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Après plusieurs régimes d’exception à la suite de coups d’État, le Burkina Faso s’est engagé à partir de la constitution de juin 1991, dans la voie démocratique. La démocratie, de par sa philosophie, favorise la participation de toutes les couches sociales à la vie du pays. Cette participation s’exprime à divers niveaux et peut prendre des formes variées, allant de la vie associative à celle politique en passant par les activités et actions de développement. Dans le champ politique, même si les actions politiques ont pour fondement les organisations politiques, les acteurs qui les animent sont avant tout issus d’une cellule familiale plus ou moins élargie. De ce fait, la famille a une influence considérable sur eux à plus d’un titre. Elle façonne leurs valeurs, leurs croyances, leurs décisions, leurs choix, etc. La carrière des acteurs politique se déroule dans ce contexte où ils ont besoin d’un climat familial acquis à leur accomplissement (Gris, 2021). Une ressemblance paralytique existe entre la famille et la politique. D’après Muxel (2018 : 3), politique et famille regorgent tant d’enjeux que de rapports intimes où cohabitent ententes et conflits. Cela n’est pas sans influence sur les convictions politiques. Il en découle parfois une immixtion de la première dans la seconde « qui oblige à recomposer avec des rôles différents (enfant, conjoint, parent, grand-parent) », voire à influencer le rapport des acteurs sociaux avec la politique ainsi que « les formes de politisation ». D’après Muxel (2018), quatre types d’influences de la famille sur la politique peuvent être identifiés, à savoir : la transmission affective, le primat de la continuité sur la discontinuité, les manières de transmettre les choix politiques, et une logique qui tend à protéger l’institution familiale.

Les écrits scientifiques relèvent la place centrale qu’occupe la famille dans la construction de l’identité sociale et politique, la protection sociale et la légitimité des descendances (Armani et Damet, 2018). La famille apparaît comme le point d’ancrage de la politique. Toutefois, la spécificité des femmes dans une dynamique de négociation entre espace privé (famille) et espace public (champ politique) n’est pas assez abordée. Cela est encore plus remarquable au niveau des sociétés burkinabés, majoritairement patriarcales. Dans ces sociétés, la domination masculine entretenue par le système de représentation sociale transparaît plus. Toute chose qui amène, en ce qui concerne les femmes, à requestionner la posture de la famille vue dans les écrits comme force politique. A contrario, dans quelle mesure la famille peut-elle aussi être source d’entrave à la politique ? Cette question a davantage d’acuité dans un contexte burkinabé où la conscience collective assigne la femme au foyer. Elle y est attendue pour sa responsabilité familiale et sociale. En outre, le système de représentation fait du genre féminin de façon globale, un être qui doit incarner la douceur, les valeurs cardinales de moralité en vue de les transmettre à ses enfants. Dans cette dynamique, le champ politique est vu comme assez « rude » pour elle. Dans la conscience collective, la politique est perçue comme un milieu « pourri » qui affecte les mœurs. Un sentiment de réticence et d’idées reçues entoure la présence des femmes dans ce milieu. De ce point de vue, les femmes s’y investissant sont étiquetées afin de les dissuader ou de les décourager. Toute chose qui ne favorise pas leur pleine participation politique.

Malgré ce climat social peu propice à l’engagement politique féminin au Burkina Faso, on constate de plus en plus la présence des femmes sur les listes des échéances électorales, de hautes responsabilités et à des sphères de grandes responsabilités politiques. Cet article se penche sur la résilience de ces femmes politiques sous le double poids de leur statut social dans la famille et de la domination masculine sur l’arène politique. S’inscrivant initialement dans l’axe « faire la politique en dépit de la famille », cet article vise à analyser l’influence de la famille sur l’engagement des femmes en politique et sa stratégie de résilience lorsque cette influence a tendance à s’y opposer. Toutefois, une ouverture complémentaire a été faite à l’influence favorable de la famille. Nous estimons qu’une influence familiale favorable à cet engagement peut cacher une logique de contrainte ou peut être conditionnée par des logiques sociales qui méritent d’être analysées. Ainsi, l’influence familiale contraignante et celle favorable s’imbriquent parfois en contexte burkinabé.

