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Parmi les transitions qui jalonnent les étapes de la conjugalité, la transition à la parentalité a beaucoup retenu l’attention des chercheurs. Plusieurs recherches quantitatives ont d’abord conclu à la diminution, pour une proportion relativement élevée des couples interrogés, de la qualité de la relation conjugale après la première naissance. Avec le raffinement des méthodologies et le cumul des résultats, les études plus récentes atténuent ce constat (Belsky et Pensky, 1988). Au-delà de tendances saisies au niveau de groupes et de comportements moyens, on cherche désormais à identifier la diversité des parcours. Une étude longitudinale réalisée au Québec auprès d’enfants de divers rangs et de leurs parents fait le constat de taux relativement élevés de séparations (11 %) lorsque les enfants de l’étude atteignent 2 ans et demi. Parmi divers facteurs examinés, les unions de fait et, à un moindre degré, les mariages précédés de cohabitation semblent davantage associés à une probabilité de rupture que les mariages directs. De même, la courte durée de l’union, le jeune âge de la mère, de très faibles revenus et la présence d’enfants d’un couple précédent non présents au foyer paraissent liés aux ruptures (Marcil-Gratton et al., 2002). Pour ceux qui sont toujours ensemble (près de 90 %), une mesure de satisfaction conjugale décèle des signes de détresse chez le quart des conjoints (Bégin et al., 2002). « Le nouveau-né et le couple : partenaires ou adversaires? », s’enquièrent Provost et Tremblay (1991) dans le titre d’une synthèse des recherches qui vient nuancer la question.

La transition à la parentalité a fait l’objet d’un très grand nombre d’études qu’il faut donc passer en revue avant d’explorer, par une analyse qualitative de récits singuliers, la complexité des trajectoires et des circonstances modulant cette transition.

1. La transition à la parentalité : complexification d’un modèle ou changement de paradigmes?

Contrairement aux premières études sur le sujet à la fin des années cinquante, les chercheurs ne parlent plus guère de la crise du couple suscitée par une naissance; ils soulignent plutôt que le déclin constaté de la satisfaction conjugale n’est pas très prononcé, bien que significatif, qu’il concerne d’abord des moyennes masquant des sous-groupes et que, dans l’ensemble, la qualité de la vie conjugale avant la naissance chez des couples singuliers permet de prédire assez bien l’état de leur relation après la naissance (Belsky et Pensky, 1988, McLanahan et Adams, 1987, Provost et Tremblay, 1988). Dans une étude cherchant à identifier les variables expliquant le déclin continu sur 3 ans qui touche 16 % de leur échantillon et le changement légèrement positif qui touche de 20 à 35 % des couples, alors que 40 % ne modifient pas leur relation, Belsky et Rovine (1990) concluent qu’il faut éviter de faire de grandes généralisations associant déclin de la satisfaction conjugale et transition à la parentalité. Recherchant les variables qui permettraient de prédire qu’un couple se retrouve parmi l’un ou l’autre de ces trois sous-groupes, ils concluent qu’un facteur unique ou même un groupe donné de facteurs (sociodémographiques, personnalités, types de couples) n’expliquent pas isolément une forte partie de ces différences qui impliquent une multiplicité de variables.

Par ailleurs, certaines enquêtes téléphoniques auprès de groupes représentatifs de la population font état d’un léger déclin de la satisfaction chez les couples mariés sans enfants, ce qui révèle des effets du passage du temps dans les débuts du mariage (White et Booth, 1985). Dans une synthèse de ces études à résultats contrastés, Belsky et Pensky (1988) attirent l’attention sur un constat récurrent, le déclin plus marqué de la satisfaction des femmes que des hommes. Cette différenciation selon le genre s’inscrit d’après ces auteurs dans la transformation, au cours des récentes décennies, des attentes des femmes concernant le partage égalitaire des tâches domestiques alors que l’arrivée de l’enfant serait presque partout accompagnée d’une différenciation des pratiques. Une ethnographie de la formation du couple révèle, dès l’étape de la cohabitation, une tendance à établir une division du travail où les habitus liés au genre acquis dans les familles d’origine refont surface (Kaufman, 1992). Les attentes égalitaires concernant les rôles tant conjugaux que parentaux semblent un facteur de déception chez une partie des couples, bien que des individus et des couples de mentalité plutôt traditionnelle puissent s’accommoder ou même préférer une division du travail différenciée (Cicchelli, 2001, Cowan et Cowan, 1995). Dans cette foulée, la description du devenir parent à des fins pédagogiques semblerait utile à plusieurs couples, alors que les programmes destinés aux nouveaux parents font rarement place à ces questions (Cowan et Cowan, 1995).

Une analyse d’un vaste corpus d’études américaines sur la conjugalité en regard de la parentalité confirme l’existence d’une insatisfaction, quoique de faible amplitude, davantage présente chez les mères de nouveau-nés et chez les femmes des strates socioéconomiques élevées. Les auteurs suggèrent que de meilleurs partages ainsi que des mesures supplétives à la charge parentale atténueraient une insatisfaction face aux surcharges; ils font par ailleurs l’hypothèse que d’autres bénéfices apportés par la vie avec des enfants viendraient compenser, pour bien des couples, certains effets négatifs du travail de parentage (Twenge et al., 2003).

Malgré des centaines d’études et de remarquables synthèses, peut-être faudrait-il élargir le débat en y joignant les enquêtes et réflexions sur les couples contemporains abordant la formation du couple, les styles de conjugalité, les représentations de l’amour ou de la famille ainsi que les modèles de la parentalité (Singly De, 1996, Bech et Bech-Gersheim, 2001, Kellerhals et al., 2004, Swiddler, 2001). Les liens entre conjugalité et parentalité, en général abordés à travers les transformations de rôles, d’identité, d’interactions et de créations d’un système familial, peuvent également être examinés dans la perspective d’une sociologie des parcours de vie (George, 1993) qui englobe les aspects sociaux, culturels et individuels des trajectoires et établit des liens entre les aspects macrosociaux et microsociaux.

En s’appuyant sur une enquête qualitative par récits de vie portant sur la construction du lien familial autour de l’enfant après une première naissance[1], l’objectif de cet article est d’explorer des cheminements divers dans le passage de couple à parent et d’en déceler les effets autant positifs que négatifs sur la vie des couples, et ce, en tenant compte de l’histoire des couples, de leurs projets et contextes de vie, des modes d’adaptation et des représentations des auteurs de ces récits. La démarche biographique est particulièrement apte à cerner les modalités des processus de transition, les représentations et les transformations identitaires (Cicchelli, 2001, Quéniart et Imbeault, 2003, Quéniart et Vennes, 2003, Lemieux, 1996, 2003), les aspects temporels de la vie avec un enfant (La Rossa, 1983) ainsi que le recours à des rituels exerçant possiblement un effet protecteur dans cette transition (Fiese et al., 1993). À partir des données de notre enquête, la grossesse, la naissance ainsi que le rite de la nomination, soit les premiers moments du processus de transition à la parentalité, ont déjà fait l’objet d’articles (Lemieux, 2005 et 2009, à paraître); mais le sujet central de l’article soumis, soit les transformations de la vie quotidienne et leurs effets sur la vie conjugale, n’a pas fait l’objet d’une publication.

L’analyse des témoignages recueillis selon la méthode des récits de vie n’a pas pour objectif de corroborer ou d’infirmer des résultats statistiques concernant d’éventuels déclins ou accroissements de la satisfaction conjugale ou d’en pondérer les facteurs, ce que ne permet pas notre démarche. Visant la diversité des cas et des situations saisis à travers les discours pour mieux comprendre la complexité d’un phénomène, la méthode biographique permet d’explorer la transition à la parentalité en identifiant des trajectoires et certains des processus à l’oeuvre dans ces trajectoires, les négociations et redéfinitions effectuées dans le couple, les liens créés avec l’enfant et avec l’entourage ainsi que les représentations et rituels accompagnant le passage de couple à famille.

