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La vie associative autour d’enjeux familiaux s’est développée au Québec dans la foulée de la crise des années 1930, qui suscita au sein de l’Église catholique des mouvements de jeunesse créés pour répondre à la pauvreté. Comme en Belgique où fut fondée la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), ces mouvements d’action catholique spécialisée JOC, JEC, JIC ont par la suite poursuivi une action sociale répondant aux besoins des jeunes familles en créant d’autres associations. Née de la Jeunesse ouvrière catholique, JOC, en 1938, la Ligue ouvrière catholique (LOC) s’intéresse aux questions de logement et de consommation; elle fonde en 1945 le Service d’orientation des foyers (SOF) qui s’adresse aux couples (Clément, 1972 ; Collin, 1996). Vers la même époque, des cours destinés aux parents émanent de médecins, éducateurs, prêtres, qui se croisent et parfois s’affrontent sur le terrain de l’action familiale. La LOC et le SOF revendiquent des allocations familiales et parlent dès cette époque de mouvement familial, mais il faut attendre les années 1960 pour voir émerger un mouvement revendiquant une politique familiale (Malouin, 1998 ; Lemieux et Comeau, 2002).

Au Canada et au Québec, dans le contexte de la croissance économique du début des années 1960, de la transformation des institutions et de la remise en question des valeurs, des experts des nouvelles professions sociales, des juristes et des leaders de l’État et des Églises se questionnent sur les changements concernant la famille. Tandis que de nouvelles politiques sociales sont envisagées par l’État pour universaliser l’accès aux soins de santé et à l’éducation et pour faire de la protection des chômeurs, des assistés sociaux et des mineurs l’objet de politiques publiques, plusieurs instances cherchent à réunir en un mouvement, selon le modèle de la France et de la Belgique, les divers groupes québécois déjà actifs auprès de la famille et de l’enfance. Parmi eux se trouvent divers groupes créés autour de besoins familiaux : Fédération des unions de familles (FUF, 1958), associations de couples traitant de contraception (Seréna, 1955), de spiritualité (Foyers Notre-Dame, 1954), groupes de femmes orientés vers l’éducation et l’action sociale (AFÉAS, 1966) et plusieurs autres. Une coalition partielle de ces groupes s’amorce vers la fin de la décennie avec le soutien de travailleurs sociaux et du Conseil supérieur de la famille (1964-1970) créé au sein du ministère de la Famille et du Bien-être social. Le regroupement Organismes familiaux associés du Québec (OFAQ, 1971) créé à la suite de rencontres thématiques avec animation sociale réalisées par Denise Laporte-Dubuc de la FUF avec la participation financière du Conseil du bien-être du Québec, n’obtient pas l’adhésion de toutes les fédérations ; certaines, dont la FUF, préfèrent garder leur autonomie. Au début des années 1970, de nouvelles associations créées autour de la monoparentalité se regroupent dans le Carrefour des associations de familles monoparentales du Québec (1974) qui deviendra en 1995 la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ). Par ailleurs, les associations féministes se multiplient à la fin des années 1960 et l’AFÉAS, d’abord rattachée au mouvement familial, se joint au mouvement des femmes où elle poursuit des actions autour des dossiers femmes et familles.

À partir d’une documentation issue des principaux acteurs et des divers groupes d’intérêt ayant participé à l’une ou l’autre des actions pour promouvoir la mise en place d’une politique familiale, nous avons reconstitué dans un ouvrage les étapes de la construction de ce mouvement sur trois décennies, de 1960 à 1990 (Lemieux et Comeau, 2002). Dans une phase émergente, les associations ont des priorités diverses surtout axées sur la mise en place de services ou concernant l’éducation. L’objectif de représenter les parents auprès des pouvoirs publics se trouve dès 1958 dans le document de fondation de la FUF, mais ses priorités sont alors l’éducation familiale et la participation des parents aux questions scolaires. C’est dans le rapport Boucher (1963) et surtout dans les écrits du sociologue Philippe Garigue, président du Conseil supérieur de la famille de 1964 à 1970, que l’on trouve une définition de la politique familiale à laquelle vont adhérer peu à peu la plupart des organismes. Dans les textes de Garigue (1965 ; 1970) qui seront diffusés dans le mouvement associatif, on affirme la distinction entre politique sociale et politique familial ainsi que le principe de la responsabilité partagée entre les parents et l’État concernant la prise en charge des enfants. Qualité de la vie, logements adéquats, soutiens à la mère et à l’enfant, crèches pour les mères qui veulent travailler, formation pour faciliter leur retour au travail, allocations pour les mères au foyer, emplois tenant compte des tâches familiales, ressources pour le développement des associations familiales et mécanismes de représentation des parents et de leurs associations auprès des pouvoirs publics, tels sont les thèmes qu’il évoque dès 1965 et qu’il développe dans son rapport de 1970 sur la politique familiale. Après trois décennies d’action des groupes et de consultations répétées auprès d’eux, l’État crée des instances politiques et amorce en 1989, avec ses partenaires de la société civile, une planification de politique familiale dont les versions successives ont fait l’objet de recherches approfondies (Dandurand, 1987 ; Saint-Pierre et Dandurand, 2000 ; Dandurand et Kempeneers, 2002 ; Dufour, 2002 ; St-Amour, 2011). Notre étude se limite aux années 1960-1990 et à la mobilisation de certains acteurs autour de la politique familiale.

La richesse des travaux publiés récemment sur les mouvements sociaux, leur action et leur devenir, en lien avec la montée et le déclin de l’État-providence, nous incite à présenter dans cet article les grandes lignes de notre étude sur un mouvement peu étudié concernant la revendication d’une politique familiale. Il partage avec les autres mouvements sociaux du Québec des origines en partie religieuse, des contextes de formation inscrits dans un processus de sécularisation et des modalités de concertation qui fluctuent avec les transformations de l’État.

Un mouvement sociopolitique issu de l’action catholique

Dans un article précédent (Lemieux, 2005a), nous avons mis l’accent sur l’intervention de l’État dès les premiers pas de ce mouvement, il n’en est cependant pas l’initiateur. Des liens préalables existaient entre les associations ayant participé au mouvement pour une politique familiale et les mouvements d’action catholique spécialisée dont elles sont issues, des liens incluant les instances internationales des mouvements familiaux. En outre, des études récentes documentent les fonctions d’adaptation à la modernité de la JOC québécoise bien avant les années 1960, ainsi que les méthodes innovatrices d’action sociale qu’elle préconisait. Ces caractéristiques viennent éclairer la composante réformiste des associations de services aux familles qui s’engagent dans l’action politique au cours des années 1960 aux côtés d’autres acteurs.

Les dirigeantes de sections féminines de l’action catholique ont tôt contribué à la remise en question des idées traditionnelles sur le travail féminin. (Bienvenue, 2003 ; Piché, 2003). Après la Seconde Guerre mondiale, des associations familiales participent à la mise en place d’une conception moderne de la famille fondée sur le couple (Duhaime, 2004). À la fin des années 1950, les heurts récurrents des dirigeants laïcs de ces associations avec la hiérarchie de l’Église conduisent à une véritable crise au sein des mouvements de jeunes (Clément, 1972). Les idées exprimées dans les mouvements d’action catholique pendant les années 1950 et 1960, sous l’influence de la philosophie personnaliste et des sciences sociales montrent, selon le titre de l’ouvrage de Michaël Gauvreau (2005), « les origines catholiques de la Révolution tranquille ». Pour comprendre l’émergence du mouvement pour une politique familiale au début des années 1960, il faut, au-delà des associations familiales pionnières étudiées par Marie-Paule Malouin (1998), examiner la diversité des groupes et acteurs sociaux qui y sont intervenus, ainsi que les changements politiques et organisationnels qui l’ont rendu possible et à certains égards en ont assuré le développement.