L’engagement politique est perçu ici dans une dimension plurielle en vue de cerner les contraintes spécifiques y afférent. Dans cette perspective, il implique de simples militantes de partis politiques, celles qui briguent les postes électoraux et celles qui sont dans des postes nominatifs à forte teneur politique. Le fil conducteur de toutes ces dimensions est la politique à différents degrés, dans un contexte social burkinabè dominé par l’entre-soi masculin. Ce dernier est perçu comme l’expression de la domination masculine en politique, qui frise la violence symbolique bourdieusienne. Devant cette domination masculine, les femmes s’opposent avec résilience, c’est-à-dire à travers leur capacité à développer des stratégies diverses, non seulement pour s’affirmer sur le champ politique, mais aussi pour concilier leur double statut (statut social et statut de femme politique).

L’article cherche à remettre en question cet engagement politique, pris en ballotage entre les contraintes familiales et la domination masculine, qui s’étend parfois au-delà de la seule sphère familiale conventionnelle, pour impliquer « la famille politique ». Malgré la division sociale du travail qui, pendant longtemps, a assigné la femme burkinabè au foyer ainsi que des représentations sociales qui perçoivent la politique comme la « chasse gardée » des hommes, comment est-ce que certaines femmes parviennent à s’y imposer ? Plus spécifiquement, comment est-ce que la socialisation politique familiale permet à ces femmes de transcender les contraintes pour s’exprimer sur le champ politique ? Comment parviennent-elles à développer une résilience pour s’autoréaliser politiquement en dépit des contraintes inhérentes à leur statut social de femme au foyer, de femme célibataire, divorcée ou veuve ?

Le présent article permet de comprendre comment les rôles de genre et l’institution familiale interagissent dans le processus d’engagement politique des femmes burkinabé, en particulier la manière dont elles renégocient leur place dans un champ traditionnellement masculin, qui les marginalise. Il offre les clés de lecture enrichissantes sur la dynamique de pouvoir et d’influence dans un contexte de domination masculine et sur les stratégies développées par ces femmes burkinabés pour redéfinir leur rapport politique en dépit de l’entre-soi masculin. Ces réflexions amènent à s’interroger sur la complexité du lien qui existe entre les institutions sociales traditionnelles et les formes contemporaines de participations citoyennes.

Structurés en quatre principales sections, nous ferons d’abord état de la législation en faveur du genre, notamment des femmes en politique au Burkina Faso. De même, les lacunes seront exposées dans la mise en œuvre de cette législation. Cette mise en contexte nous semble importante pour comprendre les obstacles institutionnels à la vie politique des femmes. Nous serons ensuite amenés à saisir, de manière plus holistique, les facettes de l’influence familiale sur l’entrée des femmes en politique au Burkina Faso. Pour mieux cerner l’engagement des femmes burkinabé en politique, les clés de lecture seront données par le biais des ressorts de la socialisation. Dans une dynamique de résilience, nous expliquerons enfin comment les femmes parviennent à concilier leurs responsabilités familiales et sociales avec l’engagement en politique.

