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Introduction

Le rôle de la paternité a changé considérablement au cours des dernières décennies : de nos jours, on observe un nombre grandissant de pères s’impliquer dans la vie de leurs jeunes enfants (Dubeau et al., 2009 ; Lemelin et al., 2012). Les résultats de nombreuses études laissent entrevoir que, tout comme c’est le cas pour les mères, les pratiques parentales des pères contribuent positivement à l’adaptation sociale de l’enfant (Torres et al., 2014). Toutefois, elles peuvent également contribuer à la présence de difficultés d’adaptation, notamment de problèmes de comportement extériorisés (Besnard et al., 2011 ; McCoy et al., 2013). La présente étude s’intéresse à l’impact combiné des pratiques parentales des deux parents sur l’adaptation sociale des enfants.

Il est maintenant établi que les pratiques parentales positives – par exemple un engagement élevé ou une relation teintée d’affects positifs – sont associées au développement optimal de l’enfant, sous la forme d’acquisition d’habiletés sociales et émotionnelles, et du développement de l’autonomie (Gryczkowski et al., 2010 ; Healy et al., 2015 ; Rinaldi et Howe, 2012). À l’inverse, la sévérité et la fréquence des conduites parentales hostiles et inconsistantes, ainsi que l’utilisation de la punition corporelle, sont fortement corrélées à l’apparition et au maintien des problèmes de comportement des enfants (Fernandez Castelao et Kröner-Herwig, 2014 ; Lansford et al., 2012 ; Mackenzie et al., 2015 ; Meteyer et Perry-Jenkins, 2009 ; Neves Nunes et al., 2013).

Les pratiques parentales sont définies comme des comportements posés par le parent afin d’avoir un impact sur l’éducation et le développement de l’enfant (Arsiwalla, 2009). Celles-ci englobent deux axes complémentaires, soit la discipline parentale et le soutien parental (Maccoby et Martin, 1983). Chaque axe s’étale sur un continuum allant d’un pôle positif à un pôle négatif. La discipline parentale se définit comme les efforts du parent à influencer ou à contrôler le comportement de l’enfant, en établissant des règles et en appliquant les normes comportementales (Gallagher, 2002 ; Maccoby et Martin, 1983). Il est donc possible de retrouver sur cet axe : la souplesse, la tolérance, les encouragements et les récompenses au pôle positif, et la coercition, l’inconsistance ou encore le recours aux punitions physiques au pôle négatif (Vermulst et Van Leeuwen, 2004). Le soutien parental englobe la nature affective de la relation parent-enfant (Aunola et Nurmi, 2005). Cet axe se traduit par des comportements parentaux positifs comme l’acceptation, la chaleur, l’engagement, le soutien à l’autonomie, la surveillance, la démonstration d’intérêt à son enfant, ou à l’inverse, le rejet, la défiance, la domination, la froideur, la rigidité et l’hostilité.

Il faut préciser que les pratiques parentales ont longtemps été étudiées dans le contexte de la relation mère-enfant (Kopp et al., 2000). Toutefois, les mères sont rarement les seules responsables de l’éducation des enfants. Par exemple, dans 70,5 % des familles québécoises, les mères et les pères se partagent la tâche de s’occuper des loisirs de leur enfant (par exemple, jouer avec les enfants ou participer à des activités avec eux) et, dans 50,7 % des cas, celle de mettre les enfants au lit (ministère de la Famille et des Aînés, 2015). Les changements sociaux des dernières décennies et la réorganisation familiale qu’ils entrainent ont mené les recherches à examiner l’impact respectif des pratiques parentales des deux parents sur le développement social des enfants (Gryczkowski et al., 2010 ; Kawabata et al., 2011 ; Lansford et al., 2011). Leurs résultats révèlent des similitudes et des différences entre les pratiques parentales des mères et celles des pères (Besnard et al., 2009 ; Fagan et al., 2014), et laissent entrevoir que les deux parents contribueraient différemment à l’adaptation sociale de l’enfant (Lewis et Lamb, 2003 ; Pleck et Masciadrelli, 2004 ; Torres et al., 2014) ou à la présence de difficultés d’adaptation, notamment pour ce qui est des problèmes de comportement extériorisés (Besnard et al., 2011 ; McCoy et al., 2013). Des études ont observé que les pratiques parentales des pères peuvent influencer les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant et ce, plus que les pratiques parentales des mères (Aldous et Mulligan, 2002 ; Gryczkowski et al., 2010 ; NICHD, 2004). Par exemple, l’engagement des pères serait associé à moins de problèmes de comportement extériorisés, une fois l’engagement des mères contrôlé (Pleck et Masciadrelli, 2004). D’autres études révèlent que l’hostilité de la mère explique à elle seule 24 % de la variation des problèmes de comportement de l’enfant (Besnard et al., 2009). Malgré l’apport d’études qui démontrent ces différentes contributions parentales sur le développement de l’enfant, les données empiriques disponibles à ce jour indiquent que les pratiques parentales maternelles prédisent mieux les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant que ne le font les pratiques parentales paternelles (Aunola et Nurmi, 2005).

Très peu d’études se sont intéressées à l’effet conjoint des deux parents (Martin et al., 2007). Dans un contexte où l’enfant d’âge préscolaire vit majoritairement avec ses deux parents (Desrosiers et Simard, 2010), analyser l’interaction de leurs pratiques parentales sur son développement amènerait possiblement des résultats différents qu’examiner ces mêmes pratiques parentales de manière indépendante. Il est donc intéressant de considérer l’impact combiné des deux parents, concept que l’on nomme co-engagement (Deutsch, 2001 ; McHale, 1995). Le co-engagement réfère à l’ensemble des pratiques parentales des deux parents, soit l’engagement relatif des pratiques parentales selon leur rôle et leur apport respectifs envers leur enfant. Ce concept explique également qu’un parent seul ne peut combler tous les besoins de son enfant, puisqu’il présente probablement lui-même des faiblesses pouvant nuire au développement de son enfant (Dubeau et al., 2009). Ainsi, la présence d’un deuxième parent permet de combler les lacunes ou les excès du premier et d’en modérer les effets. Selon cette approche, il est nécessaire d’étudier l’effet combiné des pratiques parentales des deux parents sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant pour mieux expliquer le développement de ces difficultés.

