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Introduction

Dans le contexte social et politique actuel, les rôles des hommes et des femmes évoluent rapidement et se transforment en fonction des nécessités de la vie quotidienne. La naissance d’un enfant est une situation transitionnelle qui engage un processus d’adaptation dans la famille. Cette modification de la vie telle qu’elle était avant l’arrivée de l’enfant suscite un stress chez les parents et implique la mise en oeuvre de stratégies adaptatives qui permettront graduellement à chacun de se resituer face à lui-même et face à l’autre et de faire une place à ce nouvel être. Cette transition implique des changements sur les plans individuel, conjugal et extrafamilial qui leur permettent d’introduire une nouvelle dimension à leur vie, celle de la parentalité.

Cependant, lorsque l’enfant présente un problème de santé, le stress ressenti par les parents est d’autant plus important (Cohen, 1995; Dodgson, Garwick, Blozis, Patterson, Bennett, & Blum, 2000; O’Brien, 2001; Stewart & Mishel, 2000) : les parents sont projetés dans un tempête émotionnelle et souvent blessés dans leur désir d’accueillir un « enfant parfait ». Ils doivent néanmoins redéfinir leurs rôles dans chacune des sphères de la vie familiale et extrafamiliale, en fonction de l’arrivée du nouveau-né et des soins accrus qu’exige son problème de santé. Les études montrent que l’intensité du stress ressenti par les parents d’enfant ayant un problème de santé ne diffère pas des autres familles par sa nature, mais plutôt par son intensité. Le stress qu’elles vivent est exacerbé par l’imprévisibilité des problèmes, les responsabilités et les exigences inhérentes à prendre soin d’un enfant qui a un problème de santé (King, King & Rosenbaum, 1996; Munoz, Karmosky, Gaugler, Lang, & Stayduhar, 1999; Pelchat, Lefebvre & Perreault, 2003; Pelchat, Ricard, Bouchard, Perreault & Saucier 1999). L’organisation de la vie quotidienne avec l’enfant, les soins particuliers qu’il requiert, les nombreux rendez-vous chez les spécialistes, la recherche et la négociation des services mobilisent le temps et l’énergie des parents. Des stratégies adaptatives à la fois considérables et spécifiques doivent alors être mises en oeuvre par chacun des membres de la famille (Lazarus & Folkman, 1984; Pelchat, Lefebvre & al., 2003; Schumacker & Meleis, 1995; Van Duüren, 1998). Plusieurs études se sont d’ailleurs intéressées à l’impact de la problématique de santé d’un enfant sur le fonctionnement individuel et familial et sur la manière dont les parents s’y prennent pour faire face à cette situation.

Cet article vise à faire le point sur l’état actuel des connaissances de l’expérience des pères et des mères d’enfant atteint d’une problématique de santé et à proposer de nouvelles avenues de recherche permettant une meilleure compréhension de l’expérience de ces pères et mères.

Méthodologie

La méthode s’inspire d’une recension systématique des écrits (Smyth, 2002). La recherche bibliographique a été multidisciplinaire et tous les devis de recherche ont été retenus de manière à dresser un portrait de l’expérience des pères et des mères d’enfants ayant un problème de santé qui soit le plus près de leur réalité. Cette recension couvre un spectre considérable de problématiques de santé chez les enfants, certaines présentes à la naissance et d’autres se développant plus tardivement : maladies congénitales, prématurité, troubles développementaux, d’apprentissages et de comportements, autisme, cancer, déficiences auditives, visuelles, physiques et intellectuelles, diabète, épilepsie, traumatisme crânien. De même, les études recensées ne sont pas restrictives quant à l’âge de l’enfant (de la naissance à l’âge scolaire) et quant au contexte culturel des études (internationales). Bien que l’étendue des critères retenus restreigne l’analyse des enjeux spécifiques à chaque problématique de santé, stade de développement de l’enfant et contexte culturel, cette méthode permet de dresser un portrait global de l’expérience des pères et des mères d’enfants ayant un problème de santé.

Les études ont été identifiées par une recherche dans diverses bases de données : MEDLINE (1980 à 2005), CINHAL (1982 à 2005), ERIC (1966 à 2005), PsycINFO (1985 à 2005), Current Contents (1993 à 2005) et le Cochrane Library[1]. Une recherche supplémentaire a été effectuée à partir des bibliographies et des listes de références des documents identifiés dans les bases de données. La recherche a pris fin lorsque l’information recueillie a été jugée suffisante pour construire une synthèse des connaissances actuelles. La lecture critique des publications recensées a permis de dégager deux thématiques caractéristiques de l’expérience des pères et des mères d’enfant ayant un problème de santé et sur lesquelles les chercheurs se sont penchés : l’impact du problème de l’enfant et les stratégies mises en place par les parents pour faire face à la situation. Le Tableau 1 présente les résultats les plus intéressants des études portant sur la comparaison de l’expérience des pères et des mères d’enfant ayant un problème de santé, publiées au cours des dix dernières années.

Tableau 1

Études récentes portant sur les différences entre les pères et les mères d’enfants ayant un problème de santé

Études récentes portant sur les différences entre les pères et les mères d’enfants ayant un problème de santé

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L’impact de la problématique de santé de l’enfant

La naissance d’un enfant atteint d’un problème de santé est une situation souvent imprévisible et générant un stress important chez l’ensemble de la famille (Pelchat, 1989; 1995; Pelchat & Berthiaume, 1996, Bouchard, Pelchat, Boudreault & Gratton-Lalonde, 1994). Selon Lazarus et Folkman (1984), le stress est issu de l’interaction entre un individu et son environnement. La réaction d’un individu face à une situation stressante est en grande partie déterminée par l’appréciation de la situation en regard de ses propres ressources et des conséquences qui peuvent en découler (Cohen, 1995; Lazarus & Folkman, 1984; Stewart & Mishel, 2000). L’intensité du stress dépend de la différence entre la perception qu’a la personne de la situation et de la perception qu’elle a de ses capacités à y répondre (Lazarus & Folkman, 1984). Les pères et mères d’un enfant ayant une déficience vivent un stress important suite à l’annonce du diagnostic et dans la vie quotidienne avec l’enfant (Cohen, 1995; Dodgson & al., 2000; O’Brien, 2001; Stewart & Mishel, 2000). Les résultats des études recensées sont contradictoires. En effet, certaines études ne montrent aucune différence significative entre l’expérience de ces pères et de ces mères (Belchic, 1996; Dyson, 1997). Cependant, d’autres recherches indiquent que ces familles vivent davantage de difficultés que celles d’enfants sans atteinte (Miller, Goldberg, Morris, Simmons, Fowler & Levinson, 1990; Beckman, 1991; Gordon, Daniele & Diller, 1992; Kazak, Segal-Andrew & Johnson, 1995; Bruce, Schultz & Smyrnios, 1996; Doering, Dracup & Moser, 1999; Pelchat, Ricard & al., 1999; Singer, Salvator, Shenyang, Lilien & Baley, 1999; Olsson & Hwang, 2001; Do Amarall, 2003; Esdaile & Greenwood, 2003; Pelchat, Lefebvre & al., 2003; Keller & Honig, 2004). Toutes les études affirment que la venue et la présence de l’enfant ayant un problème de santé a de multiples conséquences dans toutes les sphères de la vie familiale (individuel, conjugal, parental et extrafamilial).

