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Introduction

Dans le contexte de cette nouvelle revue, il nous est apparu nécessaire de présenter quelques éléments à titre de discussion portant sur le champ scientifique de la famille. Pour ce faire, nous présenterons une sorte de description sociographique des recherches menées au Québec dans le domaine de la famille. Ce panorama a été réalisé en nous appuyant essentiellement sur une analyse du bassin des chercheurs, ainsi que des équipes de recherche, telle qu’on peut en faire le portrait à partir des répertoires électroniques existants. Nous avons également dépouillé systématiquement la banque Famili@ pour connaître, notamment, la production de mémoires de maîtrise et de doctorat. Nous avons enfin procédé à une analyse de contenu des Actes des six premiers symposiums québécois de recherche sur la famille, afin de tenter de déceler les thématiques principales, leur évolution et leurs perspectives disciplinaires.

C’est dire les limites de cette démarche. Même si l’information à notre disposition est relativement abondante, elle ne porte que sur des répertoires québécois, ou encore sur des productions faites ou inventoriées au Québec seulement. Un examen des publications des chercheurs québécois au plan international s’avère pratiquement impossible, ou du moins supposerait des moyens qui n’étaient pas les nôtres. Cependant, ce tableau présenté à larges traits, mis en perspective avec les préoccupations publiques sur la recherche, est instructif de la dynamique et des tensions qui traversent les divers courants de recherche, permet d’identifier certaines thématiques dominantes et pose la question du difficile bilan intellectuel et scientifique quant à l’apport des travaux de recherche pour une meilleure compréhension des familles d’aujourd’hui.

Évolution récente des recherches sur la famille[1]

Les travaux de recherche sur la famille au Québec remontent à plusieurs décennies. Si l'on excepte les travaux monographiques de Léon Gérin, Horace Miner et Everett C. Hughes, on constate que l'intérêt des chercheurs se manifeste au moment des travaux pionniers de Philippe Garigue, dans les années 1960, de l'étude classique de Marc-Adélard Tremblay et Gérald Fortin sur le comportement économique des familles, en 1964, suivis par ceux de Colette Carisse un peu plus tard, en 1974. L'une des préoccupations centrales de ces travaux était celle de l'évolution des familles québécoises, que l'on observait dans leur transition progressive, passant d'un modèle « traditionnel » à un modèle « moderne » ou urbain.

Les travaux académiques dans la discipline du service social se sont également intéressés aux questions familiales, dès le début de la fondation des Écoles de service social, vers la fin des années 1940. En ce cas, il s'agissait essentiellement de se porter vers les problèmes vécus au sein des familles. Bien que la recherche proprement dite sur le sujet soit venue plus tard chez les travailleurs sociaux, l'intérêt pour le domaine familial est tout à fait central pour la profession dès la naissance du service social au Québec. De multiples mémoires de maîtrise en témoignent. Au cours des années 1970, c'est plutôt l'émergence de modèles familiaux inédits, sous l'effet des changements intervenus dans la société traditionnelle, qui a suscité l'intérêt pour la recherche et imposé certains thèmes comme l'éclatement de situations familiales et le divorce. Les travailleurs sociaux et les psychologues, tout particulièrement, ont fortement investi le champ de la famille comme « problème » : placement des enfants en milieu extrafamilial, violence et délinquance sont des thèmes qui ont marqué la même période. Ce n’est pas un hasard si à la même époque culminent les interrogations sur la nature de la famille contemporaine.

Mais c’est véritablement à partir de la décennie de 1980 que les recherches sur la famille prennent un envol, particulièrement dans les disciplines de la démographie, de la sociologie, de l'anthropologie et de la psychologie. Les mouvements féministes et la définition des rapports hommes-femmes y ont contribué pour beaucoup. Les auteurs sont d’ailleurs majoritairement féminins[2]. De plus, le débat soulevé par la politique familiale a eu des effets de sensibilisation et d'encouragement certains auprès des différents acteurs dans le domaine de la recherche. C'est à cette période que la diversification et l'intensification des travaux de recherche cumulent dans quelques ouvrages de synthèse ou quelques publications collectives.

