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Introduction

La pandémie s’est traduite par des situations difficiles pour un grand nombre de travailleurs à travers le monde, et en particulier pour les parents, coincés entre leurs responsabilités familiales et professionnelles. Ces situations ont toutefois été différentes pour les pères et pour les mères. En Europe (Andrew et al., 2020 ; Lambert et al., 2020 ; Yerkes et al., 2020), aux États-Unis (Carlson et al., 2021 ; Collins et al., 2021), et en Australie (Craig et Churchill, 2021 ; Johnston et al., 2020), les femmes et surtout les mères ont davantage adapté leurs heures de travail que leur conjoint afin de prodiguer des soins aux enfants, incluant leur scolarisation (Del Boca et al., 2020). Le Canada n’a pas échappé à ces tendances internationales : pendant le confinement du printemps 2020, l’écart entre l’activité économique des mères et des pères s’est accentué, en particulier chez les parents d’enfants d’âge préscolaire, même en contrôlant pour les caractéristiques professionnelles (Qian et Fuller, 2020). La pandémie a révélé que la plus grande partie du travail de soins reposait sur les mères (ASPQ, 2020 ; Zossou, 2021), mais que parallèlement les pères s’engageaient davantage qu’autrefois (Del Boca et al., 2020 ; Shafer et al., 2020). Deux tendances semblent donc à l’œuvre en même temps, soit l’augmentation de l’engagement des pères, mais aussi une hausse des tâches réalisées par les mères, dont l’école à la maison.

Comment les parents québécois ont-ils vécu les effets de la crise sanitaire ? Même si le Québec est connu pour la générosité relative de ses mesures de conciliation emploi-famille, surtout en comparaison aux autres provinces, la fermeture des écoles et des services de garde au printemps 2020 a engendré de nouveaux défis en termes de conciliation, d’autant plus que les services de garde à la petite enfance sont largement utilisés au Québec. Pour maintenir les services essentiels, le gouvernement a mis en place des services de garde d’urgence, mais seulement pour les enfants des travailleurs de première ligne, qui devaient d’ailleurs fournir une preuve d’emploi dans un secteur essentiel (Mathieu, 2021). Moins de 2 % des enfants ont été confiés à ces services (Famille Québec, 2020). Les enfants ont ainsi été gardés à la maison et la transition au télétravail s’est faite rapidement et assez massivement. Selon les données de l’Institut national de santé publique (2020 : 3), un travailleur sur deux était en situation de télétravail de la fin-mars à la mi-avril 2020. La réouverture des services de garde s’est effectuée par phases à compter de la mi-mai 2020, mais ce n’est qu’à partir du 22 juin que tous les enfants d’âge préscolaire ont pu retourner à leur service de garde (Mathieu, 2021).

Quels ont été les effets de ces changements sur la qualité de la conciliation emploi-famille des mères et des pères québécois actifs sur le marché du travail ? Nous offrons ici des éléments de réponses à cette question, à l’aide de données provenant de trois enquêtes auprès de parents en emploi, menées avant la pandémie, en 2018, pendant la période de confinement en 2020 et une année après le début de la crise sanitaire, en 2021. Notre objectif est de mettre en relief l’expérience singulière de conciliation emploi-famille des parents québécois en temps de pandémie afin de formuler des recommandations pour améliorer le soutien aux familles. Ces recommandations font entre autres suite à des travaux qui ont montré les angles morts de la politique familiale québécoise (Mathieu et Tremblay, 2020a). À cette fin, après avoir présenté notre approche théorique, conceptuelle et méthodologique, nous dévoilons trois constats révélés par l’analyse des données, soit 1) les effets genrés de la pandémie sur la conciliation emploi-famille, 2) le rôle des employeurs pour faciliter la conciliation, et 3) l’expérience majoritairement positive de la conciliation, malgré la crise sanitaire.

Approche théorique et conceptuelle

Sur le plan théorique, notre étude se situe à la jonction des approches psychologiques, mais surtout managériales et sociologiques, sur la question des inégalités de genre, de la conciliation emploi-famille et des facteurs qui peuvent atténuer les difficultés leur étant liées. Notre réflexion est enracinée dans le sillon des recherches comparatives qui montrent les effets structurants de l’architecture des programmes sociaux sur l’édification des inégalités sociales (Esping-Andersen, 1990), et le penchant social-démocrate des politiques sociales québécoises (Arsenault, 2018 ; Bernard et Raïq, 2011 ; Mathieu et al., 2020 ; Paquin et Lévesque, 2016 ; van den Berg et al., 2017). Cette orientation, qui s’apparente à celle des pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande) s’illustre particulièrement avec la politique familiale québécoise, qui a développé des services de garde à faible coût et des prestations parentales plus généreuses et accessibles qu’ailleurs en Amérique du Nord. Si on oppose généralement les politiques universelles du modèle social-démocrate aux politiques ciblées des pays libéraux (qui caractérisent davantage les autres provinces), il faut rappeler que le Québec n’offre pas un soutien universel à l’ensemble des familles dans leurs efforts de conciliation emploi-famille (Mathieu et Tremblay, 2020a). La crise sanitaire a mis en relief les maillons faibles de la politique familiale québécoise, dans un contexte où les parents ont pris conscience de l’importance des mesures de soutien aux familles pour assumer leurs activités professionnelles.