L’impact au plan individuel

La conséquence la plus importante de la problématique de santé de l’enfant est sans nul doute le stress ressenti par les parents (Bailey, Blasco & Simeonsson, 1992). Alors que certaines études indiquent qu’il n’y a pas de différence significative quant au niveau de stress global, d’anxiété, de dépression ou d’estime de soi entre les pères et les mères (Aradine & Ferketich, 1990; Trute, 1995; King & al., 1996; ; Lemanek, Jones & Lieberman, 2000; Keller & Honig, 2004) ou entre les pères ayant un enfant avec ou sans atteinte (Foley, 1998), d’autres études montrent des différences entre l’expérience des pères et des mères. En effet, la majorité des publications identifiées indiquent que les mères d'un enfant ayant un problème de santé ressentent un stress plus intense, sont plus enclines à vivre des épisodes dépressifs et qu’elles éprouvent une plus grande détresse émotionnelle que les pères (Galagher & Schopler, 1988; Beckman, 1991; Timko, Stovel & Moos, 1992 ; Krauss, 1993; Darke & Goldberg, 1994; Bristol, Brown & Barbarin, 1996; Bruce & al., 1996; Bird, 1999; Doering & al., 1999; Pelchat, Bisson & al., 1999; Pelchat, Ricard & al., 1999; Olsson & Hwang, 2001; Tommiska, Brazil & Krueger, 2002; Ostberg & Fellman, 2002 ; Yeh, 2002; Do Amaral, 2003; Gray, 2003; Lahner & Hayslip, 2003). Elle se sentent plus fragiles et menacées au plan de leur équilibre émotionnel et rapportent un niveau d’anxiété plus élevé que les pères (Pelchat, Bisson & al., 1999). Ces résultats sont d’ailleurs semblables à ceux retrouvés chez des parents d’enfant sans atteinte, la mère éprouvant davantage de détresse psychologique que le père suite à la naissance de l’enfant (Skari, Skreden, Malt & al., 2002). Cependant, les études longitudinales montrent que chez les parents d’enfant ayant une problématique de santé, ces disparités persistent de nombreuses années après la naissance de l’enfant (Bruce & al., 1996; Singer & al., 1999; Lahner & Hayslip, 2003).

L’impact au plan conjugal

Au plan conjugal, l’arrivée et la présence de l’enfant ayant un problème de santé déstabilise la dynamique conjugale. Les exigences liées à la condition de l’enfant contribuent à mettre en péril les relations au sein du couple (Hornby, 1995; Yeh, 2002; Gray, 2003). Quelques études montrent que ce sont les conflits conjugaux relatifs aux tâches de la maisonnée et au soutien affectif qui influencent le plus négativement la perception des mères (Krauss, 1993; Heath & Orthner, 1999; Tommiska & al., 2002).

Pourtant, plusieurs autres études montrent que le niveau de satisfaction conjugale est aussi très important pour les pères (Hadadian, 1994; Heaman, 1995; Hornby, 1995). Hornby (1995) affirme que les pères d'enfant ayant une déficience vivent davantage de détresse liée à leur couple et quittent plus fréquemment leur famille que les autres conjoints. Alors que le stress conjugal des mères est influencé par la répartition des tâches, Heaman (1995) considère que les pères présentent davantage de stress associé au besoin de passer du temps avec leur conjointe, sans que l’enfant ne soit présent. En ce sens, les pères ressentent un niveau de stress plus important lorsque leur conjointe occupe un emploi (Hadadian, 1994). Des études montrent que le stress ressenti par les pères dans leur vie de couple s’étend bien au-delà de la sphère conjugale proprement dite. Il semble en effet que le stress conjugal ait des répercussions sur la qualité des interactions père-enfant. Quelques auteurs montrent que le stress conjugal influence spécifiquement la sensibilité des pères envers l’enfant, soit leur capacité à percevoir et à bien interpréter les signaux donnés par son enfant et à y répondre adéquatement (Nicholls et Kirkland, 1996 ; Pelchat, Bisson, Bois & Saucier, 2003).

L’impact au plan parental

Le développement du mouvement féministe a introduit des modifications dans la répartition des rôles sexuels traditionnels avec l’entrée massive sur le marché du travail des femmes, changeant ainsi les modes de vie (Dulac, 1993, 2000). Dans les dernières décennies, le nombre croissant de mères oeuvrant sur le marché de l’emploi a fait en sorte que les pères ont dû s’impliquer davantage auprès des enfants, modifiant la répartition des responsabilités parentales selon des rôles traditionnels où la mère prend soin des enfants et le père est pourvoyeur. L'identification de la mère comme celle qui donne majoritairement les soins à l’enfant et celle du père comme pourvoyeur s’est assouplie, ouvrant la porte à plus d'engagement de la part des pères avec leur enfant (Traustadottir, 1991; Dulac, 1993, 2000; Doucet, 2001; Pelchat, Lefebvre & al., 2003). Néanmoins, plusieurs auteurs sont d’avis que des disparités perdurent sur le plan de l'engagement des pères auprès des enfants, malgré une implication globale accrue des pères auprès des enfants (Dulac, 1993, 2000; Pelchat, Lefebvre & al., 2003; Keller & Honig, 2004).