Les problèmes de comportement extériorisés suscitent un grand intérêt dans la recherche, car ils figurent parmi les problèmes les plus répandus dans la psychopathologie de l’enfance (Mervielde et al., 2005 ; Tremblay et al., 2004). Par définition, les comportements extériorisés comportent l’ensemble des comportements agressifs, destructeurs, perturbateurs, d’hyperactivité, d’opposition et de délinquance (Boeldt et al., 2012 ; Brinkmeyer, 2006 ; Erath et al., 2011 ; Essa, 2002 ; Stacks, 2005). Bien entendu, la plupart des enfants ont des manifestations de comportements extériorisés au cours de leur vie. C’est lorsque la fréquence et l’intensité d’un ou des comportements extériorisés dépassent la norme qu’ils sont définis comme des problèmes de comportement (Lemay et Coutu, 2012). Leur apparition durant la petite enfance est associée à une adaptation difficile, car ils entravent le développement de l’enfant et peuvent causer d’autres difficultés plus importantes à long terme (Lemay et Coutu, 2012). Le rejet des pairs, l’affiliation à un groupe de pairs déviants, l’entretien de relations négatives avec l’enseignant (Barker et al., 2007 ; Lacourse et al., 2006 ; Nelson et Dishion, 2004 ; Silver et al., 2005 ; Silver et al., 2010), les difficultés scolaires (Bub et al., 2007 ; Lane et al., 2008), des habiletés sociales lacunaires (Bornstein et al., 2010) de même qu’un faible taux de diplomation (Broidy et al., 2003 ; Vitaro et al., 2005) sont des exemples de conséquences négatives liées à des problèmes de comportement extériorisés à l’enfance.

Le taux de prévalence des problèmes de comportement extériorisés chez les jeunes enfants se situe environ entre 10 et 16 % (Côté et al., 2006 ; Silver et al., 2010). De plus, les problèmes de comportement extériorisés sont stables dans le temps durant le parcours scolaire primaire (Bornstein et al., 2010 ; MacKenzie et al., 2015 ; Shaffer et al., 2013). Le risque de persistance de ces difficultés est donc élevé, sans compter les conséquences négatives qui y sont associées.

Selon Moffitt (1993), la trajectoire à début précoce des problèmes de comportement extériorisés, c’est-à-dire l’apparition durant l’enfance et la persistance des problèmes dans le temps, s’explique entre autres par une chaîne d’interactions continues entre les vulnérabilités individuelles de l’enfant et la présence d’un contexte familial adverse. Ainsi, la combinaison des difficultés présentes chez l’enfant, telles que l’inattention, l’impulsivité ou le tempérament difficile, et des difficultés parentales, comme la discipline coercitive et un climat d’hostilité, entraînent des échecs continus et cristallisent la trajectoire de l’enfant dans un style de vie déviant. En plus de demeurer stables et persistants dans plusieurs sphères de vie, les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant peuvent évoluer vers des comportements antisociaux à l’âge adulte (Moffitt, 1993 ; Odgers et al., 2008).

Dès la maternelle, il est possible d’établir le lien entre les pratiques parentales négatives des deux parents et les problèmes de comportement extériorisés chez les garçons et les filles (Eddy et al., 2001). L’entrée à la maternelle constitue une transition importante pour l’enfant dans son développement. Cette période critique qu’est le passage du milieu familial ou du service de garde au milieu scolaire est jugée comme un facteur déterminant de la suite du parcours scolaire de l’enfant (Deslandes et Jacques, 2004 ; Rimm-Kaufman et Pianta, 2000). De manière générale, cette transition s’effectue de manière positive pour la majorité des enfants. Toutefois, elle présente ses propres défis, comme une sollicitation plus importante des habiletés sociales, qui peut occasionner une adaptation plus difficile pour les enfants présentant des problèmes de comportement extériorisés (Eisenberg et al., 2001 ; Moreau et al., 2009). Pour ce qui est des enfants présentant une trajectoire à début précoce telle que définie par Moffitt (1993), il est primordial d’intervenir durant ce moment charnière du développement. Les taux de prévalence élevés, la stabilité de ces difficultés dans le temps ainsi que les conséquences à plus long terme sur l’adaptation des enfants justifient le développement des connaissances permettant d’en diminuer les effets néfastes. Considérant les liens reconnus entre les pratiques parentales négatives et la présence des difficultés de comportement à début précoce, il s’avère important d’étudier des facteurs pouvant modérer leurs influences.

Différentes études ont identifié des facteurs qui agissent comme modérateurs dans la relation entre les pratiques parentales négatives et les problèmes de comportement extériorisés des enfants. La recension de ces études a permis d’identifier plusieurs de ces facteurs, qui s’associent tant à des facteurs individuels de l’enfant qu’à des facteurs familiaux. Pour ce qui est des facteurs individuels, la présence de problèmes de comportement intériorisés comme l’anxiété, la frustration (Lengua, 2008) et le niveau d’inhibition des comportements (Erath et al., 2009 ; Erath et al., 2011 ; Lengua, 2008) sont documentés comme des variables qui modèrent la relation entre les pratiques parentales négatives et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Ainsi, lorsque l’enfant présente un niveau élevé d’anxiété ou de frustration, ou un niveau faible d’inhibition comportementale, les pratiques parentales négatives élevées exacerbent les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Sur le plan familial, Clincy (2013) s’est intéressé aux caractéristiques parentales de la mère comme modérateur. Son étude indique que la sensibilité et l’hostilité maternelle agissent comme modérateurs entre l’utilisation de la fessée, rapportée par la mère, et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Plus précisément, une sensibilité maternelle élevée diminue l’effet négatif de l’utilisation de la fessée sur les problèmes de comportement extériorisés alors qu’une faible sensibilité maternelle ou une hostilité élevée augmente son effet.

