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Les espaces du chez-soi renvoient à des territoires individuels, mais aussi familiaux de plusieurs échelles : le domicile ; le chez-soi que l’on peut traduire de manière imparfaite par le quartier ; le chez-soi des « origines » à l’échelle d’une région ou d’un pays. Ces différentes échelles peuvent être mises en lien avec ce que Nicolas Robette appelle la dimension temporelle de l’observation des lieux :

Par exemple sur une période d’une heure, on pourra appréhender les pratiques dans l’environnement domestique, sur une journée, les déplacements quotidiens dans l’aire urbaine d’habitation, sur plusieurs mois les lieux de séjour et les pratiques résidentielles, ou sur plusieurs années les migrations interrégionales ou internationales. (Robette, 2012)

Les chez-soi peuvent également être rapprochés des lieux de famille étudiés par Catherine Bonvalet et Eva Lelièvre (Bonvalet et Lelièvre, 2005). Plusieurs formes de territoires peuvent aussi être proposées : le territoire d’origine, le territoire parcouru, le territoire fréquenté au moment de l’enquête, le territoire projeté et le territoire perçu. Ils permettent de reconstruire les différents univers géographiques qui se succèdent au long de la vie des enquêté.e.s (Lelièvre et Imbert, 2002). De fait, étudier le chez-soi, c’est s’attacher aux différentes temporalités de l’existence humaine c’est-à-dire, le temps présent du quotidien, mais également le temps long de l’histoire personnelle et familiale. Les dimensions spatiales et temporelles s’articulent à une troisième dimension, la dimension relationnelle entre cohabitant.e.s : interactions conjugales et parents/enfant(s) notamment. Si les dimensions spatiales, temporelles et relationnelles peuvent être distinguées pour les besoins de l’analyse, elles sont toujours intimement articulées dans l’expérience des individus.

Dans cette perspective, ce présent numéro, grâce aux différents articles qui le composent, cherche à saisir comment le chez-soi intervient dans la construction des identités individuelles et familiales dans les sociétés individualistes contemporaines pour envisager dans le même temps, les limites qui peuvent être observées à cette fonction du chez-soi.

La réflexion proposée s’inscrit dans une perspective qui met au centre l’individu – bien qu’inscrit dans des groupes notamment familiaux – et s’intéresse à l’expérience qu’il a du monde dans lequel il vit et qu’il a de lui-même. Cette posture « augmente la sensibilité du regard sociologique envers au moins trois choses : le travail sur soi, la singularité et le fait pour l’individu de se donner une certaine cohérence » (Martuccelli et Singly, 2009 : 92). Elle postule une conscience réflexive : comment l’acteur social se perçoit-il comme individu ? Comment se distingue-t-il de ses liens familiaux ? L’expérience de soi implique ainsi la conscience de soi qui réside dans le « je » : « Dès qu'il y a conscience, en effet, il y a un sujet qui se pense comme distinct de tout ce qui n'est pas lui, un sujet qui dit “je” » (Durkheim, 1903 : 151). Ce dossier cerne plus spécifiquement l’idée du chez-soi comme un espace qui intervient dans la construction d’un « individu individualisé » où chaque membre du groupe familial pourrait ainsi être considéré, notamment dans les sociétés individualistes contemporaines. Les conditions de ce « je » s’incarnent par l’injonction à disposer d’un espace à soi, parmi les autres. Ainsi, un chez-soi peut être posé comme le terreau de la construction d’un « je » : d’une identité personnelle, de l’autonomie de l’individu, de son pouvoir sur soi et de son rapport au territoire (Simard et Savoie, 2009).

Dans la cohabitation familiale, conjugale et intergénérationnelle, la construction du chez-soi se joue dans des rapports d’interaction avec les autres membres de la famille qui ont également leur propre construction et conception du chez-soi. Ces constructions et conceptions sont orientées par la position occupée par l’individu dans l’ordre familial (la place dans le groupe familial, l’âge, le sexe…) produisant par là même des rapports différenciés et parfois dissymétriques. En effet, dans la situation de cohabitation des jeunes adultes chez leurs parents, le chez-soi est défini par trois « chez » : « chez-moi[1] », « chez mon-mes parent-s », « chez nous » (Ramos, 2002). Ces trois « chez » peuvent être pensés dans toute autre situation de chez-soi : le premier renvoie aux territoires personnels ; le deuxième aux règles et aux lois qui régissent une cohabitation et l’espace dans lequel est inséré le chez-soi. Dans ce cas, il est défini par un aspect statutaire et hiérarchique, l’individu a une place assignée par son statut. Enfin, le troisième s’incarne par une appartenance et une place dans un groupe ou une communauté où l’individu est considéré comme égal. Si le premier « chez » est principal dans le processus d’individualisation, tout autant le sont les deux autres qui amènent, d’une part, à la mise au jour des limites du « chez-moi », d’autre part, à la question de l’inscription de l’individu dans le groupe, notamment familial.