Notre corpus est constitué par des entrevues recueillies à Montréal en 1999-2000. Visant une diversité aux plans socio-économique et culturel[2], il comprend 34 sujets (22 mères et 12 pères) qui vivent en couple (une moitié mariée, l’autre moitié en union de fait) et dont le premier enfant avait entre 1 an et 4 ans au moment de l’entrevue. Onze mères étaient enceintes du deuxième et quatre couples avaient un second bébé. Les âges des parents varient de 19 à 41 ans avec une concentration des naissances autour de la trentaine chez les mères; quelques-unes avaient moins de 24 ans. L’entrevue visait le récit d’un seul parent, mais certains conjoints ont assisté à l’entrevue et quelques-uns sont intervenus. Elles-Ils furent interrogés sur la grossesse, la naissance du premier enfant, la vie quotidienne incluant les soins et la relation à l’enfant, les tâches ménagères, les loisirs, le rapport à l’emploi, les modes de garde, avec en fin du récit un retour sur la rencontre amoureuse et le désir d’enfant ainsi que sur les effets attribués à la présence de l’enfant dans le couple. Centrée sur les effets de l’arrivée d’un enfant sur la relation conjugale, l’analyse qui suit demeure axée sur les trajectoires conjugales et regroupe celles-ci selon la durée de l’union avant la naissance, dans le but de situer la procréation dans l’histoire conjugale, soit la mise en couple, la cohabitation, son mode d’officialisation et sa signification, l’existence ou non d’un projet de naissance ainsi que la compétition entre la naissance et d’autres priorités de la vie des couples et des individus. Pour conserver l’anonymat, les noms mentionnés dans les citations sont fictifs et les professions renvoient à des catégories générales ou des métiers proches.

2. Devenir parent après une longue vie à deux : les unions de sept ans et plus

L’allongement des études et les modes d’insertion en emploi qui s’accompagnent parfois d’un changement de ville ou de pays balisent les histoires conjugales qui, chez plusieurs des parents interrogés, durent plusieurs années avant qu’ils y ajoutent une naissance. Cohabiter constitue une étape bien distincte d’un lien qui se noue souvent au temps des études et est associé à la jeunesse, à une sociabilité de loisirs et de découverte de soi à travers l’autre (Kaufman, 1992, Singly De, 1996, Lemieux, 2003). Un projet de procréation peut précéder de plusieurs années sa réalisation ou s’affirmer peu à peu et parfois se négocier au sein du couple (Dandurand et al., 1994).

Dans la plupart des récits de personnes ayant vécu plusieurs années en couple sans enfant (ce qui comprend plus de la moitié du corpus), l’établissement professionnel et la possession d’un logis sont présentés comme des préalables à la planification d’une naissance. Un mariage est souvent célébré, mais l’événement se situe à des moments variés de ces trajectoires. On note en effet la prédominance des mariages dans ces parcours longs, (12/17), des rituels qui comportent une diversité de significations : sens religieux, tradition culturelle ou officialisation de la cellule familiale. Ceux qui optent pour le maintien de l’union de fait expriment un rejet du traditionnel ou considèrent que l’enfant dans un couple est l’équivalent du mariage.

2.1 Des couples qui vivent plusieurs étapes avant d’avoir un enfant

Sous cette rubrique des couples qui vivent ensemble plusieurs années avant de procréer, on retrouve surtout des couples fortement scolarisés et qui possèdent un double revenu ainsi qu’un fort soutien familial au moment de devenir parent. Ils adhèrent à une norme de partage égalitaire, mais l’adaptent à leur situation. Chez quelques-uns, des difficultés d’emploi au moment de l’arrivée de l’enfant ont suscité des tensions accrues dans le couple.

Une jeune femme a attendu la fin de ses études universitaires avant d’avoir un enfant. Elle dit avec une pointe d’humour qu’elle et son conjoint ont vécu ensemble 14 ans avant de se décider et que lorsqu’ils ont su qu’elle était enceinte, tous deux étaient terrorisés. Ils ont vécu la grossesse dans la joie et la naissance les a rapprochés, et ce, malgré le contexte difficile créé par la maladie de son beau-père et des difficultés dans l’entreprise de son conjoint. Après un congé de maternité de quatre mois interrompu par son stage en milieu hospitalier, l’aide de sa mère puis d’une gardienne facilite un retour rapide au travail qui lui laisse le regret de n’avoir pu profiter davantage de son rôle de mère. Elle considère cette naissance comme le geste le plus important qu’elle va poser dans sa vie. Le temps est une denrée rare pour cette femme souvent retenue au travail à des heures tardives, et son conjoint assume souvent la responsabilité de l’enfant. Le partage des tâches ménagères, qu’ils évitent de faire ensemble, soulève occasionnellement des disputes, d’où leur projet d’avoir recours à une aide salariée.

Bien qu’elle ait déjà rêvé de se marier, elle estime aujourd’hui que le fait qu’ils aient un enfant ensemble est l’équivalent d’un mariage. Sans être croyants, ils ont choisi de faire baptiser leur enfant à dix-huit mois pour réunir les deux familles en une sorte de rite d’alliance. Tous deux sont très proches de leur enfant, mais elle souligne le risque de voir la relation parent-enfant s’affirmer au détriment de leur relation de couple :

On veut tellement tout donner à Olivier qu’on s’oublie un peu comme couple. On n’a pas tellement de sorties ensemble. Mon conjoint est bien stressé ces temps-ci et moi je viens de recommencer à travailler [...]. On s’engueule comme on ne s’est jamais engueulés avant. Moi, j’avais entendu parler que ça arrivait souvent, qu’un enfant est déstabilisant pour un couple. Mais nous autres, ça fait bien longtemps qu’on est ensemble et je pense qu’on va rester ensemble malgré tout, là. [...] Je pense que ça, il va falloir travailler là-dessus. (Mère, 33 ans, union de fait, profession libérale, enfant de 2 ans)

Diplômés dans la même profession, mais cadres d’entreprises différentes, le couple suivant a vécu plus d’une dizaine d’années ensemble avant d’avoir un enfant. Le congé de maternité est suivi d’un congé parental pris par le père. Par la suite, ils ont recours à une garderie en milieu familial et les grands-parents sont toujours disponibles, ce qui leur permet de poursuivre deux carrières exigeantes et de s’offrir de petites sorties. Ils font tour à tour les travaux quotidiens selon les disponibilités de chacun. Avec l’enfant, chacun développe un lien personnel qui s’accorde avec ses goûts et habiletés. Mariés à l’église pour célébrer leur lien et non comme prélude à la fondation d’une famille, ils ont réuni les deux lignées lors d’une fête de naissance. Tout en reconnaissant le changement de style de vie découlant de cette transition à la parentalité, ce couple voit l’enfant comme un ajout.

Il y en a qui vont dire : «On est partis le week-end ensemble, c’est la première fois depuis qu’il est né, ça nous a fait tellement de bien, on s’est retrouvés». Et puis nous autres, on n’a pas l’impression de s’être perdus, ni de manquer de quelque chose. On était deux, on est trois, tu sais. Là, on ne sera plus trois, on va être quatre. Ce n’est pas comme si j’enlève quelque chose, j’ajoute. Puis on a pris la décision d’ajouter, alors on vit avec la décision d’ajouter. On est plus que confortables avec ça; on a des projets différents. Comme avant, on n’avait pas de maison; maintenant, on passe nos fins de semaines dans les fleurs. (Mère, 33 ans, mariée, professionnelle, cadre d’une grande entreprise, enfant de 3 ans)

Copropriétaire avec sa conjointe d’une entreprise, d’une maison et d’une résidence secondaire, un homme de 36 ans évoque leur couple comme un team. Ensemble depuis 8 ans, ils ont planifié une naissance qui, ils le savaient, allait bouleverser leur vie :

Oui, ça paraît. Au départ, on voulait un enfant pour nous autres. Donc, on ne voyait pas ça comme un chemin à suivre parce que la société nous l’avait tracé, mais un chemin à suivre parce qu’on se faisait un cadeau. Puis, on bénéficie du cadeau aujourd’hui, et c’est bien agréable. Ça demande beaucoup en termes d’investissement de temps et ce n’est pas toujours facile de se garder une marge qui nous appartienne juste à nous deux et non pas aux trois, mais on réussit quand même à le faire. Ma blonde m’appelle sur le téléphone cellulaire. Pour me dire des petits mots doux payés par la compagnie! [rire]

Ayant vécu tous deux en familles monoparentales dans leur enfance et ayant eu à prendre tôt des responsabilités, leur conception de la famille englobe les grands-mères, l’une d’elles logeant chez eux pendant la semaine pour garder l’enfant de deux ans. Lui-même assume la tutelle de son père qui souffre d’une maladie incurable et sert de conseiller financier à ses frères et soeurs. Voyant dans ce côté gestionnaire la dimension un peu traditionnelle de son rôle de père, il évoque leur relation égalitaire, mais aussi une certaine spécialisation des rôles paternel et maternel qui évolue à mesure que l’enfant grandit :