Cette situation est d’ailleurs semblable au sein des familles d’enfant ayant un problème de santé. La plupart des études indiquent que les mères se sentent davantage responsables des soins et de l’éducation de l’enfant ayant une déficience (Heaman, 1995; Brown & Barbarin, 1996; King & al., 1996; Cohen, 1999; Roach, Orsmond & Barratt, 1999; Pelchat, Lefebvre & al., 2003; Keller & Honig, 2004), les pères assumant moins de responsabilités parentales (Bristol & al., 1998; Gray 2003). En conséquences, ces études montrent que les mères sont plus à risque de difficultés dans leur ajustement à la demande parentale et vivent davantage de stress relativement aux soins physiques à prodiguer à l’enfant et aux aspects émotifs liées à ses incapacités et ce, même après plusieurs années (Krauss, 1993; Brown & Barbarin, 1996; Bruce & al., 1996; Cohen, 1999; McLinden, 1990; Katz, 2002; Pelchat, Lefebvre & al., 2003). L’étude de Pelchat, Lefebvre & al., (2003) montre d’ailleurs que les mères ont des attentes élevées envers elles-mêmes sur le plan des soins à donner à l’enfant, alors que leur conjoint n’expriment pas d’attentes particulières relativement à leur rôle de père. En ce sens, il semble que ces familles ressemblent à celles d’enfants sans atteinte et adoptent des patrons traditionnels de rôles : les femmes assument une grande part des soins à l'enfant et le père tient surtout le rôle de pourvoyeur (Dulac, 1993; Harrison & Magill-Evans, 1996; Aldous, Mulligan & Bjarnason, 1998; Doucet, 2001; Gray, 2003). La plupart des mères de ces familles organisent leur vie autour de l'enfant (Traustadottir, 1991; Brown & Barbarin, 1996; Bruce & al., 1996; Crowe, VanLeit, & Berghmans, 2000), alors que certains auteurs suggèrent une redistribution des tâches pour assurer l’équilibre et l’adaptation de la famille (Brown & Barbarin, 1996). L’étude de Pelchat et de ses collaborateurs (Pelchat, Lefebvre & al., 2003) montre que les mères sont insatisfaites de la répartition des tâches, laquelle n'est pas aussi équitable qu'elles le souhaiteraient, ce qui les conduit à éprouver des sentiments d'iniquité et de culpabilité. Plusieurs auteurs montrent d’ailleurs que les conflits relativement aux rôles parentaux semblent davantage augmenter le stress des mères (Krauss, 1993; Heath & Orthner, 1999 ; Pelchat, Lefebvre & al., 2003). Cependant, tous les auteurs ne sont pas du même avis. En effet, certains montrent qu’une proportion importante de mères ayant un enfant atteint d’une déficience sont satisfaites de l’implication de leur conjoint auprès de l’enfant (Crowe & al., 2000; Simmerman, Blatcher & Baker, 2001).

En ce qui concerne les pères, plusieurs éléments semblent influencer leur stress parental. Les caractéristiques socio-démographiques des familles, la qualité des relations maritales et les caractéristiques de l'enfant sont susceptibles d’influencer les comportements des pères, l’intensité de leur stress et la qualité de leur engagement envers l’enfant ayant un problème de santé. En ce sens, Hornby (1995) précise que la classe sociale, le niveau de scolarité et le revenu sont inversement reliés au stress vécu par les pères. Comparativement aux mères, les pères présentent davantage de stress associé à leur capacité financière de répondre aux besoins de l’enfant (Heaman, 1995; Brown & Barbarin, 1996; Cohen, 1999). Cependant, d’autres auteurs prétendent que le manque de soutien financier est aussi un stresseur important pour les mères (Krauss, 1993; Heath & Orthner, 1999). Selon Heaman (1995), les mères seraient aussi préoccupées par la situation financière familiale, mais plutôt en regard des loisirs et des divertissements de la famille. Comparativement aux mères, l’expérience et le niveau de stress des pères sont plus influencés par les caractéristiques de la déficience (Frey, Fewell & Vadasy, 1989; Krauss, 1993; Heaman, 1995; Wanamaker & Glenwick, 1998; Cohen, 1999; Heath & Orthner, 1999 ; Roach, Orsmond & Barratt, 1999; Pelchat, Bisson & al., 2003; Keller & Honig, 2004) et par le sexe de l’enfant (Golberg & al., 1986; Frey & al., 1989; Krauss, 1993; Trute, 1995).

Pour ces auteurs, cette situation est reliée aux attentes élevées que les pères entretiennent à l’égard de leur enfant, particulièrement s’il s’agit d’un fils. Le père aurait plus de difficulté à s’adapter à la déficience d'un fils qu’à celle d'une fille et à ajuster ses attentes vis-à-vis du fils. Certains notent à ce sujet que le rôle traditionnel des pères, particulièrement avec les garçons, implique surtout le jeu avec l'enfant (Frey & al., 1989; Heaman, 1995; Hornby, 1995). Or, les opportunités pour s'engager dans des activités ludiques seraient limitées avec un enfant atteint d'une déficience sévère (Hornby, 1995). D’autres études montrent que les pères ressentent aussi davantage de stress que leur conjointe quant au tempérament de l’enfant, à ses habiletés de communication et au lien d’attachement père-enfant qu’ils ont davantage de difficulté à établir (Frey & al., 1989; Beckman, 1991; Krauss, 1993; Hornby, 1995; Cohen, 1999; Keller & Honig, 2004). Indépendamment du sexe du parent, il semble que l’âge de l’enfant soit un facteur important de stress parental, les parents de nouveau-nés ressentant un niveau de stress parental plus important que ceux d’enfant plus âgés (Ellis & al., 2002; Rautava, Lehtonen, Helenius & Sillanpaa, 2003). Pour Trute (1995), cet élément a cependant une plus grande influence chez la mère.

Plusieurs études montrent que les pères s’impliquent différemment des mères auprès de l’enfant (King & al., 1996; Simmerman & al., 2001) et que le temps passé avec celui-ci est tout aussi significatif (Bailey & al., 1992). D’autres auteurs se montrent encore plus nuancés en rappelant que l’engagement parental des pères varie selon les familles : alors que certains ne sont pas impliqués dans les soins à donner à leurs jeunes enfants, d'autres y participent étroitement (Jain, Belsky et Crnic, 1996). Quelques études montrent que l’histoire intergénérationnelle du père influence sa manière d’entrer en contact avec son enfant (Pelchat, Bisson & al., 2003 ; Weiss & Goebel, 2003). Selon l’étude de Pelchat, Bisson & al. (2003), les pères qui affirment avoir vécu moins de contrôle dans leur enfance sont plus sensibles à leur enfant. L’étude de Lillie (1993) montre aussi que les mères sont très présentes auprès de l'enfant qui a un problème de santé et que les pères doivent souvent faire face à la tendance de leur conjointe à les exclure des soins à l'enfant, diminuant ainsi leur implication. Pelchat, Lefebvre & al. (2003) affirment que les hommes susceptibles d’occuper un emploi plus stable et rémunérateur que les femmes les conduiraient à convenir de la répartition des tâches correspondant à des rôles plus traditionnels.