En résumé, les problèmes de comportement intériorisés de l’enfant semblent être un facteur individuel important qui modère la relation entre les pratiques parentales négatives et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. La sensibilité et l’hostilité maternelle sont également rapportées comme des variables qui influencent le lien entre l’utilisation de la fessée par la mère et les problèmes de comportement extériorisés. Cependant, il faut mentionner que la majorité des études recensées ont porté sur des échantillons de mères uniquement, on ne sait donc pas si les modérateurs sont les mêmes chez les deux parents. Aussi, les études ont porté majoritairement sur des enfants d’âge scolaire (l’âge moyen est situé entre 7 et 12 ans). Ainsi, la connaissance des modérateurs qui jouent un rôle auprès des enfants de la maternelle est limitée (Clincy, 2013). Peu de modérateurs relatifs aux caractéristiques familiales ont été explorés bien que ces modérateurs s’avèrent des facteurs marquants dans le développement des problèmes de comportement extériorisés selon Moffitt (1993). À notre connaissance, aucune étude n’a évalué l’effet modérateur des pratiques parentales positives d’un parent sur les pratiques négatives de l’autre parent. Si différents facteurs externes peuvent modifier la relation entre les pratiques parentales négatives d’un parent et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant, il semble pertinent d’examiner le rôle modérateur des pratiques parentales positives du deuxième parent dans un contexte de co-engagement.

Tel que proposé par le concept du co-engagement, et à une époque où les deux parents s’investissent dans l’éducation de leurs enfants, il est pertinent de se pencher sur l’influence mutuelle des pratiques parentales des deux parents sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant et ainsi, déterminer des facteurs de modération possibles au sein d’une même famille. Compte tenu de l’impact négatif de l’apparition précoce des problèmes de comportement extériorisés sur la trajectoire développementale des enfants et du rôle reconnu des pratiques parentales négatives dans leur émergence (Moffitt, 1993), il importe d’identifier des facteurs intrafamiliaux qui peuvent diminuer l’impact des pratiques parentales négatives d’un parent, et ce, particulièrement lors de la transition à la maternelle (Lemay et Coutu, 2012). Plus précisément, il apparaît nécessaire de mieux comprendre l’impact combiné des deux parents et son lien avec l’adaptation sociale de l’enfant, en supposant que les pratiques parentales positives d’un parent pourraient modérer le lien entre les pratiques parentales négatives de l’autre parent et la présence de problèmes de comportement extériorisés chez leur enfant (Dubeau et al., 2009).

L’objectif de la présente étude est de déterminer l’effet modérateur des pratiques parentales positives d’un parent sur le lien entre les pratiques parentales négatives de l’autre parent et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant à la maternelle. Deux sous-objectifs sont poursuivis dans cette recherche :

1. Vérifier si les pratiques parentales positives du père modèrent la relation entre les pratiques parentales négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant ;

2. Vérifier si les pratiques parentales positives de la mère modèrent la relation entre les pratiques parentales négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant.

Méthode

Description des participants

Les données utilisées dans la présente étude sont tirées d’une étude longitudinale plus vaste nommée « Prévention de la violence et du décrochage scolaire : évaluation de l’impact d’un programme implanté au préscolaire à travers le Québec » (Capuano et al., 2010 ; Poulin et al., 2010). Les participants de cette étude sont des enfants de la maternelle recrutés entre les années 2002 et 2006 en trois cohortes annuelles successives parmi les élèves de maternelle d’une banlieue de Montréal (N = 1095). Durant ces trois années, les parents et les enseignants (de 69 à 92 classes selon les années, réparties dans 40 écoles) ont été sollicités pour participer à une activité de dépistage des problèmes de comportement extériorisés des enfants (agression directe et indirecte, opposition et hyperactivité). Selon les résultats de ce dépistage, environ le tiers des enfants (34,2 %) qui ont participé à l’étude étaient identifiés « à risque » de développer des problèmes de comportement extériorisés (voir Poulin et al., 2006 pour la description complète de la procédure de sélection).

La présente étude propose des analyses secondaires transversales des données recueillies lors du premier temps de mesure de l’étude de Capuano et al. (2010), soit au début de la maternelle. L’échantillon de l’étude est composé uniquement des enfants issus de familles où les deux parents ont participé à la collecte de données (n = 626 enfants et 1252 parents, soit 57 % de l’échantillon initial). Les enfants sont âgés en moyenne de 5,6 ans (é-t = 0,3) et 35,9 % sont des filles. Parmi les enfants de ce sous-échantillon, 33,7 % sont ciblés à risque. Les participants proviennent en grande majorité de familles de type biparental (89,1 %) mais les deux parents des familles monoparentales et/ou à garde partagée sont également inclus. En matière de scolarité, 72,0 % des mères ont reçu une éducation collégiale ou universitaire alors que 28,0 % des mères ont un diplôme secondaire 5 ou moins. Pour ce qui est des pères, 67,5 % ont reçu une éducation collégiale ou universitaire alors que 32,5 % ont un diplôme secondaire 5 ou moins. Le revenu familial annuel moyen est de 59 300 $ CAN (é-t = 23 320 $). Les enfants de ce sous-échantillon ne présentent pas de différences significatives avec ceux de l’échantillon initial en ce qui a trait à l’âge moyen, à la proportion du sexe ou au nombre d’enfants ciblés à risque. Toutefois, certaines données sur les caractéristiques familiales diffèrent. Entre autres, une plus grande proportion des mères et des pères dans ce sous-échantillon a reçu une éducation collégiale ou universitaire et le revenu familial moyen est également plus élevé comparativement aux parents de l’échantillon initial.