On se fait des deals, et le fait d’avoir deux maisons, ça nous aide à faire ça, et d’avoir ma mère proche de ma deuxième maison aussi. Je peux descendre en campagne et laisser ma petite chez ma mère; c’est probablement ça qu’on va faire pour la Saint-Valentin en fin de semaine, là; on va probablement garder la petite avec nous autres, tranquilles. Mais si on va faire des activités avec un autre couple, bien à ce moment-là, on va laisser la petite à une des deux grands-mères. On commence à faire ça parce qu’au départ, ma blonde ne voulait pas. Bien, les mères sont plus possessives, hein? Moi je pousse ma petite à se dépasser, à prendre de la maturité et puis je dirais que les mères les gardent un peu pour les pomponner. (Père, 36 ans, union de fait, professionnel, nouvelles technologies, enfant de 2 ans)

Une mère vivant en union de fait, qui adhère à des valeurs féministes, accorde aussi beaucoup d’importance à une présence continue auprès de l’enfant. Elle et son conjoint ont pris congé tour à tour pour lui permettre de retourner aux études et de travailler à temps partiel. Pour elle, la première année après la naissance a été difficile au plan des relations conjugales :

Avant, on passait nos samedis matins au lit, généralement on baisait. Là, ça ne nous est pas arrivé bien souvent de baiser le samedi matin. Je ne dis pas qu’on baisait tout le temps [rires]. On est plus fatigués aussi, et quand ils sont petits, ils te réveillent la nuit. Et pour le couple aussi, nous autres, on avait quand même sept ans de vie commune avant, et moi et Louis on est un couple qui ne se chicane pas tellement, on a une bonne complicité. On rit beaucoup ensemble, tout ça, et on va être d’accord pour te dire tous les deux que cette année a été la plus dure pour le couple. C’est plus facile cette année, on a comme mis les choses en place, mais la première année, là... surtout par rapport à moi. J’avais des grosses frustrations, j’étais toujours à la maison, et quand il arrivait du travail, j’avais envie qu’il prenne tout en main, j’avais envie de sortir. On a eu pas mal d’ajustements à faire là-dedans. (Mère, 33 ans, union de fait, professionnelle de l’intervention, temps partiel, enfant de 2 ans)

Une alternance de la garde est pratiquée tout au long de la semaine par deux semi-professionnels qui ont cohabité, se sont mariés et ont acheté une maison avant d’avoir un enfant, ce que le père décrit comme « des étapes qui se déroulent normalement ». Depuis la fin du congé de maternité, ils travaillent en alternance la semaine et un week-end sur deux pour assurer une présence à l’enfant qui commence à fréquenter la garderie. Cet homme considère que l’enfant n’a rien changé dans leur vie et les a plutôt rapprochés. Il compare leur style de vie avec la vie libre dont ils jouissaient auparavant. Même s’ils se gardent des moments de loisirs et d’échange pour le couple, il avoue qu’ils dorment au cinéma et qu’il est difficile de parler au restaurant quand le petit lance la nourriture en l’air. Au cours d’une semaine de vacances à deux, ils s’ennuyaient de l’enfant demeuré chez leurs parents. (Père, 31 ans, marié, semi-professionnel, enfant de 1 an)

Loin de leur famille, quelques couples d’origine européenne assument à deux la vie avec un enfant. Un retour aux études de la mère après la naissance, et pour l’une un choix de temps partiel, a permis de mettre à distance des horaires trop exigeants. Dans ces cas, avoir un enfant et devenir une famille est associé au mariage, et ils semblent s’être assez facilement adaptés au passage de couple à parent.

L’un des pères est volubile lorsqu’il s’agit d’expliquer que lui et sa conjointe se sont mariés civilement afin de situer l’enfant dans une cellule familiale. Considérant la paternité comme « le sens de sa vie sur terre », il accorde beaucoup de place à la création d’un lien très personnel avec son enfant. De même, il évoque sa responsabilité pour souscrire sans réserve à l’abandon des loisirs que tous deux pratiquaient célibataires. Ayant travaillé plusieurs années, tous deux sont propriétaires d’une maison qu’ils ont rénovée et payée. Après son congé de maternité, sa conjointe a pu retourner étudier pour échapper aux horaires contraignants de sa profession. Elle vient de reprendre son emploi et attend un autre enfant. Selon lui, ils partagent assez bien les tâches et leurs disputes occasionnelles proviennent d’un excès de fatigue; par contre, les confrontations, notamment au sujet des façons d’éduquer l’enfant, mettent du piment dans la relation de couple. Il apprécie particulièrement le moment où ils se retrouvent tous les deux le soir sur le canapé du salon, quand l’enfant s’est endormi, pour « se faire des câlins et écouter le silence des maisons heureuses. » (Père, 33 ans, marié, professionnel, enfant de 3 ans)

Le second couple s’est marié après avoir cohabité quelques années ; la jeune femme associe la décision du mariage à leur projet de famille. Au moment d’une grossesse, elle retourne à l’université. Elle explique qu’elle trouve normal de faire plus de tâches domestiques, puisqu’elle passe deux jours à la maison. Enceinte du deuxième, elle rappelle la première année suivant la naissance, avec ses moments de fatigue et de tension dans le couple compensés par le fait d’être devenus une famille. (Mère, 31 ans, mariée, étudiante universitaire, enfant de 2 ans)

Constituant une famille recomposée, un troisième couple, marié civilement après deux ans de cohabitation, a attendu dix ans avant de réaliser un projet d’enfant qui comble leur désir de devenir une famille. Comme le conjoint a créé une entreprise et que la conjointe a réduit ses heures de travail considérablement, celle-ci souligne qu’ils ont adopté une division « archi, archi, archi traditionnelle » des tâches qui convient à leur situation et lui permet de ne pas reproduire le modèle qu’elle a vécu dans son enfance, celui d’une mère absente pour son travail. Si la diminution des loisirs et de la sociabilité ne dérange pas trop ce couple qui, à cette étape de leur vie, privilégie la vie en famille, elle aborde franchement la perte d’intimité et une baisse du désir sexuel due à la fatigue au cours des premières années :

Moi, ce qui me manque, c'est vraiment le temps pour paresser, pour prendre son temps, pour faire des trucs à deux, pour aller traîner je ne sais pas où. Alors, si tu n'as pas envie de te lever et tu veux rester au lit, eh bien, ça, c'est fini, fini! Aussi, c'est que l'heure des câlins est un peu dictée sur l'heure de sieste de ma fille. Forcément, c'est beaucoup moins spontané! » (Mère, 31 ans, mariée, agente culturelle, enfant de 2 ans)

Issus de familles anglophones d’une autre province, deux artistes de la scène sont venus au Québec pour des études universitaires. Leur mariage après quelques années de cohabitation a constitué pour eux une étape d’approfondissement de leur amour, mais ils ont attendu huit ans avant d’avoir un enfant. Lorsque la jeune femme devient enceinte, à 32 ans, elle se sent prête, car ils ont réalisé amplement leurs projets de carrière et de voyage. Cette naissance les a encore rapprochés; elle décrit le changement de priorités qui se produit alors dans leur vie, d’autant que leur enfant présente des problèmes de développement et qu’ils lui consacrent amour, temps et savoirs :

Bien, pour nous autres, c’était surtout des changements positifs. Négatifs, on a moins de vie de couple, dans le sens qu’on ne peut pas sortir ensemble n’importe quand. Mais ce n’est pas des choses qu’on faisait tant que ça avant. Parce qu’on travaille souvent ensemble. Alors, on est ensemble. On travaille ici à la maison ensemble. [...] Le fait d’avoir un enfant parmi le mixte, c’est un changement positif. Mais au niveau de notre amour, c’est devenu beaucoup plus profond… On était déjà une famille, c'est-à-dire une famille à deux. Mais maintenant, on est plus larges. C’est une plus grande famille. [...] On essaie de planifier du temps pour nous autres, mais ce n’est pas évident. » (Mère, 36 ans, mariée, profession artistique, enfant de 4 ans et bébé de 4 mois).

Poursuivant des études plus courtes, des couples de milieux ouvriers attendent aussi d’avoir réalisé des étapes d’installation avant d’avoir un enfant, mais ils deviennent parents plus jeunes. C’est ce qu’évoque cet homme d’origine latino-américaine, marié avec une Québécoise et devenu père à vingt-quatre ans. Notant la similitude des trajectoires dans son milieu, il explique qu’ils ont attendu d’avoir un logement et de l’argent pour faire vivre un enfant.