Un mouvement familial forgé dans le creuset de la Révolution tranquille

Mettant d’abord l’accent sur la continuité avec les organismes familiaux issus de l’action catholique, nous voulons montrer dans le présent article comment le mouvement pour une politique familiale s’est construit dans le creuset des principales innovations de la Révolution tranquille[1] au cours des années 1960. Nous analyserons ensuite comment il a, dans les années 1970, participé aux changements concernant les familles dans la société civile et la sphère politique, des changements qui renvoient par ailleurs à de nombreux facteurs socioéconomiques et culturels, tout en répondant également à la plate-forme d’autres mouvements, dont les groupes de femmes et à l’action d’autres organismes, notamment les conseils consultatifs ministériels du champ famille. C’est de ce réseau de groupes associatifs en tension, en conflit ou en concertation selon les enjeux et les périodes, qu’émerge peu à peu une revendication politique plus vaste. Si l’histoire complexe de ce mouvement pour une politique familiale s’inscrit en partie dans la trame de l’histoire politique du Québec et dans celle des mouvements nés de l’action catholique, elle renvoie d’abord à l’histoire de chacun des groupes et individus d’allégeances idéologiques très diverses qui se sont mobilisés autour des intérêts familiaux. Entre plusieurs autres, retenons la Fédération des unions de familles (FUF, 1958) qui formula le projet de revendiquer une politique familiale dès sa création, la Confédération des organismes familiaux du Québec (OFAQ/COFAQ, 1971), la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ, 1974) et le Regroupement inter-organismes pour une politique familiale au Québec (RIOPFQ, 1983) issu d’une coalition de ces groupes élargie à d’autres acteurs. Cela inclut également la Fédération des services sociaux à la famille du Québec (FSSFQ, 1964), ainsi que les conseils consultatifs successifs des ministères ayant la famille pour objet : le Conseil supérieur de la famille (CSF), le Conseil des affaires sociales et de la famille (CASF) et le Conseil de la famille (CF), des acteurs importants de l’instauration d’une dynamique de gouvernance partagée dans le champ familial au cours des décennies étudiées.

1. Une recherche sollicitée par des acteurs

C’est dans un partenariat de recherche[2] dont plusieurs représentants des groupes familiaux étaient ou sont devenus des partenaires (directeurs et directrices des grandes fédérations d’associations, membres du Conseil de la famille et du Secrétariat à la famille) que cette recherche a pris naissance. Ce cadre, qui a facilité l’ouverture de leurs archives, a pu teinter de subjectivité nos analyses, malgré les mises à distance requises par la démarche scientifique, les recours aux théories et méthodologies. Les recherches sur les mouvements familiaux en France transmises par le sociologue Bruno Duriez ont contribué à orienter notre recherche. Les études réalisées au partenariat par Renée B.-Dandurand sur les politiques familiales nous ont aussi apporté d’autres éclairages, tout en nous permettant de circonscrire notre objet sans nous aventurer dans le détail des politiques et mesures préparées ou mises en oeuvres au fil des ans (pour une vue d’ensemble de ces politiques, voir : Saint-Pierre et Dandurand, 2000 ; Baillargeon, 1996). Enfin, des rencontres avec l’historienne Marie-Paule Malouin qui traitait du mouvement familial pour la période antérieure aux années 1960 (Malouin, 1998), ont permis des échanges fructueux et des discussions toujours stimulantes.

1.1 Une problématique axée sur les groupes d’intérêts et les valeurs

La problématique de notre recherche, en partie inspirée des travaux de Bussat et Chauvière (1997) et de ceux du Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux (GRMF, 1982) pour la France, a mis l’accent sur les groupes d’intérêts mobilisés autour d’une action collective, ainsi que sur les valeurs qui orientent leur action. À cet égard, les notions classiques de mouvements sociaux, action collective de revendication ou action concertée en faveur d’une cause (Neveu, 2000), notions réservées par certains auteurs aux grands mouvements contestataires du système social comme le mouvement ouvrier et le mouvement féministe mais qui englobent également des mouvements de résistance au changement, ne semblaient pas s’appliquer à première vue à un mouvement qui avait peu de visibilité, du moins dans l’historiographie des mouvements sociaux, mais qui, comme nous allions le découvrir, avait suscité maintes études dans l’appareil gouvernemental. Cependant, l’accent mis sur la création de services aux familles et sur la participation des parents aux enjeux collectifs qui les concernent rapproche les groupes étudiés des autres groupes communautaires évoqués dans des études où les groupes oeuvrant auprès des familles étaient peu présents (Favreau, 1989 ; Fortin, 1991). Ils ressemblent également par leurs activités et production de services à ces mouvements rassemblés autour du quotidien définis comme de nouveaux mouvements sociaux (Melucci, 1978). Si la notion de mouvement social permet d’explorer l’adoption d’une identité et idéologie communes et éclaire le travail qui sera effectué dans ces groupes sur les normes et les lois concernant la famille (Lemieux, 2005b), la notion de groupe d’intérêt relève davantage de l’étude des stratégies politiques (Hudon et Poirier, 2011). Elle devait s’avérer pertinente pour comprendre la mise en place du mouvement et le rôle joué par des acteurs non associatifs dans son devenir.

Les travaux du GRMF en France adoptent une approche historique et monographique pour identifier les actions et l’idéologie des divers mouvements familiaux depuis le début du siècle. En France, ces associations d’allégeances idéologiques variées se sont constituées autour d’enjeux, d’actions ou services précis, jusqu’à la mise en place par l’État, dès la Seconde Guerre mondiale, d’un cadre institutionnel commun de fonctionnement. Malgré la parenté de certains mouvements associatifs français constitutifs du mouvement familial avec ceux du Québec, la différence des contextes historiques d’émergence et de construction d’un mouvement ayant des visées politiques rend toute comparaison trop appuyée inadéquate. Cependant, dans une synthèse des recherches sur les mouvements familiaux européens, Jean-Philippe Vallat (2008) décèle un lien entre les mouvements familiaux présents dans les seuls pays catholiques et l’existence de politiques familiales ; il met aussi en relief la nécessité d’interventions politiques concernant les familles pour voir se développer un mouvement pour une politique familiale.