Procédure

Les problèmes de comportement extériorisés des enfants et les pratiques parentales des deux parents ont été évalués à l’aide de questionnaires remplis par chacun des deux parents. Ces questionnaires leur ont été acheminés à la maison par l’entremise de l’école de l’enfant. Les deux parents ont été invités à remplir séparément les questionnaires. Par la suite, l’enfant devait les retourner à l’école dans une enveloppe cachetée. Des assistants de recherche distribuaient et récupéraient ces questionnaires.

Description des instruments de mesure

Variable dépendante

Les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant ont été évalués par la mère et le père à partir du Questionnaire d’évaluation du comportement des enfants (BEH). Cet instrument a été élaboré par le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale de l’enfant (GRIP) dans le cadre de l’Étude longitudinale nationale des enfants du Québec (ELNEJ, 2011). La majorité des énoncés du BEH proviennent du Prosocial Scale for the Preschool Behavior Questionnaire (Tremblay et al., 1992). Cet outil comprend 75 énoncés, regroupés en trois sous-échelles, dont les problèmes extériorisés et les problèmes intériorisés. La sous-échelle des problèmes extériorisés regroupe 35 énoncés sur l’agression indirecte, l’agression physique, l’opposition et l’hyperactivité. L’échelle du questionnaire BEH est de type Likert et comprend six choix de réponses, allant de 1 (« jamais ») à 6 (« souvent »). Les scores des problèmes de comportement extériorisés de l’enfant sont obtenus en calculant la moyenne des énoncés des deux parents. La consistance interne est excellente pour la sous-échelle des problèmes extériorisés (α = 0,94).

Variables indépendantes

Les pratiques parentales des mères et des pères. Les pratiques parentales des deux parents ont été évaluées à partir d’un questionnaire sur les pratiques parentales comprenant 73 items. Cet outil a été élaboré en regroupant des échelles provenant de trois questionnaires différents : l’Alabama Parenting Questionnaire (Shelton et al., 1996), le Parenting Practices Inventory (Lochman, 1995) et le Parental Acceptance-Rejection Questionnaire (Rohner et al., 1980). Ce questionnaire a été conçu, traduit et adapté par l’équipe de recherche du Programme Fluppy (Capuano et al., 2010). Les échelles du questionnaire comprennent l’engagement (10 énoncés), la supervision (13 énoncés), la discipline positive (4 énoncés), l’hostilité (6 énoncés), le rejet affectif (9 énoncés) et l’inconstance (9 énoncés). L’échelle de type Likert comporte cinq choix de réponses, allant de « pas du tout » à « tout à fait ». La consistance interne de l’outil varie d’une échelle à l’autre, avec un alpha de Cronbach variant de 0,61 à 0,75 pour les mères et de 0,63 à 0,83 pour les pères. Dans le but de répondre aux objectifs de recherche, les énoncés du questionnaire sur les pratiques parentales ont été regroupés en deux échelles. Ainsi, les échelles de l’engagement, de la supervision et de la discipline positive forment une variable regroupée nommée pratiques parentales positives (20 items) alors que les énoncés de l’hostilité, du rejet affectif et de l’inconstance constituent la variable regroupée des pratiques parentales négatives (27 items). Un extrait des items du questionnaire se retrouve dans le Tableau 1. La consistance interne des variables regroupées est bonnes : 0,82 et 0,87 pour les pratiques parentales positives des mères et des pères et 0,78 et 0,80 pour les pratiques parentales négatives des mères et des pères.

Tableau 1 : Extrait du questionnaire sur les pratiques parentales des mères et des pères

Tableau 1 : Extrait du questionnaire sur les pratiques parentales des mères et des pères

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Variables de contrôle

Les problèmes de comportement intériorisés de l’enfant. Tout comme les problèmes de comportement extériorisés, les problèmes de comportement intériorisés de l’enfant sont évalués selon les deux parents à l’aide du BEH. La sous-échelle des problèmes intériorisés est utilisée pour mesurer cette variable. Celle-ci comprend 24 énoncés, qui réfèrent à l’anxiété, le retrait et les symptômes dépressifs chez l’enfant. Le même type d’échelle Likert est utilisé, comprenant six choix de réponses, allant de 1 (« jamais ») à 6 (« souvent »). Les scores des problèmes de comportement intériorisés de l’enfant sont également obtenus en calculant la moyenne des énoncés des deux parents. La consistance interne est très bonne pour la sous-échelle des problèmes intériorisés (α = 0,84).

Revenu familial. Le revenu familial est une autre variable contrôlée dans l’étude. Les données proviennent des informations sociodémographiques des familles et représentent la somme du revenu annuel des deux parents.

Méthode d’analyse des données

Dans le but d’atteindre les objectifs de la recherche, les variables d’intérêt ont été préalablement centrées afin d’utiliser des coefficients standardisés (Guay, 2013). Par la suite, des analyses corrélationnelles ont été produites afin de vérifier la présence de liens significatifs entre les variables à l’étude. Une fois cette vérification réalisée, des analyses de régression multiple ont été faites pour valider l’objectif de recherche. Cette méthode d’analyse consiste à déterminer l’ordre d’entrée des variables, sous forme de blocs de variables. Elle permet entre autres d’analyser l’influence spécifique de chaque bloc entré sur la variable dépendante, en considérant l’effet du bloc précédent (Yergeau et Poirier, 2013). L’analyse de régression multiple est utilisée dans les cas où des variables étrangères peuvent influencer la relation entre la variable dépendante et la variable indépendante, et nécessitent d’être statistiquement contrôlées pour éliminer leur effet sur l’interaction observée (Fortin, 2010). Dans le cadre de la présente étude, les analyses de régression hiérarchiques ont été déclinées en deux blocs. Sachant que la relation entre les pratiques parentales et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant peut se jouer sur le plan individuel (Gryczkowski, 2010) et sur le plan environnemental (Dodge et al., 1994 ; Miech et al., 2001), les effets liés à la sévérité des problèmes de comportement intériorisé de l’enfant et le revenu familial ont été contrôlés dans le premier bloc (bloc « covariables »).