Le « chez-moi » : la construction de territoires personnels et de ses limites

Le chez-soi[2] comme territoire personnel participe à la construction du « je ». Dans les représentations des individus, ce territoire personnel est souvent décrit comme ayant des qualités propres et propices à l’expression de l’identité individuelle, mais à certaines conditions.

L’expression de soi dans les territoires personnels

Pascal Dreyer s’intéresse aux motivations des personnes âgées et très âgées à se maintenir chez elles « jusqu’au bout de leur vie[3] » (Dreyer, 2017). S’appuyant sur des recherches effectuées sur ce point (Delsalle, 2013, 2016), il en identifie quatre : « la liberté, le confort, le bien-être et la prise de risque ». Selon l’auteur, « On reste chez soi parce qu’on y est libre de faire ce que l’on veut, comme on veut et quand on veut. Parce qu’on y éprouve un confort patiemment construit au fil des ans : l’espace du logement a été façonné pour s’ajuster au plus près des habitudes de vie et des manières de faire. Réciproquement, le corps s’est transformé au contact de ces lieux au point de se fondre en eux. On reste aussi chez soi, parce qu’on y éprouve un bien-être sans équivalent : on y goûte, par exemple, un repos que l’on retrouve rarement ailleurs. Enfin, on souhaite rester chez soi parce qu’on peut y prendre des risques avec le sentiment de ne pas se mettre en danger » (Dreyer, 2017 : 10). La première des motivations citées est la liberté, la liberté d’agir à sa guise dans ce chez-soi construit à sa mesure et qui permet de ressentir confort, bien-être et sécurité. Ces sensations et cette attirance pour le chez-soi ne sont pas uniquement éprouvées par les personnes âgées. Dans une enquête portant sur le chez-soi et le franchissement de son seuil, Jean-Claude Kaufmann décrit finement les sensations vécues par certains de ses enquêté.e.s telle madame O. Lors de son retour dans son chez-soi, madame O. y « plonge comme on plonge dans un bain tiède » dès qu’elle franchit la porte, immédiatement enveloppée par une perception de bien-être et de repos » (Kaufmann, 1996 : 287).

Si le chez-soi permet la liberté de faire, il doit également s’envisager comme un espace qui permet la liberté d’être. Chez-soi, on souhaite être libre de faire ce qu’on veut et être libre d’être qui on veut ou plutôt d’être qui on est. C’est ici l’idée partagée selon laquelle le chez-soi permet la manifestation de l’authenticité, de l’intimité de la personne. C’est comme si chez-soi, dans son territoire personnel, on pouvait ne pas jouer de rôle, ne pas être en représentation et être ainsi « au naturel ». L’article de Félix Duclaux Habit Tankeu et Honoré Mimche présent dans ce numéro discute cette possibilité d’être soi dans son chez-soi. Il étudie des situations de cohabitation intergénérationnelle au Cameroun, en partant de l’exemple de couples accueillant sous leur toit, pour un séjour long, la mère de l’un des deux conjoints. Ils reproduisent plusieurs extraits d’entretiens de leurs enquêté.e.s qui soutiennent l’idée selon laquelle le chez-soi permet l’expression de son authenticité, mais qui, dans la situation qu’analysent les auteurs, est menacée par la présence d’une mère/belle-mère.

Construire des limites aux « chez-moi »

Le chez-soi est souvent représenté comme un espace concret ayant des limites. Des appareillages de séparation tels que la porte, les verrous et les clés (Kaufmann, 1996), des zones intermédiaires telles que le seuil (Rosselin, 1995) marquent les frontières entre le chez-soi et le hors chez-soi, le non chez-soi, entre l’intérieur et l’extérieur, entre la sphère privée (Serfaty-Garzon, 2003) et la sphère publique. Ces marqueurs servent à la fois à protéger l’intérieur de l’intrusion de l’extérieur et à garantir sa liberté d’agir et d’être à l’intérieur (Zielinski, 2015). La porte du logement est « à la fois celle dont on surveille matériellement la fermeture avec le plus d’attention et qui symbolise une limite existentielle fondamentale : l’entrée dans le domaine intime et sacré du chez-soi » (Kaufmann, 1996), et on pourrait ajouter, du soi. Cette sphère privée ou privacy est pour Perla Serfaty-Garzon comme :

Une revendication de respect par le corps social du domaine domestique. (…) Elle s’incarne dans une conscience aiguë de l’existence d’un espace intérieur individuel toujours à défendre par le sujet contre les intrusions de ce corps social. Le privé est ainsi une dynamique de distanciation par rapport au monde extérieur parce qu’il est perçu comme toujours tenté par l’intrusion de l’intérieur et du familial, et par la mise sous tutelle du sujet. (Ibid. : 69-70)

