisse, la participation des parents à la vie de l’école est essentielle, de même qu’une orientation et une adéquation des activités d’apprentissage.

Une nécessaire connaissance des publics scolaires intégrant les parents s’impose à la formation des enseignants afin d’affiner l’orientation et l’adéquation des actions de l’enseignant selon ses objectifs et en faveur de cette collaboration avec les parents et notamment avec les familles populaires ou les familles immigrées

Cette étude met aussi l’accent sur le malaise des enseignants et l’enjeu d’une reconnaissance institutionnelle du métier d’enseignant par les parents et l’institution elle-même. Elle illustre enfin les processus en jeu dans la collaboration avec les parents et rappelle la nécessité d’explorer plus avant les représentations des parents, l’historique des situations de rencontre parents-enseignants selon les milieux étudiés et le fonctionnement même des dispositifs de collaboration.

Le prochain article traite aussi des représentations et des pratiques des intervenants du domaine de l’éducation, mais examine de plus d’autres secteurs d’activités, soit la santé, la réadaptation et le communautaire. Il documente leurs perceptions, croyances et pratiques déployées auprès de parents présentant des risques psychosociaux. Ces dimensions de l’éducation familiale sont examinées par De Montigny et Lacharité en tentant de voir dans quelle mesure elles dénotent une adhésion au modèle de l’empowerment sur le plan de l’idéologie, des pratiques et des indicateurs du pouvoir d’agir.

Il s’agit d’une étude quantitative réalisée auprès de 203 intervenants (dont 20 hommes) provenant de divers secteurs (santé, communautaire, éducation, réadaptation) et appartenant à des disciplines diverses. Dans un premier temps, elle examine la perception qu’ont les intervenants des parents de jeunes enfants de même que les croyances et les principes sur lesquels ils pensent que leur pratique s’appuie. Dans un second temps, ces dimensions sont mises en relation afin de cerner la cohérence qui existe entre leurs croyances, leur perception des parents et les pratiques qu’ils adoptent.

Les résultats montrent que, globalement, la représentation que les intervenants ont des parents est positive. Les mères sont perçues plus positivement que les pères, et ce, quel que soit le genre du répondant. Par contre, les répondants masculins perçoivent plus négativement les pères que les répondantes. Cette perception plus négative serait peut-être attribuable aux conditions de participation des pères : les intervenants auraient moins d’habiletés pour intervenir auprès des pères, et auraient plus de difficultés à tenir compte de leurs compétences. L’étude montre aussi que les intervenants plus expérimentés ont une perception plus négative des parents. Enfin, la perception varie selon le secteur dans lequel oeuvre l’intervenant. Les auteurs ont observé une grande cohérence intersectorielle et interprofessionnelle dans les croyances des intervenants et leurs capacités à appliquer les principes d’une intervention fondée sur l’empowerment. Par ailleurs, ils ont remarqué que les intervenants plus âgés sont davantage orientés vers des pratiques où ils se positionnent en expert. Cette différence selon l’âge pourrait refléter la formation initiale des intervenants.

Une majorité d’intervenants se disent en accord avec les 12 principes décrivant une pratique basée sur l’empowerment. La donne semble quelque peu différente quand il s’agit de juger de l’applicabilité de ces principes. Certains de ces principes sont considérés comme difficiles d’application par plus du tiers des répondants. Ils portent sur l’implication des réseaux naturels, le recours aux forces pour l’obtention d’un résultat à court terme et l’établissement d’une relation de réciprocité avec le parent.

Une analyse multifactorielle fait ressortir le rôle central des croyances en regard de la cause des problèmes. Les intervenants qui considèrent que les problèmes proviennent du contexte de développement des personnes et de leurs conditions de vie sont portés à développer des pratiques de soutien qualifiantes se situant dans l’esprit de l’empowerment.