À cet égard, il existe un large consensus chez les chercheurs féministes sur la nécessité de conceptualiser l’univers du monde du travail comme étant interdépendant de celui de l’univers familial, l’économie capitaliste étant dépendante des activités de reproduction sociale qui lui sont externes (Doucet, 2021 ; Fraser, 2016). Tel qu’indiqué par Doucet (2021), les politiques sociales et l’opinion publique sont articulées autour d’une compréhension binaire et mutuellement exclusive du concept de « travail rémunéré » – comme étant une activité productive – et de celui de « soins » comme une activité non productive qui est réalisée gratuitement à l’intérieur de la sphère privée. Pourtant, depuis plusieurs décennies déjà, des intellectuelles féministes remettent en question l’existence de deux sphères séparées parce que le travail de soins, même s’il n’est ni socialement ni monétairement valorisé, constitue une forme de travail (Mathieu et al., 2017 ; Vandelac et al., 1985), qui est effectuée de manière disproportionnée par les femmes et plus précisément par les mères (Mathieu, 2016). Or, avec la pandémie et la mise en place à grande échelle du télétravail, la conception binaire entre l’existence d’un espace dédié au travail productif, le bureau, et le travail de reproduction sociale, la maison, est remise en question, alors que les parents ont dû combiner leurs activités professionnelles et familiales dans leur foyer.

Entre conflit et conciliation emploi-famille

L’articulation des liens entre le travail productif et reproductif est au cœur des écrits en psychologie et en gestion qui se penche sur le « conflit » et sur la conciliation, emploi-famille, deux notions qui, bien qu’interconnectées, ne sont pas synonymes. D’une part, l’idée du conflit s’inspire de la théorie des rôles, qui propose qu’un fort engagement dans un des rôles (comme parent ou travailleur) rend l’implication dans l’autre difficile. Le conflit emploi-famille est défini comme une certaine incompatibilité – ou empiètement – entre le travail accompli sur le marché du travail et le travail effectué gratuitement à la maison. Cet empiétement peut être du point de vue du temps, quand les heures dédiées aux responsabilités familiales et celles consacrées au travail entrent en compétition, sur le plan des tensions, lorsqu’un stress vécu dans un des rôles vient influencer la façon de répondre aux demandes de l’autre rôle et en termes d’attitudes, lorsqu’il y a une incompatibilité des qualités et aptitudes requises par les différents rôles (Baxter et Tai, 2016 ; Carlson et al., 2000 ; Duxbury et Higgins, 1991 ; Kaufman et Taniguchi, 2020 ; Tremblay, 2019). D’autre part, les auteurs anglophones parlent souvent d’équilibre (ou balance en anglais), concept qui est parfois défini en termes d’absence de conflits (Frone, 2003 ; Grzywacz et Carlson, 2007). Nombre d’auteures francophones ont critiqué le concept d’équilibre, proposant plutôt la notion de conciliation ou d’articulation, qui renvoie à un objectif plus large, visant l’articulation des deux sphères, sans nécessairement l’atteindre (Tremblay, 2012 ; 2019). Ici, l’accent est davantage mis sur la capacité de concilier les responsabilités professionnelles et familiales, que sur l’empiétement de ces responsabilités les unes sur les autres. Que ce soit en termes de conflit ou de conciliation, il existe à la fois des facteurs individuels, organisationnels et institutionnels qui influent sur l’articulation entre le travail rémunéré et le travail de soins. Nous nous attardons sur trois de ces facteurs, soit le genre, le soutien offert par l’employeur et le contexte institutionnel.

Le genre, le soutien organisationnel et le contexte institutionnel comme déterminants de l’expérience de conciliation emploi-famille

Le genre est une variable clé dans l’étude de la division du travail, notamment en ce qui concerne le partage du travail gratuit et du travail de soins, qui est accompli de manière disproportionnée par les femmes, en dépit de leur rôle de gagne-pain similaire à celui des hommes (Goldscheider et al., 2015). Les femmes feraient conséquemment un deuxième quart de travail, lié à la réalisation des tâches ménagères et du travail de soins (Hochschild et Machung, 1989). Pourtant, l’existence de différences marquées selon le genre dans l’expérience de conciliation emploi-famille fait toujours l’objet de débats. D’une part, les femmes feraient davantage de compromis dans leurs heures et horaires de travail que leurs conjoints (Maume, 2006), et elles éprouveraient plus de difficultés à concilier leurs activités professionnelles et familiales, même dans les pays nordiques (Öun 2012). D’autre part, certaines études rapportent que les hommes vivent des conflits emploi-famille semblables à ceux des femmes (Aumann et al., 2011 ; Reimann et al., 2022 ; Shockey et al., 2017 ; Young et Schieman, 2018), essentiellement en raison de leur investissement qui s’est accru dans la sphère familiale dans certains pays (Doucet, 2018). Plusieurs recherches canadiennes indiquent que les femmes et les hommes connaissent des niveaux comparables de conflit emploi-famille au cours des dernières années, surtout lorsque les enfants sont plus âgés (Young et Schieman, 2018). On pourrait penser que la maternité, plus que le genre, explique les difficultés de conciliation, mais il ne faut pas oublier que les femmes assument l’essentiel du travail de soins pour les parents âgés ou malades, ce qui serait lié au fait d’être femme et non mère (Nogues et Tremblay, 2017 ; Tremblay et Nogues, 2019).