Comme on le verra, ces deux conditions préalables ─ la présence d’un mouvement familial issu de l’action catholique et l’intervention politique de l’État ─ s’appliquent bien au contexte d’émergence du mouvement familial québécois. Deux autres caractéristiques lui sont particulières. En premier lieu, le cadre politique canadien et les négociations fédérales-provinciales au sein desquelles se mettent en place les politiques de l’État-providence remettent en question, au Québec, le contrôle de l’Église sur les organismes privés d’assistance et sur l’éducation. Dans ce contexte de changements politiques et organisationnels, les mouvements associatifs familiaux, intervenant sur une base de bénévolat et auparavant liés à l’Église dont certains prennent distance au milieu des années 1960, revendiquent une participation aux nouveaux systèmes publics d’assistance mis en place par l’État et la création d’une politique familiale. En second lieu, la diversification des types de famille et la montée rapide d’un mouvement des femmes au cours des années 1970 se répercutent au sein du mouvement, en particulier par l’intermédiaire de nouvelles associations qui se créent autour de la monoparentalité. En outre, une association impliquée dans le mouvement familial dès ses débuts, l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS) va rejoindre le mouvement féministe. Comme dans les pays anglo-saxons étudiés par Bussat et Chauvière (1997), où les mesures d’aide à la famille répondent surtout aux pressions du mouvement féministe, les mesures et législations mises en place au cours des années 1970 et 1980 par l’État québécois et l’État canadien répondent en partie, et parfois davantage, aux demandes du mouvement féministe qui bénéficie d’une large audience qu’à un mouvement familial moins médiatisé et doté de moins de ressources. Cette conjoncture suscite une compétition entre mouvements familiaux et féministes, mais elle offre aussi des possibilités d’alliance autour d’actions conjointes et d’enjeux politiques partagés qui seront favorables à l’adoption, par l’État québécois, du principe d’une politique familiale dans les années 1980.

1.2 Une analyse de documentation et des portraits historiques d’organismes

La documentation principale de l’étude réalisée provient des écrits d’une partie des fédérations d’associations familiales reliées à ce mouvement ; elle est complétée par quelques entrevues auprès de leaders qui ont dirigé des fédérations ou participé au mouvement sur plusieurs décennies[3]. L’analyse de la documentation a donné lieu à des portraits historiques de chacune des fédérations étudiées, qui ont été validés par les fédérations. L’histoire du mouvement en partie tirée de cette documentation s’est vite élargie aux contextes de sa mise en place et à ses liens à d’autres institutions et à d’autres groupes ainsi qu’aux rapports et études s’y rapportant. La sélection des groupes étudiés fut difficile et l’étude est inévitablement incomplète, mais elle permet une première esquisse de l’histoire d’un mouvement que d’autres travaux pourront approfondir.

Une étude préliminaire avait été réalisée sous les auspices du Conseil de développement de la recherche sur la famille du Québec (CDRFQ) par Stéphane Boisvert, alors étudiant à l’Université du Québec à Trois-Rivières sous la direction de Gilles Barbeau, pour identifier les associations ayant participé au mouvement étudié. Nous en avons choisi un certain nombre (16, pour être précis) de façon à représenter divers types de groupes, créés à diverses époques et impliqués à des degrés variés dans le mouvement pour une politique familiale. Au fil de la recherche, nous avons ajouté d’autres groupes qui nous paraissaient actifs dans le mouvement, comme des regroupements religieux (l’Office de la famille ou la Table provinciale de pastorale familiale) ou des groupes féministes impliqués dans la lutte contre la violence familiale, un enjeu important des années 1980. Sans englober toutes les fédérations d’associations impliquées, notre analyse a donné lieu à des portraits historiques de 16 fédérations d’associations signés par Michelle Comeau, auquel s’est ajouté un portrait signé par Josée Desbiens sur le Mouvement couple et famille[4].

La plupart des groupes sont spécialisés dans la production de services pour les couples, les parents, les enfants, les femmes, mais quelques uns (FUF, COFAQ, FAFMRQ, RIOPFQ) sont davantage orientés vers des revendications politiques ou en sont issus. Bien que divers documents recueillis auprès des fédérations se rapportent à la politique familiale, des textes produits sur le mouvement familial, dans le mouvement lui-même ou dans les conseils consultatifs gouvernementaux sont des sources d’une grande richesse.

Outre la documentation des fédérations étudiées, nous avons tenu compte des monographies déjà publiées sur l’AFÉAS (Lamoureux et al., 1993) et sur le Mouvement couple et famille (Desbiens, 1998), qui ont joué un rôle majeur dans ce mouvement. S’y ajoutent des travaux récents sur Seréna (Gervais, 2005), bien que les enjeux autour de la planification des naissances impliquent d’autres mouvements qu’il faudrait intégrer à cette analyse (Gauvreau et al., 2007). La participation des parents à l’école fut un des enjeux prioritaires de la FUF dans les années 1960 ; elle l’abandonne quand une loi entérine la place des comités de parents, mais les enjeux éducatifs, les services de garde, la loi de protection de la jeunesse et les droits de l’enfant demeurent des objectifs d’intérêt et de concertation au sein de la FUF. Nous n’avons pas poursuivi l’étude des associations familiales du secteur scolaire, à l’exception de l’Association des services de garde en milieu scolaire du Québec (ASGEMSQ) et de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) qui aborde, entre autres, les enjeux d’intégration à l’école des enfants handicapés. Il faudrait aussi explorer les liens avec le mouvement familial de l’Association des parents catholiques du Québec (APCQ) active au plan politique à Montréal où elle défend la confessionnalité en milieu scolaire (Gagnon, 1996). Dans une étude sociologique, Pierre Hamel et Bernard Jouve (2006) analysent la participation des parents dans les comités d’école et la participation des usagers dans les centres locaux de services communautaires (CLSC)[5], comme deux variantes d’un modèle québécois de gouvernance dont ils retracent l’histoire et la transformation sous la pression des mouvements sociaux. Comme on le verra, l’histoire du mouvement pour une politique familiale surgit aussi dans le contexte de la mise en place de l’État-providence et des repositionnements des groupes impliqués dans l’action familiale. Il s’agit d’une autre variante de ce modèle de gouvernance.

2. La modernisation de l’État dans les années 1960 redessine les frontières des groupes impliqués dans l’action sociale

Depuis la loi sur l’assistance publique en 1921, l’Église catholique gère la plupart des institutions de santé et de services sociaux en milieu francophone avec ses propres ressources complétées de subsides gouvernementaux qui vont croître avec l’expansion des besoins. Dès les années 1930, pour faire face à la pauvreté, l’épiscopat montréalais introduit la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) et amorce une planification des services adoptant des pratiques de gestion bureaucratique assez semblables à ce qui existe ailleurs en Amérique du Nord. Dans les années 1940, l’Église s’engage dans la professionnalisation du travail social en fondant des écoles de niveau universitaire où seront formés les intervenants. Selon Amélie Bourbeau (2009), la laïcisation et la professionnalisation de l’assistance, bien que tardives par comparaison avec le milieu anglophone montréalais, sont bien présentes à Montréal dans les années 1950, au sein d’un régime qui combine des services sociaux privés, regroupés au niveau municipal, régional ou paroissial et complétés par diverses formes de bénévolat. Yves Vaillancourt (1988 : ch. 5) évoque les lacunes de ce système d’assistance privé, son sous-financement chronique et son manque de coordination ; au début des années 1960, ses agents restent réfractaires à la pénétration de l’État dans ce champ

L’État fédéral canadien occupe déjà le terrain depuis les années 1930 avec les pensions de vieillesse et depuis les années 1940 avec la législation sur les allocations familiales. Ces mesures opèrent une transformation des mentalités et préparent l’acceptation d’autres mesures étatiques (Marshall, 1998). En 1957, après diverses commissions d’enquête, le fédéral crée un régime public d’assurances sociales et incite les provinces à en partager les coûts (Hamel et Jouve, 2006 ; Mayer, 1994). Acceptant ces programmes à frais partagés qui enclenchent des négociations entre l’administration fédérale et les administrations provinciales, Québec cherche à développer ses propres programmes publics (Vaillancourt, 1991).