Ces auteurs s’expliquent aussi la présence moins soutenue des pères auprès des enfants par une sensibilité parentale plus faible et une difficulté à répondre aux besoins de l’enfant. Pour Keller et Honig (2004), ce n’est pas le manque de sensibilité des pères qui entrave l’attachement à leur enfant, mais plutôt leur inquiétude envahissante à l’égard des besoins spéciaux de l’enfant. Peu importe les facteurs en jeu, cette situation ne serait pas immuable, si l’on en croit Grossman, Pollack et Golding (1988), qui montrent que les pères apprennent fréquemment leur rôle de parent au contact des mères : plus celle-ci est habile à prendre soin de l’enfant, plus le père développe ses habiletés parentales. Enfin, d’un point de vue méthodologique, King & al. (1996) relèvent plusieurs facteurs expliquant le niveau d’engagement des pères, tel que rapporté dans les études. D’abord, les chercheurs ont longtemps sous-estimé l’importance du père dans la vie de l’enfant et assumé que les mères étaient plus affectées par la déficience de leur enfant. De plus, les mères sont souvent plus ouvertes à participer aux diverses études et plus engagées dans les soins thérapeutiques à l’enfant.

En somme, plusieurs facteurs interviennent dans les différences que l’on constate entre les pères et les mères d’enfant ayant un problème de santé. Certains auteurs montrent que ces difficultés résultent souvent des manières différentes de vivre l’expérience pour les pères et les mères d’enfant ayant une déficience (Bristol & al., 1998). Il semble d’ailleurs que ces parents se distinguent davantage au plan des facteurs qui influencent le stress et de la manière dont ils sont perçus par les pères et les mères, que de son intensité proprement dite (Krauss, 1993; Hughes & McCollum, 1994; Tamres, Janicki & Hegelson, 2002). Les femmes évalueraient plus sévèrement les sources de stress que les homme, faisant en sorte qu’elles ressentent un degré de stress plus important (Tamres & al., 2002). Kraus (1993) montre que les pères et les mères vivent un stress semblable en intensité, mais de nature différente (Krauss, 1993). Alors que les mères seraient plus sensibles à la santé de l’enfant, aux restrictions relatives aux rôles familiaux et à la relation conjugale et à leurs attentes face aux professionnels de la santé, les pères vivent davantage de stress relié au problème de l’enfant et à son lien d’attachement envers lui. Selon Heaman (1995), ces différences sont encore plus marquantes dans la manière dont le stress est géré par chacun, notamment en regard des stratégies d’adaptation mises en place par les pères et les mères.

L’adaptation des pères et des mères à la problématique de santé de l’enfant

Jusqu’au début des années quatre-vingt, très peu d’études se sont préoccupées des différences et des similitudes entre les mères et les pères dans le processus d’adaptation à l’enfant ayant une déficience et aux stratégies qu’ils privilégient pour faire face à cette situation génératrice de stress. Par contre, les études récentes font état de manières différentes de gérer le stress relativement au problème de santé de l’enfant. L’analyse critique des publications recensées permet de regrouper les stratégies employées par les pères et les mères d’enfants ayant un problème de santé sur les plans individuel, conjugal et extrafamilial.

Stratégies individuelles

Au plan individuel, les stratégies adaptatives des parents sont de nature émotionnelle, cognitive ou comportementale.

Les stratégies émotionnelles

Certaines études montrent que les mères ont tendance à gérer leur stress par l’expression de leur émotions (Sullivan, 2002; Pelchat, 1989; 1994; Pelchat, Lefebvre & al., 2003; Pelchat, Lefebvre, Proulx & Reidy, 2004b). Ce constat est important puisqu’il démontre l’importance du soutien expressif pour les mères. D’ailleurs, il est généralement reconnu que les femmes accordent une grande importance à leurs sentiments et leurs émotions pour les renseigner sur ce qu’elles vivent et les aider à déterminer les comportements à adopter dans le futur (Tannen, 1990). En revanche, ce type de stratégies ne serait que très peu employé par les pères (Krauss, 1993; Heath & Orthner, 1999; Pelchat, Lefebvre & al., 2003; Pelchat & al., 2004b). En fait, les résultats de plusieurs études rapportent un stoïcisme émotionnel important chez les pères d’enfant ayant un problème de santé (Gray, 2003; Heath & Orthner, 1999; Krauss, 1993; Pelchat, Lefebvre & al., 2003). Certaines études montrent que les mères affirment que les pères parlent peu de ce qu'ils vivent, qu’ils ont de la difficulté à s'exprimer et qu’elles doivent deviner ce qu'ils pensent et ce qu'ils ressentent (Heath & Orthner, 1999; Krauss, 1993; Pelchat, Lefebvre & al., 2003).

Les stratégies cognitives

En revanche, les pères utilisent davantage des stratégies cognitives de résolution de problèmes pour s’adapter à la situation que ne le font les mères (Benn & McColl, 2004; Frey & al., 1989; Heaman, 1995). Notons qu'en général, les hommes sont davantage portés vers l'action (Dulac, 2001). Selon Dulac (2001), les hommes privilégieraient ce type de solutions qu’ils considèrent plus efficaces puisque les résultats sont visibles et rapidement perceptibles. Cependant, toutes les études ne convergent pas en ce sens. Tamres et ses collaborateurs (2002) montrent que les hommes ne sont pas plus enclins à recourir à des stratégies de coping orientées vers la résolution de problèmes concrets que les femmes.

Les stratégies comportementales

Il semble que ce soit au plan des stratégies comportementales que les pères et les mères se ressemblent le plus. Plusieurs auteurs montrent que le fait de recevoir une information adéquate permet aux parents de s’adapter positivement au diagnostic des incapacités de l’enfant, tandis qu’un manque d’information génère un stress supplémentaire et pousse les parents à s’isoler (Finn, 1999; Pelchat, Lefebvre & Bouchard, 2001; Ellis & al., 2002; Pelchat, Lefebvre, Proulx & Reidy, 2002b; Starke & Moller, 2002; Taanila, Syrjala, Kokkonen & Jarvelin, 2002). Les auteurs soulignent que l’incertitude qui découle de la difficulté à établir un diagnostic peut elle-même donner lieu à de l’insécurité et de la frustration chez les parents, conflictualiser la relation conjugale et affecter les autres enfants du couple. Cependant, certaines études montrent des différences sur l’utilisation de la recherche d’information comme stratégie adaptative, les mères ayant davantage besoin d’information que les pères (King & al., 1996).