D’autres variables individuelles comme le nombre d’enfants et leur âge, la répartition du travail de soins entre chacun des conjoints et le niveau de scolarité ont un effet important sur la conciliation emploi-famille (Tremblay, 2012 ; 2019). Sur le plan méso, les organisations peuvent également faciliter ou entraver la conciliation. Par exemple, des travaux ont montré que le degré de compréhension ou d’empathie de l’employeur pouvait être associé à une diminution du conflit emploi-famille (Den Dulk et al., 2016 ; Gurbuz et al., 2012 ; Selvarajan et al., 2013). Le soutien manifesté par l’employeur réduirait les conflits entre le travail et la famille ressentis par les employés (Ghislieri et al., 2017 ; Selvarajan et al., 2013), notamment en diminuant la perception de la charge de travail (Galardo et Trottier, 2022). Les personnes qui considèrent que leur organisation est empathique à l’égard de leurs besoins familiaux se sentiraient plus à l’aise de consacrer du temps à leur famille, une observation qui s’applique tant aux hommes qu’aux femmes (Clark et al. 2017).

Enfin, et tel que discuté plus haut, dans une perspective macro, le contexte institutionnel et culturel influence l’articulation entre les responsabilités professionnelles et familiales (Joecks et al., 2021 ; Kaufman et Taniguchi, 2020 ; Ollier-Malaterre et Foucreault, 2017). Fahlén (2014) montre que dans les pays européens égalitaires, les femmes ne ressentent pas de difficultés significativement plus élevées que les hommes dans leurs efforts de conciliation. En revanche, dans les pays où les inégalités de genre sont importantes, il existe des différences notables entre les hommes et les femmes dans le conflit perçu entre les responsabilités professionnelles et familiales (Kaufman et Taniguchi, 2020 ; Öun, 2012), en raison de l’absence de mesures de soutien à la conciliation offertes par l’État.

Méthodologie

Sur le plan méthodologique, nos constats sont élaborés sur la base de trois enquêtes, que nous analysons dans le cadre d’un partenariat avec l’initiative Concilivi du Réseau pour un Québec Famille (RPQF). La première enquête a été menée avant la pandémie, entre le 8 et le 23 janvier 2018, la seconde pendant la première vague de la pandémie, entre le 7 et le 22 mai 2020 et la troisième un an après le début de la pandémie, du 11 au 28 mars 2021 (tableau 1).

Tableau

Présentation des enquêtes de 2018, 2020 et 2021

Présentation des enquêtes de 2018, 2020 et 2021

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Les données ont toutes été recueillies en ligne auprès de parents travailleurs. Les deux premières enquêtes ont été menées avec 3006 travailleurs [1] , québécois âgés de 18 ans et plus et pouvant s’exprimer en français ou en anglais ; l’échantillon de la troisième enquête comptait 3022 répondants. La base de données de 2018 s’appuie sur les réponses de parents ayant au moins un enfant de moins de 18 ans habitant leur domicile, alors que celles de 2020 et de 2021 reposent sur la participation de parents et/ou de proches aidants. Dans tous les cas, les résultats obtenus ont été pondérés selon le sexe ; la base de données de 2018 a été pondérée selon la langue et la région, celle de 2020 en fonction de l’âge pour les proches aidants et les parents et celle de 2021 selon l’âge, le revenu familial, la scolarité et la région.

Les données recueillies ne sont pas longitudinales ; les personnes sondées dans les enquêtes ne sont pas les mêmes. Nous avons identifié toutes les questions comparables d’une enquête à l’autre, puis les questions où des différences significatives apparaissaient entre les répondants hommes et femmes. Le tableau 2 présente les questions qui ont été étudiées. Les questions avec un astérisque sont les questions qui se retrouvent dans plus d’une enquête. Étant donné que l’objectif de cette recherche consiste à documenter l’expérience de conciliation en temps de pandémie, nos analyses reposent surtout sur les enquêtes de 2020 et 2021.

Tableau

Sélection des questions des enquêtes de 2018, 2020 et 2021 pour l’analyse des résultats

Sélection des questions des enquêtes de 2018, 2020 et 2021 pour l’analyse des résultats

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Même si notre étude est transversale, elle est la première à comparer les effets de la pandémie sur la conciliation emploi-famille au Québec, avec des données recueillies avant, pendant et après la période de confinement auprès d’une population avec des caractéristiques sociales similaires, les répondants étant tous des travailleurs avec des responsabilités familiales pouvant s’exprimer en français ou en anglais.