Avec nos amis, on a tous eu des enfants en même temps! Sur deux ans, ça a été quasiment tous en même temps! Car on était les plus jeunes et la plupart se sont mariés et ils ont eu des enfants quasiment en même temps. Sa conjointe commente : « C’est tous des vieux couples et même nous autres, ça fait 9 ans qu’on est ensemble, mais il y en a que ça fait 10 ans, 12 ans. Tous nos amis sont mariés et quasiment pas divorcés personne. Ils ont tous des enfants à peu près du même âge, ça fait que ça n’a pas nuit. » (Père, 28 ans, marié, ouvrier, enfant de 4 ans)

Il estime que leur vie n’a pas changé, à l’exception d’une plus grande discrétion dans leur vie amoureuse. Faisant partie d’un couple qui se définit comme une famille traditionnelle avec mère au foyer et père pourvoyeur, ce père trouve normal que sa conjointe accorde beaucoup de temps à l’enfant. De son côté, il a augmenté ses horaires de travail, occupant deux emplois, puis combinant un emploi et des études. Il emmène sa fillette partout, qu’il sorte seul ou avec sa conjointe; pour lui, un enfant est même une occasion de multiplier les fêtes. Mariés civilement, ils ont fait un gros baptême et comptent se marier religieusement dans son pays.

Pour un technicien spécialisé qui travaille à l’usine où sa conjointe occupe un poste à la comptabilité, le mariage, l’achat d’une maison et une naissance font partie de ce qu’il définit comme les étapes habituelles de la vie. Parent à 29 ans d’un bébé de 1 an, le jeune homme évoque sa participation aux soins et aux tâches domestiques apprises, non sans heurts, au temps où ils cohabitaient. Affirmant n’avoir pu refuser des heures supplémentaires, il attribue à la forte pression du temps ses sautes d’humeur actuelles, peu en accord avec son caractère : « Je dirais qu’en général, on est plus heureux tous les deux. Je pense que Frédérique, elle l’aime beaucoup aussi la poupoune. Elle l’aime sa fille et moi aussi, je l’aime ma fille! Côté négatif, je dirais qu’on passe moins de temps ensemble. » (Père, 29 ans, marié, technicien en usine, enfant de 1 an)

La transition à la parentalité dans ces couples ayant plusieurs années de vie commune survient après des étapes considérées comme habituelles ou normales, mais dont la séquence varie : cohabitation, fin des études, emploi et parfois mariage et achat d’une maison. La naissance est planifiée et les changements de vie semblent compensés, dans la plupart des récits, par le plaisir de vivre avec son enfant et le sens donné à ce passage de couple à famille. Quand la naissance survient en dehors d’un scénario envisagé, la transition peut s’avérer plus difficile.

2.2 Des couples dont les plans de vie sont bouleversés

Ensemble depuis plusieurs années, quelques couples font état d’une transition plus ardue en particulier s’il survient une naissance mal programmée ou si un changement d’emploi ou une période de chômage survient en même temps qu’une première naissance. Les adaptations semblent perçues comme difficiles surtout si l’entente du couple sur les rôles conjugaux est remise en question.

C’est le cas de deux diplômés en communications qui cohabitent depuis plus de dix ans et sont propriétaires d’une maison. Projetant depuis longtemps d’avoir un enfant, ils avaient envisagé que la conjointe travaillerait à domicile au moment d’une naissance. Les aléas du marché du travail l’ont ramenée en emploi plus vite que prévu. Au moment de l’entrevue, le père, qui précise qu’il n’est pas un père à la maison, mais travaille à forfait à domicile, assume une présence plus grande que sa conjointe, principal gagne-pain du ménage. Malgré son évaluation positive de leur couple, il exprime beaucoup de frustrations au sujet de leur manque de loisirs, du faible soutien de leurs familles et des longues heures de travail de sa conjointe :

J’essaie de lui mettre un frein et de négocier tout ça. Il y a eu des moments de crises là-dedans. C’est sûr que moi, il a fallu que je mette les choses au clair : «Continue comme ça, et moi, c’est le divorce!» C’est quelque chose que je n’aurais jamais pensé, même il y a un mois. Car on n’est pas mariés, mais c’est tout comme, car ça fait 13 ans. Pour moi, la pire affaire à faire à un enfant c’est de divorcer. Ça fait que si c’était moi qui partais, je partais avec l’enfant ou c’est elle qui quittait seule la maison, c’est clair. » (Père, 30 ans, union de fait, professionnel à forfait, enfant de 2 ans)

Si un enfant nait en même temps qu’une émigration, la transition à la parentalité s’ajoute à l’adaptation au pays d’accueil. C’est le cas pour un couple d’origine africaine venu d’Europe au Canada et qui apprend peu avant le départ la naissance prochaine de jumeaux. Ensemble depuis une dizaine d’années et mariés depuis cinq ans, ils ne s’attendaient plus à devenir parents. L’anémie de grossesse et un accouchement par césarienne suscitent un épuisement durable de la mère et assombrissent une expérience heureuse. Comme ils ont peu de liens de parenté à Montréal, c’est le conjoint qui quitte son emploi pendant trois mois pour aider aux soins des deux enfants. La mère, qui possède l’expérience puisqu’elle a élevé les enfants de sa soeur, vit une année épuisante malgré une aide appréciée du CLSC et le bonheur qu’elle éprouve à allaiter ses jumeaux. Elle affirme que son conjoint est un bon père, mais qu’il accepte moins bien une transformation de leur relation conjugale due la fatigue. (Mère 36 ans, mariée, au foyer, jumeaux de 2 ans)

Malgré de longues années de vie commune, un couple semble avoir eu des difficultés à redéfinir leur relation après une naissance. Elle désirait un enfant à 24 ans, mais a mis plusieurs années à convaincre son conjoint dont l’histoire familiale a peu favorisé le désir d’être père. Le récit de la mère alterne entre une célébration de la maternité décrite comme la plus belle année de sa vie et des épisodes sur les tensions conjugales pendant la grossesse et l’allaitement, des tensions récurrentes malgré l’adaptation de son conjoint au rôle paternel. Éprouvant des difficultés au travail, il se sent déprimé et remet en question leur relation. Bien qu’elle l’invite à y habiter, l’achat en cours d’une maison avec une copine laisse entrevoir la possibilité d’un avenir incertain de leur couple. (Mère, 33 ans, union de fait, professionnelle de l’intervention, enfant de 3 ans)

Chez un couple marié d’origine magrébine, qui reportait son projet d’enfant à la fin des études universitaires, une grossesse imprévue suscite plusieurs difficultés. Pour des raisons médicales, la jeune femme craint l’issue de sa grossesse et la poursuit avec bien des malaises, sans interrompre ses études. Après la naissance, elle vit une longue dépression. Les deux familles étant au loin, c’est le père qui prend en charge la mère et l’enfant :

Bien, il en arrachait. Il fallait qu’il aille, qu’il vienne, qu’il s’occupe des cours. [...] Il essayait vraiment d’être là, mais il ne s’en est pas rendu compte. [...] La dépression, on l’a vécue de façon assez spéciale. Il ne s’en est pas rendu compte et après il ne comprenait pas, et là, c’était vraiment encore pire pour moi parce qu’il ne comprenait pas. Une chance que le médecin m’a recommandé une psychologue, et là, j’ai commencé à m’en sortir petit à petit. Mais lui, il ne comprenait pas, au début c’était… Et il rapportait tout ça par rapport à lui, alors que ça n’avait rien à voir. Pourquoi on ne faisait plus rien ensemble, on ne couchait plus ensemble et tout. Je l’ai vécu pas mal toute seule, mais la psychologue a su quand même m’orienter. Ce qui m’a aidée à en sortir aussi, c’est que j’ai trouvé mon premier boulot, et ça, ça m’a aidée beaucoup. » (Mère, 32 ans, mariée, profession scientifique, enfant de 4 ans)

Au moment de définir le rôle de parent, elle revient sur l’adaptation à la vie à deux et le choix d’être parent comme conditions préalables à une naissance. Malgré ces débuts difficiles, elle évoque la belle relation qu’ils ont avec leur enfant et comment ils ont développé une relation harmonieuse et égalitaire entre eux, qu’ils veillent à préserver.

2.3 Synthèse : la transition à la parentalité chez des couples de plusieurs années

La plupart des couples qui ont partagé plusieurs années de vie commune disent avoir réalisé des étapes avant de devenir parent. Dites normales ou habituelles, ces étapes varient en réalité selon les milieux ou la situation professionnelle, mais la naissance est projetée, planifiée. Tous font état de la transformation de leur style de vie. Manque de temps, réorganisation des rôles avec une certaine spécialisation, diminution des loisirs et vie sexuelle un peu contrainte par les horaires ou la fatigue, la plupart estiment pourtant qu’un enfant n’a rien changé de leur relation ou qu’il a approfondi leur amour. Ils se perçoivent désormais comme une famille. Certains essaient de conserver des moments privilégiés pour le couple. Qu’il provienne du chômage, de l’émigration, d’un diplôme non terminé ou d’une naissance survenue au mauvais moment, le bouleversement des plans de vie peut susciter des difficultés conjugales ou personnelles plus graves. L’existence d’un projet de famille, et au besoin, une aide professionnelle ou familiale, aide à surmonter les tensions de la transition qui vont exceptionnellement jusqu’à remettre le couple en question.