De Montigny et Lacharité observent, par ailleurs, une dichotomie entre les croyances véhiculées à propos des forces des parents et la difficulté des intervenants à utiliser ces mêmes forces, ce qui dénote d’un écart entre le dire et le faire. Ils mettent aussi en question le rôle des environnements dans lesquels oeuvrent les intervenants : jusqu’à quel point contribuent-ils à valoriser et faciliter le développement de services centrés sur la famille?

Les prochains articles examinent la question de l’éducation familiale auprès de familles rencontrant des difficultés sévères qui compromettent le développement de leurs enfants. Ainsi, Serbati, Gioga et Milani ont mené une étude auprès d’éducateurs familiaux italiens oeuvrant auprès de parents négligents. Elles rappellent que certaines familles sont considérées comme plus vulnérables en raison de leur histoire et du contexte difficile dans lequel elles vivent. L’État doit protéger les enfants et cette aide doit soutenir les parents dans le développement de leurs compétences plutôt que de se substituer à eux. Nécessairement, une telle philosophie suppose de ne pas limiter l’intervention aux enfants, mais de viser l’inclusion des parents. En Italie, cette forme d’action est qualifiée d’intervention éducative et vise le développement des ressources de la famille et celles de leur réseau.

Au départ, l’intention de cette étude était d’évaluer si l’intervention éducative est efficace et si elle répond aux besoins des familles. Les premiers résultats ont montré que l’intervention était surtout centrée sur l’équipe de professionnels et sur les enfants, mais moins sur le soutien aux parents. D’une recherche évaluative, cette étude s’est transformée en recherche participative. Le travail d’échanges entre l’équipe de chercheurs et l’équipe d’intervenants a servi en quelque sorte de formation et de modeling. Les chercheurs ont cherché à outiller les intervenants afin qu’ils soient en mesure de travailler la relation parent-enfant en utilisant un instrument permettant l’évaluation du processus et des résultats des interventions. L’idée à la base de cette démarche était d’en arriver à identifier les facteurs clés favorisant l’adaptation des familles et valorisant la parentalité positive. Pour y arriver, les chercheurs ont eu recours à une méthodologie mixte basée sur une collecte de données auprès de 12 éducateurs intervenant auprès de 23 enfants et 18 familles.

L’analyse des résultats montre que les facteurs clés associés au succès sont la présence d’un lien de confiance entre les parents et l’éducateur et l’implication des parents dans la planification et la réalisation des interventions. Les intervenants soulignent que le développement d’un lien de confiance exige du temps, que ce n’est pas un objectif facilement atteignable et qu’ils n’ont pas été formés pour cela. Le démarrage de l’intervention est identifié comme un moment crucial où les deux parties s’apprivoisent. En évoquant les travaux de Bouchard (1999) et de Dumaret (2007), Serbati, Gioga et Milani soulignent l’importance de se situer dans « un parcours d’accompagnement qui commence par la (re)construction de l’image du parent et par la (re)découverte de ses compétences ». L’étude a aussi permis d’identifier des freins à l’implication parentale : un système de service qui demande aux intervenants de prendre la bonne décision en peu de temps, et ce, malgré un contexte complexe comme celui de la maltraitance, le manque de ressources des organisations et la charge de travail excessive. Il est plus difficile d’instaurer une démarche participative auprès de parents non volontaires, notamment en raison du déséquilibre du pouvoir. Ce résultat fait ressortir les contraintes du travail dans une perspective d’empowerment dans le contexte d’une intervention en protection de la jeunesse. Les éducateurs considèrent aussi comme un défi l’implication de parents qui ne sont pas capables de voir les risques inhérents aux conditions de vie de leurs enfants. Sur le plan de l’exercice de leur métier, les éducateurs ont souligné trouver difficile d’être « dans » la famille, ayant davantage l’habitude de travailler avec les enfants. Généralement, toutefois, les intervenants, les parents et les enfants considèrent comme importante l’implication des familles dans le processus d’aide.