Résultats

Nous formulons nos résultats sous forme de trois constats, qui sont fortement interreliés.

Constat 1 : la pandémie pèse plus lourd sur les femmes au Québec, surtout en termes de bien-être dans la famille

Nos données montrent que 23 % des répondants hommes et femmes ont été mis à pied au moment de la pandémie. Ces données doivent toutefois être interprétées avec précaution, puisqu’elles ne permettent pas de savoir si les femmes ont diminué davantage leurs heures de travail que les hommes, et parce qu’elles renvoient à un groupe particulier, soit les parents et proches aidants. Par ailleurs, l’Institut de la statistique du Québec (2020 : 2) indique que globalement, les femmes ont plus perdu d’emplois que les hommes (238 100 emplois contre 209 000 emplois) de mars à juin 2020, comparativement à la même période de l’année précédente ; les pertes d’emploi chez les femmes sont plus fortes en proportion (11,5 % contre 9,3 % pour les hommes). Enfin, nos données révèlent que 51 % des femmes, mais seulement 45 % des hommes ont pu transiter vers le télétravail au printemps 2020, un constat qui est similaire à ce qui est observé par Statistique Canada (Deng et al., 2020), les femmes occupant un peu plus des emplois pouvant être faits en télétravail.

Au sein des familles, le bien-être des femmes semble avoir été plus lourdement affecté par la pandémie que celui des hommes. Au printemps 2020, un pourcentage significativement inférieur de femmes (41 %) que d’hommes (48 %) ont affirmé avoir trouvé « très facile » ou « facile » de faire des activités de loisirs avec les enfants et d’encadrer les activités d’apprentissage à distance des enfants d’âge scolaire (32 % contre 43 %). Comme nous le verrons plus loin, les femmes et les hommes offrent des réponses différentes relativement à leur expérience de conciliation depuis le début de la pandémie. Au cours de la première vague de la pandémie, les femmes ont été significativement et proportionnellement plus nombreuses à noter qu’elles se sentaient « souvent » ou « parfois » irritées (72 % contre 63 % pour les hommes), fatiguées (80 % contre 74 %), stressées (77 % contre 63 %), tristes (63 % contre 46 %), et angoissées (65 % contre 53 %), mais moins à se qualifier comme étant détendues (66 % contre 71 %) (figure 1).

Figure

Proportion de parents ayant répondu « souvent » ou « parfois » à la question « Depuis le début du confinement, à quelle fréquence vous est-il arrivé de vous sentir… ? » selon le sexe, mai 2020

Proportion de parents ayant répondu « souvent » ou « parfois » à la question « Depuis le début du confinement, à quelle fréquence vous est-il arrivé de vous sentir… ? » selon le sexe, mai 2020
Source : Concilivi, 2020

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D’emblée, on pourrait penser que le poids plus élevé des effets de la pandémie sur les femmes résulte de la fermeture des écoles et des services de garde, Statistique Canada ayant indiqué que les femmes ont pris davantage en charge les soins aux enfants et leur scolarité pendant la période de confinement (Zossou, 2021). D’ailleurs, un an après le début de la crise sanitaire, les données détaillées sur la conciliation comme source de stress montrent clairement que les femmes continuent d’être plus stressées que les hommes. Tel qu’indiqué dans le tableau 3, 59 % des femmes, mais seulement 46 % des hommes jugent que la conciliation famille-travail est une source importante de stress. Une majorité de femmes se sentent donc stressées par leur conciliation, alors qu’une majorité d’hommes (52 %) affirment que la conciliation emploi-famille constitue une source de stress qui est peu ou pas importante.

Tableau

Réponses à la question « Pour vous, concilier famille et travail est-il une source de stress ? » selon le sexe, mars 2021

Réponses à la question « Pour vous, concilier famille et travail est-il une source de stress ? » selon le sexe, mars 2021
Source : Concilivi, 2021

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Plusieurs facteurs peuvent expliquer le stress chez les femmes, comme la crainte d’une fermeture ponctuelle ou à long terme des écoles et des services de garde, et surtout la réalité de la division genrée et inégalitaire des responsabilités familiales. Les données de 2021 montrent que 51 % des femmes considèrent que leur conjoint contribue à au moins la moitié des tâches et responsabilités familiales, alors que c’est le cas de 84 % des hommes (tableau 4). On note que seulement 3 % des hommes affirment que leur conjointe contribue pour moins du tiers, ce qui est le cas pour 18 % des femmes. On voit clairement que la pandémie pèse plus lourdement sur les épaules des femmes en termes d’accomplissement du travail gratuit, sans doute en raison de la garde des enfants, de l’école à la maison et de la conciliation avec le travail salarié.