Être libre chez-soi, c’est donc avoir le pouvoir d’édicter ses règles. Par contraste, cette spécificité se révèle dans les situations où les personnes sont dépourvues de ce pouvoir. Élodie Jouve et Pascale Pichon (Jouve et Pichon, 2015 ; Pichon, 2019) enquêtent sur les trajectoires résidentielles et assistancielles des personnes sans domicile fixe. Elles montrent comment les institutions d’hébergement et de logement accompagné ne favorisent pas la construction d’un chez-soi et l’expression de son soi dans ce chez-soi « tant la perspective d’accéder à un lieu de vie choisi demeure hypothétique, tant la prise en compte par les accompagnements sociaux de ce qui attache chacun à autrui, aux animaux de compagnie, aux lieux, aux choses, se heurte à la normativité des institutions » (ibid. : 48). Dans ces lieux d’hébergement d’urgence et transitoires, les personnes n’ont pas réellement le pouvoir de faire ce qu’elles veulent et d’être qui elles veulent, les règles des lieux étant régies par l’institution. De ce point de vue, elles ne sont pas chez elles, même si par certains égards elles peuvent « se sentir » chez elles, mais jusqu’à une certaine limite. Ce paradoxe souligne pour l’auteure « un positionnement fréquent des accompagnants sociaux (qui) met en évidence le risque que l’attachement au lieu compromette le désir de la sortie de l’institution » (Pichon, 2019 : 78) et le souhait d’aller construire ailleurs  un vrai chez-soi. Odile Macchi et Nicolas Oppenchaim (2019) s’intéressent à une autre population, au cas des adolescent.e.s qui grandissent dans une chambre d’hôtel[4]. Là encore les jeunes sont confronté.e.s aux règles du lieu (règlement sur l’usage et l’appropriation de la chambre, sur le droit de visite des personnes extérieures à l’hôtel et sur l’usage des espaces communs) qui leur permettent difficilement d’investir cette chambre comme un chez-soi. De plus, la chambre d’hôtel est un espace exigu que l’adolescent.e partage avec tous les membres de sa famille, ce qui rend difficile, voire impossible, la construction d’un territoire personnel d’expression de soi autonome et libre, distinct de l’espace familial.

Plusieurs articles de ce numéro montrent comment ces territoires personnels sont délimités, protégés et négociés pour être ou rester ce lieu d’expression de soi.

Retrouvons l’article de Félix Duclaux Habit Tankeu et Honoré Mimche. Pour des couples camerounais, la présence au long cours de la mère de l’un des deux conjoint.e.s peut interférer dans la relation et l’intimité conjugale en menaçant l’individualisation du couple. Par respect pour le parent et dans le souci de préserver leur intimité, les conjoints reconfigurent leurs interactions selon les espaces de la maison. L’expression sentimentale n’a plus vraiment sa place dans les espaces partagés avec le parent et le restant de la famille (les enfants). Le cas échéant, celle-ci se reterritorialise dans la chambre conjugale devenant la délimitation du chez-soi conjugal. L’article analyse ainsi comment la maison est constituée d’espaces différents, délimités par leurs usages et appropriations particuliers, auxquels chacun.e doit se conformer. Dans ce contexte :

La chambre devient pour les couples en situation de cohabitation intergénérationnelle l’espace privilégié d’expression et du vécu de l’intimité conjugale au détriment des autres pièces de la maison, car, en tant qu’espace à l’accès limité qui est respecté par autrui comme tel, elle n’est pas codée par autrui comme un espace collectif « ouvert à tous ». (Berthou, 2012)

La chambre, cet espace du chez-soi conjugal, possède des frontières physiques : murs, portes qui le clôturent et soustraient ses occupants du regard des autres membres de la famille… mais pas toujours des oreilles.

Dans l’article de Noé Klein, Chiara Piazzesi et Hélène Belleau, le chez-soi est étudié au prisme du linge et de son entretien pour dévoiler l’organisation et les délimitations spatio-temporelles au sein de ménages québécois. Les auteur.e.s rappellent que l’entretien du linge s’est petit à petit privatisé au sein de la sphère familiale et montrent comment son usage marque puissamment la séparation entre le dehors et le dedans du chez-soi, entre le public et le privé. Les habitant.e.s du logement cherchent à soustraire de la vue des invité.e.s le linge en cours d’entretien : la présence ou l’absence du linge dans le coup d’œil sur le chez-soi est un élément clé de la présentation de soi. Pour les auteur.e.s, « la séparation entre le chez-soi et un monde extérieur se manifeste aussi par le linge ». Les personnes se changent lorsqu’elles rentrent chez elles pour privilégier des vêtements plus confortables que ceux revêtus au-dehors. Ces « vêtements ‘‘mous’’ d’intérieurs sont un révélateur particulier de la distinction spatiale du chez-soi et du monde extérieur ».