Dans leurs pratiques, les éducateurs planifient peu la promotion des relations de la famille avec son réseau informel, l’intervention demeurant très centrée sur la famille. Donc, on poursuit avec une centration sur l’individu, ce qui laisse peu de place à des actions agissant sur les conditions sociales et économiques qui peuvent engendrer des difficultés chez les parents. Les auteures notent, par ailleurs, que cette centration sur les vulnérabilités individuelles et psychiques maintient les parents dans une zone où ils ont moins de pouvoir, les intervenants étant les experts. Pour Serbati, Gioga et Milani, il s’agit d’un paradoxe important : on ne modifie pas les conditions sociales dans lesquelles vivent les familles, mais on demande aux personnes de s’y adapter. Pourtant, il leur apparaît que l’autonomie des familles pourra se développer par la reconstruction des liens avec le réseau social qui les entoure. Une exception : les éducateurs accordent beaucoup d’importance aux relations famille-école. Au terme de cette expérience, tous les objectifs liés aux compétences des parents se sont améliorés. Bien que l’implication des parents ait constamment augmenté au cours du processus, de nombreuses interventions ne comptent aucune modalité de participation. Dans cette étude, les chercheures ont développé un contexte d’apprentissage permettant le développement d’une pratique plus centrée sur l’implication des parents. Les améliorations observées donnent à penser que le développement du pouvoir d’agir des parents passe par une meilleure formation des intervenants.

L’article de Brousseau propose une analyse descriptive des pratiques professionnelles et de programmes d’interventions « centrés sur la famille » en contexte de négligence au Québec. Cet état de la question met l’accent sur l’importance de la famille comme milieu de vie protecteur et socialisateur.

La négligence familiale sur le plan éducatif s’accompagne, dès lors, de problèmes individuels, socio-environnementaux et familiaux induisant des difficultés développementales des enfants. Selon les études et les constats relatés, Brousseau souligne l’écart important entre la multidimensionnalité de la négligence et les pratiques d’intervention qui sont éparses et plutôt centrées sur les mères. L’étude qualitative réalisée en 2006 par Brousseau et Morel sur les pratiques d’intervention de 24 praticiens en service social souligne l’importance d’une approche holistique et écosystémique du fonctionnement familial. Elles distinguent trois modèles d’interventions centrées sur la famille. Deux modèles mettent l’accent sur la nécessaire responsabilité du changement reposant sur un membre de la famille, les enfants ou le père, afin de faciliter une diminution des problèmes personnels de la mère. Selon le troisième modèle, le changement repose plutôt sur un engagement de tous les membres de la famille et de leur environnement. Ce modèle tient compte beaucoup plus de la multidimensionnalité de la négligence en contexte d’intervention.

Dans une deuxième partie, Brousseau relate la nature et les effets de 19 programmes d’intervention centrés sur la famille en contexte de négligence. Ces programmes, qui visent l’amélioration du fonctionnement, s’adressent soit aux parents (n = 6), soit aux parents et aux enfants (n = 5). Trois autres programmes visent la préservation familiale, et enfin, cinq programmes sont plus centrés sur la consultation et la thérapie familiale et la thérapie multisystémique. La moitié de ces programmes seulement s’adressent à des familles négligentes ayant des enfants de moins de 12 ans. Certains s’adressent plus spécifiquement au système familial comme cible d’intervention afin de pallier les besoins des enfants et diminuer la négligence parentale.

L’auteure évoque également l’évaluation de 11 de ces programmes, dont 6 ont été effectuées auprès de familles négligentes afin d’en mesurer les effets sur la négligence ou le potentiel abus, l’évitement du placement, le mieux-être des parents et des enfants et dans le réseau social. Bien que certains programmes soient très prometteurs pour la diminution de la négligence, plusieurs limites méthodologiques atténuent les conclusions que l’on peut en tirer sur le plan de leur efficacité.