En grande partie grâce aux programmes existants des grands organismes subventionnaires, tout particulièrement le CQRS[3] et le Fonds FCAR [4], on constate un développement majeur de la recherche sur la famille à partir de la fin de la décennie de 1980, notamment par la création de grandes équipes de recherche dans presque toutes les universités. Ainsi, l’une des démarches les plus structurantes a certes été les trois Actions concertées sur la famille. Au total, entre 1995 et 2003, 11 projets de recherche ont été subventionnés[5]. Il faut aussi mentionner encore les subventions majeures versées par le CQRS à de grandes équipes de recherche devant travailler en partenariat avec des organismes d’intervention, tout particulièrement le partenariat « Familles en mouvance et dynamiques intergénérationnelles », de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Événement symptomatique de développements significatifs, le premier rassemblement des chercheurs a été organisé à l’initiative du Conseil de développement de la recherche sur la famille du Québec (CDRFQ), dans le cadre du premier symposium québécois de recherche sur la famille, tenu en 1991. Depuis, la popularité de cette activité biennale ne s’est jamais démentie ; les Actes de chacun des symposiums ont été publiés, véritable encyclopédie et mémoire de l’évolution des recherches sur la famille[6]. C’est notamment à l’initiative du CDRFQ que la première Action concertée était mise en route, en 1995 seulement. Également à l’initiative de ce Conseil, avec le CQRS et la CREPUQ[7], un appel d’offres était lancé la même année pour un inventaire des recherches, dont les résultats ont donné lieu à un rapport remis en 1997 et à la mise en place de la banque de données Famili@ (Cloutier, B-Dandurand et Deret, 1999). De même, en plus des symposiums de recherche, divers colloques se sont tenus au sein des rendez-vous de l’ACFAS et parfois de manière plus autonome.

Aux grands organismes québécois déjà cités, se sont ajoutés au cours des dernières années quelques grands programmes de soutien à la recherche, surtout au niveau fédéral. Mentionnons, par exemple, la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (FCRSS) et la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI). De plus, un important programme de soutien à des équipes pancanadiennes de recherche a été mis en place par Santé Canada, le Programme canadien des centres d’excellence pour la protection et le bien-être des enfants[8]. Au Québec, le programme Valorisation Recherche Québec (VRQ) mérite également d’être signalé[9].

Au plan des orientations disciplinaires, la sociologie, la psychologie et le travail social dominent nettement. On peut le constater, par exemple, en faisant l’analyse des principales disciplines représentées aux six premiers symposiums québécois de recherche sur la famille, organisés par le CDRFQ. Dans leur analyse de la littérature de recherche sur la famille pour la période de 1986 à 1996, Richard Cloutier, Renée B.-Dandurand, Anne Deret et leurs collaborateurs avaient noté la même répartition, ce qui laisse supposer que ce trio de disciplines poursuit sa prédominance Notons encore une présence soutenue du droit, de l’économie et des sciences de l’éducation. Dans les derniers symposiums apparaissent de nouvelles disciplines, dont les sciences infirmières et les sciences politiques. Les disciplines moins présentes sont la géographie et la psychoéducation, ainsi que les sciences religieuses axées autour des questions éthiques.

Les préoccupations politiques pour la recherche sur la famille

Les recherches sur la famille, nous l’avons souligné rapidement, ont été fortement tributaires du soutien des pouvoirs publics, au premier chef les organismes subventionnaires. Mais ceux-ci ont dû d’abord être alertés par des chercheurs ou des organismes consultatifs. C’est ainsi que dans l'un des premiers ouvrages québécois à caractère scientifique portant sur L'analyse du comportement familial (1967), Philippe Garigue concluait déjà à un « retard dans la recherche sur le comportement familial » et préconisait une approche très large de ce phénomène, de façon à ce que les résultats des recherches conduisent à sa compréhension et aussi à l'élaboration d'une théorie générale.

Trois ans plus tard, dans une annexe demandée par la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social (Castonguay-Nepveu) sur Les fondements d'une politique familiale (1970) au Québec, le même auteur revenait à la charge sur les changements rapides des conditions de vie et les besoins de recherche scientifique dans le domaine de la famille. Pour y arriver, on suggérait dans ce document la création d'un « institut » d'études familiales, dans le but d'entreprendre des recherches, de regrouper des chercheurs et de donner les enseignements nécessaires. Une décennie plus tard, dans un avis qu'il adressait au Gouvernement du Québec (1982), le Conseil des affaires sociales et de la famille écrivait qu’il semblait « y avoir peu de relations entre les préoccupations du public et celles des chercheurs ». Il rappelait l'urgence d'une action politique à l'endroit de la famille, essentiellement supportée par la recherche.