L’article analyse les déambulations du linge au sein du logement en suivant son cycle qui va du sale, au propre et au ranger pour en dévoiler plus intimement l’organisation spatio-temporelle. On voit ainsi apparaître des zones du linge : les « zones dédiées » c’est-à-dire les espaces de rangement du linge qu’il soit personnel ou collectif (garde-robes, armoires, commodes, paniers de linge sale…) ; les « zones d’exclusion » « où la présence du linge est indésirable » et les « zones de sursis », « où la présence du linge est tolérée ». La constitution de ces zones et de leurs frontières résulte d’interactions et de négociations. Pour les auteur.e.s, « le terme ‘’frontière’’ désigne une opération de démarcation qui fait émerger un espace social (interaction, lien, groupe, communauté, institution) en tant qu’ensemble organisé de significations ». Ces « zones de linge » peuvent être vues aussi comme autant de « zones » de chez-soi : des territoires individuels aux territoires familiaux qui s’entrechoquent, s’empiètent, se différencient. Elles permettent de percevoir les stratégies des acteur.trice.s dans la revendication de certains territoires individualisés, telles les armoires ou les penderies pour le rangement de vêtements personnels. Le placard à vêtement peut devenir un coin à soi, l’expression du « chez-moi » individuel, de son soi intime.

Un autre article de ce numéro révèle l’existence de micro lieux supports de chez-soi. Sandra Gaviria étudie la situation de jeunes de retour au domicile parental après avoir connu une indépendance résidentielle. Elle s’interroge sur l’évolution du sentiment de chez-soi dans ces circonstances en s’intéressant à la manière dont ces jeunes se réinstallent (ou non). Il apparaît que la réappropriation des lieux ne se fait pas ou peu : ils.elles ne réemménagent pas, ne redécorent pas la pièce attribuée (quelquefois, ils.elles retrouvent leur chambre d’enfant, mais pas toujours) manifestant par là leur désir de ne pas s’attarder au foyer parental. Pour Sandra Gaviria, ces attitudes montrent le souhait de ne pas refaire un chez-soi : ce retour doit être le plus court possible et vécu comme une parenthèse. C’est aussi une manœuvre de protection de soi, car « avoir un sentiment de ‘’chez-soi’’ (…) les renverrait à un sentiment d’échec quant à leur trajectoire personnelle ». C’est ainsi que les cartons de déménagement remplis d’affaires personnelles ne sont pas déballés : comme s’ils détenaient le « vrai chez-soi », lieu de la liberté, de l’authenticité et de l’intimité, prêt à être réactivé dans le prochain logement indépendant. Ainsi « l’espace du chez-soi ne correspond pas nécessairement avec l’espace que stricto sensu nous appelons une maison » (Vassart, 2006). À l’instar de travaux sur le sans-abrisme (Margier, 2014 ; Pichon, 2002) ou sur l’usage du téléphone portable dans la construction du chez-soi pour des personnes logées en foyers de travailleurs migrants (Guérin, 2019), l’article de Sandra Gaviria comme celui de Noé Klein et al., montrent comment ce chez-soi peut se nicher, se délimiter par l’action de l’individu, dans des espaces particuliers.

Les pièges du chez-soi 

On ne peut évoquer ce territoire personnel qu’est le chez-soi sans en envisager les menaces, les pièges. Tout se passe comme si ce chez-soi, lieu attendu de liberté, d’authenticité, d’intimité peut se retourner contre soi. Plusieurs articles de ce numéro explorent cette piste d’analyse.

Les épreuves du chez-soi

C’est le propos de l’article de Valérie Sacriste qui vient questionner les représentations associées au chez-soi. D’emblée, elle précise que « le chez-soi n’est pas un refuge stable et rassurant à jamais. Il peut au contraire, à maints moments de la vie, devenir source d’inquiétudes et de complexité ». Pour soutenir son propos, l’auteure retrace quatre séquences du rapport à l’espace du logement qui va de l’installation, l’appropriation, la gestion à la perte. Elle étudie l’interaction individu/logement et rend compte de la relation de l’habitant à l’espace habité, lors de ces quatre séquences, en soulignant ce qui peut faire obstacle au sentiment de chez-soi. Elle évoque un certain nombre d’ « épreuves » (Martuccelli, 2006) du chez-soi qui, lorsqu’elles sont vécues, peuvent impacter fortement le sentiment même d’« avoir-être-se sentir chez soi ». Ce faisant, elles ont des répercussions sur la construction et l’expérimentation de soi. La démonstration met en lien les épreuves du logement liées à différentes séquences et à des épreuves qui peuvent conduire à quatre catégories de sentiments : la déstabilisation de soi, la désappropriation de soi, la fatigue de soi et la ruine de soi.