La transition vers un régime public opère une profonde transformation dans les milieux privés de l’assistance, tant francophones qu’anglophones, qu’il s’agisse des organismes de financement et de planification, des agences privées de travail social ou des oeuvres bénévoles. En étudiant le devenir d’un organisme de planification diocésaine des organismes catholiques, le Caritas-Trois-Rivières, Lucia Feretti (2004) analyse la transition telle qu’elle se vit à l’échelle d’un diocèse. Si à Montréal, le Conseil des oeuvres, organisme de planification des organismes catholiques, soutient l’animation sociale dans les quartiers ouvriers, à l’extérieur des grandes villes les agences privées de service social tentent de se spécialiser dans l’intervention auprès des familles (Feretti, 2000). Au début des années 1960, l’Église commence par ailleurs à abandonner aux laïcs la direction du secteur social ; elle semble surtout ébranlée par la sécularisation du secteur scolaire et la remise en question de la confessionnalité de l’enseignement. En éducation, la résistance au changement donne lieu à des négociations directes de l’épiscopat avec les gouvernants pour faire modifier la loi en préparation et assurer les assises de l’enseignement religieux à l’école.

Comme le montre Michaël Gauvreau (2005), qu’il s’agisse de l’éducation ou de l’assistance publique, certains politiques libéraux de la première étape de la Révolution tranquille énoncent eux-mêmes des positions familialistes assez proches de celles de l’Église. Le gouvernement Lesage recourt à des commissions d’enquête pour consulter la population. Paru en 1963, le rapport du comité d’étude sur l’assistance publique (rapport Boucher) prône l’élaboration d’une politique familiale et la création d’un Conseil supérieur de la famille, tandis que le rapport Parent sur l’éducation (1964) préconise la participation des parents au secteur scolaire.

Les relations entre les organismes familiaux, l’Église et l’État s’inscrivent donc dans la montée de l’État-providence qui transforme le rapport de l’État à la société civile. Dans la foulée de réformes centralisatrices d’inspiration keynésienne, semblables à celles qui se font ailleurs au Canada, on assiste à la mise en place d’une variante parfois qualifiée de modèle québécois, qui semble avoir permis la participation des groupes de citoyens, en partie sous la pression d’organismes communautaires et de comités de citoyens (Laforest et Phillips 2001 ; Hamel et Jouve, 2006 ; Jetté, 2008). La formation du mouvement pour une politique familiale en est un exemple particulier, qui bénéficie à ses débuts de l’appui de plusieurs groupes d’intérêt.

3. Les groupes d’intérêt prônant la politique familiale : des associations familiales, des travailleurs sociaux et des experts sur la famille

Outre l’État et l’Église qui s’y intéressent, deux groupes rattachés aux institutions catholiques en voie de transformation s’identifient directement au mouvement pour une politique familiale : les associations familiales et les travailleurs sociaux des agences privées. Ils vont en assurer la continuité et contribuer à la réalisation de certains de ses objectifs. On ne saurait expliquer cette continuité sans évoquer les valeurs, idées et débats qui les rassemblent et les lieux d’échanges (colloques, études, et projets de loi) qui se créent autour des questions familiales.

3.1 Des associations familiales redéfinissent leur mission

La Fédération des unions de familles (FUF) issue de l’action catholique et des écoles de parents est le premier organisme à en formuler la demande. Selon le document de fondation (1958), créer un mouvement pour une politique familiale est son principal objectif. La brochure rédigée par le secrétaire de l’Action catholique, Réal Charbonneau, évoque le syndicalisme et les mouvements familiaux européens comme des modèles à suivre pour réaliser une représentation politique des intérêts des parents. Au cours des années 1960, les unions de famille revendiquent surtout la mise en place de comités de parents dans les écoles. Dans cette étape de formation, divers organismes engagés dans la production de services aux couples vont aussi participer au mouvement familial ; ils sont également issus des mouvements d’action catholique. C’est le cas du Service de préparation au mariage fondé dans le cadre de la JOC (Caron et al., 1985 ; Comeau, 1998). Le SPM va donner lieu en 1955 à un autre mouvement destiné aux couples mariés : Foyers Notre-Dame, qui prendra plus tard le nom de Mouvement couple et famille et qui sera impliqué dans les actions en faveur de la politique familiale (Desbiens, 1998). De même, deux militants du Service d’orientation des foyers, fondent Seréna en 1955, un organisme qui recherche des solutions scientifiques et dites naturelles à la contraception. À divers moments, des militants de Seréna, participent au mouvement pour une politique familiale (Gervais, 2005 ; Gauvreau et al, 2007). Enfin, l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS) naît en 1966 sous l’influence de l’épiscopat, qui favorise la fusion de deux associations féminines implantées en milieu rural ou dans des petites villes. Dotée d’un large membership, l’AFÉAS poursuit une mission d’éducation et d’action sociale inspirée des méthodes de la JOC. Cette association s’émancipe rapidement de la tutelle de l’Église et rejoint le mouvement féministe en 1972. Au cours des années 1960, elle s’intéresse à la mise en place de comités de parents visant la participation à divers échelons du système scolaire et elle est présente aux réunions préparant la création d’un mouvement pour une politique familiale. Les dossiers qu’elle aborde par la suite, recoupent la problématique des mères au foyer qui constituent sa base: statut juridique des femmes collaboratrices en entreprise familiale, reconnaissance du travail domestique des femmes, partage du patrimoine familial. Des dirigeantes de l’AFÉAS vont se retrouver au coeur des consultations en vue d’une politique familiale dans la décennie 1980 (Lamoureux et al., 1993).

3.2 Des travailleurs sociaux ciblent la famille comme champ d’activités professionnelles

Au moment où il prend en charge l’assistance publique, l’État provincial gère la distribution des transferts fédéraux d’assistance publique, une fonction dévolue auparavant aux agences sociales privées. Certains professionnels de ces agences fondent la Fédération des services sociaux à la famille du Québec (1963) pour regrouper les agences sociales privées et faire de la famille leur champ d’intervention (Mayer, 1994). La même année, ils fondent le Conseil du bien-être du Québec, qui vise tous les travailleurs sociaux incluant ceux qui exercent leur profession en institution (Feretti, 2004). L’intérêt des fondateurs de cette Fédération pour les études sur la famille et la politique familiale va perdurer bien au-delà de la disparition de leur Fédération en 1974, après que les agences elles-mêmes eurent été incorporées au système public. Devenus directeurs de services publics, Richard Sarrazin et Gilles Lacroix, les fondateurs de la Fédération, continuent d’appuyer le projet de politique familiale et participent au développement de réseaux d’experts sur la famille. Ce développement d’expertises sur la famille trouve un soutien de la part de l’État qui, au provincial comme au fédéral, doit recourir à la recherche pour systématiser ses politiques et mesures sociales et consulter les citoyens.