Quant à la stratégie d’évitement consistant principalement à éviter, fuir ou nier le problème, les écrits scientifiques montrent que ce sont les pères qui y ont le plus souvent recours (Lussier, 1998; Dulac, 2001 ; Frey & al., 1989; Gray, 2003; Tamres & al, 2002). De façon plus générale, il semble que les hommes adoptent plus souvent une attitude d’évitement face aux difficultés interpersonnelles et aux problèmes de santé d’autrui (Tamres et al., 2002). Par ailleurs, les pères d'un enfant ayant une déficience auraient plus d'occasions que les mères d'éviter les problèmes avec leur enfant et recourraient davantage au divertissement pour prendre une distance face au problème de l’enfant (Frey & al., 1989). À cet effet, Simon (1992 : cité par Brown & Barbarin, 1996) explique que la socialisation des femmes les conduirait à placer leur rôle parental en priorité, tandis que les hommes orienteraient davantage leurs priorités en fonction de la sphère professionnelle. Les stratégies adaptatives d’évitement seraient donc renforcées par les rôles traditionnels de genres (Keller & Honig, 2004).

Concernant l’efficacité de ce type de stratégie, Lengua et Stormshak (2000) montrent que les stratégies d’adaptation « actives » sont liées à un niveau plus faible de dépression que les stratégies dites « d’évitement ». Ceux-ci ont démontré que le recours à une stratégie d’adaptation donnée engendre les mêmes symptômes, qu’elles soient utilisées par un homme ou une femme. Les rôles de genre, et non le genre lui-même, permettraient de prédire les comportements adaptatifs privilégiés par les hommes et les femmes. Ce constat confirme les résultats de recherches antérieures à l’effet que la féminité serait associée au recours à des stratégies adaptatives d’intériorisation, et la masculinité à des stratégies d’extériorisation, ces deux rôles de genre étant présents chez l’homme et la femme (Lengua & Stormshak, 2000). Selon ces auteurs, le genre n’aurait pas d’influence sur l’utilisation d’une stratégie d’adaptation particulière, à l’exception du recours au soutien social qui serait davantage privilégié par les femmes.

Stratégies conjugales

Les mères accordent une grande importance à la complémentarité dans le couple, particulièrement au plan du soutien mutuel entre conjoints (Bristol et al., 1998; Brazil et Krueger, 2002; Pelchat, Lefebvre &., 2003). D’ailleurs, les états affectifs de la mère paraissent être intimement liés à la capacité de son conjoint d'être soutenant aux plans instrumental et expressif (Bristol et al., 1998). Le père qui épaule sa conjointe dans les tâches quotidiennes et qui est à l’écoute de ce qu’elle vit, l’aide considérablement à diminuer le stress qu’elle ressent. Cependant, cette stratégie n’est pas caractéristique de l’adaptation des mères, puisque le soutien entre les conjoints semble aussi important pour le père (Bristol et al., 1998; Gray, 2003; Yeh, 2004). La qualité du fonctionnement et le stress ressenti par les pères sont étroitement liés à la façon dont ils perçoivent le soutien reçu de la part de leur conjointe (Bristol & al, 1998). En fait, il semble que les pères et les mères aient des manières différentes de percevoir leurs interactions. Alors que les pères indiquent que le dialogue avec leur conjointe pour arriver à des ententes est une stratégies importante pour faire face au stress conjugal, ces dernières considèrent que le dialogue est un stratégie peu ou pas employée par leur conjoint (Krauss, 1993; Heath & Orthner, 1999; Pelchat, Lefebvre & al., 2003). De plus, si les mères critiquent aussi l’implication domestique des pères, les résultats de certaines études montrent qu’il s’agit là d’une stratégie adaptative qu’ils utilisent fréquemment, bien que de façon limitée dans le temps (Brown & Barbarin, 1996).

Stratégies extrafamiliales

Les stratégies adaptatives qui s’inscrivent dans le registre extrafamilial concernent notamment le recours au soutien informel de l’entourage et la recherche de soutien auprès des différentes ressources offertes par le réseau de la santé et des services sociaux.

Le soutien social

Le soutien social est une ressource adaptative importante. Il atténue le stress et agit comme facteur de protection qui favorise l’adaptation des parents à leur situation de vie avec l’enfant (Heninen & Kyngas, 1998; Hendricks, De Moor, Oud & Franken, 2000; Katz, 2002 ; Benn & McColl, 2004; Keller & Honig, 2004; Pelchat al., & 2004b). Ce besoin de soutien augmenterait dans les premières semaines suivant la naissance de l’enfant (Lohr, von Gontard & Roth, 2000) et serait plus important durant les premières années de la vie de l’enfant (Pelchat & al., 2002b). C’est d’ailleurs sur ce constat que reposent les programmes d’intervention familiale précoce (Pelchat, 1989 ; Pelchat & Lefebvre 2004; 2005).

Alors que certains auteurs avancent que le besoin de soutien social est sensiblement aussi important pour les pères que pour les mères (Lohr & al., 2000 ; Keller & Honig, 2004), la majorité indique que les mères ont davantage recours à l’aide fournie par leur entourage pour s’adapter au problème de santé de l’enfant (Frey & al., 1989; Krauss, 1993; Heaman, 1995; Brown & Barbarin, 1996; Wannamaker & Glenwick, 1998; Cohen, 1999; Lengua & Stormshak, 2000; Brazil et Krueger, 2002; Tamres & al., 2002; Gray, 2003). Les mères diffèrent également des pères en ce qu’elles ont besoin de rencontrer des parents aux prises avec la même situation (Bailey & al., 1992; King & al., 1996; Gray, 2003). Parce qu'elles assument une plus grande part des responsabilités des soins à l'enfant, il semble qu'elles valorisent beaucoup plus le fait de recevoir de l'assistance venant de l'entourage. Pour leur part, les pères auraient moins tendance à demander de l’aide et utiliseraient leur réseau social davantage dans le cadre de la pratique de leurs loisirs et lors d’activités sociales (Dulac, 2001). Seule l’étude de Katz (2002) ne va pas en ce sens, en montrant que le soutien social influence davantage les comportements adaptatifs des pères que ceux des mères.