Au cours des années 1980, les gouvernements québécois qui se sont succédés ont progressivement pris conscience que la recherche devrait éventuellement guider et soutenir les orientations et l'action touchant la famille et les familles, et qu'en somme une politique de cette envergure ne va pas sans l'appui de la recherche. Plusieurs documents en témoignent. Il y eut d'abord Pour les familles québécoises. Document de consultation sur la politique familiale. Livre vert, largement diffusé en 1984 et élaboré en étroite collaboration avec les organismes familiaux. Suite à ce livre vert, un comité provincial de consultation fut formé, en 1985, sous la direction de Maurice Champagne, avec le mandat de produire un rapport sur cette question. Dans son rapport intitulé Pour un soutien collectif recommandé pour les parents québécois (1986), ce comité indique au Gouvernement du Québec que la recherche est essentielle dans une perspective de soutien à l'institution familiale et d'amélioration de la qualité du milieu de vie familiale et pour fournir un éclairage nécessaire à tous les paliers décisionnels et d'intervention touchant la famille.

Quelques années plus tard, dans son premier Plan d’action 1989-1991, le Secrétariat à la famille d’alors consacrait un court chapitre à la recherche et l’expérimentation en matière familiale et proposait d’encourager la recherche sur la famille par la recommandation suivante : « accorder une attention spéciale à la recherche sur la famille dans le cadre des programmes existants de subvention à la recherche » (Plan d’action 1989-1991, 1989, p. 53).

Dans le deuxième Plan d’action 1992-1994, le bilan de la recherche renvoyait aux divers programmes du CQRS et au premier symposium québécois de recherche sur la famille, en 1991. Les recommandations quant à la recherche avaient trait à la mise sur pied d’un « mécanisme de liaison » entre chercheurs et intervenants, dont le Secrétariat à la famille devait prendre la responsabilité. De plus, on renvoyait au ministère de la Santé et des Services sociaux la responsabilité des inventaires des recherches, de même que l’intégration de questions sur la famille dans les études de Santé Québec, ce qui explique sans doute que ce ministère a joué un rôle important dans le soutien financier aux organismes familiaux et à la recherche ; on y d’ailleurs publié à quelques reprises des inventaires de recherches.[10]

Dans le troisième Plan d’action (1995), le bilan de la recherche renvoyait au fait que le CQRS avait soutenu le Partenariat « Familles en mouvance et dynamiques intergénérationnelles » et rappelait la mise sur pied d’une action concertée ponctuelle qui devait mener à la création de la banque de données Famili@. Comme on le sait, ce n’est qu’avec la création du ministère de la Famille et de l’Enfance, en 1997, qu’a pris forme un programme gouvernemental dédié au soutien des recherches sur la famille et l’enfance… abandonné depuis la création du nouveau ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.

En résumé, les préoccupations proprement politiques pour le développement de la recherche sur la famille ont fait nettement surface dans la décennie de 1980. Dans la décennie suivante, l’expression politique est moins présente, mais on constate des financements ponctuels, surtout dans le domaine de la santé. De même, certains organismes subventionnaires, au premier chef le CQRS, sont sollicités à cet effet.

Le bassin des chercheurs

Le répertoire de la recherche publique du Québec[11] est une banque de données qui contient les coordonnées de plus de 4 500 chercheurs dont le curriculum vitae est disponible, soit parce qu’ils ont fait une demande de subvention, soit parce qu’ils ont été subventionnés par l’un ou l’autre des organismes québécois de soutien à la recherche. Il contient à lui seul un peu moins de deux cents personnes qui ont déclaré le thème de la famille comme l’un de leurs champs d’intérêt. Si l’on y ajoute d’autres termes apparentés, tels l’enfance, l’enfant, le couple, les générations, et si l’on écarte les sciences médicales et la pharmacologie notamment, on double facilement le nombre de personnes qui peuvent être considérées comme relativement actives en matière de recherche et qui, de près ou de loin, s’intéressent à la famille ou à l’enfance. La banque de données du CDRFQ, quant à elle, contient au-delà de 500 entrées sous les thèmes « recherche » ou « chercheurs ». Un examen rapide des banques de données permet de poser que le bassin de chercheurs intéressés à la famille est impressionnant.