Tableau

Réponses à la question « Est-ce que votre conjoint.e contribue aux tâches et responsabilités familiales ? » selon le sexe, mars 2021

Réponses à la question « Est-ce que votre conjoint.e contribue aux tâches et responsabilités familiales ? » selon le sexe, mars 2021
Source : Concilivi, 2021

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Constat 2 : les employeurs sont des partenaires essentiels pour faciliter la conciliation emploi-famille, mais le soutien offert varie selon la classe sociale et la situation d’emploi

Nous avons vu plus haut que des travaux menés avant la pandémie indiquaient que le soutien organisationnel sous forme d’empathie était un déterminant important de l’expérience de conciliation emploi-famille. Qu’en est-il en période de crise, alors que les parents ne peuvent plus compter sur l’aide informelle des grands-parents ou autres membres de la famille, et dans un contexte de fermeture sporadique des services de garde ? Les premiers mois de la pandémie ont été marqués par des défis majeurs pour les organisations. En l’espace de quelques jours, le Québec est passé d’un taux de télétravail relativement faible (autour de 10 % ; cf Tremblay, 2020) — à un taux nettement plus élevé de télétravailleurs, oscillant selon les évaluations et le mois entre 40 % (Deng et al., 2020) et 50 % (INSPQ, 2020).

Les données d’enquête recueillies lors de la première vague indiquent que le soutien organisationnel a exercé une influence sur l’expérience de conciliation des parents. Dans l’enquête menée en mai 2020, 87 % ont affirmé que leur employeur s’était montré « assez compréhensif » ou « très compréhensif » de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Cette forme de soutien n’était pas différente selon le sexe, ce qui implique que les employeurs reconnaissent, du moins implicitement, les responsabilités familiales des hommes (Mathieu et Tremblay, 2020b), même si nous avons vu au tableau 4 qu’ils ne semblent pas contribuer autant que les femmes sur ce plan.

Un examen plus pointu des données en termes d’indicateurs de classe sociale et de situation d’emploi révèle par contre certaines formes d’inégalités dans le soutien offert. Par exemple, 90 % des répondants avec un revenu familial de 100 000 $ ou plus affirmaient que leur employeur avait été compréhensif, alors que ce n’était le cas que de 83 % des parents avec un revenu familial oscillant entre 40 000 $ et 59 000 $. De plus, les répondants avec un faible niveau de scolarité (avec un diplôme primaire ou secondaire) étaient significativement moins enclins à qualifier leur employeur comme étant « très compréhensif ». En ce qui concerne les situations d’emploi, les travailleurs essentiels et les télétravailleurs ont évalué de manière différente l’empathie témoignée par leur employeur, les premiers rapportant significativement moins de compréhension (80 %) de la part de leur employeur, comparativement aux télétravailleurs (91 %). Cela dit, dans les deux cas, la forte majorité des répondants estimait que leur employeur avait été compréhensif de leur situation.

En dépit de l’empathie manifestée à l’égard de leurs employés, les employeurs n’ont pas diminué leurs attentes en termes de productivité : seulement 22 % des répondants – hommes ou femmes – affirmant que leur employeur a réduit ses attentes, une proportion qui est légèrement plus élevée chez les répondants avec des enfants de 5 ans ou moins (29 %). La classe sociale, et plus précisément le niveau de scolarité et la profession, semble associée aux attentes liées à la productivité, puisque les répondants avec un diplôme universitaire et les professionnels rapportent une diminution des attentes de leur employeur dans une plus grande proportion. Enfin, le contexte de la crise sanitaire explique sans doute le fait qu’une faible proportion de travailleurs essentiels, soit 16 %, indiquent une diminution des attentes, contre 22 % pour l’ensemble des répondants, et qu’une forte proportion – 77 % – n’ait perçu aucune différence dans les attentes (contre 70 % pour tous les répondants). En revanche, le télétravail semble associé à une réduction des attentes pour 26 % des répondants.

Constat 3 : en dépit du contexte difficile, les parents québécois affirment avoir une conciliation emploi-famille facile

Les résultats des enquêtes de 2018, 2020 et 2021 montrent que les hommes et les femmes évaluent de manière différente leur expérience de conciliation emploi-famille. Les données recueillies depuis le début de la pandémie révèlent toutefois deux faits inattendus.

Premièrement, la conciliation emploi-famille semble avoir été plus facile pour les parents en temps de pandémie qu’avant (figure 2). En 2018, 58 % des hommes et 52 % des femmes qualifiaient leur conciliation comme étant facile ; en mai 2020, ces pourcentages grimpent respectivement à 65 % et 58 %, puis à 67 % et 66 % (sans différence significative) en mars 2021. En plein confinement, alors que les parents devaient combiner simultanément leurs obligations professionnelles et familiales, une proportion plus importante de femmes et d’hommes rapportaient, paradoxalement, une conciliation facile. Avec la réouverture des écoles et des services de garde, le nombre de parents qualifiant leur conciliation emploi-famille comme facile augmente fortement en 2021.