3.3 L’État convoque des experts autour de la famille

Au début des années 1960, le Conseil du bien-être du Canada convoque un congrès canadien sur la famille qui rassemble des experts de diverses appartenances religieuses et professionnelles sur la question des problèmes familiaux. En préparation au congrès qui se tiendra en juin 1964, le sociologue Frederick Elkin (avec la collaboration de Philippe Garigue) rassemble les études canadiennes sur la famille dans une bibliographie bilingue. Philippe Garigue, un des quatre conférenciers invités, évoque le sous-développement de ce domaine de recherche. Benjamin Schlesinger dans le Journal of Marriage and the Family (1965) décrit les visées scientifiques et l’organisation du congrès suscité par le gouverneur général Georges Vanier et son épouse, ainsi que les retombées de l’événement pour la recherche et la mobilisation des experts dans un champ émergent. Suite à ce congrès, l’Institut Vanier est créé à Ottawa, en 1964, avec la mission de poursuivre ces réflexions et de soutenir et diffuser les recherches sur la famille au Canada. Philippe Garigue est un des directeurs fondateurs. Gilles Lacroix en est le secrétaire général. Un numéro de la revue jésuite Relations (1966) publie les communications québécoises présentées au congrès : l’anthropologue Philippe Garigue y ébauche le thème de la politique familiale, tandis que d’autres experts, démographe, sociologue, juriste, travailleur social, abordent des sujets comme les nouveaux modèles d’autorité dans le couple et la famille, la natalité, la contraception, les problèmes familiaux ou la réforme en cours du Code civil. Une liste d’organismes bénévoles intervenant auprès des familles et des enfants est publiée dans ce numéro.

Au Québec, des conseils consultatifs créés dans les divers ministères au cours des années 1960  réunissent divers groupes de la société civile qui y sont nommés pour examiner les projets politiques, organiser des consultations et donner des avis (O’Neil, 1991 ; Hamel et Jouve, 2006). Le ministre de la Famille et du Bien-être social crée le Conseil supérieur de la famille (1963-1970), dont Philippe Garigue, doyen des sciences humaines à l’université de Montréal, devient le président. Il se fait le promoteur du regroupement des familles selon le modèle des mouvements familiaux européens ; il deviendra membre de ce mouvement en accédant à la présidence de l’Union internationale des organismes familiaux (UIOF) de 1969 à 1974. Le Conseil supérieur de la famille où siègent des dirigeants des associations familiales et des experts, dont Gilles Lacroix, sera un lieu de discussion sur le besoin d’une politique familiale.

3.4 Des lieux de réseautage et de discussion sur la politique familiale

En 1964, c’est la nouvelle Fédération des services sociaux à la famille du Québec, dirigée par Gilles Lacroix, qui rassemble ses membres en congrès sur le thème de la famille. Lors de ce congrès, qui a lieu sous la présidence d’honneur de Philippe Garigue, plusieurs conférenciers énoncent les avantages de s’unir aux associations bénévoles dans l’action sociale auprès des familles. Philippe Garigue et Raymond Laplante, journaliste à Radio-Canada et militant de la Fédération des unions de familles, donnent l’un et l’autre les mouvements européens de représentation politique des familles comme exemples à suivre. Constatant la faiblesse des associations familiales québécoises, tous deux réclament des ressources pour assurer leur développement.

Des liens existent par ailleurs entre des associations familiales du Québec et des organismes familiaux européens ; quelques-uns font déjà partie de l’Union internationale des organismes familiaux (UIOF). En 1967, la FUF collabore à l’organisation d’une réunion de l’UIOF à Québec. C’est lors de cette réunion que les associations familiales québécoises sont convoquées et que s’amorce une tentative de les fédérer. Le Conseil du bien-être du Québec (CBEQ, un organisme privé regroupant des travailleurs sociaux) engage une sociologue, Denise-Laporte-Dubuc, membre de la FUF, pour dresser la liste des fédérations, sonder leurs attentes et organiser des animations de groupes autour de thèmes tels que les besoins en garderie, la rémunération du travail de la mère au foyer, le besoin d’une politique familiale. Si les rapports de ces réunions (édités par le CBEQ), qui ont lieu entre 1969 et 1971, révèlent les hésitations de plusieurs organismes à se fédérer, on assiste tout de même à la fin de cette décennie à la mise en place d’un réseau d’associations qui va poursuivre un double objectif d’obtention de subventions de l’État et de collaboration en vue d’une politique familiale. Suite à un voyage d’études dans trois pays européens (financé par le CBEQ), l’animatrice présente les formes diverses de représentation politique des familles ; sept des groupes acceptent de se réunir et fondent les Organismes familiaux associés du Québec (OFAQ) en 1971. Pour leur part, la FUF, le SOF, Seréna et l’Association des parents catholiques du Québec choisissent de rester autonomes.

4. Les années 1970, des années de changement pour les organismes et un redéploiement des acteurs face à l’État en expansion

Le début des années 1970, associé au Québec à plusieurs conflits politiques et syndicaux, est marqué par la parution de trois rapports émanant de commissions d’enquête qui font état des transformations en cours dans les structures sociales et les mentalités. Révélateurs de changements dans les institutions, les pratiques familiales et les normes culturelles, ils évoquent indirectement des changements familiaux qui vont s’accentuer au cours de la décennie. Il faudra que ces changements retentissent sur les indices démographiques pour que trois ministres s’engagent à la fin de la décennie à mettre en place une politique familiale. Les rapports des années 1970 touchent d’autres sujets, mais ils ont des effets directs ou indirects sur les acteurs du mouvement familial.

4. 1. Des rapports d’enquêtes pour éclairer l’action publique

Si un congrès de la famille en 1964 marque le début d’un rassemblement d’associations autour de l’objectif d’une politique familiale, la publication en 1970 du rapport de la commission Bird sur le statut des femmes au Canada marque le début d’un autre contexte. Fruit d’une commission royale d’enquête sur la condition féminine au Canada (1967-1970), résultant d’études et de mémoires nombreux sur la question de l’égalité des sexes, le document est largement diffusé. Il est suivi en 1973 de la création, au Canada, du Conseil consultatif canadien de la situation sur la femme et, au Québec, du Conseil du statut de la femme. Ces organismes dotés d’un personnel nombreux et de ressources abondantes abordent plusieurs dossiers, publient des recherches majeures sur les inégalités entre les sexes et interviennent dans beaucoup de milieux. Des membres des associations familiales vont préparer des mémoires, discuter de ce rapport ou participer à certaines rencontres organisées par le Conseil du statut de la femme du Québec. Pour l’AFÉAS, qui avait joint le mouvement familial en 1967, la préparation de son mémoire à la commission fédérale l’amène à préciser sa mission autour de la reconnaissance du travail des femmes au foyer. Faisant une priorité de la politique familiale, présente aux événements qui préludent à la formation de l’OFAQ (1969-1970), l’association se retire de l’OFAQ en 1973, craignant d’être identifiée au mouvement familial ; elle se joint au mouvement des femmes (Lamoureux et al., 1993 : 73-78). Cependant, son intérêt pour les questions familiales va se manifester à des moments importants.

De façon plus générale, une tendance à l’institutionnalisation des mouvements se manifeste au cours de cette période. Ainsi une loi intégrant les comités de parents dans le système scolaire en 1972 conduit à la fermeture de plusieurs unions de famille qui militaient pour cet objectif. La Fédération des unions de famille va abandonner ce créneau et s’orienter davantage vers l’action politique.