Dulac (2001) explique ce constat par la socialisation différentielle des hommes et des femmes, qui les conduirait à utiliser différemment leurs ressources personnelles, dont le réseau de soutien social, pour s’adapter à diverses situations stressantes. Il semble que la propension à recourir à l’aide et au soutien du réseau social soit différente chez les hommes et les femmes, et que leurs réseaux respectifs soient aussi différemment constitués. Le réseau de soutien des femmes serait surtout féminin, intergénérationnel et basé sur les liens de parenté, tandis que celui des hommes serait exclusivement masculin, intragénérationnel et reposerait davantage sur des relations professionnelles (Dulac, 2001). Alors que le réseau de soutien des femmes est issu de la sphère relationnelle familiale ou privée et favorise l’expression des émotions, celui des hommes relève de domaine public et ne tend pas vers la manifestation des sentiments (Dulac, 2001). De plus, les pères se sentent plus souvent affectés par la maladresse des hommes de leur entourage (Pelchat, Lefebvre & al., 2003). Il semble d’ailleurs qu’ils soient plus à risque de vivre du stress que les mères en raison de leurs sentiments d'isolement et d'impuissance qui découlent entre autres du peu de soutien dont ils disposent (Tommiska & al., 2002).

En fait, les parents d’enfants ayant un problème de santé se sentent souvent marginalisés et stigmatisés par leur entourage (VanDuüren, 1998; Pelchat, Lefebvre & al., 2003). Il semble que les pères soient plus à risque de stress que les mères, en regard de la normalisation/stigmatisation face au problème de l’enfant (Pelchat, Lefebvre & al. 2003; Keller & Honig, 2004;). Ces auteurs constatent cependant que le stress interpersonnel de ces familles est semblable à celui des familles ayant des enfants sans atteinte.

Recours aux services du réseau de la santé et des services sociaux

Les services offerts par le réseau de la santé et des services sociaux ont aussi une influence importante sur l’adaptation des pères et des mères à la situation de vie avec l’enfant ayant un problème de santé (Thyen, Sperner, Morfeld, Meyer & Ravens-Siebere, 2003). Dans cette perspective, les parents d’enfant ayant une déficience sont plus susceptibles de vivre des problèmes familiaux et psychosociaux importants si elles ne bénéficient pas d’un soutien dès la naissance de l’enfant, et même tout au long de la vie, que les parents d’enfant sans atteinte (Gabor & Farnham, 1996; Pelchat, Bisson & al., 1999). De façon générale, il semble que les mères engagent plus souvent des démarches auprès des services de santé pour trouver des traitements et contrôler le problème de l’enfant (Frey & al., 1989; Brown & Barbarin, 1993; Krauss, 1993; Heaman, 1995; Cohen, 1999; Tamres & al., 2002 ; Gray, 2003; Jackson, Ternestedt & Scholin, 2003). Elles auraient plus de facilité à entrer en contact avec les éducateurs et les professionnels de la santé (Frey & al., 1989). À l’opposé, les écrits montrent que les pères ont moins recours à ce type de stratégie. Alors que certaines études montrent qu’ils ressentent de la méfiance à l’égard des professionnels de la santé (Pelchat, Lefebvre & Perrault, 2003), d’autres montrent qu’ils ont tout simplement moins de contacts avec les professionnels de la santé en raison de contraintes professionnelles (Jackson & al., 2003). Cette situation les amène à laisser les professionnels prendre les soins en charge.

De leur côté, professionnels et médecins ont encore aujourd'hui une vision stéréotypée des rôles des mères et des pères d'enfant ayant une déficience et conservent plusieurs préjugés, mythes et tabous (King & al., 1996; Pelchat, Lefebvre & Bouchard, 2001). Selon Dulac (2001), il est fréquent d'entendre les professionnels dépeindre les pères de façon négative. À leurs yeux, les pères ne demanderaient pas les services, donc n'en auraient pas besoin. Lorsqu'ils sont présents dans les interventions, ils resteraient en retrait et ne sembleraient pas avoir de besoins immédiats alors que les mères auraient des besoins prioritaires. Ces préjugés se traduisent dans la façon dont les médecins et professionnels interviennent auprès des parents (Traustadottir, 1991). L’annonce du diagnostic ou des incapacités, très souvent dite qu’à la mère, en l’absence du père, en est un bon exemple (Pelchat & al., 2001). La présence des deux parents est pourtant nécessaire lors de cette annonce, car elle permet d'inscrire dès le début leur parentalité (Clément, 1995; Dulac, 2000; Pelchat & al., 2001).

Dans le cadre d’un programme d’intervention familiale auprès de parents d’enfant ayant une déficience, les études de Pelchat et de ses collaborateurs (Pelchat, 1989; Pelchat, Bisson & al., 1999; Pelchat & Lefebvre, 2004; 2005) mettent en évidence les bienfaits d’une intervention familiale précoce auprès des familles qui implique le père dès l’annonce du diagnostic, particulièrement en ce qui a trait à la diminution du stress parental vécu suite à la naissance de l’enfant qui a une déficience et l’adaptation des parents à la situation de vie avec l’enfant. Le but de ce programme d’intervention est d’aider les membres de la famille à s’adapter à la situation dans laquelle ils se trouvent soudainement plongés. Pour se faire, ce programme vise l'autonomie de la famille, la promotion et l'actualisation de ses ressources internes et externes et de ses compétences, ainsi qu’une meilleure qualité de soins pour l’enfant. Les résultats de l’évaluation de ce programme montrent que dans le cadre du programme d’intervention précoce, les parents ont pu préserver un sentiment de bien-être dans la relation conjugale, au niveau de leur rôle de parents ainsi que dans leur situation familiale en général. Les pères et les mères s’adaptent plus positivement à la déficience de leur enfant que les autres parents, ce qui se traduit par des attitudes, des perceptions et des émotions plus positives à l’égard des différentes sphères de leur vie.

En somme, cette recension montre que les pères et les mères d’enfant ayant un problème de santé perçoivent différemment les sources de stress (Krauss, 1993; Hughes & McCollum, 1994; Tamres et al., 2002), ce qui a un impact sur les stratégies qu’ils mettent en oeuvre pour faire face au stress. Alors que les études montrent que les femmes perçoivent plus sévèrement les sources de stress (Tamres et al., 2002), elles utilisent aussi un plus large éventail de stratégies adaptatives que les pères (Goldbeck, 2001; Tamres & al., 2002; Benn &McColl, 2004). Cependant, les résultats de l’étude de Benn et McColl (2004) montrent que les stratégies mises en place par les deux parents seraient souvent de nature complémentaire (Benn & McColl, 2004). Les différences entre les pères et les mères auraient alors un impact positif sur l’adaptation familiale à la problématique de santé de l’enfant, en maintenant un équilibre au sein du couple.