Figure

Proportion de parents qualifiant leur conciliation comme « très facile » ou « facile » selon le sexe, 2018, 2020 et 2021

Proportion de parents qualifiant leur conciliation comme « très facile » ou « facile » selon le sexe, 2018, 2020 et 2021
Source : Concilivi, 2018 ; 2020 ; 2021

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Ensuite, l’écart entre les réponses des hommes et des femmes, qui est de 7 points de pourcentage en 2020 est réduit à un point en 2021, et il n’est plus significatif. Alors que la pandémie semble peser plus lourdement sur les femmes en termes de stress, l’écart dans la proportion de répondants rapportant une conciliation facile entre 2021 et 2018 est plus important chez les mères (14 points de pourcentage), que les pères (9 points de pourcentage). Autrement dit, les femmes affirment ressentir davantage une conciliation emploi-famille facile depuis la pandémie, même si leur bien-être semble plus affecté que celui des hommes. En outre, même si une plus grande proportion de femmes que d’hommes affirment être stressées par la conciliation emploi-famille (59 %, tableau 3 ci-dessus), elles le sont toutefois moins qu’en 2018 (69 %, donnée non illustrée).

Discussion

L’analyse des données d’enquête a permis de faire des constats inattendus sur la conciliation emploi-famille des parents travailleurs québécois, et en particulier sur celle des mères. Même si les femmes ont ressenti plus de stress et de fatigue, et en dépit du fait qu’elles aient été davantage responsables des activités familiales, à l’instar des hommes, elles ont affirmé avoir une conciliation emploi-famille « facile » dans une plus grande proportion en temps de pandémie. Aussi, la différence entre le pourcentage de pères et de mères qui ont estimé avoir une conciliation facile n’est plus significative en 2021, contrairement à ce qui est observé en 2018 et en 2020. Nos résultats indiquent que la pandémie a atténué l’effet du genre dans l’expérience de conciliation. Bien que les employeurs se soient montrés empathiques avec leurs employés pendant la période de confinement, les mères n’ont pas fait l’objet d’un traitement particulier dans les attentes en termes de productivité (Tremblay et Mathieu, 2021), ce qui semble indiquer qu’elles ont autant de légitimité que les hommes dans leur rôle de travailleuse.

Comment expliquer le paradoxe d’une conciliation facilitée en temps de pandémie, surtout considérant que des études ont conclu que les parents avaient ressenti un niveau accru de stress au cours des premières semaines de la crise (Adams et al., 2021 ; Calarco et al., 2020), incluant au Québec (Gagné et al., 2021) ? L’implantation massive du télétravail dans un contexte de fermeture des écoles et des services de garde pourrait avoir mené à une diminution des conflits de temps, pendant lesquels les activités professionnelles et familiales empiètent les unes sur les autres, en début et en fin de journée. Avant la crise sanitaire, le stress lié au manque de temps des parents qui travaillent à l’extérieur découlait non seulement de la combination de leurs responsabilités professionnelles et familiales, mais également du moment où ces responsabilités devaient être assumées. Pour les parents travailleurs, les périodes les plus difficiles sont le matin et la fin d’après-midi parce qu’ils sont sollicités simultanément par leur employeur et par leurs enfants (Craig et Powell, 2013). Avec l’annulation de toutes les activités sportives et récréatives pendant le confinement généralisé et malgré la réouverture des écoles et des services de garde, le temps alloué aux loisirs des enfants – incluant les temps de déplacement – a diminué radicalement. Ainsi, alors que les femmes ont vécu plus de stress et qu’elles ont fait davantage de travail gratuit que les hommes, dans un contexte où les employeurs étaient conciliants et que tous les parents-travailleurs étaient dans la même situation, elles ont évalué leur situation comme étant facile dans une plus grande proportion qu’avant la pandémie. Le fait qu’une forte proportion de travailleurs aient rapidement transité vers le télétravail a peut-être aussi contribué à une diminution de la perception de difficultés de conciliation, les femmes étant sensibles à la possibilité d’avoir plusieurs collègues en situation de télétravail, ces derniers étant à même de comprendre les défis liés à ce mode d’organisation du travail (van der Lippe et Lippényi, 2020).

Par ailleurs, et pour bien nuancer nos constats, il ne faut pas oublier que l’intégration des activités professionnelles et familiales s’est effectuée de manière différente au Québec entre les parents œuvrant en première ligne et les télétravailleurs. En effet, c’est ce que révèlent les données d’enquête de mai 2020. Pour les travailleurs essentiels, une proportion significativement faible (28 %) a qualifié sa conciliation emploi-famille comme étant plus facile qu’avant la pandémie[2]. En revanche, chez les parents en situation de télétravail, qui devaient conjuguer parfois simultanément les soins aux enfants et le travail rémunéré, cette proportion était significativement plus élevée (41 %) que la moyenne des répondants. Encore une fois, ce constat appuie les observations d’autres études qui ont montré l’effet positif du télétravail sur la diminution des difficultés de conciliation, en permettant aux travailleurs de gérer de manière autonome leurs horaires de travail – pas toujours sans difficulté (Gajendran et Harrison, 2007), et en intégrant à la vie professionnelle certains éléments de la vie familiale (Clark, 2000).