Du côté de l’Église, le rapport Dumont (1971) est issu d’une commission d’études sur les laïcs et l’Église mise sur pied en 1968 suite à la crise des mouvements d’action catholique spécialisée, mais qui poursuit ses travaux avec un mandat élargi. Dans le sillage de Vatican II, la Conférence des évêques catholiques du Canada incite les Caritas, organismes qui planifiaient l’action sociale dans les diocèses, à se réorienter vers la pastorale et la réflexion (Feretti, 2004). Le rapport Dumont fait le bilan des questionnements qui de toutes parts assaillent religieux et laïcs dans une Église où la pratique est en forte baisse, où le militantisme laïc décline et où l’action sociale exercée à l’intérieur de l’Église doit être repensée dans un contexte d’étatisation et de pluralisme. Favorisant la participation et la démocratie dans l’Église tout en mettant l’accent sur le regroupement de ses associations en Conseil de pastorale, le rapport oriente certains mouvements créés à l’intérieur de l’Église et qui poursuivent des fonctions universelles comme les Caisses populaires et l’Union catholique des cultivateurs (UCC) vers la sécularisation, tandis que d’autres se voient conseiller de poursuivre leur mission dans divers milieux. Les associations pour les couples et les familles, considérées comme des créations originales de la dernière décennie, sont priées de poursuivre leur action tandis que les associations familiales qui s’inscrivent à l’intérieur de structures à fonctions universelles se voient incitées à la tolérance et au pluralisme. En outre, les chrétiens sont invités à innover sur de nouveaux terrains pour s’adapter aux situations de vie qui se multiplient avec les changements familiaux.

Sans pouvoir évaluer l’effet de ce rapport sur celles des associations familiales demeurées proches de l’Église, on peut y percevoir une légitimité accrue de leur action et une incitation d’ouverture au changement et au reste de la société. Si les associations familiales semblent pour plusieurs évoluer vers une plus grande autonomie allant vers la sécularisation, il est difficile de préciser la nature réelle de leurs liens avec l’Église catholique. En 1975, plusieurs dirigeants d’associations familiales participent à un chantier sur la pastorale familiale, dont les écrits témoignent d’un intérêt à repenser l’éducation religieuse et expriment la reconnaissance de la diversité des styles de vie, du principe d’égalité des sexes et de la redéfinition des rôles familiaux. Les valeurs exprimées dans le rapport Dumont, si elles peuvent être considérées comme innovatrices dans l’Église, ne sont pas radicales par rapport aux valeurs qui ont cours dans la société en ébullition et aux changements qui sont légitimés dans les travaux de révision du Code civil. Les solutions proposées laissent toute latitude aux mouvements, bien que des changements au sein de l’Église suggèrent de regrouper les effectifs en déclin dans un cadre diocésain, comme les offices de la famille. Ces offices vont appuyer la politique familiale. L’État en expansion est plus directif.

Avec ses nombreux tomes et annexes publiés après 1966, la commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (la commission Castonguay-Nepveu, 1966-1972) propose une réforme d’envergure qui centralise la planification et la distribution de services gratuits et universels de santé et de sécurité sociale à partir d’un vaste réseau entièrement public et centralisé. Comme le note Christian Jetté (2008), une seule recommandation concerne les organismes bénévoles mais c’est pour récuser leur financement au sein de l’appareil public. Dans son plan des CLSC, inspiré d’expériences réalisées dans le communautaire, le rapport introduit pourtant un principe de participation des usagers et des employés à la gestion et à l’évaluation des services, pour faire contrepoids à la gestion des administrateurs.

En 1970, Claude Castonguay, codirecteur de la commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, devient ministre de la Famille et du Bien-être social. En 1971, la fusion de ce ministère avec celui de la santé par le gouvernement libéral nouvellement élu inaugure une étape de croissance de l’État-providence. Ce contexte politique, qui accélère les réorganisations prônées par la commission, a des effets sur les principaux acteurs du mouvement naissant.

4.2 Un repositionnement des principaux acteurs du mouvement pour la politique familiale

L’annonce de la dissolution du Conseil supérieur de la famille, la fin du mandat de son président, Philippe Garigue, ainsi que la création d’un Conseil des affaires sociales (1970) modifient les rapports des associations familiales avec l’État. Ces événements provoquent pourtant une action de lobbying des organismes familiaux (ceux liés à l’OFAQ et les fédérations demeurées autonomes), qui s’unissent pour réclamer sans succès un conseil de la famille représentatif des intérêts familiaux, où auraient siégé des représentants des associations familiales, des agences sociales et de l’État. Le gouvernement ajoute cependant « la famille » au nom du nouveau conseil. Peu nombreux au Conseil des affaires sociales et de la famille (CASF, 1970-1988), formé de 15 membres dont seulement deux membres représentent le milieu associatif familial, les associations familiales obtiennent l’assurance d’être consultées, ainsi que le maintien pour un an du mandat de Philippe Garigue pour terminer son étude sur la politique familiale qui fera partie des annexes de la commission Castonguay-Nepveu.

D’autres acteurs du mouvement familial connaissent un déplacement. En 1973, les agences privées de travail social critiquées par le rapport de la commission Castonguay-Nepveu sont incorporées au réseau public et deviennent des centres de services sociaux (CSS). En 1974, la Fédération des services sociaux à la famille du Québec (FSSFQ) disparaît avec les agences privées. C’est à Trois-Rivières où était née la FSSFQ que son fondateur, Gilles Lacroix, crée le Carrefour québécois des travailleurs de la famille (1975), qui aura une courte existence. Par ailleurs, des travailleurs sociaux comme Richard Sarrazin et Léo Cormier (autres dirigeants de la FSSFQ) participent au Conseil des affaires sociales et de la famille comme représentants du réseau public. Au CASF, ils s’occupent des dossiers famille aux côtés de Denise-Laporte Dubuc, secrétaire générale de l’OFAQ, et de Jacques Lizée, secrétaire général de la FUF.

Si les représentants des organismes familiaux sont minoritaires au CASF, la plupart d’entre eux se rencontrent au comité canadien de l’Union internationale des organismes familiaux (UIOF). Ce comité canadien, où des représentants des organismes politiques sont aussi invités, constitue une source d’information et un réseau informel de concertation selon l’avis des personnes rencontrées en entrevue. Au début des années 1970, Philippe Garrigue est le président de l’UIOF (1969-1974) ; plusieurs membres québécois du comité canadien occuperont finalement des postes clé au sein de l’union internationale. Mais c’est la participation au CASF qui assure la diffusion dans les associations familiales des études et avis et l’appropriation par les mouvements des principaux dossiers sur la famille et l’enfant.

4.3 Au Conseil des affaires sociales et de la famille (1970-1988), la participation des organismes familiaux aux avis et aux études sur la famille

Étayé par une analyse comparée des politiques de plusieurs pays, le texte de Philippe Garigue, publié comme l’annexe 16 du rapport de la Commission Castonguay-Nepveu (1972), propose une réflexion théorique sur les objectifs et moyens de réalisation d’une politique familiale. Axé sur les besoins des familles et la qualité de la vie, le document explique les distinctions entre politique familiale et politique de population ; il distingue aussi une politique familiale d’autres politiques également nécessaires sur la condition féminine, la santé maternelle, la lutte contre la pauvreté. Présentant des mécanismes politiques pour une reconnaissance par l’État des besoins des familles et esquissant des modes de participation des associations familiales aux décisions politiques, ce document va influencer le devenir du mouvement.

Autre facteur de continuité, un sous-ministre du précédent ministère des Affaires sociales et de la Famille, Roger Marier, professeur en travail social à l’université McGill, préside le Conseil des affaires sociales et de la famille. Christian Jetté (2008) démontre le rôle majeur du CASF et de son président dans la reconnaissance du communautaire à travers des études et avis et par la mise en place d’un programme de financement pour les organismes bénévoles. Ces constats s’appliquent également aux associations familiales qui sont présentes dans ce programme sous la rubrique des services sociaux à la famille. L’attribution de subventions gouvernementales aux organismes familiaux permet l’engagement de permanents et la création de bulletins qui contribuent au développement des fédérations. De plus, les études et avis sur la famille (1974, 1979, 1981) révèlent l’existence au Conseil d’une conception de la recherche visant à dégager des orientations et des priorités pour le ministère.