Méthodologie

Afin d’appréhender l’engagement politique des femmes au Burkina Faso, l’article s’appuie sur une approche sociohistorique et anthropologique en vue de saisir la participation des femmes à la vie politique. Après une revue des écrits approfondie, les données qualitatives ont été récoltées auprès de la population cible par le biais de récits de vie. Les femmes politiques influentes ont été sélectionnées à travers la méthode du choix raisonné de sorte à diversifier le plus possible leurs caractéristiques sociodémographiques. L’échantillon final est composé de 25 femmes, dont 3 jeunes femmes politiques de 30 ans, 8 femmes de 40 ans, 14 femmes âgées d’au moins 50 ans et ayant une longue expérience politique. Par statut nous avons 5 femmes maires, 5 femmes députés, 12 femmes ministres ou ex-ministres et 3 femmes sans poste de responsabilité au moment de l’enquête de terrain, dont 1 femme ayant été candidate aux élections présidentielles. Elles sont toutes militantes de parti politique (Tableau 1). Outre la population cible, des entretiens ont aussi été réalisés avec une population témoin constituée de 3 femmes non politiques et de 5 membres de familles de femmes politiques. Les femmes non engagées politiquement ont été choisies de manière aléatoire tandis que l’accessibilité des époux, des frères ou sœurs de l’époux des femmes politiques a été facilité par celles-ci. Ces dernières ont même aidé à négocier des rendez-vous selon leurs disponibilités, soit dans leur bureau ou à domicile. Le fait que le rendez-vous d’entretien ait été facilité par la femme politique a eu pour avantage de favoriser leur coopération.

Tableau 1

Récapitulatif des femmes enquêtées selon l’âge et le statut

Récapitulatif des femmes enquêtées selon l’âge et le statut

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L’enquête s’est intéressée aux femmes politiques, de l’ère révolutionnaire (1983-1987), au régime de transition du Lieutenant-colonel Damiba Paul Henri Sandaogo (janvier 2021- septembre 2021).

Avec le consentement des différentes personnes enquêtées, les entretiens ont été enregistrés, puis retranscrits manuellement et traités selon une analyse de contenu, conformément aux thématiques principales de la recherche. L’anonymat des enquêtées a été respecté dans les analyses en remplaçant leur nom et prénom par des initiales fictives. Même si cet anonymat n’a pas été exigé par les enquêtées, il répond à une logique d’éthique de la recherche. Néanmoins, il a été utilisé comme argument pour rassurer davantage des enquêtées ayant manifesté une certaine réticence. Les entretiens avec les femmes politiques se sont réalisés en français sauf pour certains membres de leur famille où le recours à la langue moré s’est imposée lorsque l’enquêté ne pouvait s’exprimer que dans cette langue.

Les femmes en politique au Burkina Faso et les lacunes dans la mise en œuvre de la politique de genre

Les écrits scientifiques montrent que la participation des femmes dans la vie politique est un enjeu important pour garantir une représentation équitable et juste de la population dans les instances décisionnelles en Afrique. Ainsi, le cadre législatif en rapport avec la participation des femmes dans la vie politique est en constante évolution, avec des textes de loi adoptés au niveau national et international pour assurer une représentation équitable des femmes en politique, tel que l’illustre les exemples du Rwanda, de l’Angola et de la Tunisie à travers la loi sur le quota genre. Le Burkina Faso, pays de l’Afrique de l’Ouest n’est pas en marge de cette dynamique. Le pays a aussi eu un cadre législatif dynamique en faveur de l’implication de la femme, non seulement dans la vie politique, mais également dans les prises de décisions. Toutefois, les écrits soulignent qu’entre l’adoption d’une politique de genre et sa mise en œuvre, il semble exister un hiatus.