L’adaptation et la transformation familiale

Certains parents évoluent relativement bien dans cette situation difficile en développant des stratégies adaptatives pour répondre aux exigences de la famille et s'ajuster aux besoins particuliers de l'enfant (Pelchat, 1989, 1994, 1995; Bouchard, Pelchat & al. 1994; Bennett, DeLuca & Allen, 1996). Cependant, pour d'autres parents, l'intensité du stress perçu dépasse leurs ressources adaptatives, se traduisant par des difficultés qui, à plus ou moins long terme, sont susceptibles de laisser des séquelles chez l'individu, le couple, l'enfant, la fratrie et même la famille élargie. Plusieurs familles vivent un stress intense qui dépasse souvent leurs ressources adaptatives, et se traduit par des difficultés qui pourraient avoir des répercussions chez tous les membres de la famille (VanDuüren, 1998; Pelchat & al., 2001).

Depuis la dernière décennie, le point de vue des chercheurs tend à être plus positif (Bennett & al., 1996; Scorgie & Sobsey, 2000). Au cours de cette période, le portrait des familles s'est grandement modifié au Québec et dans toute l’Amérique du Nord. Suivant ces transformations, les études portant sur les nouvelles compositions familiales tendent désormais à reconnaître les forces des familles, peu importe leur structure familiale. Elles indiquent notamment que les enfants peuvent se développer harmonieusement au sein d'une famille non-traditionnelle (Ford-Gilboe, 2000). Il en va de même des familles d’enfant atteint d’un problème de santé. Les chercheurs reconnaissent maintenant la capacité des parents à gérer efficacement et positivement la situation entraînée par l'arrivée de cet enfant (Pelchat, Lefebvre & Damiani, 2002a). En effet, des recherches récentes indiquent que ces familles s’adaptent de façon différente les unes des autres à l'enfant, et que toutes ne sont pas en difficulté (Bennett & al., 1996; Pelchat, Bisson & al., 1999; Pelchat, Ricard & al., 1999; Crowe & al., 2000). Des parents évolueraient relativement bien dans cette situation difficile en développant des stratégies adaptatives pour s’ajuster et répondre aux besoins particuliers de l’enfant (Bennett & al., 1996; Bouchard & al., 1994). Scorgie & Sobsey (2000) rapportent que certains parents vivent des changements positifs aux plans personnel, interpersonnel, de leur philosophie de vie et de leurs valeurs spirituelles suite à la naissance de l’enfant ayant un problème de santé. D’ailleurs, des études montrent que les parents d’enfant ayant un problème de santé se sentent souvent plus compétents dans leur rôle parental que les parents d’enfant sans problème (Roach & al., 1999; Lemanek & al., 2000)

Un regard critique sur les études antérieures

Cette recension des écrits a permis un survol de l’état actuel des connaissances sur l’expérience des pères et des mères d’enfant ayant un problème de santé. L’analyse met en lumière les aspects méconnus de cette situation, qui gagneraient à être mieux compris. Elle met également en évidence l’influence des fondements méthodologiques sur les résultats des études : cadre conceptuel, devis, outils de collecte des données, particularités de l’échantillon.

Du point de vue des devis de recherche d’abord, les études traitant de l’adaptation des parents d’enfants ayant une déficience ou une maladie chronique ont été réalisées en ayant principalement recours aux méthodes quantitatives de collecte et d’analyse des données. Bien qu’une telle approche facilite la comparaison des niveaux de stress des pères et des mères en regard de situations précises, elle ne permet pas une compréhension en profondeur de l’expérience de chacun des parents, leurs différences et leurs similitudes. Ces études ont été sélectionnées en fonction de leur validité empirique et, étant majoritairement réalisées à partir de larges échantillons de sujets en ayant recours à des outils statistiques validés, elles permettent d’assurer la généralisation des résultats. Peu d’études ont utilisé une approche qualitative de collecte et d’analyse des données pour étudier le phénomène du point de vue des acteurs eux-mêmes. L’avantage de ce type d’approche est de saisir en profondeur la signification accordée aux événements par les personnes qui sont directement concernées par la situation étudiée, et de permettre d’appréhender de nouveaux aspects de l’objet d’étude (Groulx, 1997). Les méthodes qualitatives sont tout à fait indiquées pour explorer des phénomènes sociaux peu étudiés, acquérir de nouvelles connaissances et contribuer à améliorer l’intervention auprès des clientèles concernées.

Dans un autre registre, il y a lieu d’examiner les variables qui ont été étudiées et la manière dont elles ont été conceptualisées. En effet, les études récentes apportent des informations intéressantes sur l’expérience respective des pères et des mères, les éléments qui génèrent le plus de stress pour chacun et les moyens qu’ils mettent en oeuvre pour y faire face. La plupart d’entre elles ont cependant mis l’accent sur les besoins, les perceptions et les comportements des mères, souvent au détriment de l’exploration de l’expérience des pères (Traustadottir, 1988; Cohen, 1999; Katz, 2002; King & al., 1996). Malgré le mouvement des dernières années qui tend à rétablir la situation, peu d’études se sont intéressées aux pères. Cet état de la situation s’explique à la fois par des facteurs sociaux et méthodologiques. D’abord, selon King & al. (1996), cette lacune n’est pas sans lien avec la mobilisation plus importante des mères à l’égard de la recherche et du manque de disponibilité des pères. En parallèle, peu d’études se sont penchées sur la spécificité de l’expérience des pères, leur manière particulière de vivre cette situation, la nature de la détresse et leurs façons de la gérer. Les recherches se sont plutôt orientées vers la comparaison de l’expérience des pères et des mères. Ces études permettent de rendre compte des divergences et des similitudes dans l’expérience de chacun, de leur évaluation d’une même source de stress et de leur processus d’adaptation dans un contexte social et culturel semblable. Cependant, leur conception méthodologique ne considère généralement pas les différences de genres, notamment dans le déroulement et les instruments de la collecte des données.