Les programmes les plus prometteurs s’appuient sur des approches multiples, concrètes et comportementales centrées sur la famille et sur les forces et les faiblesses des nouvelles configurations familiales. Les activités de groupe et la consultation individuelle intensive sont privilégiées afin de cerner les besoins des familles et de développer des stratégies d’intervention efficaces; le réseau social est renforcé, des paraprofessionnels et des bénévoles sont présents et des activités sont développées pour aider les enfants à surmonter leurs difficultés; les services de santé mentale, de toxicomanie ou pour les problèmes judiciaires des adultes sont également convoqués. La collaboration intersectorielle est ainsi accrue afin d’aider les familles et assurer la protection des enfants.

Brousseau présente ensuite Le projet famille qu’elle a développé avec des collègues et qui se veut un exemple de programme d’intervention familiale écosystémique des plus prometteurs. Selon une approche holistique et multidimensionnelle d’évaluation et d’intervention, ce projet de recherche-action mobilise toute la dynamique du système familial afin de réaliser le changement inhérent à l’ensemble des membres tout en tenant compte des différentes configurations familiales et du milieu socioculturel des familles. Une amélioration du fonctionnement familial et une diminution de la négligence chez les familles ont été observées après l’intervention, ce qui permet de conclure à la pertinence et à la faisabilité d’un modèle de thérapie familiale en contexte de négligence. Sans prétendre à la supériorité d’un modèle sur un autre, le projet famille lance des défis pour la pratique, notamment en ciblant une intervention plus axée sur les forces de la famille et de son environnement que sur leurs faiblesses.

Ce numéro spécial de la revue Enfances, Familles, Générations se termine par un texte de Goubau qui traite des enjeux de l’éducation familiale lorsque cette dernière se déploie en contexte de protection de l’enfance.

L’éducation familiale dans cet environnement particulier place les intervenants sociaux dans un dilemme entre le soutien aux parents et l’orientation de l’enfant vers un projet de vie qui se réalisera en dehors de sa famille. Ce dilemme est d’autant plus épineux que la situation socio-économique des familles est au coeur des facteurs associés à la maltraitance envers les enfants.

Au Québec, les nouvelles dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse, qui sont entrées en vigueur le 1er juillet 2007, imposent des contraintes de temps précises aux intervenants et aux familles. Selon Goubau, dorénavant, les interventions en matière d’éducation familiale réalisées dans le cadre de cette loi risquent de ressembler de plus en plus à une course contre la montre : les parents bénéficieront d’une aide dont l’objectif est le retour de l’enfant auprès d’eux, mais cette aide sera de courte durée, car le besoin de stabilité de l’enfant dictera la mise en place de mesures permanentes. Les délais de la Loi apparaissent comme un cadre temporel qui vise à assurer une plus grande stabilité. Ils peuvent cependant être prolongés si leur application est contraire à l’intérêt et à la situation d’un enfant en particulier. À cet égard, la Cour d’appel invite les juges de première instance à faire une analyse personnalisée de la situation de l’enfant avant de prononcer une mesure permanente, telle le placement définitif en dehors de la famille. La Cour donne ainsi du temps à l’intervention, incluant l’éducation familiale lorsqu’il est démontré que cela est nécessaire. Cette approche nuancée est, selon la Cour d’appel, la seule compatible avec le principe premier de la Loi sur la protection de la jeunesse, soit la primauté de l’intérêt de l’enfant. Néanmoins, toujours selon l’auteur, sachant que la pauvreté est un facteur déterminant de la compromission de la sécurité et du développement des enfants, les limites dans la durée des placements et, par conséquent, la compression du temps disponible pour aider les parents mettent particulièrement sous pression les familles les plus défavorisées de la société. Et tant que les services ne seront pas plus disponibles et que la collaboration entre les différents acteurs ne sera pas une réalité de tous les jours, la réforme de la protection de la jeunesse continuera à imposer à plusieurs familles les conditions d’une course contre la montre perdue d’avance.