Le CASF crée un sous-comité sur la famille ; des représentants du réseau des services sociaux se joignent aux représentants des organismes familiaux. Le mandat consiste à étudier le document de Garigue sur la politique familiale et à examiner les fonctions des organismes familiaux. En 1973, le Conseil commande trois recherches : une synthèse des études sur la famille et des consultations auprès des organismes familiaux et des groupes populaires. La consultation auprès des organismes familiaux, réalisée par l’anthropologue Georges Savard et son équipe, livre un portrait contrasté. En élargissant l’enquête à plus d’une centaine de groupes, les auteurs notent l’absence des nouvelles familles dans la panoplie habituelle des fédérations d’organismes familiaux. Au même moment, une fédération des associations de familles monoparentales est créée en 1974 avec la collaboration de la FUF. Le Carrefour des associations de familles monoparentales du Québec se tourne vers l’action politique et acquiert une grande visibilité (Saint-Jean, 1990). Ses dossiers et revendications sont appuyés par le mouvement des femmes mais aussi par les fédérations comme la FUF et l’OFAQ.

Par l’intermédiaire de ses représentants au CASF qui aborde les grands dossiers de la santé, de la protection de la jeunesse, du logement social, des garderies populaires ainsi que les changements de législations dans la foulée de la réforme du Code civil, les organismes familiaux sont appelés à étudier et à se prononcer sur les réformes entreprises, ce qui élargit l’éventail des thèmes discutés dans leurs mouvements. Le consensus peut s’avérer difficile comme lors de l’avis de 1973 sur l’avortement, mais la plupart du temps, les mémoires issus des organismes témoignent d’un engagement social sur les questions d’égalité et d’amélioration des conditions de vie, qui étaient déjà caractéristiques des mouvements jocistes. Un changement important s’opère dans le mouvement familial au cours de cette décennie, c’est la diversification de la notion de famille à laquelle le CASF mais aussi la Fédération des unions de familles (FUF) et le Carrefour des associations de familles monoparentales du Québec apportent une impulsion décisive (Lemieux, 2005b).

Si le CASF devient au cours des années 1970 un lieu majeur d’étude des questions sociales et familiales et un lieu d’interaction entre le mouvement pour la politique familiale et l’État, vers la fin de la décennie alors que le Conseil fait la synthèse de ses travaux dans La situation des familles québécoises (1979), le CASF se voit mandaté par le ministre des Affaires sociales, Denis Lazure, pour produire un avis sur la natalité. Un comité constitué avec l’approbation du ministre remplace le comité sur les politiques et les programmes familiaux. Dans l’introduction et la conclusion de La natalité au Québec. Études et avis (1981), le président du Conseil, Roger Marier, semble prendre distance du mandat reçu et rappelle que le Conseil n’est pas outillé pour ce mandat, son objet étant le milieu familial.

5. De pressions politiques à la formation d’un lobby: un regroupement pour la politique familiale[6]

Avec le ralentissement économique de 1981-1982, le début des années 1980 est habituellement caractérisé comme une période de repli. Temps de désillusion pour le nationalisme post-référendaire, temps d’arrêt pour la croissance de l’État, les idéologies néolibérales prospèrent prônant le retour à l’individu et au privé. Le tournant des années 1980 est marqué par un certain nombre de mesures favorables aux femmes et aux familles, congé de maternité (1978), loi sur les services de garde (1979), réforme du Code civil et du droit de la famille (1980), tandis que l’on assiste à la multiplication des groupes de femmes et des organismes orientés vers les services. Malgré la présence d’un projet de politique familiale dans son programme de 1976, le gouvernement du Parti québécois à la fin de son mandat semble surtout préoccupé par la baisse de la natalité. Dans un contexte préélectoral qui peut sembler malgré tout favorable, le mouvement pour une politique familiale réaffirme fermement son projet. En 1980, l’OFAQ produit le manifeste Pour la défense de la nouvelle famille au Québec. Manifeste de l’OFAQ pour une politique familiale au Québec, où il propose une vision élargie du familial et réclame une politique familiale pour mettre fin aux contradictions entre les législations. Pour cet organisme, une politique de la natalité ne suffit pas, ni une politique de la condition féminine, ni même une politique sociale. Il faut soutenir tous ceux et celles qui ont charge d’enfants, la famille étant définie comme incluant diverses formes de liens. Le projet est discuté dans 15 forums régionaux où l’on incite les membres à faire pression sur leurs députés pour forcer les engagements. À son tour, la FUF relance le sujet de la politique familiale dans un mémoire qui s’intitule Pour une relation soutenue et efficace entre l’État et les familles québécoises (mai 1981). On y souligne la diversité des enjeux, d’où le besoin de rattacher les questions familiales à un ministre d’État. Un congrès international de l’UIOF en août 1981, dont le comité québécois est l’organisateur, va donner l’occasion à trois ministres de s’engager sur la question. Le ministre Lazure annonce la formation d’un comité interministériel qui produira les études sur une problématique de la famille et la politique familiale. Son rapport sera soumis pour consultation aux organismes familiaux et intéressés par la famille.

Dès la première rencontre des organismes familiaux avec le ministre, la FUF exprime l’intérêt pour le mouvement de participer lui-même aux études et suggère d’organiser une table réunissant une diversité de groupes pour répondre à la diversité des problématiques. Il critique par ailleurs le gouvernement de ne pas avoir inclus le Conseil des affaires sociales et de la famille dans son comité interministériel. Un comité de sept membres comprenant divers organismes[7] est mis sur pied par le gouvernement. La FUF critique par la suite les aspects natalistes d’un document du CASF (La famille demain, 1982) et exprime une position égalitariste proche de celles des groupes féministes. Pour préparer les groupes de femmes à la consultation du Livre vert annoncé par le gouvernement, Gisèle Audette et Marie-Hélène Côté pour Consult-Action, section du Conseil du statut de la femme chargé de faire le lien avec les groupes de femmes, signent Femmes et familles (1982) ; elles expriment leurs réserves face à un processus de consultation où les femmes sont peu représentées en regard des organismes familiaux ; elles mettent en garde contre les idées natalistes du gouvernement.

Devant son insatisfaction face au fonctionnement du comité de consultation et pour retrouver une distance face au Livre vert sur lequel les organismes seront consultés, Jacques Lizée, directeur de la FUF, démissionne du comité à la fin de 1982 et entreprend de mobiliser un vaste lobby de 29 organismes provenant des secteurs les plus divers : famille, condition féminine, éducation, loisir, travail, habitation, santé et services sociaux, corporations professionnelles, comités féminins de partis politiques. Parmi les organismes d’appui, on trouve le Conseil du statut de la femme, la fédération des CLSC, l’Office des services de garde, le Comité de protection de la jeunesse. Issu de cette coalition, le Regroupement inter-organismes pour une politique familiale au Québec présidé par Jacques Lizée veut assurer le déroulement de la consultation et la mise au point d’un projet de politique selon les attentes des divers groupes « qui ne veulent pas laisser à l’État seul la tâche de régler le sort des familles » (RIOPFQ, 1982). Richard Sarrasin en assure le secrétariat. Devant une aussi large tribune, on décide de s’en tenir aux moyens d’assurer la mise sur pied d’une politique sans entrer dans les contenus de cette politique. On réaffirme que la politique familiale n’est pas une politique de la natalité mais, également, on exprime la crainte de voir l’État adopter une politique qui fait de la famille une source de services pour pallier le déclin de l’État-providence. On recommande enfin de mieux coordonner les législations.