3. Devenir parents après avoir vécu en couple quelques années (de deux à six ans)

Les parcours semblent très divers chez les couples qui vivent l’arrivée d’un enfant après un certain nombre d’années de vie conjugale. Trois types de parcours se dégagent de ces récits qui n’épuisent pas toutes les modalités d’une transition précédée d’une histoire conjugale de quelques années (de deux à six ans). Des couples mariés poursuivent une grossesse imprévue, mais désirée. Des couples qui ont connu précédemment une ou plusieurs unions et qui envisagent de fonder une famille visent une certaine stabilité avant de procréer. Enfin, des couples formés à l’adolescence n’attendent pas la fin des études, la mise en ménage ou l’établissement professionnel avant de donner naissance; des paiements de transfert ou le réseau de parenté contribuent à amorcer la mise en ménage.

3.1 Des couples mariés qui enfantent plus tôt que prévu

Quelques couples, dont les partenaires sont ensemble depuis quelques années, qui tous disent qu’un mariage fait partie de leurs traditions et va de pair avec une famille, avouent qu’ils ont été bousculés par une grossesse inattendue. S’ils ne remettent en question ni le couple ni la naissance, leurs récits font état d’un réaménagement de l’organisation de la vie devant l’imprévu.

C’est le cas d’un couple mixte, formé d’universitaires qui se sont rencontrés et mariés à l’église. L’annonce d’une grossesse fait d’abord reporter leurs vacances, puis requiert une prise en charge du bébé par le père au moment où la mère doit terminer un stage. Sans contrat à ce moment-là, c’est lui qui assume une présence prépondérante auprès du bébé. Ayant des horaires flexibles, il s’occupe encore des allers et retours de la garderie et des repas du soir. Il noue un lien très étroit avec l’enfant, mais au moment d’évoquer la possibilité d’une autre naissance, il exprime de fortes réticences. Leur mode de vie confortable, l’achat d’une maison, un large soutien familial les rapprochent de certains des couples professionnels évoqués plus haut. (Père, 33 ans, marié, profession scientifique, enfant de 2 ans)

Un couple marié depuis peu doit faire face à un changement rapide de villes et d’emplois, lorsque l’homme quitte l’armée. Une grossesse non planifiée et attribuée au stress de ces événements est bien acceptée par ce couple désireux de fonder une famille. La jeune femme, qui a perdu son emploi et soutient sa mère atteinte du cancer, a vécu tous ces événements avec de l’hypertension pendant sa grossesse. Possédant des formations en forte demande, tous deux ont facilement retrouvé des emplois à Montréal. Le père attribue à la vie dans une grande ville la diminution de leurs loisirs; il ne croit pas que l’arrivée de l’enfant ait changé leur couple, car selon lui, un enfant met au contraire encore plus d’affection et d’animation dans leur vie. (Père, 31 ans, marié, professionnel, enfant de 1 an)

Amoureux dès l’adolescence, un couple d’origine antillaise s’est marié au début de la vingtaine, avant de s’établir au Canada. Six mois après le mariage, elle devient enceinte à un moment où elle n’était pas décidée. La grossesse est pénible et l’accouchement par césarienne est suivi d’un mois d’hospitalisation. Pour s’occuper de sa conjointe malade et du bébé, le père quitte son travail pendant trois mois. Lorsqu’elle réintègre son emploi après neuf mois de congé, ils pratiquent une alternance de la garde à domicile qu’ils adoptent pour quelques années. Comme la mère travaille la nuit, ils ne se voient que quelques heures par soir et une fin de semaine sur deux, un style de vie qu’ils acceptent pour le bien de l’enfant. Quant au couple, elle souligne en riant qu’ils n’ont pas le temps de se chicaner :

Parce qu’on n’a pas beaucoup de temps ensemble; donc, c’est vraiment de la qualité. Des fois, on va emmener mon fils dans la famille pour une fin de semaine et puis on va rester tout seuls et on va faire des choses tous les deux. Des fois, on va partir… Ça fait pas longtemps qu’on a commencé à le laisser les fins de semaines parce qu’avant, à chaque fois qu’on se séparait de lui, il pleurait, mais là, il est comme prêt à être plus indépendant. » (Mère, 27 ans, mariée, semi-professionnelle, enfant de 3 ans)

De fortes valeurs familiales caractérisent ces couples mariés qui vivent du stress lors d’une entrée dans la parentalité plus rapide que prévu; des problèmes de santé se manifestent pendant la grossesse, mais l’arrivée de l’enfant semble susciter beaucoup d’entraide dans le couple.

3.2 Des secondes unions avec projet d’enfant

Ayant vécu d’autres unions auparavant, les couples suivants ont cohabité quelques années ensemble avant de procréer, un objectif formulé dès le départ. Dans les deux premiers récits, c’est la femme qui a ressenti plus fortement un désir d’enfant à l’orée de la trentaine.

Un père, qui relate une naissance dramatique lors de la césarienne à laquelle il assiste, témoigne de son adaptation lente au rôle paternel, dans une union où le partage égalitaire est la norme acceptée. Éprouvé par le manque de sommeil des premiers mois et peu intéressé par les soins du nourrisson, il a été conquis par sa fille, lorsqu’elle a atteint six mois et qu’il a pu avoir davantage d’interactions avec elle. Un lien personnel avec l’enfant est tissé avec des spécialisations entre lui et sa conjointe qui tiennent compte de leurs préférences et habiletés respectives. Passant de l’ironie à la tendresse, il évoque la possessivité de sa conjointe qui ne veut pas faire garder l’enfant malgré la disponibilité des grands-parents. Se plaignant de leur manque de loisirs, il constate qu’ils gravitent autour de l’enfant et de ses besoins sans beaucoup se rencontrer :

C’est dur pour un couple, c’est toute une aventure. Même si nous autres ça va bien puis on a du fun, c’est une épreuve, mais je pense que c’est enrichissant puis que notre relation est encore plus solide maintenant, après avoir vécu tout ça. On se connaît beaucoup plus. On apprend à se connaître sérieusement, là. » (Père, 37 ans, union de fait, professionnel, enfant de 18 mois)

Une femme précise qu’elle a attendu d’avoir la bonne situation professionnelle et le bon conjoint pour envisager d’avoir une famille. Son récit relate cependant un burn out vécu pendant sa grossesse et une difficile adaptation de chacun à la parentalité. Après le beau moment de la naissance, le retour à la maison suscite une prise de distance du père qui se retrouve inopinément en chômage. Le contrat qu’il obtient ensuite implique de longues heures de travail, et la mère supporte mal la solitude et une division des tâches qui ne coïncident pas avec ses attentes.

Au début, j’aurais divorcé [de mon conjoint] à tous les jours, puis à toutes les semaines, puis à tous les mois. Il fuyait, il était démuni et désarmé [...]. Oui, même si j’étais consciente que c’était dur sur un couple, je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi pire que ça. Moi, j’ai vraiment eu un choc, là. Puis aussi, de réapprendre à réorganiser la vie. Quand on est un couple ensemble, les deux, bien, la cuisine, on la range à deux, c’est normal. Mais là tout d’un coup, ça ne marchait pas. Ça en prenait un pour s’occuper du bébé, puis l’autre pour faire des tâches domestiques. Puis, comme c’était moi qui étais en congé de maternité, bien je comprenais qu’il fallait qu’il ait du temps avec le bébé et qu’il l’apprivoise. Je me serais senti mal de lui dire, moi je m’occupe encore du bébé et toi tu fais la vaisselle. C’était compliqué pour moi dans ma tête parce que j’avais des sentiments mélangés. Je pouvais être agressive, jalouse et tout ça, mais [j’avais l’impression] de lui en vouloir aussi, et en même temps d’avoir beaucoup de besoins, des besoins d’attention puis de présence. C’était lourd. Ça a duré quoi, c’est au début, avant que les morceaux se mettent en place. (Mère, 33 ans, en union de fait, professionnelle, enfant de 2 ans).