Quand le chez-soi devient lieu de repli

Clément Reversé interroge le sentiment de chez-soi de jeunes issu.e.s du milieu rural et des classes populaires, en France. Il décrit finement comment les caractéristiques du territoire local leur apportent de moins en moins la possibilité de se sentir y appartenir, de faire partie du « coin » et les amènent à se retirer dans le foyer familial. L’auteur analyse les mécanismes de repli dans ce « cocon » par le manque de reconnaissance dans le « coin ». Il étudie les effets de ce repli lorsqu’il n’y a que ce chez-soi pour être soi. Si ce cocon peut les protéger du regard extérieur, il leur offre aussi un espace - limité - de construction de soi. Les espaces familiaux sont, dans certains cas, des lieux de mésententes, de conflits et même de violence ; des lieux où la revendication de son soi individuel n’est pas toujours prise en compte, comme dans l’exemple d’une jeune lesbienne victime des moqueries et vexations incessantes des membres de sa famille. Dans cette perspective, l’article de Sandra Gaviria propose le contre-exemple d’une attitude de jeunes visant à ne pas s’ancrer pour ne pas se replier : les jeunes rencontré.e.s ne veulent pas s’installer, ne veulent pas faire cocon. Nous voyons alors comment le repli dans ce chez-soi peut discréditer l’individu. Le chez-soi n’est plus un levier de construction de soi, mais un espace de discrédit de soi et pour les autres.

Quand le chez-soi ne fait plus vraiment sens.

L’article de Christophe Humbert s’intéresse au vieillir chez-soi de personnes âgées qui ont besoin d’aide (familiale et/ou professionnelle) pour se maintenir à leur domicile. Il interroge les effets que ces interventions au domicile peuvent provoquer sur le sentiment de chez-soi des personnes concernées. Le chez-soi peut ne plus constituer un « rempart » contre le monde extérieur et être vécu comme « envahi » par les personnes appelées à y intervenir. Du fait de leur présence et de leur intervention, elles leur dictent de nouvelles règles de vie. L’auteur s’intéresse spécifiquement à l’ambiguïté de l’attachement au domicile dans des situations définies comme limites, qui mettent à mal la continuité identitaire. Il envisage spécifiquement deux cas de figure : celle où les personnes sont attachées de manière identitaire-incertaine à leur domicile et l’autre, de manière identitaire-insécure. Tout se passe comme si le sens du chez-soi s’était délité, appauvri. Les individus ne réussissent plus à renégocier avec ce « chez-moi » une « fonction de lieu de socialisation et de vie privée, restant ainsi un safe space  (Milligan, 2009) ». Mais si, dans les situations étudiées par Christophe Humbert, les aidant.e.s peuvent constituer une menace qui porte atteinte au chez-soi, ils peuvent aussi constituer des leviers pour maintenir une continuité avec la vie d’avant qui permet au chez-soi d’en rester un. D’autres éléments sont à prendre en compte dans les analyses : la dimension relationnelle dans l’expérience du chez-soi et du soi.

Quand le chez-nous contraint le chez-soi : le double « nous » entre assignation et appartenances

Ainsi, dans cette réflexion, le chez-soi est toujours en lien avec un chez-nous dans lequel l’individu est à deux têtes qu’on pourrait décrire comme étant en permanentes négociations : celles du « je » statutaire et celle du « je » appartenances.

Dans le modèle des trois « chez », le chez-nous correspond à la deuxième et troisième dimension : « chez mon-mes parent-s » qui correspond aux règles et aux lois régissant une cohabitation, est défini par un aspect statutaire et hiérarchique ; et « chez-nous » dont la caractéristique principale est la convivialité familiale. C’est la dimension de l’appartenance dans laquelle l’individu se sent membre du groupe et considéré comme égal. Ainsi, l’individu a une place dans le groupe et les générations (il est « conjoint.e», « fils /fille de », « père /mère de », etc.), il peut être assigné ou s’auto-assigner. Cette dimension relève plutôt d’une structuration de la famille et d’une hiérarchisation des places et des relations. Il est également interlocuteur dans une relation de réciprocité où les proches – quels que soient leurs places, leurs âges, leurs sexes – s’inscrivent davantage dans une relation égalitaire. La question du statut du chez-nous dans la construction du chez-soi se pose. Les différentes contributions dans ce numéro enseignent ainsi sur la façon dont le chez-nous contraint le « chez-moi ». À partir de divers angles, elles permettent de présenter la famille comme une instance paradoxale de validation de l’individu de par sa double fonction, celle d’assignation et celle d’appartenances. Retenons les deux chez-nous que nous nommerons par commodités le chez-nous-assignation et le chez-nous-appartenances. Le chez-nous-assignation renvoie aux règles d’organisation du temps et de l’espace domestique et quotidien ; le chez-nous-appartenances garde/tient l’individu dans le groupe et vient faire office d’ancrage. Selon les situations et les interactions, le « je » mobilisé peut être le « je » statutaire ou le « je » appartenances. Examinons maintenant l’articulation assignation/appartenances interne à la construction du chez-soi à partir de certaines contributions.