Le Livre vert Pour les familles québécoises paraît en octobre 1984, il émane du Comité ministériel permanent du développement social et est signé par le vice-premier ministre et ministre du développement social Camille Laurin. Il s’adresse aux familles elles-mêmes, aux organismes familiaux et para-familiaux et aux groupes féminins. Le RIOPFQ publie Convergences et divergences. Outil préparatoire aux forums de consultation sur la politique familiale (décembre 1984) et entreprend de résumer les positions de chaque groupe de la coalition sur des points précis, tels la définition de la famille ou les modalités administratives de l’implantation d’une politique. La diversité du lobby se manifeste.

Le processus de la consultation s’amorce, dirigé par un groupe tripartite formé de Maurice Champagne-Gilbert, directeur de la Ligue des droits et liberté de la personne (1970-1975), de Christiane Bérubé-Gagné de l’AFÉAS et de Nicole Boily de la Fédération des femmes du Québec. Les 13 forums régionaux, les audiences nationales ainsi que les 233 mémoires soumis vont faire apparaître clairement et publiquement la diversité des points de vue et donnent lieu à des affrontements partiels ou virulents autour de certains enjeux. Renée B.-Dandurand (1987) a fait l’analyse des enjeux pour les sous-groupes qui s’expriment autour de la consultation. Fort de son expérience et très conscient au départ des allégeances idéologiques multiples de ses membres, le RIOPFQ présente un mémoire lors des audiences nationales en mars 1985 ; un consensus se forme autour de quelques principes qui, selon lui, font l’unanimité. Il réclame aussi des structures politiques pour assurer la mise en place d’une politique familiale. Sans attendre le dépôt du rapport de la consultation dont une première tranche va paraître en pleine campagne électorale, le gouvernement en fin de mandat nomme un ministre délégué à la famille, Yves Beaumier, et le mois suivant, il transforme l’instance provisoire chargée de la consultation en Secrétariat permanent à la politique familiale. Six mois plus tard, c’est la ministre responsable de la politique familiale, Thérèse Lavoix-Roux, qui reçoit la seconde partie du rapport : Le soutien collectif recommandé pour les parents québécois (avril 1986). Dans l’année qui suit, le gouvernement libéral et son ministre responsable de la famille, Robert Dutil, après avoir consulté à nouveau les organismes familiaux, dépose un énoncé d’orientation sur la politique familiale et un projet de loi instituant le Conseil de la famille.

Conclusion

C’est dans la continuité des mouvements d’action catholique spécialisée que les acteurs impliqués dans les associations familiales et les agences sociales privées bâtissent au début des années 1960 un mouvement pour une politique familiale. Les changements perçus autour de la famille et les bouleversements appréhendés de la gouvernance des pratiques d’intervention auprès des familles les conduisent à innover dans ce domaine, en s’inspirant du modèle des mouvements de familles de type européen. Ce faisant, les uns et les autres cherchent à poursuivre une action valorisée et pour certains à défendre une profession. La notion d’intérêt professionnel n’est pas seule en jeu car une corporation et des syndicats de travailleurs sociaux sont par ailleurs mis sur pied. Ceux des travailleurs sociaux qui poursuivent cette action sociopolitique autour des enjeux familiaux ainsi que ceux et celles qui sont des leaders du milieu associatif sont aussi animés de valeurs de solidarité et d’affirmation de la place des parents dans les processus de gouvernance impliquant les familles. Ils s’inspirent de techniques d’intervention de groupe répandues dans les milieux de travail social ainsi que de pratiques d’intervention s’appuyant sur les enquêtes. Sans doute des valeurs religieuses existent pour certains. Par delà les valeurs en continuité ou en émergence et certains modèles empruntés aux sciences humaines, dont les réflexions de Philippe Garigue, l’existence d’un mouvement européen offre un modèle et un langage de syndicalisme familial pertinents à un moment où la religion et le bénévolat sont mal perçus dans le nouvel environnement public de l’assistance sociale en train de s’établir. Mais les institutions créées par l’État aux différentes étapes de la Révolution tranquille offrent par ailleurs un cadre pertinent et des moyens inédits à cette action sociopolitique. C’est dans cette rencontre entre un mouvement d’inspiration familialiste, jociste et communautaire, et une conjoncture politique qui menace plusieurs acteurs intervenant auprès des familles mais qui leur offre une nouvelle insertion et des fonctions d’experts au sein des conseils consultatifs, que se trouvent rassemblées ces conditions nécessaires évoquées par Vallat (2008) pour que naisse un mouvement pour une politique familiale.

Alors que des conseils consultatifs, dont celui de la famille et de l’enfance, ont été abolis en 2011 par l’État néolibéral, il faut souligner leur rôle historique dans le soutien et la transformation en un mouvement politique des organismes familiaux qui, comme les organismes communautaires de l’époque, ne répondaient pas entièrement aux critères rationalistes des vastes bureaucraties mises en place dans les années 1970. L’État redécouvrira leurs approches efficaces, personnalisées et peu coûteuses dans les années 1990, quand la technocratie en déclin s’avérera insuffisante pour répondre à la demande de soins. Le Conseil supérieur à la famille, le CASF et les conseils successifs jusqu’au Conseil de la famille et de l’enfance, mais également le Conseil du statut de la femme ont pendant plusieurs décennies constitué des lieux de convergence des expertises sur les familles en transformation aussi utiles aux associations qu’aux professionnels du réseau socio-sanitaire.

Sans pouvoir évoquer ici la riche diversité des programmes éducatifs et socio-sanitaires créés à l’intérieur des mouvements d’organismes communautaires du domaine famille (René et al., 2001 ; Lemieux et al., 2005), on peut s’interroger brièvement sur les retombées politiques du mouvement pour une politique familiale et sur la réponse de l’État à cet égard. Dans les années qui ont suivi la consultation sur les enjeux d’une politique familiale menée auprès de la population, des auteures ont rappelé que les mesures natalistes créées par l’État pour contrer le déclin de la natalité étaient peu adaptées à la situation des femmes contemporaines et s’avéraient inefficaces pour les visées populationnistes (Dandurand, 1987 ; Dandurand et Kempeneers, 2002 ; Baillargeon, 1996). Les grandes fédérations d’associations familiales tout comme les groupes de femmes s’étaient d’ailleurs prononcées contre les mesures natalistes en précisant, comme elles l’avaient fait auparavant et au moment de la consultation, que la politique familiale était différente d’une politique de la natalité. Par la suite, le Québec a délaissé les allocations familiales universelles et s’est orienté, comme le Canada, vers des programmes ciblés de lutte contre la pauvreté des enfants, y ajoutant des mesures de conciliation famille emploi (programme universel de garderie, congés de maternité et de paternité), qui rapprochent sa politique de celle des pays nordiques et en font un contre-exemple parmi les pays libéraux (Gauthier, 1988 ; Dandurand et Kempeneers, 2002 ; Dufour, 2002 ; Beauvais et Dufour, 2003). S’interrogeant, sur le maintien de ces acquis à une époque de désengagement de l’État post-providence, Beauvais et Dufour suggèrent que les chances de maintien de ces programmes tiennent entre autres à la présence au Québec d’un large mouvement pour une politique familiale qui continue de prendre une place parmi les définisseurs de ces politiques.