Au Burkina Faso, le régime de la révolution du capitaine Thomas Sankara, à travers ses multiples actions en faveur de la promotion et de l’émancipation de la femme, a donné un ton significatif à la lutte pour l’égalité de genre. Il estimait qu’une révolution et un développement réussis passaient par l’émancipation, l’amélioration de la condition féminine et la participation de la femme aux prises de décisions (Murrey, 2012). Dans les sillages de l’héritage qu’il a laissé, le Burkina Faso a mis en place un cadre législatif visant à favoriser la participation des femmes dans la vie politique. La loi fondamentale du pays, en l’occurrence la Constitution de 1991, reconnaît l’égalité entre les sexes en matière de droits et de devoirs. À la suite du régime révolutionnaire, une posture politique favorable au genre est poursuivie. Dans cette perspective, le Burkina Faso adopta, en 2009, une politique nationale de genre en vue de promouvoir le développement participatif et équitable du pays par les hommes et les femmes (MPF, 2009 : 28). Dans la même dynamique, une loi spécifique a été promulguée pour imposer un quota de 30 % de femmes sur les listes électorales des élections législatives et municipales. La mise en œuvre de cette loi, notamment aux élections législatives et municipales de 2012, 2015 et 2016, connaitra des limites à cause des stratégies d’évitement des acteurs politiques (Rouamba et Soré, 2021). Elle est d’ailleurs critiquée pour n’avoir pas mis l’accent sur le positionnement des femmes (Rouamba, 2011). Tout ceci conduisit à l’adoption d’une nouvelle loi sur le quota de genre en 2020 avec de nouvelles stratégies et de nouveaux instruments qui insistent sur le positionnement des candidates sur les listes électorales (Saidou, 2023). Ainsi, les principaux instruments actionnés sont relatifs au « positionnement alterné au 2/3 supérieur (le positionnement des premiers 2/3 des candidats) sur chaque liste de candidature, le positionnement de l’un et de l’autre sexe comme tête de liste sur 30 % des listes et le bonus financier de 20 % aux partis et regroupements d’indépendants qui auraient respecté les deux outils précédents » (Saidou, 2023 : 257).

À la suite de nombreuses réformes, des efforts ont été constatés, mais des défis restent toujours à relever en ce qui concerne la représentativité et le positionnement des femmes dans les partis politiques et dans les sphères de décision. En effet, des aspects non pris en compte par les différentes réformes de la loi sur le quota de genre semblent plomber sa bonne marche. Par exemple, le rôle insidieux que peuvent jouer les maris pour ne pas avoir une femme qui, du fait de sa réussite politique, va être « au-dessus d’eux », donc « incontrôlable ».

En outre, le Burkina Faso a ratifié plusieurs conventions internationales en faveur de l’égalité entre les sexes, notamment la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et la Déclaration solennelle sur l’égalité entre les sexes en Afrique, adoptée par l’Union Africaine en 2004.

Le Décret n° 2004-486/PRES/PM/MPF du 10 novembre 2004 portant adoption du document de politique nationale de promotion de la femme est un élément non négligeable de la prise en compte des femmes dans la sphère politique.

En plus des actions étatiques en faveur du genre, les actions des femmes politiquement influentes et celles des associations/ONG ne sont pas en reste dans la lutte contre les inégalités basées sur le genre. Des femmes influentes du Burkina Faso, telles que Fatimata Ouédraogo, présidente du Réseau des femmes parlementaires du Burkina Faso et Marie-Thérèse Kabore, défendent l’importance de la participation des femmes en politique pour assurer une représentation équitable et juste de la population. Elles encouragent aussi la mise en place de mesures concrètes pour favoriser cette participation, notamment des formations politiques pour les femmes et la sensibilisation des citoyens à l’importance de la participation des femmes en politique. De plus, l’Association Internationale de Développement (AID), en collaboration avec la Banque mondiale, a mis en œuvre au Burkina Faso, un projet dénommé « école des maris » pour combattre les stéréotypes sexistes et garantir l’égalité des sexes. Le Centre de Recherche et d’Intervention en Genre et en Développement (CRIGED) milite, quant à lui, pour une meilleure représentativité des femmes dans les sphères de décision et leur meilleur positionnement sur les listes électorales. Dans cette optique, le centre a mené en 2023 un plaidoyer pour la relecture de la loi sur le quota de genre. En outre l’Institut Général Tiémoko Marc Garango pour la Gouvernance et le Développement (IGD) a initié un projet intitulé « Empowering Women in Politics (EWIP) » qui vise à accroitre la participation, la représentation et l’influence des femmes en politique en Afrique subsaharienne.

En somme, la participation des femmes à la vie politique reste un défi constant à relever que ce soit lors de la période révolutionnaire aux régimes de transition en passant par les pouvoirs démocratiques. Le cadre législatif tente de donner une dynamique visant à associer davantage la femme à la vie politique ainsi qu’à la vie de la nation. Cet article qui s’inscrit dans une dynamique de questionnement sur l’implication des femmes en politique en est abouti aux résultats qui suivent.