Des rôles dans le couple : la part collective et familiale du linge revient aux femmes

Le chez-nous-assignation est particulièrement présent dans l’article sur le linge qui appréhende la structuration spatiale et temporelle du chez-soi et les processus relationnels à l’œuvre dans la prise en charge du linge au sein du couple et de la famille. Comme nous l’avons vu précédemment, les auteur.e.s rendent compte, à partir du cycle du linge, de sa prise en charge différenciée selon sa catégorie; de l’ancrage spatio-temporel du linge par zones (dédiées, d’exclusion, de sursis) ainsi que des répétitions, de la circulation, du rythme et des cadences de sa prise en charge. Les auteur.e.s montrent également une différenciation genrée. Malgré les discours et les tentatives de répartition égalitaire entre conjoint.e.s, on observe un déséquilibre de la place occupée par les femmes dans le chez-soi qui gèrent davantage la part collective et familiale du linge[5]. Un moment exacerbe particulièrement cette différenciation, la naissance des enfants. Le linge participe ainsi à la construction spatio-temporelle de l’assignation à une place qui rend difficile la fonction du chez-soi comme espace soutenant une identité individuelle. Sa prise en charge désigne une opération de démarcation des territoires entre conjoint.e.s et une différenciation de genre avec un jeu d’émergence et de renforcement de frontières. À travers les opérations concernant le linge - plus ou moins stabilisées - des frontières sont créées, renforcées, modifiées : le chez-soi émerge « d’un travail répété de démarcation et de distinction entre les espaces, moments, activités dans le cycle quotidien de vie des acteurs sociaux qui habitent ce chez-soi ». Les différents membres de la famille ne contribuent pas de la même façon à l’émergence et au renforcement des frontières du chez-soi ; à l’organisation de l’espace et au temps qui le constitue ; et au maintien des frontières entre moi et l’autre. Si l’on peut relever des niches d’individualisation – par exemple, la place alternée des affaires de chacun des membres du couple dans un rangement vertical pour préserver le confort de chacun d’entre eux – « la responsable des débordements » reste désignée.

Quand l’appauvrissement de la conversation définit les relations parents/enfant(s) sous un mode statutaire

L’article d’Anaïs Mary interroge le maintien inhabituel au domicile d’un des membres de la famille dans une situation particulière : la mère au foyer durant la période des traitements contre le cancer. La présence de la mère au foyer apparaît déliter les relations en renforçant le « nous » statutaire dans lequel les relations parents/enfant(s) se jouent sous le mode hiérarchique et inégalitaire. L’auteure montre comment le cancer vient redistribuer les cartes temporelles, spatiales et également relationnelles. Pour les adolescent.e.s, du point de vue des mères, avoir « une maman à la maison, c’est super… sauf que non ». L’auteure remet en question la mère comme « garante de l’épanouissement des enfants et de la qualité des relations qu’ils entretiennent avec leur mère ». Si le chez-soi peut être posé comme un espace d’épanouissement pour les individus, cette réflexion met en avant comment la présence de la mère au domicile peut faire frein à l’autonomisation et à la construction des identités individuelles, à la fois pour les enfants et pour les mères.

Pour les adolescent.e.s, la présence maternelle apparaît aussi comme une entrave à l’expérimentation de la maison et aux moments en solitaire. Le domicile peut dans cette situation apparaître comme « un cocon triste » en raison de l’état de santé de la mère, et cette dernière peut encourager l’adolescent.e à sortir. Par ailleurs, la mère peut surinvestir l’accompagnement de la scolarité assignant l’adolescent.e à un statut d’ « élève » et de « fils » ou de « fille de » (Singly, 2006). Ces aspects amènent à un repli des jeunes gens sur la chambre ou à l’extérieur de la maison redessinant ainsi l’espace habituel. L’adolescent.e en se retirant dans ces espaces, se retire d’une relation qui le.a définit plutôt dans une dimension statutaire en l’assignant trop à une place de fils ou de fille de.

L’auteure montre comment l’enjeu est de trouver le « juste équilibre » en rebattant les cartes des identités statutaires et individuelles qui passe par une ré-hiérarchisation des définitions de soi : privilégier le ou la « jeune » au détriment de l’« élève », de façon à ne pas trop assigner l’adolescent.e a une place de « fils » ou de « fille de » ; privilégier l’ « amie » en reléguant derrière le statut de « mère ». Le « juste équilibre » se définirait ainsi par un poids raisonnable du nous statutaire, favorisant davantage le nous appartenances. Cependant, quand l’appareillage conversationnel est mis au centre de la relation égalitaire et qu’il fait défaut l’auteure relève un appauvrissement de la conversation, il est difficile de maintenir le deuxième chez-nous, condition de la construction d’un chez-soi individualisant.