Pour étudier la modération dans les analyses de régression multiple, l’effet modérateur peut être représenté comme une interaction entre la variable indépendante et la variable modératrice (Baron et Kenny, 1986). Une variable qui exprime l’interaction de ces deux variables a donc été créée. Ainsi, le deuxième bloc (bloc « variables d’interaction ») introduit la variable indépendante, la variable modératrice et la variable d’interaction de ces deux variables. Deux modèles ont été testés dans ce bloc. Le premier modèle étudie l’effet modérateur des pratiques parentales positives de la mère. Les variables utilisées dans ce modèle sont les pratiques parentales positives de la mère, les pratiques parentales négatives du père et l’interaction de ces deux variables. Le deuxième modèle analyse l’effet modérateur des pratiques parentales positives du père. Ce modèle comprend les pratiques parentales positives du père, les pratiques parentales négatives de la mère et l’interaction de ces deux variables. Lorsque l’effet modérateur est significatif, des analyses supplémentaires sont réalisées pour tracer le lien entre la variable dépendante et la variable indépendante en fonction des niveaux de la variable modératrice, soit un haut niveau (1 écart-type au-dessus de la moyenne) et un bas niveau de cette dernière (1 écart-type sous la moyenne). Pour chaque interaction, des variables hautes et basses de la variable indépendante sont calculées et introduites dans l’équation suivante : y = mx+b, où y est la variable dépendante, m la constante de la variable indépendante, x la variable indépendante et b la constante.

Résultats

Analyses préliminaires

Le Tableau 2 présente les analyses descriptives quant aux variables à l’étude, dont les moyennes, les écart-types, les scores minimum et maximum pour chacune d’entre elles.

Tableau 2 : Moyennes, écarts-type et scores minimaux et maximaux des variables à l’étude

Tableau 2 : Moyennes, écarts-type et scores minimaux et maximaux des variables à l’étude

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Par la suite, des analyses corrélationnelles ont été produites. Une matrice de corrélations est présentée au Tableau 3, démontrant plusieurs corrélations significatives et dans le sens attendu. Premièrement, on peut observer que la variable des problèmes de comportement extériorisés est corrélée avec toutes les autres variables, les liens allant de faible à modéré. Deuxièmement, les résultats indiquent que les pratiques parentales des mères et celles des pères, qu’elles soient positives ou négatives, sont toutes faiblement ou modérément corrélées entre elles, le lien le plus fort étant entre les pratiques négatives des deux parents (r = .55). Enfin, on peut observer que seules les pratiques positives des deux parents ne sont pas corrélées significativement avec le revenu familial.

Tableau 3 : Corrélations entre les problèmes de comportement de l’enfant, les variables de contrôle et les pratiques parentales des mères et des pères

Tableau 3 : Corrélations entre les problèmes de comportement de l’enfant, les variables de contrôle et les pratiques parentales des mères et des pères

PP : pratiques positives, PN : pratiques négatives.

Exemple d’interprétation des corrélations : r = 0,20 : corrélation faible ; r = 0,50 : corrélation modérée ; r = 0,80 : corrélation forte.

* : La corrélation est significative au niveau 0,05.

** : La corrélation est significative au niveau 0,01.

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Exemple de lecture du tableau : il existe un lien modéré positif entre les problèmes de comportement extériorisés et intériorisé de l’enfant (r = .38). Ce résultat indique que plus les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant augmentent, plus ses problèmes intériorisés augmentent.

Effets modérateurs

Comme les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant corrèlent à la fois avec les pratiques parentales positives et négatives des mères et des pères, des analyses de régression multiple ont pu être réalisées pour vérifier les différentes interactions liées aux objectifs de recherche. Le Tableau 4 indique les résultats de l’analyse de l’interaction entre les pratiques positives du père, les pratiques négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Le modèle de régression testé est significatif et l’ensemble des prédicteurs permet d’expliquer 29 % de la variance des problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Comme attendu, les pratiques parentales positives du père et les pratiques parentales négatives de la mère sont associées négativement et positivement, respectivement, aux problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Ainsi, un niveau élevé des pratiques parentales positives du père est associé à un niveau faible de problèmes de comportement extériorisés de l’enfant alors qu’un niveau élevé des pratiques parentales négatives de la mère est associé à un niveau élevé de problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. L’interaction entre les pratiques parentales négatives de la mère et les pratiques parentales positives du père n’est pas significative. Ceci indique que les pratiques parentales positives du père n’influencent pas significativement le lien entre les pratiques parentales négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant.

Tableau 4 : Analyses de régression multiple entre les pratiques parentales positives du père, les pratiques parentales négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant

Tableau 4 : Analyses de régression multiple entre les pratiques parentales positives du père, les pratiques parentales négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant

B : coefficient non standardisé, ES : erreur standard, β : coefficient standardisé, t : Test t de Student, ΔR2 : proportion de variance expliquée.

PP : pratiques positives, PN : pratiques négatives.

* : La corrélation est significative au niveau 0,05.

** : La corrélation est significative au niveau 0,01.

*** : La corrélation est significative au niveau 0,000.

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Exemple de lecture du tableau : les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant sont corrélés négativement aux pratiques positives du père (t = -3,91). Ainsi, moins le père adopte de pratiques positives envers son enfant, plus ce dernier présente des problèmes de comportement extériorisés.