Cependant, le thème de la famille constitue rarement l’intérêt unique, sinon prioritaire, des chercheurs. Pour l’analyse de leurs intérêts de recherche, il faut aussi tenir compte de certains aspects, notamment : l’orientation disciplinaire de leurs travaux ; le contexte dans lequel ils situent eux-mêmes leurs recherches sur la famille (prévention, délinquance, médiation familiale, perspectives féministes, etc.) ; et l’interrelation de leur intérêt pour la famille avec leurs autres champs d’intérêt, notamment l’enfance, la parenté, la filiation, l’économie, la consommation, etc. Sur ce dernier point, si l’on consulte la liste nominative de plusieurs centaines de descripteurs qu’utilisent les chercheurs intéressés à la famille pour décrire leurs intérêts de recherche, l’éventail est très large. On peut répartir ainsi les chercheurs : ceux qui déclarent s’intéresser directement à la famille et à l’enfance par la mention explicite de ce thème  (il y en a quelques centaines comme nous l’avons vu) ; ceux qui s’intéressent à la famille par des termes apparentés (générations, parenté, filiation, problèmes sociaux, etc.); ceux qui, enfin, s’y intéressent de manière indirecte ou occasionnelle ou par un thème « périphérique » et qui demeurent plus difficile à identifier. Par ailleurs, il est fort possible que des chercheurs ne mentionnent pas nécessairement le terme « famille » ou « enfants » dans leurs intérêts de recherche, mais que leurs travaux soient tout aussi pertinents.

Quoi qu’il en soit, on peut en conclure sur ce point que le développement des sources de financement et l’intérêt sinon croissant du moins significatif du thème de la famille comme objet de recherche ont fait en sorte que de nos jours, on peut estimer à plusieurs centaines les chercheurs qui s’intéressent, de près ou de loin, au champ de la famille.

Les équipes et les centres de recherche

Le CDRFQ a procédé à l’inventaire des centres québécois de recherche. De ce nombre, on peut considérer que près d’une trentaine d’entre eux sont directement ou indirectement producteurs de recherches sur la famille et l’enfance. L’inventaire en milieux de la santé (tout particulièrement en milieu hospitalier et dans les CLSC) est difficile à effectuer. Ajoutons que le libellé même de l’organisme ne permet pas toujours d’en établir le contenu. Certains centres sont constitués en de nombreuses équipes de recherche, aux orientations fort variées. De nombreuses équipes de recherche qui existent, par exemple, au sein du gouvernement, sont beaucoup plus difficiles à repérer. Divers ministères et organismes procèdent à des inventaires, à des revues de littérature, à des recensions et à des rapports dont l’intérêt pour la recherche n’est plus à démontrer (Conseil de la famille et de l’enfance, Conseil du Statut de la Femme, Conseil permanent de la Jeunesse, Conseil de la Santé et du Bien-être, etc.). Et enfin, il reste à identifier si, hors du champ classique de la famille et de l’enfance, d’autres organismes de recherche ne sont pas susceptibles de produire des recherches en ce domaine.

Cependant, cet inventaire même partiel est fort instructif. Dans le domaine de la famille et de l’enfance, la majorité des équipes et des centres de recherches traitent de problèmes sociaux, mais cela est probablement dû en partie au fait que la recherche sur la famille a été tributaire de programmes mettant l’accent sur de telles priorités, et que ces équipes et centres ont été subventionnés par les ministères s’intéressant aux questions de santé. La psychologie et les sciences de la santé prédominent, sans doute pour les mêmes raisons. La majorité des équipes et des centres sont de nature interdisciplinaire, mais un certain nombre d’entre eux sont disciplinaires, particulièrement en psychologie, en droit, en criminologie et en sciences infirmières. À l’exclusion du Centre interuniversitaire d’études démographiques (INRS et Université de Montréal) et de la brève section « famille » de l’Institut de la statistique du Québec, il n’y a pas de centre exclusivement consacré à la cueillette de données statistiques sur la famille ou l’enfance. En fait, la seule activité organisée de recensions des publications est bien la banque Famili@.[12]

La formation à la recherche : l’exemple des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat

Tout autre est le portrait que l’on peut tirer de la banque Famili@. Celle-ci contient au-delà de 4 200 fiches, recensées des années 1980 à nos jours, dont environ le tiers des fiches contient comme descripteurs soit le terme famille, soit le terme enfant. Pour les fins de ce projet, nous avons bénéficié de la collaboration des responsables de la banque Famili@. Pour la période de 1990 à 2002, 622 mémoires et thèses ont été répertoriés : les thèses de doctorat représentent environ 20 % des documents répertoriés, les mémoires environ les trois quarts, les autres étant des essais ou des rapports de stage. À partir de 1995, le nombre de mémoires et de thèses produits semble s’amplifier pour atteindre une centaine en l’an 2000.