Quand un chez-nous statutaire tient un chez-nous appartenances

Christophe Humbert développe une réflexion sur l’autonomie relationnelle dans laquelle l’autrui constitue une ressource d’un « individu individualisé ». Son propos permet de mettre en exergue comment, dans une situation de perte d’autonomie, le chez-nous-assignation peut tenir un chez-nous-appartenances. Rappelons que l’auteur s’intéresse au vieillir chez-soi et à la prise de soin définie entre soutien à l’autonomie et contrôle normalisateur, en discutant le risque d’enfermement à domicile quand celui-ci devient « une extension de l’institution » (Djaoui, 2017). Il met en avant l’ambiguïté de l’attachement au domicile dans des situations définies comme limites : le domicile identitaire « incertain » et le domicile identitaire « insécure ». Il inscrit sa réflexion dans la théorie de l’acteur réseau en regardant les «  attachements qui tiennent, affectent, tout en constituant le sujet » (Latour, 2000), le sujet étant conçu comme pris dans un dispositif. Dans la situation étudiée, les aidant.e.s peuvent constituer une menace qui porte atteinte au chez-soi ; ils.elles peuvent aussi constituer des leviers pour maintenir une continuité avec la vie d’avant et permettre au chez-soi d’en rester un. La dimension relationnelle est moins celle d’un dispositif conversationnel dans lequel l’autre familial peut constituer un soutien à la validation des identités personnelles – comme dans le cas du maintien des mères au foyer pendant la période des traitements contre le cancer – qu’un dispositif dans lequel sont centrales des dimensions temporelles synchroniques et diachroniques. La première renvoie à une vie quotidienne maintenue par des aménagements sociaux et matériels qui visent le soutien à l’autonomie. La deuxième renvoie à la durée et au passé, temporalité longue pouvant être tenue notamment par la figure de l’époux, de l’épouse. Dans ces cas de domicile identitaire incertain ou insécure est en jeu le difficile maintien d’une continuité domiciliaire et identitaire rompue ou ambiguë. Cet article permet de mettre en exergue comment, dans une situation de perte d’autonomie le chez-nous-assignation peut préserver une place qui participe à défaut du chez-soi, à tenir un chez-nous, l’autre devenant un intermédiaire du chez-soi. Cependant, quand ce chez-nous même est touché, le chez-soi ne constitue plus un support identitaire. Dans ce cas de figure, la dimension temporelle est forte. Les aidants et les tiers permettent de maintenir l’individu dans une vie quotidienne au sein du logement, car le sujet n’est plus en mesure de mobiliser le lien qu’il avait auparavant au lieu : l’intermédiaire familial permet alors de conserver le profit de cet avant, être soi n’étant plus porté que par l’autre.

Le chez-nous statutaire et les appartenances mises à mal

L’autonomie est aussi difficile à conquérir pour une population marquée par l’absence de parcours de vie professionnelle et d’implication sociale et citoyenne. Rim Otmani à partir de ses enquêtes sur la migration clandestine des jeunes Algérien.ne.s montre comment leurs difficultés d’insertion professionnelle conduisent à un repositionnement social et identitaire dans un chez-soi qu’elle qualifie de répulsif et exclusif. Les jeunes Algérien.ne.s se retrouvent dans un « ‘‘entre-deux’’ inconfortable, pas tout à fait ‘‘dedans’’ ni complètement ‘‘dehors’’ ». L’auteure souligne la complexité et l’instabilité de la situation en Algérie tant sur le plan politique, économique que social qui rendent difficile l’inscription sociale du jeune en tant qu’acteur social dans sa société d’appartenance. Ce vécu est traduit par les jeunes gens par la notion de vide – « le vide nous tue » – qui renvoie à « un vide politique, économique, social, culturel, identitaire, affectif et temporel ». Cette expérience de soi (Ramos, 2016) met également à mal le sentiment d’appartenance et d’inclusion dans la société algérienne. Pour l’auteur ce « vide » exprime le sentiment de ne plus se sentir chez-soi. Le chez-soi représente ainsi un vide existentiel à triple dimensions : un hors-espace, une exclusion professionnelle qui contribue au développement du sentiment d’abandon et de rejet social ; un hors-moi, un chez-soi à connotation psychologique où le « moi-vide » renvoie au sentiment de non-existence qui conduit à une dévalorisation personnelle et à une perte de confiance en soi ; et un hors-temps, un chez-soi qui renvoie à la notion temporelle où le « temps-vide » fait référence à un temps mort et inutile.

Dans cette situation, si la famille peut être un espace de repli et d’attachement, le sentiment d’être un poids pour la famille peut compliquer la fonction de protection et de soutien de la famille. En ce sens, le chez-nous statutaire remplit certes sa fonction de solidarité, néanmoins les jeunes gens sont dépendants résidentiellement, matériellement, et financièrement à un âge où ils aspirent à l’indépendance. Nous pouvons ainsi dégager deux aspects de place statutaire : celle « d’enfant de » qui relève du lien de filiation ; et également celle « d’enfant » qui peut s’entendre comme une catégorie d’âge. D’une certaine manière, ces jeunes précaires se définissent en soustraction : ils ne sont ni adulte social, ni adulte familial. La fonction identitaire de la famille de reconnaissance de l’enfant comme égal qui est le levier de construction de l’autonomie (Ramos, 2002) et qui se joue dans le nous-appartenance est également mis à mal. Dans ces conditions, comme le souligne l’auteure, l’identification à travers l’appartenance géographique, sociale, familiale ou professionnelle ne suffit plus à maintenir le lien social. Dès lors, un sentiment de non-appartenance et d’étrangéité se développe chez les jeunes Algériens.ne.s : le sentiment d’exclusion et d’insécurité qu’éprouve l’individu, dans l’endroit où il estime ne pas être chez lui, le met dans un état d’extériorité à soi et à l’espace. Rim Otmani analyse aussi les manières dont les concerné.e.s cherchent à s’inventer un nouveau chez-soi, positif et constructeur de soi, soutenu par la création de nouvelles appartenances qui ne sont plus familiales, mais électives, entre ami.e.s partageant les mêmes caractéristiques d’exclusion. C’est un chez-soi inventé en Algérie, aux marges de la société, ou un chez-soi rêvé et fantasmé, de l’autre côté de la Méditerranée, porté par un projet de migration illégale. Mais, dans les deux cas, ils ne contribueront pas à une meilleure reconnaissance sociale des individus.