En ce qui concerne le deuxième modèle de régression testé, soit l’interaction entre les pratiques positives de la mère et les pratiques négatives du père sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant, celui-ci est également significatif (voir Tableau 5). Les variables de prédiction expliqueraient 28 % des problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Les pratiques parentales positives de la mère et les pratiques parentales négatives du père sont associées négativement et positivement, respectivement, aux problèmes de comportement extériorisés de l’enfant, comme attendu. Donc, plus les pratiques parentales positives de la mère sont élevées, moins l’enfant présente des problèmes de comportement extériorisés alors que plus les pratiques parentales négatives du père sont élevées, plus l’enfant présente des problèmes de comportement extériorisés. L’interaction entre ces deux variables s’est également révélée associée aux problèmes de comportement extériorisés. Ce résultat nous indique que l’interaction entre les pratiques parentales négatives du père et les pratiques parentales positives de la mère est reliée aux problèmes de comportement extériorisés de l’enfant.

Tableau 5 : Analyses de régression multiple entre les pratiques parentales positives de la mère, les pratiques parentales négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant

Tableau 5 : Analyses de régression multiple entre les pratiques parentales positives de la mère, les pratiques parentales négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant

B : coefficient non standardisé, ES : erreur standard, β : coefficient standardisé, t : test t de Student, ΔR2 : proportion de variance expliquée.

PP : pratiques positives, PN : pratiques négatives.

* : La corrélation est significative au niveau 0.05.

** : La corrélation est significative au niveau 0.01.

*** : La corrélation est significative au niveau 0.000.

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Exemple de lecture du tableau : les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant sont corrélés négativement aux pratiques positives de la mère (t = -2,11). Ainsi, moins la mère démontre de pratiques positives envers son enfant, plus ce dernier présente des problèmes de comportement extériorisés.

En présence d’une interaction significative, le lien entre la variable dépendante et la variable indépendante a été analysé séparément en fonction des niveaux de la variable modératrice, soit des hauts niveaux de pratiques positives de la mère (1 écart-type au-dessus de la moyenne) versus des bas niveaux de pratiques positives de la mère (1 écart-type sous la moyenne). Un graphique à pente simple a été conçu pour représenter le lien entre les problèmes de comportement extériorisés et les pratiques parentales négatives du père à partir des deux niveaux de la variable modératrice. La Figure 1 affiche les différentes pentes entre les pratiques négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant lorsque les pratiques positives de la mère sont à un niveau élevé (1 écart-type au-dessus de la moyenne ; = 0,83, p < 0,05) et à un niveau faible (1 écart-type sous la moyenne, b = 0,54, p < 0,05). Comme nous pouvons le constater, les deux pentes sont significatives et positives. Dans les deux cas, plus les pratiques parentales négatives du père augmentent, plus les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant augmentent. Toutefois, la trajectoire des deux pentes n’est pas identique selon le niveau des pratiques positives de la mère. Ainsi, lorsque les pratiques négatives du père sont faibles, les problèmes de comportement extériorisés sont plus bas en présence de pratiques positives élevées de la mère que de pratiques positives faibles. À l’autre extrémité, lorsque les pratiques négatives du père sont élevées, les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant sont élevés peu importe le niveau des pratiques positives de la mère.

Fig. 1

Figure 1 : Lignes de régression entre les pratiques parentales négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant

Figure 1 : Lignes de régression entre les pratiques parentales négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant

Covariables : problèmes de comportement intériorisés de l’enfant et revenu familial.

PP : pratiques positives, PN : pratiques négatives.

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Discussion

On observe de plus en plus de pères qui s’engagent activement dans l’éducation de leurs enfants, comme le démontre la littérature scientifique (Dubeau et al., 2009 ; Gouvernement du Québec, 2008). Malgré un nombre grandissant d’études portant sur les effets de l’engagement paternel, à ce jour peu d’études tentent de comprendre l’impact combiné plutôt qu’individuel des pratiques parentales des deux parents sur l’adaptation sociale des enfants. Or, selon Dubeau et ses collègues (2013), il apparaît essentiel de poursuivre la recherche sur les relations père-enfant en contexte de co-engagement parental. Dans cette lignée, la présente recherche avait pour but de vérifier l’effet modérateur des pratiques parentales positives d’un parent sur le lien entre les pratiques parentales négatives de l’autre parent et les problèmes de comportement extériorisés de leur enfant. La revue de la littérature a mis en évidence le petit nombre d’études qui se sont penchées sur les facteurs familiaux comme modérateurs, tels que les pratiques parentales positives, qui atténuent la relation entre les pratiques parentales négatives et les problèmes de comportement extériorisés. Parmi les études ayant examiné les modérateurs de cette relation, la majorité a porté sur des enfants d’âge scolaire et très peu se sont intéressées aux enfants lors de leur transition à la maternelle. À notre connaissance, ce sujet n’a pas été étudié de cette façon jusqu’à présent et cet article propose une approche innovante de la question. La visée est donc exploratoire : l’objectif de recherche est principalement basé sur des concepts théoriques et sur les liens simples existant entre les variables, puisqu’aucune étude à ce jour n’a porté sur les liens d’interaction entre les pratiques positives d’un parent, les pratiques négatives de l’autre parent et les problèmes de comportement extériorisés. Ainsi, la présente étude apporte de nouvelles connaissances quant au développement des problèmes de comportement extériorisés tout en palliant aux limites observées dans la littérature existante.

Le premier sous-objectif de cette recherche proposait de vérifier l’effet modérateur des pratiques parentales positives du père sur la relation entre les pratiques parentales négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Les résultats indiquent que les pratiques négatives de la mère, tout comme les pratiques positives du père, sont associées aux problèmes de comportement extériorisés de l’enfant dans le sens attendu. Ces résultats s’inscrivent dans la même lignée que les résultats des études antérieures, tant pour les pratiques parentales positives du père (Gryczkowski, 2010 ; Kawabata et al., 2011 ; Meteyer et Perry-Jenkins, 2009 ; Rinaldi et Howe, 2012 ; Torres et al., 2014) que pour les pratiques parentales négatives de la mère (Besnard et al., 2011 ; Eddy et al., 2001 ; Gryczkowski et al., 2010 ; Healy et al., 2015 ; Kawabata et al., 2011 ; Lansford et al., 2011 ; Lansford et al., 2012 ; MacKenzie et al., 2015 ; Meteyer et Perry-Jenkins, 2009 ; Neves Nunes et al., 2013 ; Rinaldi et Howe, 2012). Toutefois, la présence de pratiques positives du père ne permet pas de modérer les effets des pratiques négatives de la mère sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. En d’autres termes, ce résultat indique que le lien entre les pratiques négatives de la mère et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant ne varie pas en fonction du niveau de pratiques positives du père.