Il ne faut pas oublier que la présence de jeunes enfants plus exigeants en termes d’implication parentale a exercé un effet sur le travail rémunéré de leurs parents : 67 % des parents avec des enfants d’âge scolaire affirment que leur productivité avait été affectée par la crise en 2020, contre 56 % des parents d’enfants de 13 à 17 ans. Avec la réouverture des écoles et des services de garde qui ont permis aux parents de se consacrer plus facilement à leurs activités professionnelles, souvent à partir de la maison, et avec l’arrêt prolongé des activités sociales et parascolaires, la conciliation emploi-famille des mères et des pères s’en est trouvée simplifiée en 2021.

Comment améliorer le soutien aux familles et à la conciliation ?

Alors que le Québec se déconfine, et que le télétravail n’est plus obligatoire, quelles leçons la crise sanitaire nous permet-elle de tirer pour diminuer les conflits emploi-famille et améliorer la conciliation ?

Dans les organisations, même avant le début de la crise, la première demande des parents-travailleurs pour pouvoir mieux concilier était d’avoir accès aux horaires flexibles et au télétravail (Tremblay, 2019). Le soutien organisationnel, mais surtout la possibilité de continuer à télétravailler, pourrait être des éléments clé dans la rétention du personnel. Depuis plusieurs années, les milieux de travail sont encouragés par divers programmes du ministère de la Famille (MFA) à mettre en place des mesures de conciliation et à en ouvrir l’accessibilité au maximum de leurs salariés. Outre les programmes du MFA et ses prix pour les entreprises qui se montraient exemplaires en matière de conciliation, le Bureau de normalisation du Québec a développé une « norme » sur la conciliation travail-famille, qui prévoit des reconnaissances pour les entreprises qui mettent en place les démarches prévues pour l’améliorer. Plus récemment, le Réseau pour un Québec Famille vient de créer le Sceau Concilivi, qui incite les entreprises à adopter des mesures de conciliation, en les accompagnant dans la démarche. Il faut donc faire connaître ces initiatives aux employeurs et les inciter à adopter des mesures de conciliation, car elles ont clairement des effets positifs sur les parents travailleurs (Tremblay, 2012 ; 2019).

Plusieurs sondages et enquêtes (Gagnon, 2021 ; Léger, 2020, Mehdi et Morissette, 2021) ont montré que la majorité des personnes ayant fait du télétravail en période de pandémie ont aimé l’expérience et aimeraient continuer à travailler de la maison après la crise. Ainsi, il serait souhaitable que le gouvernement adopte une Directive sur le télétravail, comme ce fut fait en Europe. Cette directive invitait les organisations patronales et syndicales de chaque pays de l’Union européenne à négocier et à développer des ententes sur la question du télétravail (Scaillerez et Tremblay, 2016). La directive n’a pas force de loi, mais incite les organisations à penser à l’ensemble des enjeux qui peuvent être associés au télétravail (espace de travail, ergonomie, accidents de travail, etc. ; voir Université Téluq, 2020).

Pour permettre de maintenir une certaine flexibilité temporelle, il serait aussi souhaitable de réfléchir à l’adoption au Québec d’un changement législatif offrant le droit de faire une demande pour l’assouplissement des conditions de travail (Right to Request - RTR), pour des motifs de conciliation. En fait, il pourrait s’agir d’étendre au Québec les modifications apportées en 2017 au Code canadien du travail prévoyant le droit de demander des aménagements flexibles du temps de travail (RTR), le droit de refuser des heures supplémentaires pour raisons familiales et l’ajout de trois journées additionnelles de congé sans solde pour responsabilité familiale. Il n’y a pas obligation pour l’employeur d’accepter les souhaits d’aménagement de temps de travail des travailleurs. Avec ce changement au Code du travail, les employeurs doivent cependant justifier leur éventuel refus (Nogues et Tremblay, 2016).

Par ailleurs, la crise sanitaire a mis en lumière les failles dans l’architecture des deux programmes phares de la politique familiale, en dépit du contexte institutionnel favorisant la légitimité du modèle du double gagne-pain. Au Québec, une partie significative du travail de soins est effectuée à l’intérieur des services de garde à la petite enfance, qui sont si populaires qu’ils ne réussissent pas à combler la demande. Ce service s’est révélé vital pour assurer le fonctionnement de la société, les travailleurs de première ligne ayant besoin de confier leurs enfants à un service de garde pour se maintenir en emploi. Toutefois, et contrairement au personnel médical, les éducatrices n’ont pas eu droit aux primes offertes par le gouvernement au printemps 2020 (Mathieu, 2020), leurs tâches étant clairement moins valorisées. De nombreuses éducatrices ont depuis quitté le milieu et des milliers de places en garderie familiale se sont évaporées (Samson, 2021). Les difficultés d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre sont venues, dans le contexte de la crise, accentuer la pression à la fois sur la disponibilité des places – plus de 50 000 enfants seraient inscrits sur la liste d’attente – et sur la qualité des soins.