Un fort soutien de toute sa famille et la lecture d’un ouvrage de psychologie semblent les avoir aidés à redéfinir leur relation. C’est autour de l’enfant qu’elle tisse des rituels (baptême, fête de famille, vacances), privilégiant par ailleurs les loisirs avec son conjoint. Elle estime qu’avoir un enfant ensemble, constitue un engagement dans la durée, ce qu’elle ne remettrait pas facilement en question.

Pour un couple mixte, formé dans la trentaine autour d’un projet familial et marié après deux ans, c’est une grossesse à risques et la naissance d’un bébé prématuré qui éclipsent dans le récit la transition à la parentalité. Soulignant qu’ils ont vécu à peine deux ans sans enfant, le père mentionne les changements habituels dans la relation du couple, mais précise qu’il n’y a pas eu de choc. Dans un premier temps, il s’implique dans les soins tout en assumant seul les revenus de la famille; ce modèle est repris pour la seconde naissance. Très identifié à la paternité sur laquelle il a entrepris des actions militantes, ce père de deux enfants quitte son emploi et prend la relève à la maison au moment où sa conjointe démarre une entreprise. (Père, 41 ans, marié, professionnel en chômage volontaire, 2 enfants, 5 ans et 2 ans)

3.3 Des grossesses désirées autour de la vingtaine

Par ailleurs, la formation du couple peut sembler particulièrement précoce dans des milieux populaires défavorisés où la précarité financière rend difficile de situer le début du couple par le début de la cohabitation. Révélant l’existence de normes d’âge très différentes selon les milieux, quelques récits laissent entrevoir des scénarios d’entrée dans la vie adulte où la naissance est le premier événement de cette transition. C’est le cas d’une jeune femme qui donne naissance à 18 ans à l’intérieur d’un couple formé à 16 ans. Tous deux sans emploi et vivant de paiements de transferts, ils voulaient un enfant depuis deux ans et leur cohabitation débute après la naissance. Devenue mère, cette jeune femme acquiert un statut qui lui permet d’abandonner l’école et de devenir adulte. (Mère, 20 ans, union de fait, au foyer, enfant de 2 ans).

Un couple d’origines antillaise et africaine, d’appartenances religieuses différentes, a tissé un lien amoureux à l’époque des études secondaires. Ils ont déjà cohabité, mais la jeune femme habite chez sa mère quand elle devient enceinte, alors âgée de 20 ans; ils emménagent dans un logement seulement après la naissance. Quelques années plus tard, ayant poursuivi des études, elle est mère de deux enfants. Ils vivent encore séparés pendant la moitié de l’année, car son conjoint travaille dans une autre province pour envoyer de l’argent dans sa famille d’origine. Sept mois durant, elle élève donc ses enfants seule, tout en poursuivant ses activités professionnelles. Quand il revient à Montréal, ils modifient l’organisation du quotidien avec une division des tâches qu’elle planifie. Malgré deux naissances, ce couple semble encore en questionnement quant à son avenir, ce que suggère ce témoignage :

Pour moi, je vais lui dire : «Si je dois me marier, ça doit être pour la vie! Je ne veux pas me marier et divorcer ensuite!». Moi, je ne me presse pas. Ça ne me dérange pas. Je veux que s’il se marie, ça va être pour la vie… Pour lui, c’est la même chose. Il a peur peut-être que je ne veuille pas aller dans son pays un jour et c’est pour ça qu’on n’est pas encore mariés. (Mère, 27 ans, union de fait, employée, un enfant de 4 ans et un de 1 an)

3.4 Synthèse : la transition à la parentalité chez des couples de quelques années

Les couples dont l’histoire s’est déroulée sur une durée moyenne (de deux à six ans) en comprennent d’abord plusieurs qui ont réalisé d’autres étapes : cohabitation (parfois d’autres unions), mariage, fin des études, emploi, et qui envisagent d’avoir un enfant. Une naissance imprévue accélère les projets de couples mariés qui désiraient une famille. Des couples en seconde union semblent vivre la transition comme un choc, une épreuve, mais découvrent un approfondissement de la relation; d’autres la vivent facilement. Un chômage temporaire ou un changement d’emploi complique en certains cas une transition à la parentalité envisagée dans les plans de vie. Les parcours des deux couples devenus parents autour de la vingtaine, sans emploi et sans logement, révèlent un type différent de trajectoires qui s’inscrivent dans des contextes de pauvreté où la maternité précoce est une voie d’entrée à la vie adulte.

4. Devenir parents dans un couple très récent : (moins d’une année)

Les trajectoires réunies sous l’étiquette « couples très récents » relatent toutes une grossesse survenue dans une relation où la mise en ménage date de moins d’une année ou n’est pas encore réalisée. Dans la grande majorité des cas (9/10), la grossesse n’était pas planifiée. On retrouve dans ce groupe les naissances des débuts de la vingtaine et quelques-unes de moins de 20 ans; trois couples présentent des écarts d’âge prononcés (de 9 à 14 ans), la mère étant la plus jeune; enfin, quelques couples sont assez âgés. Les récits présentent donc une panoplie de situations pour ce qui est des liens entre la formation du couple et la naissance, mais aussi quant aux façons d’articuler une première naissance avec d’autres parcours : études, travail, modes d’habitation. Une distinction s’affirme entre les couples récents qui ont déjà effectué certaines étapes (cohabitation, fin des études, emploi) et qui ont un projet d’enfant et ceux et celles qui ébauchent à peine leur relation conjugale ou même la construisent autour de la grossesse.

4.1 Des couples de quelques mois avec projet d’enfant

Sans vivre ensemble, des conjoints de milieu populaire se sont connus il y a deux ans et se revoient lors des vacances. Une grossesse-surprise accélère la mise en union. Travaillant depuis 11 ans à l’étranger, la jeune femme vit assez facilement le retour au pays à 5 mois de grossesse. Comme ils avaient des projets, ils sont très heureux de cette naissance qui a de plus réuni ses parents divorcés tandis qu’elle-même s’est rapprochée d’eux. Le récit met l’accent sur ce qu’ils veulent offrir à leur enfant :

C’est notre enfant, on est heureux. Tout ce qu’on veut faire c’est toujours pour lui. Non, je pense qu’on est les deux pareils et on essaie toujours de faire les choses pour que lui soit bien. Mais non, ça ne nous a pas rapprochés parce qu’on était proches, et ça ne nous a pas éloignés. Bon, c’est sûr qu’au début, on est fatigués, puis on a le goût de retourner chez notre mère, mais je pense que tout le monde fait ça, tout le monde a de la misère. Mais non, sinon, c’est normal, s’il y a quelque chose qui arrive, tu t’ajustes, c’est tout. » (Mère, 32 ans, union de fait, gardienne d’enfants à domicile, enfant de 2 ans)

Le père, technicien à son compte, accroît ses heures de travail afin de réaliser un idéal de vie confortable dans une famille qu’ils imaginent nombreuse. Elle passe d’un emploi associé au voyage à la garde d’enfants à domicile tout en s’occupant avec beaucoup d’attention de son enfant et de la plupart des tâches domestiques. Lui aimerait qu’ils se marient; mais elle n’y tient pas vraiment.

D’autres couples accueillent avec plaisir une grossesse non planifiée qui vient accélérer leurs projets. Deux professionnels travaillant dans la même entreprise cohabitent depuis six mois lorsque survient une grossesse imprévue. Avoir un emploi et de bons revenus facilite une transition qu’accompagne l’achat d’une maison. Sa mère vit avec eux les jours ouvrables et s’occupe de l’enfant et des repas. À cause de cette aide, leur style de vie n’a guère changé même au plan des loisirs. Auparavant, ils envisageaient de se marier, mais elle dit qu’elle n’y tient plus. Son conjoint en parle et il lui a offert une bague de fiançailles à la Saint-Valentin. (Mère, 26 ans, union de fait et fiancée, semi-professionnelle, enfant de 3 ans)

Né d’une rencontre en milieu de travail, un autre couple ne se quittait plus depuis huit mois. Lorsqu’elle devient enceinte, elle vient d’amorcer un contrat dans une autre ville, d’où un nouveau style de vie de couple à distance. N’utilisant pas de moyen de contraception, ils étaient conscients de prendre un risque. Dès le début de la grossesse, des problèmes de santé l’obligent à quitter son emploi et elle bénéficie d’un congé de maladie qu’elle passe d'abord chez ses parents, puis chez son conjoint. « Une naissance change complètement la vie », dit-elle, évoquant sa perte d’emploi, une redéfinition de ses engagements au travail, leur choix de la banlieue et l’abandon des activités sportives et des sorties. Ne tenant pas à se marier, c’est autour de l’enfant qu’ils multiplient les routines et les rituels familiaux. « Le fait d’avoir un enfant, je ne peux pas dire que ça nous a rapprochés. C’est un peu pareil, peut-être que c’est un autre style de relation, plus parent que couple. Pour l’instant, c’est comme ça, on verra. » (Mère, 29 ans, union de fait, professionnelle, enfant de 2 ans).