Résultats et discussion

De manière générale, il ressort des enquêtes de terrain une opposition familiale à l’engagement politique des femmes, consécutive aux représentations sociales et aux responsabilités familiales qui leur sont assignées. Au sein de la même famille, le soutien et l’opposition y ont également été constatés. Les résultats se déclinent de façon plus détaillée, en trois principaux axes à savoir : socialisation et engagement politique des femmes, entrées en politique : ressorts et contraintes, conciliation entre responsabilités politiques, familiales et sociales.

Socialisation et engagement politique des femmes

Au-delà du processus de transmission de codes sociaux et de valeurs de la communauté d’origine (Piaget, 1977), la socialisation favorise le rattachement au groupe social à travers une transmission d’affection aux membres du groupe (Muxel, 2018). Dans cet ordre d’idées, il ressort que la socialisation familiale a favorisé, à plus d’un titre, la motivation de certaines des femmes interrogées. Il faut noter que la solidarité est cultivée et transmise de génération en génération dans certaines familles. Elle se matérialise notamment par le soutien réciproque des membres de la famille dans leurs différents projets. Ce climat familial a propulsé l’engagement politique des femmes concernées. Comme le souligne TL (ancienne parlementaire, 47 ans, entretien réalisé le 24 novembre 2023), « rien de tel pour vous motiver, que lorsque vous savez que vous pouvez compter sur le soutien de votre cellule familiale ». La solidarité familiale apparaît comme une valeur cardinale, voire sacrée, dans nombre de familles burkinabè. Une maxime populaire au Burkina Faso soutient qu’on ne trahit pas sa famille ou qu’on ne doit pas se désolidariser sous aucun prétexte, de celle-ci. Même si cette valeur peut être réinterrogée dans le contexte socioculturel contemporain, caractérisé par l’émergence de l’esprit individualiste, il n’en demeure pas moins qu’elle est toujours d’actualité dans certaines familles.

La dimension de courroie de transmission, voire de perpétuation des valeurs politiques à travers la socialisation (Muxel, 2002 ; Jennings et al., 2009 ; Bantigny et Baubérot, 2011 ; Broutelle, 2011), et la famille comme cadre de transmission « sécurisé » du pouvoir ne sont certes pas des réalités nouvelles, mais elles prennent une dimension spécifique dans cette recherche. Grâce à la socialisation, la famille apparaît comme un espace social qui forge les convictions politiques (Broutelle, 2011). Ces convictions sont plus construites par le biais de la solidarité familiale qui s’élargit parfois au-delà de la filiation (père-fils/fille ; mère-fils/fille). C’est le cas des femmes de l’échantillon, qui se sont engagées politiquement pour soutenir un conjoint déjà en politique. Cette forme de soutien politique, comme le souligne Tozzo (2004), est une transposition de la solidarité familiale sur le champ politique en vue de sauvegarder les intérêts familiaux. Elle vient relativiser davantage la conception de sociologie de second rôle défendue par Gris (2021) selon laquelle les femmes d’élus, discrètes, ne jouent qu’un rôle secondaire dans la vie politique de leur époux. Dans le cas précédent, les femmes sont en avant-garde auprès de leurs époux pour les soutenir. Elles jouent soit un rôle central au sein du parti de leur mari ou soit elles créent un parti qui s’inscrit dans sa vision politique.