L’adaptation des parents à la problématique de santé de l’enfant est le résultats d’attitude et de comportements résilients qui sont influencés par des facteurs internes et externes agissant sur l’adaptation des parents (Pelchat & al., 2002a; Keller & Honig, 2004; Pelchat & Lefebvre, 2005), qualifiés de facteurs de protection ou de facteurs de risque (Cyrulnik, 2001). Les facteurs de protection sont des éléments présents dans les différentes sphères de la vie des parents, qui les protègent du stress et renforcent la capacité d’adaptation à une situation stressante (Cyrulnik, 2001). Dans cette perspective, la résilience est l’aptitude à utiliser les facteurs de protection de manière à faire face aux facteurs de risque et stresseurs. La résilience est un processus dynamique qui se développe en fonction des expériences individuelles et familiales. L’histoire intergénérationnelle et personnelle du père et de la mère façonne la manière dont les ressources internes et externes sont perçues et employées par ceux-ci et détermine la signification qu’ils accordent à l’événement. De même, la résilience des parents est influencée par l’attitude des médecins et des professionnels de la santé (Richardson, 2002).

Cependant, la perception de ce que vivent les mères et les pères d’enfants avec et sans déficience du point de vue des professionnels et des médecins a été peu étudiée. Ces données sont pourtant nécessaires afin de rendre l'intervention plus spécifique à chacun des parents et par le fait même plus satisfaisante pour les professionnels. Il importe donc de reconsidérer les variables à partir desquelles l’expérience et l’adaptation des parents est conceptualisée et évaluée. Cette conceptualisation doit considérer l’expérience spécifique de chacun des parents, sa culture, son histoire personnelle et intergénérationnelle ainsi que les facteurs de risque et de protection qui lui sont propres, afin d’avoir accès à une compréhension en profondeur du processus d’adaptation au problème de santé de l’enfant.

Ce processus est lui même accompagné d’un potentiel d’apprentissage (Pelchat, Lefebvre, Proulx, Bouchard, Perreault & Bouchard, 2004a). En effet, comme le montrent les études de la dernière décennie, les parents apprennent et se transforment au contact de leur enfant (Bouchard & al., 1994; Bennett & al., 1996; Ford-Gilboe, 2000; Lemanek & al., 2000; Roach & al., 1999; Scorgie & Sobsey, 2000; Pelchat & al., 2004a). Ce mouvement en émergence s'inscrit dans le contexte d'une nouvelle vision de l'éducation familiale qui reconnaît l'existence et la pertinence des savoirs acquis par les individus dans l'expérience. Par ses expériences et une exposition à des situations particulières, chaque individu acquiert et accumule des connaissances, des habiletés, des attitudes et une introspection qui permettent de s’adapter aux différentes situations de la vie (Jarvis, 1992). Cette nouvelle vision de l’éducation familiale s’inscrit dans le courant de l’éducation pour la santé, qui favorise l’établissement d’un nouveau type de relation entre la famille et les professionnels. Ce partage semble favoriser l’évolution des pratiques professionnelles et une relation plus saine et plus satisfaisante avec les familles (Pelchat & Lefebvre, 2005). Les savoirs s’acquièrent, par et dans l’action, souvent par l’intermédiaire de moyens mis à la disposition de chacun et selon leur propre initiative. La prise en compte de ces savoirs permet de mieux saisir comment s’articulent les savoirs des experts avec ceux des familles et la nature des difficultés qui entravent leur développement.

Cependant, peu d’auteurs se sont attardés aux apprentissages et aux stratégies d’adaptation mises de l’avant par les mères et les pères d’un enfant ayant un problème de santé. Seuls Pelchat et ses collaborateurs (Pelchat & al., 2004a) ont exploré les savoirs acquis dans l'expérience de parents d’enfant ayant une trisomie et des infirmières impliquées auprès d'eux dans le cadre de l’application d’un programme d’intervention familiale (PRIFAM). L'étude a montré que les parents acquièrent des savoirs théoriques, d’action et de transformation suite à la naissance de l'enfant atteint d'une trisomie. De plus, l'étude indique qu’il importe pour les infirmières de se préoccuper de la signification de cet événement pour chacun des parents et pour elles-mêmes et de prendre le temps de s’apprivoiser mutuellement. Réfléchir sur ce que chacun vit, se questionner, faire circuler l’information entre les partenaires impliqués, reconnaître les compétences des familles, être présents et à l’écoute dans le respect de l’expérience de chacun semblent être des conditions qui permettent à chacun d’apprendre et de rendre positif cet événement difficile (Pelchat & al., 2004a). Les apprentissages des parents dans le cadre de leur expérience avec l’enfant ayant une problématique de santé fait donc partie des éléments que les recherches futures gagneraient à explorer.

Conclusion

Les pères et les mères présentent des différences et des similitudes dans leur expérience de parent d’un enfant ayant un problème de santé. L’analyse critique des écrits a permis de relever les lacunes des écrits scientifiques : recherche majoritairement quantitative occultant l’altérité de l’expérience, manque d’intérêt des chercheurs pour les pères, pour une vision holistique du phénomène qui considère les représentations de l’ensemble des acteurs impliqués, et pour l’incidence positive de la venue et de la présence de l’enfant ayant une déficience dans la vie des parents. Ces constats montrent bien l’importance de promouvoir une approche qualitative qui soutient la mobilisation et l’interaction des acteurs sociaux (Pirès, 1997; Poupart, 1997), de même que la mise en commun de leurs savoirs singuliers, dans une perspective d’interdisciplinarité, pour l’exploration de nouvelles avenues de recherche.

Ces constats, consolidés par l’expérience clinique et de recherche, a amené les auteurs à élaborer une étude qualitative portant sur les apprentissages réalisés par les pères et les mères d'un enfant ayant une déficience motrice cérébrale (DMC), sur les stratégies d’adaptation qu’ils utilisent pour s'ajuster à la situation de même que leurs conditions de réalisation. L’acquisition de savoir est facilitée dans le cadre des relations de partenariat entre les parents d’un enfant ayant une DMC et les professionnels et les médecins qui travaillent avec eux. L’originalité de cette étude est de permettre une analyse en profondeur de l’expérience vécue de chacun, ainsi qu’une mise en relation des perceptions des parents et des professionnels et des médecins quant aux apprentissages réalisés par les parents par le biais des stratégies adaptatives qu’ils mettent en oeuvre.

Dans le contexte de la réforme des services de santé, qui mise de plus en plus sur la responsabilisation des familles, il devient pressant d’examiner l'expérience des pères et des mères et les représentations des professionnels de la santé relativement aux expériences parentales. Cette étude considère l’interdisciplinarité et le partenariat comme étant porteurs d’un potentiel d’apprentissage pour les professionnels, experts de leur discipline, de même que pour les pères et les mères, détenant chacun une expertise particulière de leur situation de vie avec leur enfant.