Le deuxième sous-objectif de l’étude proposait de vérifier l’inverse, soit l’effet modérateur des pratiques parentales positives de la mère sur la relation entre les pratiques parentales négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Les résultats des analyses démontrent encore une fois l’existence de liens simples significatifs entre, d’une part, les problèmes de comportement extériorisés, et, d’autre part, les pratiques parentales positives de la mère et les pratiques parentales négatives du père. Ces liens simples sont toujours dans le sens attendu et congruents avec les résultats des études antérieures pour les pratiques parentales positives de la mère (Gryczkowski et al., 2010 ; Healy et al., 2015 ; Kawabata et al., 2011 ; Meteyer et al., 2009 ; Rinaldi et Howe, 2012) et les pratiques parentales négatives du père (Eddy et al., 2001 ; Kawabata et al., 2011 ; Meteyer et Perry-Jenkins, 2009 ; Rinaldi et Howe, 2012). Les résultats démontrent cette fois-ci un effet d’interaction significatif entre ces deux variables. De manière plus spécifique, les résultats de cette interaction indiquent que les pratiques parentales positives de la mère modèrent l’impact des pratiques parentales négatives du père sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. En effet, un haut niveau de pratiques positives de la mère influence à la baisse l’effet des pratiques parentales négatives du père quand ces dernières sont de faible intensité. À mesure que les conduites parentales négatives du père augmentent, l’effet des pratiques positives de la mère s’estompe. Les pratiques positives maternelles atténuent donc les effets des pratiques négatives du père, mais seulement jusqu’à un certain point.

Ayant un objectif de recherche similaire, Clincy (2013) a vérifié l’effet modérateur de la sensibilité et de l’hostilité maternelle sur la relation entre la punition corporelle, rapportée par la mère, et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant à la maternelle. Les résultats de cette recherche montrent que dans un contexte de sensibilité maternelle élevée, la punition corporelle rapportée par la mère est associée à moins de problèmes de comportement extériorisés de la part de l’enfant. Dans le cas contraire, dans un contexte de faible sensibilité maternelle ou un niveau élevé d’hostilité maternelle, la punition corporelle est reliée à un niveau élevé de problèmes de comportement extériorisés. Malgré le fait que cette étude concerne des dimensions spécifiques des pratiques parentales de la mère, ces résultats convergent avec ceux de la présente étude. En effet, alors que l’étude de Clincy (2013) démontre que la sensibilité de la mère peut agir comme modérateur sur sa propre utilisation de punition corporelle, les résultats de la présente étude rapportent que les pratiques positives de la mère peuvent également être un modérateur des pratiques parentales négatives de son conjoint, jusqu’à un certain point.

Les résultats de ce deuxième modèle d’interaction expriment l’importance de s’attarder à l’effet combiné des deux parents, tel qu’exprimé par le concept de co-engagement (Dubeau et al., 2009). En effet, il a été possible de démontrer le lien simple entre les pratiques négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés. Toutefois, lorsqu’on prend en compte les pratiques positives de la mère en interaction avec les pratiques négatives du père, il est possible de distinguer différents niveaux de problèmes de comportement extériorisés chez l’enfant. Ces résultats traduisent, du moins en partie, l’influence mutuelle des pratiques parentales des deux parents sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant (Dubeau et al., 2009). En effet, les pratiques positives de la mère semblent combler les lacunes des pratiques négatives du père, lorsqu’elles sont faibles, sur le développement de l’enfant.

D’un autre côté, ces résultats amènent aussi des nuances au concept de co-engagement proposé par Dubeau et al. (2009) : il y aurait des limites quant à l’effet modérateur qu’un parent peut exercer sur l’autre en ce qui a trait aux pratiques parentales. Comme c’est le cas dans cette recherche, les pratiques parentales positives de la mère n’agissent pas comme un facteur de modération si le père présente des pratiques hostiles élevées envers son enfant. L’effet de modération de la mère s’appliquerait donc seulement dans un contexte familial où le père est peu hostile envers son enfant. À partir des résultats présentés, il serait indiqué d’encourager les mères à maintenir leurs pratiques positives, car ces dernières semblent agir comme facteur de protection auprès de l’enfant en présence d’un père ayant des pratiques parentales plus négatives. Dans le même ordre d’idées, les résultats suggèrent aussi que les pratiques parentales positives de la mère peuvent se convertir en point de levier dans l’intervention pour diminuer les problèmes de comportement de l’enfant.

Par ailleurs, les résultats indiquent un effet modérateur des pratiques parentales positives de la mère sur les pratiques parentales négatives du père, mais pas l’inverse, ce qui ne reflète pas totalement le concept de Dubeau et al. (2009). Ce résultat pourrait se justifier par l’impact plus important de la mère sur l’enfant. En effet, malgré les changements sociaux observés, les mères sont, de nos jours, encore plus engagées dans les soins de base de l’enfant en jeune âge que les pères (Hella, 2011 ; ministère de la Famille et des Aînés, 2015). Cet investissement accru auprès des enfants pourrait expliquer pourquoi, comme le proposent Aunola et Nurmi (2005), les pratiques parentales maternelles prédisent mieux que les pratiques parentales paternelles les comportements de l’enfant. À partir des résultats de cette étude, il est possible d’affirmer que les pratiques parentales de la mère peuvent réduire les problèmes de comportement extériorisés chez son enfant, que ce soit de manière directe ou indirecte.