En outre, il se dégage des résultats de la recherche, une tradition politique héritée de la famille. Certaines enquêtées ont acquis une socialisation politique consécutive à une « tradition politique » dans leur famille biologique ou dans celle de leur époux, devenu par alliance la leur. Dans le premier cas, les enquêtées concernées ont hérité dès leur jeune âge, de cette tradition, car leur famille a historiquement une culture politique. Leur socialisation politique se fait via la famille dans laquelle elles baignent (Jennings et al., 2009 ; Brossier et Dorronsoro, 2016). Elles y accompagnent généralement la posture politique de la famille et, dans de rares cas, certaines femmes enquêtées finissent par se forger leurs propres convictions politiques. À ce sujet, AT (ancienne maire de 41 ans d’une commune rurale, entretien réalisé le 14 novembre 2023) affirme :

« Chez nous, la politique est une culture familiale et s’hérite de père à fils ou fille. Mon grand-père était très ancré en politique, il a occupé beaucoup de postes électifs. Mon père lui aussi a suivi ses traces, il est l’actuel président du bureau exécutif du parti. Notre aîné l’accompagne politiquement. Moi je suis comme atypique dans la famille, car bien qu’ayant pris goût à la politique grâce à ma famille biologique, je suis dans la mouvance politique de mon mari ».

Ce type d’hérédité politique soulignée ici contredit dans une certaine mesure, l’avis de Broutelle (2011 : 34) selon lequel « […] la politique est le sujet qui fait le moins objet de conversation entre enfants et parents ». Les enquêtées font état d’une transmission de valeurs politiques dès leur jeune âge dans leur famille à culture politique.

Dans le second cas, étant celui des femmes dont la famille de l’époux connait une tradition politique, nous remarquons que la socialisation politique de la femme apparaît plus complexe. Le processus de socialisation conduisant à son engagement politique est soumis à une double reconnaissance à savoir celle de la famille de son époux et celle de la famille biologique. Dans ce cas, les enquêtées concernées affirment avoir développé des stratégies pour acquérir la confiance et le soutien de chacune de ses familles. Elles déclarent, par exemple, avoir posé des « actes de solidarité agissante » dans ces familles, c’est-à-dire qu’elles ont fait des dons de nature diverse et ont toujours manifesté leur soutien moral et matériel à l’endroit de ces familles lors des évènements sociaux les impliquant (mariage, baptême, décès, etc.). Ces actes de solidarité finissent, d’après elles, par convaincre leurs familles qu’elles sont dignes de confiance parce qu’elles soutiennent toujours la famille et ne la relèguent pas au second plan.

Dans un contexte où la socialisation familiale tend parfois à placer la femme comme un Être devant se soumettre aux hommes et destiné aux activités de foyer, l’entrée en politique de certaines femmes enquêtées est motivée par une auto affirmation de soi. Cette auto affirmation vise à s’ériger contre un ordre social entretenu par le système de représentation social et transmis par le biais de la socialisation.

Dans cette logique, l’engagement politique des femmes concernées prend la forme d’un élan de rupture avec les perceptions sexistes en défaveur des femmes, qui sont parfois ancrées dans la conscience collective. D’après certaines femmes interrogées, il s’agit de donner le signal fort aux autres femmes à se départir de ces pesanteurs sexistes pour exprimer une certaine liberté qu’elles sont censées avoir (Pierron, 2006), « entre les envies d’agir prend place une tension inhérente à l’engagement. Pas d’engagement sans envies ni raison » (Rouamba et Descaries, 2010).

Enfin, l’une des influences de la socialisation est le fait de façonner, au-delà des convictions politiques, une aspiration à un statut social relativement élevé (capital symbolique). Plusieurs enquêtées établissent un rapport entre leur engagement politique et la quête d’un capital symbolique à travers la politique (Bourdieu, 1997), qui est perçue comme une voie d’ascension sociale. Ces femmes recherchent non seulement une reconnaissance sociale et les honneurs, mais aussi une source de revenus à travers les postes politiques : « Sans la politique, il n’était pas du tout évident que j’obtienne tous les postes éminemment politiques que j’ai obtenus. […] mon rêve a été de tout faire pour m’affirmer politiquement afin d’atteindre mes objectifs » (AY, deux fois ministre, 56 ans, entretien réalisé le 18 novembre 2023). L’atteinte de cette ascension sociale est une construction continue dans laquelle le capital humain des femmes enquêtées joue un rôle déterminant.