Une naissance a des effets contrastés chez un couple d’étudiants d’origine antillaise qui allaient poursuivre leurs études dans des villes différentes au moment où elle devient enceinte. La grossesse et la naissance consolident le lien du couple, mais leur vie se poursuit à distance dans deux villes éloignées où chacun complète des études et amorce une insertion professionnelle. Dans ce contexte, la vie avec un enfant nécessite une organisation complexe qui implique la famille, le réseau personnel et la garderie. Leur vie à deux, réduite aux weekends et aux vacances, suscite parfois des disputes.

Mais dans les changements positifs, on peut dire que ça nous a rapprochés. Et c’est le fun de le regarder avec sa fille. Des fois, ils vont se promener. Ils vont juste lui et sa fille. [...] Aussi, on fait des longues promenades en voiture. C’est quelque chose qu’on faisait juste nous deux avant, mais là, on le fait avec Sara. C’est vraiment notre moment où on parle ensemble. Je ne trouve pas qu’il nous manque des moments intimes, on s’arrange. Dans le fond, c’est bien plus le fait qu’il y a de la distance entre nous [car il travaille à Toronto] qui a changé des choses dans notre couple.

La question du mariage exprime leurs efforts pour consolider le couple et la difficulté à s’établir dans un même lieu :

Honnêtement, on était supposés de se marier le 21 août de cette année. Mais comme j’ai décidé de ne pas aller à Toronto, pas avant 1 an, il a dit : « OK, on ne se marie pas! » Il était vraiment déçu et fâché. Il a dit qu’on verrait peut-être l’année prochaine. On va se marier, mais comme il m’a dit : « On pourrait se marier et toi, tu restes ici et moi, là-bas. Mais je ne veux pas ça. » Il veut absolument sa famille ensemble. Mais d’ici un an, on l’espère. On parle de ça et c’est dans nos plans. Le fait qu’on ait eu Sara n’a rien changé dans notre désir de se marier. Mais moi, oui un petit peu, car j’ai 25 ans et j’aimerais ça être mariée, que ça marche ou pas. Maintenant, j’ai fini l’école et j’ai eu un enfant, donc je me dis : « What’s the next step? » Le mariage pour moi est très important, car c’est la chance de faire une vie avec quelqu’un, de faire les mêmes plans. It’s just a bond, un engagement. (Mère, 25 ans, union de fait, semi-professionnelle, enfant de 2 ans)

Une femme au milieu de la vingtaine aime un homme plus âgé qu’elle de 15 ans, rencontré dans une cure pour toxicomanes. Ils se connaissent depuis neuf mois lorsqu’ils décident de faire un enfant au cours d’un voyage. Le récit révèle une véritable métamorphose de sa vie, puisqu’elle se consacre aujourd’hui à son enfant, tout en gardant occasionnellement des enfants à domicile. Lui, qui a repris son ancien métier de technicien, semble avoir quelques difficultés à vivre une vie en famille, ce qu’il n’a pas connu dans son enfance. Dans ce récit, l’épisode d’une rechute de son conjoint dans la consommation de drogues est la seule difficulté évoquée dans la vie du couple; pour le convaincre d’entreprendre une thérapie, elle l’a menacé de séparation. (Mère, 29 ans, union de fait, petits boulots, enfant de 2 ans).

4.2 Des couples formés autour d’une grossesse imprévue

Une naissance à 21 ans a aussi marqué la sortie d’une vie de bohème pour une jeune femme d’origine bourgeoise qui venait d’emménager depuis quelques mois avec un conjoint plus âgé, bien établi professionnellement. Sous l’impulsion d’un désir d’enfant qu’elle dit irrationnel, elle le convainc de poursuivre avec elle cette grossesse : « On a gamblé nos vies », commente-t-elle au sujet du risque pris à ce sujet. Le retour de l’hôpital dans une maison neuve avec un bébé, un conjoint qui l’aide et le soutien de sa mère avec qui elle s’est réconciliée n’empêche pas cette jeune mère de vivre une « petite dépression » lorsque son conjoint doit aller travailler et qu’elle se retrouve avec un nourrisson. Après avoir cherché de l’aide, elle effectue un retour aux études qui lui permet de se donner un projet personnel. Décrivant la perte des loisirs, la routine des horaires et le manque de spontanéité qui s’ensuivent dans la relation du couple, elle fait état d’un essai de loisirs séparés, puis du recours à des sorties à deux ou des soirées à la maison. C’est un réaménagement complet de leur vie qu’ils ont effectué. Quant au symbolisme du lien, seul son conjoint soulève la possibilité d’un mariage, car elle estime pour sa part qu’un enfant unit leur vie et qu’un divorce, c’est compliqué. (Mère, 25 ans, union de fait, étudiante universitaire, enfant de 2 ans)

C’est aussi une naissance désirée par la mère qui marque le début d’un couple ayant un écart d’âge de 10 ans et dont la jeune femme n’a que 18 ans lorsqu’elle devient enceinte. Comme elle ne vit pas avec l’homme qu’elle désigne comme le père et qu’elle a eu d’autres relations auparavant, ce dernier exprime son désir de la voir passer un test de paternité. Une marque physique du bébé vient lui confirmer sa paternité après l’accouchement. La cohabitation s’effectue cependant plusieurs mois après la naissance. Une vie quotidienne tout orientée vers le soin de l’enfant et la maternité, le père assurant le revenu familial, contraste avec cette entrée embrouillée dans un couple. Enceinte du 2e, elle veut terminer ses études après cette grossesse pour travailler et contribuer à l’achat d’une maison. Elle souhaite aussi se marier un jour, car le mariage signifie pour elle une famille stable. (Mère, 19 ans, union de fait, au foyer, enfant de 18 mois)

Les deux couples suivants se sont mariés civilement après une grossesse pour faciliter l’obtention de la citoyenneté du conjoint, de la conjointe, de nationalité américaine. Ils illustrent différemment un type de trajectoire où le couple se construit difficilement autour de l’arrivée d’un enfant. Le premier récit vient d’un père au début de la trentaine qui se présente lui-même comme un beau parleur, romantique, qui a vécu une enfance et une adolescence marquées par les malheurs de ses parents. Il aime apprendre malgré une faible scolarisation. Il échange par Internet des propos avec une jeune femme spécialisée dans l’écriture et l’histoire de la musique. Lors d’une première rencontre, il lui dit qu’il la trouve si intéressante qu’il l’épouserait. À sa grande surprise, elle lui répond : « J’accepterais. » Un mois plus tard, elle est enceinte et leur histoire se poursuit autour de multiples tribulations : recherche d’un logement, vaine tentative pour aller s’établir aux États-Unis, perte de son emploi, pauvreté. Le récit de la grossesse, de la naissance puis de la transition à la parentalité accompagnée d’une dépression postpartum de la mère se déroule sur fond de drame, de sautes d’humeur, du refuge du père dans l’alcool et d’interventions de la police, puis du CLSC. Au moment de l’entrevue, il était de retour aux études et considérait que sa femme et la paternité l’avaient entièrement transformé. (Père, 34 ans, marié, technicien, retour aux études, enfant de 2 ans)

Par delà la frontière, une jeune femme d’origine antillaise poursuit une idylle avec un homme de sa communauté rencontré dans sa parenté lors d’un voyage aux États-Unis. Se disant heureuse d’une grossesse imprévue à 20 ans, et s’acharnant à terminer ses études secondaires, elle accouche et baptise l’enfant en l’absence du père qui ne peut obtenir de visa. Seule, elle prend en charge l’enfant tout en poursuivant études et emploi. Mariée civilement et déjà mère 2 fois à 24 ans, elle prend distance, au moment de l’entrevue, du mari qui vit avec elle, qui ne lui cache pas ses infidélités et qui, par moment, la menace. Elle lui reproche de ne pas partager les tâches, de ne pas accepter les filles; mais le lien affectueux entre le père et ses enfants l’empêche de mettre fin à la relation. (Mère, 24 ans, mariée, semi-professionnelle, enfants de 4 ans et de 1 an)