Un peu comme ce qui avait été souligné quant aux intérêts diversifiés des chercheurs, au-delà de 700 descripteurs ont été utilisés pour indexer les documents. Cependant, une trentaine de descripteurs suffisent pour répertorier la majorité des mémoires et des thèses. Les termes les plus populaires sont, dans l’ordre : enfants, parents, familles et mères. La moitié des mémoires et des thèses contient l’un ou l’autre de ces quatre principaux descripteurs, dont le tiers pour les termes enfants, enfance, le quart pour le terme parents ou famille et également le quart pour le terme mères.

Encore une fois, la psychologie, le travail social/service social et la sociologie dominent nettement. Mais l’éventail est très impressionnant. Certaines disciplines, peu présentes aux divers symposiums québécois de recherche sur la famille ou dans les publications, ont mené à un nombre significatif de mémoires et de thèses, tout particulièrement les sciences de l’éducation, la psychoéducation, les sciences infirmières et la démographie. D’autres, absentes des symposiums, donnent également lieu à la production de mémoires et de thèses, comme les sciences de la gestion, l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, les communications, la médecine, l’agriculture, l’aménagement du territoire et les relations industrielles, par exemple. Mais, à part l’anthropologie, les productions sont épisodiques, sinon uniques. Néanmoins, il s’agit d’une donnée très utile pour le repérage des milieux tant classiques de la recherche que des milieux moins représentés, sinon absents.

Ce foisonnement des mémoires et des thèses constitue un indice du développement de la recherche sur la famille au Québec, tout particulièrement dans la dernière décennie. Or, on a vu que la recherche sur la famille s’était intensifiée à partir de la décennie de 1980, intensification qui s’est traduite par la création de grandes équipes de recherche puis, ultérieurement, par la formation de chercheurs de plus en plus nombreux.

Un bref bilan

De ce survol rapide, un certain nombre de considérations peuvent déjà être soulevées. Retenons tout d’abord que si les sources de financement en sciences humaines et sociales semblent s’être considérablement multipliées, il s’avère pratiquement impossible d’établir la part relative consacrée aux recherches sur la famille et l’enfance. A priori, elle nous semble minime, à témoin les résultats des concours des organismes subventionnaires ainsi que des Chaires de recherche du Canada[13].

On décèle encore une prédominance très nette de quelques grandes disciplines, particulièrement la psychologie, la sociologie, le travail social, les sciences de l’éducation, la psychoéducation et la démographie. Les sciences infirmières constituent une discipline qui s’intéresse de plus en plus aux travaux sur la famille et l’enfance. D’autres disciplines gravitent autour du champ, de façon régulière mais sur un mode que l’on pourrait qualifier de ponctuel, notamment les sciences économiques et juridiques. Les disciplines relativement absentes sont l’histoire, la géographie, les sciences politiques et l’urbanisme. On pourrait encore ajouter les sciences de la gestion et de la communication et les relations de travail.

Compte tenu des limites de notre inventaire, il demeure impossible d’établir clairement les influences internationales, particulièrement françaises et américaines, aux sources de certaines thématiques. Sachant que les chercheurs québécois entretiennent des échanges internationaux suivis et réguliers, on peut supposer que les collaborations ont mené à d’intenses rapports.

Au plan des publications, on soulignera la grande dispersion des écrits. Encore ici, aucune revue, aucune collection d’ouvrages, aucune série, ne se démarque comme constituant une sorte de carrefour où l’on peut prendre connaissance des grands travaux, des grandes synthèses autour de la famille et de l’enfance, à l’exception, faut-il le rappeler, des Actes des symposium québécois de recherche sur la famille. À cet égard, les travaux de synthèse ou de prospective font défaut. Heureusement, le Québec dispose de la banque de données Famili@, qui constitue la mémoire historique et scientifique des recherches sur la famille. Notons encore le développement remarquable des mémoires et des thèses, signe de la vitalité de la recherche. Outre les publications, on doit mentionner que le développement de la recherche s’est accompagné de nombreux colloques et symposiums, de partenariats de recherche et d’activités de transfert. Le CDRFQ, l’ACFAS, le Conseil de la famille et de l’enfance ainsi que des organismes familiaux et des équipes de recherche ont organisé de tels événements, devenus maintenant familiers sur la scène québécoise.