Certaines d’entre elles expliquent leur entrée en politique par une nomination pour laquelle leur capital d’expériences (leur technicité) et/ou les valeurs cardinales qu’elles reflètent ont plus prévalu. Des régimes élus aux régimes de transition, elles se sont vues nommées dans le gouvernement ou choisies au parlement par ce biais. Ainsi, leur engagement politique est suscité par les fonctions stratégiques qu’elles ont occupées ou occupent toujours. L’exemple de DB (deux fois ministre) en témoigne : « Je pense que ma nomination comme ministre est due à ma loyauté et mon professionnalisme, mes multiples expériences professionnelles, pour accompagner le processus enclenché […]. Après ma première nomination, j’ai pris la carte du parti ». De son point de vue, en s’engageant en politique par la « prise de la carte du parti au pouvoir », cela renforce la confiance que le chef du gouvernement a placée « en vous, car il se dit que vous ne pouvez pas facilement vous retourner contre le régime ». Tout comme l’insertion professionnelle accroit la chance de participation à la vie politique (Gaspard, 2004 ; Alvarez et Parini, 2005), la nomination des femmes à une fonction stratégique favorise leur engagement politique. Ce constat permet de relativiser les résultats de la recherche de Rouamba et Descaries (2010) qui ont montré que l’engagement politique et la nomination à des postes politiques sont fondés sur les liens personnels avec un responsable de parti ou un cacique du pouvoir. Bien que notre recherche n’ait pas constaté une telle pratique, elle reste une éventualité au regard des logiques de rationalité parfois développée par les acteurs sociaux pour tirer profit d’une situation. Le champ politique ne semble pas y faire exception.

Une autre forme d’influence de la socialisation est ce que Bourdieu (1997; 2000) appelle « habitus ». Il conditionne l’ouverture aux autres, notamment par l’entremise de la vie associative. Les schèmes de perception sur les autres, les préférences, la vision du monde, etc. prédisposent ou non à la vie associative, et celle-ci apparait dans la présente recherche comme un atout à un parcours politique.

Il ressort ainsi diverses formes de socialisation avec autant d’effets sur l’engagement politique des femmes interrogées. Il ressort que « la socialisation familiale équipe ainsi les individus d’un système de représentation et d’identification qui forme la trame de leurs comportements politiques » (Broutelle, 2011 : 38).

Entrée en politique : ressorts et contraintes des liens de famille

Concernant l’entrée en politique des femmes enquêtées en vue de briguer un poste électif ou d’être de simples militantes, les résultats de recherche nous donnent à voir une variation de l’influence de la famille en fonction des parcours tout aussi variés des femmes enquêtées.

La famille comme ressort de l’entrée en politique

Au-delà de la socialisation politique familiale, les résultats de l’enquête révèlent que certaines femmes ont bénéficié d’un cadre familial favorable à leurs activités politiques. Ce dernier a constitué, pour elles, un ressort sur lequel elles se sont appuyées pour s’affirmer, la solidarité familiale aidant (Messu, 2019). Trois cas de figure ont été identifiés. Le premier est celui des femmes ayant bénéficié d’un climat familial déjà propice à la politique, du fait qu’un membre de la famille y a déjà fait ses preuves. OZ (ex-ministre, 52 ans, entretien réalisé le 18 novembre 2023) nous confie que : « Ma grand-mère s’est d’abord révélée à travers les associations. Par la suite, elle s’est engagée sous la bannière d’un parti de la mouvance présidentielle avant de créer son propre parti politique… Elle a été celle qui m’a vraiment initié et inculqué la passion pour la politique ». En ce sens, CO (ancienne ministre) affirme :

« […] Au niveau familial je n’ai pas eu d’obstacles, parce que l’histoire de ma famille est spéciale. Moi, je suis d’une famille où les gens ont toujours été du côté du politique […] ; donc ça n’a jamais été un obstacle. Je pense qu’effectivement, plus vous avez des parents qui ont été plus ou moins impliqués, ou qui ont eu des appointages avec le monde politique, moins vous avez des obstacles [en famille] ».