Des pistes de réflexion

Nous souhaitons que ce numéro thématique permette au lecteur de porter un regard diversifié sur l’éducation familiale, de croiser les enjeux qui traversent ce champ d’action dans différents contextes et d’en saisir les différences et les similitudes. Ces dernières, qui transcendent les populations, les contextes culturels, les professions et les secteurs d’activités, fournissent des pistes de réflexion permettant de pointer des thématiques à explorer davantage.

Les travaux présentés ici donnent à penser que certains parents sont moins bien perçus que d’autres par les professionnels et que l’on trouve plus difficile de travailler avec eux. Ce serait notamment le cas des pères et des parents qui, du point de vue des intervenants, ne sont pas capables de voir les risques auxquels leurs enfants sont exposés. A priori, on peut penser que ces parents collaborent moins. En poursuivant la réflexion, on peut aussi avancer qu’ils n’ont pas nécessairement la même lecture du problème et de ses solutions que les intervenants. Des articles de ce numéro ciblent l'importance d'un mode d'intervention auprès des familles fondé sur l'agir communicationnel afin de mieux cerner leurs besoins et d'être à l'écoute d'un vécu et d'une identité familiale ou individuelle qui se construit dans le lien social et à la faveur des changements socioculturels. Développer une intervention qui s’appuie sur les forces des parents nécessite de ne pas imposer un diagnostic de la situation et de tenter de développer une vision commune, ce qui s’approche d’un partage du pouvoir. Il est essentiel de tenir compte également des forces des familles, entre autres de leurs compétences dans l'accompagnement à la scolarité; la reconnaissance du potentiel des parents passe par une étroite collaboration entre les différents partenaires en jeu (école-famille, parents-enseignants, acteurs sociaux, chercheurs, praticiens et familles).

On l’a dit, le développement de programmes d’éducation familiale qui misent sur les forces des parents et sur leurs compétences implique que les intervenants soient formés à ce type d’approche, ce qui peut, pour certains, représenter une transformation majeure de leur pratique. Les intervenants ont besoin que les contextes organisationnels soutiennent ces changements en les facilitant.

L’implantation de l’éducation familiale soulève aussi des enjeux temporels. Parmi les éléments qui semblent nuire à l’implantation de programmes efficaces d’éducation familiale, on retrouve le manque de temps. Vouloir travailler avec les parents, en les impliquant, les mobilisant, les engageant, demande du temps. Les intervenants sont parfois soumis à une pression due au manque de temps que leur accordent les organisations pour accompagner les parents. Ces derniers, dans des contextes comme celui de la protection de la jeunesse, peuvent aussi ressentir cette pression liée au temps en raison des délais maximums de placement. Parfois mobilisateurs, ces délais peuvent aussi décourager les parents qui ont beaucoup de difficultés, de grands besoins et peu de ressources mises à leur disposition (Saint-Jacques et al., 2011). On constate aussi que les programmes d’éducation familiale peuvent être offerts dans des contextes où ils sont prescrits par la loi. Comment, dans un tel contexte, susciter la collaboration des parents? Comment partager le pouvoir? Comment respecter le rythme du « client » lorsque des enfants sont à risque et que les parents, a priori, n’ont pas le choix de collaborer? L’univers de la protection de l’enfance est un univers complexe dans lequel, pourtant, se déploie largement l’éducation familiale et qui demande beaucoup de discernement clinique et éthique.

Un dernier défi de l’éducation familiale est qu’elle n’atteint pas son plein impact si elle est appliquée dans un contexte trop étroit. L’examen de l’efficacité des programmes d'éducation familiale a fait ressortir que la fragilité des familles n'est pas uniquement liée à la précarité socio-économique, mais aussi à l'évolution des formes familiales elles-mêmes et à la fragilisation des liens sociaux. Les familles doivent être entendues dans l’expression de leurs besoins face aux évènements de vie les plus fragilisants. Il y aurait avantage à prendre plus en compte le réseau informel des familles, les conditions sociales dans lesquelles elles vivent, les trajectoires qui composent leur parcours de même que les différentes dimensions qui contribuent aux problèmes et à leur solution.