Il est également possible que les pratiques parentales ciblées dans la présente recherche ne permettent pas de mettre en évidence l’effet modérateur que le père peut avoir sur la mère. Certains chercheurs avancent que les pères emploient des comportements parentaux différents des mères, utilisant notamment davantage les jeux physiques auprès de leurs enfants (Lewis et Lamb, 2003 ; Paquette, 2008). Il semblerait que le recours aux jeux physiques dans la relation père-enfant permettrait à l’enfant de développer des moyens pour faire face aux imprévus et à la nouveauté, et ainsi l’initier à la prise de risque, aux initiatives, à l’exploration de même qu’à la résolution de problèmes (Paquette, 2008). Il serait donc pertinent d’examiner d’autres pratiques parentales des deux parents, notamment en contexte de jeu, considérant qu’elles semblent liées à l’adaptation sociale de l’enfant. Ainsi, il serait possible de mieux cibler des pratiques parentales du père qui contribuent à l’adaptation sociale de l’enfant et qui pourraient aussi modérer la relation négative mère-enfant.

Les résultats de la présente recherche soulignent l’importance d’impliquer le père, qui peut parfois être négligé, dans les démarches d’intervention, et de sensibiliser à l’importance de son implication auprès de ses enfants. Pour ce faire, il importe de l’inclure dans l’évaluation et dans l’intervention auprès des enfants présentant des problèmes de comportement extériorisés. Cette sensibilisation favorisera non seulement une meilleure participation des deux parents à l’éducation de leur enfant, mais également une meilleure analyse de la dynamique familiale, prenant en considération l’impact combiné des pratiques parentales des deux parents.

Somme toute, l’ensemble des résultats de l’étude rappelle l’importance de s’attarder aux pratiques parentales négatives, autant pour les mères que pour les pères. En effet, il existe un lien simple entre les pratiques négatives des deux parents et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. L’influence qu’exercent les pratiques négatives sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant est notable, considérant l’absence d’effet modérateur des pratiques positives du père et un effet modérateur partiel des pratiques positives de la mère uniquement dans un contexte de faibles pratiques négatives du père. Dans le domaine de l’intervention, ces résultats renforcent la pertinence de continuer à évaluer et à intervenir sur les conduites négatives des deux parents. Au-delà de ces résultats, l’étude révèle aussi que l’étude de l’interaction entre les pratiques parentales des mères et des pères s’avère nécessaire pour mieux documenter le niveau des problèmes de comportement extériorisés de l’enfant, puisque les résultats diffèrent lorsque l’on combine leurs pratiques parentales. Le rôle de modération des pratiques parentales positives de la mère sur les pratiques parentales négatives du père en est un exemple.

Forces et limites de l’étude et conclusion

L’étude présente des forces indiscutables, notamment sur la méthodologie. L’échantillon comprend un nombre considérable de participants (n = 1252 parents), considérant qu’il peut être difficile de recruter et recueillir de l’information auprès des deux parents. Cette recherche présente tout de même des limites, dont il est important de tenir compte dans l’interprétation et les retombées des résultats. En premier lieu, le sous-échantillon de l’étude était constitué de familles dont le revenu familial était plus élevé et dont les deux parents étaient plus scolarisés que l’échantillon initial. Il serait donc important d’être prudent quant à la généralisation des résultats auprès des populations dont le revenu familial ou le niveau de scolarisation sont plus faibles. De plus, comme nous n’avons sélectionné que les familles où les deux parents ont accepté volontairement de participer, on peut penser que cet échantillon regroupe des pères plus engagés auprès de leur enfant que la moyenne des pères. Les résultats s’appliquent donc à des familles présentant moins de facteurs de vulnérabilité que la population en général. Dans les études futures, il serait intéressant de vérifier si les résultats de la présente étude se maintiennent auprès des familles plus vulnérables, facteur habituellement associé à des niveaux d’hostilité plus élevée chez le parent (Church II et al., 2012).

Une autre limite de l’étude est que les pratiques parentales et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant sont rapportés par le parent et donc par le répondant lui-même. Les scores obtenus sur ces variables sont donc sujets à la vision et au vécu du parent, ce qui pourrait apporter des biais quant au niveau réel de chaque comportement. De plus, le devis de l’étude est transversal, ce qui ne permet pas de prédire l’effet modérateur des pratiques parentales positives dans le temps, et donc sur la trajectoire développementale de l’enfant. En effet, certaines études indiquent que l’effet des pratiques éducatives du père augmente à mesure que l’enfant vieillit (Lamb, 2010). Il serait intéressant dans les études futures de vérifier si les effets modérateurs observés lors de la transition à l’école se maintiennent auprès d’enfants plus âgés.

Pour conclure, la présente recherche fait avancer les connaissances dans le domaine de l’adaptation sociale de l’enfant, car aucune étude ne s’était penchée sur les pratiques parentales positives comme facteur de modération dans la relation entre les pratiques parentales négatives et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant. Cette étude a permis de mettre en évidence les pratiques parentales positives de la mère comme facteur de modération au sein de la relation entre les pratiques négatives du père et les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant, uniquement lorsque les pratiques négatives du père sont faibles. Les résultats de cette recherche ouvrent donc plusieurs opportunités pour étudier l’effet modérateur des pratiques parentales, en considérant l’impact combiné des pères et des mères auprès de leur enfant. Il serait pertinent d’étudier le sujet avec un devis longitudinal, ou encore à d’autres périodes développementales qu’à l’entrée à la maternelle, afin de mieux comprendre l’impact combiné des pratiques parentales des deux parents sur les problèmes de comportement extériorisés de l’enfant dans une perspective développementale. Néanmoins, ces résultats amènent des perspectives intéressantes dans l’intervention auprès des parents ayant un enfant présentant des problèmes de comportement extériorisés, et pourraient être utiles dans le cadre de certains programmes axés sur les capacités parentales des mères et des pères.