C’est au moment des vacances qu’une jeune femme, en fin d’études collégiales, se découvre enceinte suite à une relation amoureuse de trois mois. Le récit de la nouvelle mère, qui a convaincu son copain d’accepter cette grossesse, évoque les changements rapides qu’elle et son conjoint ont dû effectuer : fin des études collégiales, choix de nouvelles orientations à l’université, visites médicales, recherche d’emplois et adaptation à la vie à deux. Les deux familles les ont fortement soutenus pendant cette grossesse qu’elle dit avoir choisi elle-même de mener à terme. C’est seulement après la naissance qu’ils vivent seuls dans un appartement, alternant leur présence auprès du bébé en fonction des horaires de cours et des petits boulots. Régulièrement, la grand-mère paternelle vient chercher l’enfant qui dort chez elle. La présence de l’entourage est grande dans ce récit d’entrée dans la parentalité qui est liée pour la jeune femme à son entrée dans la vie adulte. Elle semble s’être facilement ajustée à cette maternité, mais elle souligne qu’ils ont sauté une étape, celle d’un couple sans enfant. Prenant la vie « à la session », ils formulent le projet d’aller ensemble à l’étranger comme intervenants dans des programmes de développement. (Mère, 23 ans, union de fait, étudiante universitaire, enfant de 2 ans)

4.3 Synthèse : la transition à la parentalité chez des couples très récents

Les couples très récents qui deviennent parents suite à une grossesse imprévue, mais qui en avaient ébauché le projet et avaient réalisé d’autres étapes d’entrée dans la vie adulte et disposent de revenus suffisants, semblent vivre la transition à la parentalité en accéléré; ils font plusieurs changements quasi simultanés (changement d’emploi, de ville, achat de maison); sans évoquer de problèmes de couple, ils vivent du stress. Si le couple n’a pas de projets communs ou si ces autres transitions n’ont pas été effectuées (fin des études, emplois, cohabitation), une naissance peut au contraire ralentir la formation du couple qui s’étire sur plusieurs mois, plusieurs années. Les témoignages font état des risques encourus par certaines transitions : dépression, conflit, violence. Mais la naissance est aussi parfois le pivot autour duquel se construit une trajectoire personnelle et conjugale qui sera suivie d’études ou d’autres projets.

5. Conclusion : les histoires conjugales et l’approche des parcours de vie

Une analyse de la transition à la première naissance à travers des récits émanant de parents sélectionnés pour la diversité – des unions, des âges, des professions et des cultures – ne permet pas de généraliser nos observations sur cette transition. Comme nous l’avons vu, ce phénomène a fait l’objet de nombreuses études qui ont conclu à la diversité des façons de vivre cette transition et à la difficulté d’en identifier des facteurs uniques. Notre analyse permet cependant, en croisant les récits de jeunes parents, de dégager quelques pistes quant aux contextes et trajectoires associés à des façons de vivre et de percevoir cette transition. L’approche des parcours de vie permet à la fois de saisir la nature de la transition et d’en explorer les variantes et les perceptions en lien avec certaines caractéristiques des couples, leurs étapes de vie conjugale et les trajectoires individuelles, scolaires et professionnelles de chacun.

Malgré de vifs contrastes entre les trajectoires de couples regroupées ici par la durée des histoires conjugales avant la naissance, la transition à la parentalité comporte de grandes similitudes quant aux aspects de la transition évoqués dans l’ensemble des récits, et cela, malgré des conditions qui vont de l’aisance à la pauvreté et des sentiments qui vont du plus grand bonheur à des états de dépression. Après une naissance, tous les nouveaux parents doivent réorganiser leurs rapports au travail et leur quotidien, redéfinir leurs styles de vie, leurs rôles et leurs rythmes temporels afin de répondre aux besoins de l’enfant. Si tous les récits contiennent des paroles qui font état de la fatigue des débuts, des horaires et routines de la vie avec un poupon, de la joie et de la tendresse à son égard, ils évoquent tous aussi une perte de liberté et de loisirs affectant la sociabilité, la vie à deux et l’intimité. Les façons d’interpréter cette nouvelle situation varient cependant largement, comme varient les ressources et les aides mobilisées. Dans l’ensemble, ces récits témoignent surtout des adaptations et ajustements effectués dans les premiers mois, la première année. De plus grandes difficultés touchent quelques cas.

Pour dégager les variantes de ces transitions à la parentalité, nous avons croisé a posteriori les récits en les regroupant à partir de la durée de l’histoire conjugale et de la place assignée à la procréation parmi leurs objectifs. Cette présentation par la durée et les projets laisse entrevoir dans une majorité de cas un certain report dans le passage de couple à parent; il s’intègre dans un scénario de vie en étapes supposant une consolidation des situations économiques et professionnelles des individus et l’harmonisation des relations de couple avant de procréer. Ainsi préparée ou reportée, l’arrivée de l’enfant s’inscrit dans une planification qui colore non seulement la mise en marche d’une grossesse, mais la préparation du lieu pour l’accueillir. Les individus et les couples qui deviennent parents avant d’avoir complété toutes ces étapes s’adaptent assez bien lorsqu’ils avaient formulé ensemble un projet d’enfant. C’est le cas par exemple des couples mariés depuis quelques années ou de ceux qui aspirent à un style de vie familial. C’est lorsque le projet est inégalement partagé dans un couple ou quand s’y ajoute pour l’un ou l’autre une difficulté concernant les études, le travail, une démarche d’immigration que certains problèmes se manifestent. Les grossesses imprévues dans des couples très récents interfèrent sans doute davantage avec des trajectoires individuelles non complétées, et la transition à la parentalité peut accélérer la formation du couple ou en ébranler le lien.

Les couples de plusieurs années se retrouvent plus souvent chez les individus ayant poursuivi de longues études. Bien que les trajectoires d’entrée dans la parentalité des milieux ouvriers et moyens s’inscrivent aussi dans ce scénario par étapes, les années qui y sont consacrées sont moins nombreuses et l’âge à la procréation moins élevé. De plus en plus de filles de tous les milieux vont chercher une formation donnant accès à un métier, mais quelques filles de milieu populaire ou d’origines ethniques particulières entrent dans la vie adulte par la procréation ou le mariage, abandonnant l’école, quitte à y retourner.

Les extraits de témoignages relatant des effets de cette naissance sur le couple renvoient ou bien aux tâches quotidiennes qui font l’objet d’une nouvelle répartition différenciée ou égalitaire, ou bien à une transformation des interactions dans le couple avec parfois une mise à distance de la relation conjugale au profit des rôles parentaux. Notre analyse rapide de la division du travail dans le couple suggère la présence chez les femmes, mais aussi chez plusieurs hommes, d’une norme égalitaire dont l’application dépend des insertions professionnelles. La variété des situations et des pratiques est très grande depuis l’alternance des congés et des horaires, la prise en charge prépondérante par la mère, par le père, les stratégies de retrait d’emploi temporaire ou de retour aux études, le recours à un substitut parental. Plusieurs évoquent des négociations dans le couple, et peu importe le modèle adopté, des malaises surgissent quand les rôles joués ne correspondent pas aux attentes.

La spécialisation des rôles autour des besoins de l’enfant tient aussi aux expériences individuelles de la maternité, de la paternité, qui renvoient aux choix et représentations des acteurs. Si peu de couples adhèrent à une vision des rôles très différenciée selon le genre (quelques-uns se disent traditionnels), la plupart soulignent leur complémentarité dans les activités et soins pratiqués. Ces récits suggèrent des pistes sur la transformation des rôles et des identités. De même, on y aborde la transformation de la relation du couple dans cette polarisation autour de l’enfant. Manque de loisirs du couple, d’une spontanéité dans la vie sexuelle, certains témoignages vont au-delà de ces constats répétés pour examiner de façon réflexive le nouveau système de relations mis en place après une naissance et apprécient le fait de former une famille tandis que certains disent le danger de perdre son couple dans cet investissement temporel ou affectif s’il est trop exclusif.

Les représentations et les attentes qui varient selon les milieux sociaux et les cultures, tout autant que le statut professionnel et les contraintes de l’organisation du travail, semblent influencer la perception positive ou parfois négative de cette étape de la vie de couple. Pour bon nombre de couples qui refusent de voir cette transformation de leur style de vie comme une perte, être devenus une famille compense les exigences du rôle de parent et avoir un enfant consolide l’union.

Le recours au mariage ou à l’union de fait avec d’autres formes de rituels à divers moments du parcours apparait moins dans ces récits comme référant à des catégories de couples que comme des symboles de la dynamique du lien. Quelques-uns, ayant vécu la mise en couple par une entrée accélérée dans la parentalité, vont parfois recourir au baptême, aux fiançailles ou songer au mariage pour symboliser le lien.