Tous ces développements ne se sont évidemment pas faits en vase clos. Les données démographiques et économiques ont constitué certainement un facteur majeur dans l’essor des recherches sur la famille, de même que dans les grandes thématiques qui ressortent. De même, on ne peut nier l’influence définitive des mouvements féministes dans le choix des thèmes et des orientations de recherche, ce qui ressort très nettement de l’examen des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat. L’évolution des politiques sociales a également contribué à soutenir l’essor des recherches sur la famille, à les infléchir même, notamment dans une perspective de problèmes sociaux de la famille.

Conclusion

Les recherches dans le champ de la famille sont caractérisées par une tradition importante de recherche. Plusieurs courants de pensée et plusieurs disciplines mères ont changé au cours du temps. On sous-estime encore trop la diversité des traditions de recherche et la pluralité des approches disciplinaires. À partir des quelques sources d’information à notre disposition, nous avons tenté de montrer comment, à partir de la décennie de 1980 tout particulièrement au Québec, on peut observer une très grande diversification de ce champ, cumulant en de nombreuses publications, en la création de grandes équipes de recherche et en un nombre impressionnant de mémoires et de thèses.

Comme nous l’avons signalé dès le départ, les travaux de recherche sur la famille ont d’abord cherché à en repérer les grands changements. Le modèle d’explication le plus souvent retenu a été celui du passage de la famille « traditionnelle » à la famille dite « moderne ». Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que le paradigme de l’éclatement de la famille moderne, voire de sa mort annoncée, prenne le relais. S’y sont ajoutées très rapidement les préoccupations autour des « problèmes » que vivent les familles (divorce, maltraitance, etc.). Ce n’est pas un hasard si l’analyse de la littérature de recherche effectuée dans le cadre de la banque Famili@ menait les auteurs à conclure qu’entre 1980 et 1996, deux thèmes dominaient : celui de la « macroscopie de la famille » (les changements familiaux, les données historiques et démographiques, etc.) et celui du « fonctionnement de la famille » (notamment les dynamiques familiales aux différentes étapes du cycle de vie). Toutes proportions gardées, le thème des « problèmes familiaux » occupe également une place significative, de même que celui des rapports de la famille aux institutions[14].

De nos jours, de nouvelles thématiques et de nouveaux enjeux sont apparus. Ainsi, on a mis en évidence comment la recomposition de la famille moderne doit être située dans le processus de construction des identités, dans l’affirmation croissante du « soi » (Dagenais, 2000). De manière plus large, c’est de la construction des identités au sein des sociétés modernes dont il est question très souvent, sur la lancée des travaux classiques d’Anthony Giddens. Dans la même veine, François de Singly s’attache à montrer comment la famille est aussi le lieu d’une tension entre la volonté d’être « soi » et d’affirmer son « individualité », tout en cohabitant avec d’autres : « libres ensemble », écrit-il[15].

Singly ajoute que la famille est le lieu de rapports complexes visant à préserver l’individualité de chacun, son intimité et son espace personnel, à permettre la construction des identités personnelles, au sein d’une unité de relations structurée parfois autour du couple, parfois autour de la famille, parfois selon l’axe des rapports que chacun entretient avec des membres extérieurs. Chacun des membres de la famille tient à préserver, en toute légitimité, sa vie personnelle, ses aspirations sociales et professionnelles, une certaine distance psychologique voire physique, tout en cherchant en même temps à fonder des rapports harmonieux, basés sur le sentiment amoureux, les liens affectifs et sur la force des relations de filiation et de parenté. Plus récemment, on a mis l’accent sur les rapports intergénérationnels, quitte à revoir la question des solidarités (Debordeaux et al., 2003).

L’héritage qu’ont laissé jusqu’à ce jour les recherches dans le champ de la famille est impressionnant. Il porte sur la compréhension des dynamismes les plus fondamentaux qui traversent nos sociétés. Mais ce qui était désigné il n’y a pas très longtemps encore comme « famille », ou s’est effondré, ou s’est dissous dans le corps social. Si le champ de la famille s’est dérobé, s’est fragmenté, il n’a pas perdu sa capacité à alimenter nos interrogations sur les nouveaux phénomènes sociaux qui traversent les sociétés contemporaines : filiation, identité, rapports intergénérationnels, problèmes sociaux.