Historiquement, la pression exercée sur le système pour la création de nouvelles places a mené le gouvernement à favoriser l’ouverture de garderies à but lucratif de moindre qualité (Mathieu, 2019). Dans le cas spécifique du Québec, la qualité et l’accessibilité sont deux enjeux difficilement conciliables. Au printemps 2020, le gouvernement a assoupli les règles d’embauche dans les services de garde par décret ministériel pour pallier au manque de main-d’œuvre. Depuis, une seule éducatrice sur trois doit avoir un diplôme collégial en éducation à l’enfance dans un service de garde à la petite enfance, alors que ce ratio était de deux travailleuses sur trois auparavant. La priorité doit être autour de la création de nouvelles places, en ne négligeant toutefois pas la qualité des soins offerts.

Certaines failles du RQAP ont également été révélées pendant la crise, en raison de son caractère assurantiel. Au Québec, le montant des prestations parentales est tributaire des cotisations antérieures, c’est-à-dire des revenus d’emploi pendant la période de référence. Les pertes d’emploi et la diminution des heures de travail ont eu un effet négatif sur le revenu assurable et donc, sur le montant des prestations subséquentes. Or, ce sont les femmes plus que les hommes qui ont diminué leurs heures de travail, volontairement ou pas, pendant les premiers mois de la pandémie, et ce sont elles qui utilisent le plus grand nombre de semaines de prestations. À la suite de la bonification des prestations parentales canadiennes à 500 $ par semaine pour une durée d’un an (de septembre 2020 à septembre 2021), et en vertu du principe d’équivalence[3] qui oblige le gouvernement du Québec à offrir des prestations aussi généreuses que celles versées ailleurs au pays, des milliers de familles ont obtenu des prestations plus généreuses. Il faudrait donc réfléchir, du côté du gouvernement provincial, à l’idée d’une prestation minimale, qui ne serait pas affectée par les fluctuations du marché du travail qui pourraient survenir pendant les mois de grossesse.

Conclusion

Notre étude, qui est la première à comparer l’expérience de conciliation emploi-famille avant et pendant la pandémie au Québec, a permis de constater que la crise a engendré des difficultés plus importantes pour les mères, mais que parallèlement, leur conciliation semblait plus facile depuis 2020, tout comme celle des pères. Résultat : en 2021, l’expérience de conciliation ne varie plus significativement selon le genre. La mise en place du télétravail, le soutien offert par les employeurs et le contexte institutionnel en place depuis 25 ans sont des facteurs qui ont atténué les effets délétères de la crise sanitaire sur la conciliation emploi-famille, en dépit du stress accru rapporté par plusieurs parents. Plus de deux ans après le début de la crise, de nouvelles questions devront faire l’objet d’une attention particulière : est-ce que les employeurs continueront à manifester de l’empathie, alors que le télétravail n’est plus obligatoire et que le nombre de personnes infectées par la COVID est en diminution ? La conciliation est-elle devenue plus difficile depuis que plusieurs parents sont retournés au bureau et que les activités parascolaires ont repris ? La contribution de chacun des conjoints aux tâches et responsabilités familiales est-elle demeurée la même depuis la dernière année ?

Limites

Notre recherche comporte évidemment des limites, surtout en ce qui a trait à notre instrument de mesure. Premièrement, les constats ne dressent pas un portrait exhaustif de l’effet de la pandémie sur les familles, notamment en ce qui concerne la division genrée du travail, les enquêtes ayant été élaborées pour documenter davantage l’expérience des répondants comme travailleurs, qu’à titre de parents ou conjoints. Ensuite, les données ne sont pas longitudinales et ne permettent pas de suivre l’évolution de la situation de conciliation d’une même cohorte de répondants. D’ailleurs, les trois enquêtes n’ont pas été conçues, a priori, pour être comparatives et la formulation a été améliorée au fil des ans. Enfin, les données portent sur des perceptions ; les résultats doivent être interprétés à la lumière de cette nuance. Une conciliation travail-famille perçue comme facile ne signifie pas nécessairement que les parents ont apprécié la période de confinement pendant qu’ils devaient simultanément vaquer à leurs occupations professionnelles en veillant sur les enfants. De même, une diminution de l’écart entre les mères et les pères dans la facilité rapportée en termes de conciliation emploi-famille ne permet pas de conclure que l’égalité entre les genres soit maintenant atteinte. Des données récentes de Statistique Canada montrent que les femmes peuvent être satisfaites de la façon dont elles répartissent les tâches ménagères avec leur partenaire, tout en exécutant la majeure partie de ces tâches (Zossou, 2021). En dépit de ces limites, notre recherche permet d’offrir un portrait des effets de la crise sanitaire sur la conciliation emploi-famille des parents québécois, et d’ouvrir le débat sur des pistes de solution, tant au niveau de l’État et de sa politique familiale, que de la part des organisations pour mieux soutenir les employés qui ont des enfants ou qui sont proches aidants.