Conclusion : Le déséquilibre des trois « chez »

La question du chez-soi doit amener à considérer deux aspects : le rapport de l’habitant seul au chez-soi et le rapport de l’habitant avec au chez-soi. Dans ce deuxième aspect, il se construit dans une tension entre une logique d’autonomie et une logique d’appartenance comme membre du groupe. Dans cette deuxième logique, être membre du groupe que nous traduisons par chez-nous relève de deux dimensions : le chez-nous-assignation et le chez-nous-appartenances. En ce sens, le chez-nous contraint le chez-soi et la famille apparaît comme une instance paradoxale de validation de l’individu. Elle a donc une double fonction, celle de permettre d’être soi (favoriser les espaces personnels et valider les dimensions individuelles de l’identité) et aussi de reconnaitre à chacun de ses membres un être à sa place dans le groupe et un y avoir sa place. Être à sa place et avoir sa place se frottent en permanence avec un enjeu : celui de la construction et du maintien de la bonne distance entre les identités individuelles de chaque membre du groupe et les identités familiales.

Ainsi, le chez-soi participe à la construction de l’individu à la fois sur des aspects d’identité individuelle, mais aussi familiale. Le chez-soi est un observatoire précieux de cette construction qui se décline au passé, présent et futur en interaction : avoir été, être et devenir. Le mouvement itératif entre le chez-soi et l’identité est substantiel à la construction de l’individu et de sa place dans le groupe familial. Si la plupart du temps, la dimension plus individuelle du chez-soi est analysée – le chez-soi comme territoire propre, à soi – il est toujours en articulation avec un chez-nous qui revêt deux dimensions. La première est un chez-nous statutaire qui place dans le groupe, les âges, les générations. Les places s’imposent à l’individu comme relevant d’assignation. Il peut également s’en emparer, s’autodésignant comme conjoint.e, fils ou fille de, parent, etc. Cet aspect permet de mettre au jour des normes de référence qui sont audibles dans les discussions réflexives dont font preuve les individus sur leurs expériences et leurs manières d’agir. D’une certaine manière, chacun reste à sa place : les places sont construites de l’extérieur, s’imposent à eux et ils font avec – ou pas – les construisant ou les déconstruisant. Le deuxième type de chez-nous est celui du sentiment d’appartenances au groupe qui prime sur celui d’être avant tout un individu : se sentir membre du groupe. Ce chez-nous se caractérise par la convivialité familiale (Ramos, 2002). Rappelons l’importance de la conversation dans la construction de ce nous (Berger et Kellner, 1988 ; Singly, 2016). Les relations, quels que soient les sexes, les âges, les générations, se font là sur un mode égalitaire. Les membres du groupe sont des interlocuteurs, au centre se trouve la discussion et chacun participe à la construction du groupe dans une relation égalitaire : chacun a sa place.

Les limites à l’individualisation du chez-soi s’observent quand un déséquilibre existe entre ces trois « chez », territoires personnels, chez-nous-assignation et chez-nous-appartenances : quand la mère est trop présente au domicile et ne laisse pas assez d’espace à soi à ses adolescent.e.s ou quand la conversation s’appauvrit et que seul le deuxième « chez » peut être mobilisé ; quand la conjointe est assignée à la gestion du linge et plus particulièrement avec la naissance des enfants, le « chez-moi » et le chez-nous-appartenances ayant peu de place dans ce chez-soi ; quand le chez-nous-appartenances qui protège peut aussi se traduire par un repli contraint sur la famille ou « le coin » comme territoire local ; quand les chez-nous-statutaire et appartenances sont touchés et que les individus se voient contraints de partir en migration pour trouver certes des espaces de subsistance, mais aussi de construction de soi. Autant de situations analysées dans les contributions de ce dossier qui rendent compte d’un déséquilibre des trois « chez » qui constitue une limite à la fonction d’individualisation du chez-soi : être soi c’est aussi être avec, l’espace étant relationnel (Ramos, 2018). L’étude du chez-soi fait ainsi émerger des frontières relationnelles dans les contextes intimes et familiaux. L’analyse des négociations – ou de l’absence de négociations – de ces frontières permet de souligner l’importance de développer une réflexion qui analyse des trajectoires de soi, en prenant en compte la réversibilité des identités selon les situations et les interactions.