Pour les femmes enquêtées étant dans une famille à culture politique, l’accompagnement familial est presque un acquis. Un membre ex-politique s’érige le plus souvent en porte-voix et en défenseur de la femme politique au sein de la famille ou du groupe social.

Le deuxième cas concerne les femmes politiques veuves ayant hérité du parti de leur défunt mari, qui diffère des cas de succession des épouses héritant du mandat électif de leur époux (Marneur, 2016 ; Brossier et Dorronsoro, 2016). Ce type de succession horizontale au pouvoir politique semble atypique ou paradoxal dans un contexte de démocratisation de la gestion des partis politiques. Certains chercheurs et analystes politiques avaient prédit sa disparition avec l’avènement de la démocratie (Brossier et Dorronsoro, 2016). Dans notre recherche, la succession se fait de manière insidieuse par les membres influents du parti, soigneusement préparée au préalable. Pour ainsi la rendre digeste, elle se fait sous une forme démocratique dont la gagnante est en réalité prédéfinie. Afin de faciliter leur acceptation comme successeuses légitimes, ces femmes ayant été aux côtés de leur mari pendant les nombreuses activités politiques ont pu apprendre les différents arcanes politiques et se sont illustrées de manière positive au sein du parti et aux yeux des militants. Ces femmes choisies et préparées politiquement par leur mari en vue d’une éventuelle succession sont des cas assez rares ; seulement deux ont été identifiés dans cette recherche. Dans de telles situations, lors du décès du mari, le système de représentation sociale burkinabé veut que la volonté du défunt soit respectée. Par conséquent, les membres de la famille du défunt mari sont obligés de soutenir la veuve, vu qu’elle avait déjà été choisie comme successeuse politique par son mari, de son vivant. Le cas de TA (conseillère municipale) l’illustre bien :

« J’ai toujours été la femme de confiance de mon mari ; de son vivant, nous sillonnions les différentes localités ensemble pendant les campagnes électorales. Avant les réunions politiques ou pour toutes décisions politiques, il me concertait. J’ai donc appris la politique à ses côtés. La confiance s’était progressivement si bien installée en ce qui concerne la chose politique, qu’il m’envoyait parfois le représenter, mieux, défendre certaines positions qui étaient les siennes ».

Cependant, tout ne se joue pas sur le seul fait d’être retenue comme successeuse du défunt mari à la tête du parti. Brossier et Dorronsoro (2016) soutiennent qu’« elle doit être constamment légitimée ». L’élection et la réussite politique dépendent de cette légitimation, non seulement au niveau des différentes instances du parti, mais aussi des électeurs. Comme le relève Marneur (2016), la transmission héréditaire du statut d’élu, tout comme les autres postes électifs, est validée par les électeurs. Un facteur est parfois très propice à l’adoption du successeur ou de la successeuse ; il s’agit du charisme ou de la notoriété du prédécesseur (Marneur, 2016). Dans cette perspective, il suffit pour certains électeurs de savoir que c’est l’épouse du défunt président du parti pour la soutenir.

L’hérédité politique en Afrique est, sous le prisme de la démocratie, le plus souvent décriée comme une stratégie de perpétuation du pouvoir au sein d’un clan ou d’un lignage, mais elle reste une réalité le plus souvent insidieusement imposée aux électeurs qui la contestent ou finissent par l’accepter.

En ce qui a trait au troisième cas, certaines femmes bénéficient du soutien ouvert de leur conjoint ou de leur père. TZ en est une, comme le confirme son témoignage : « […] en termes de contraintes, je pense que j’ai eu moins de problèmes que les autres femmes. Pourquoi, parce que j’avais mon mari qui me soutenait […] ». Dans cette perspective, l’époux d’une femme politique nous confie : « À vrai dire, j’ai toujours soutenu mon épouse à travers mes encouragements et le soutien moral lorsque je la sens déprimée. J’ai confiance en elle et je sais qu’elle met toujours dans la balance notre vie de couple et, par extension, les valeurs de la famille dans ses actions politiques. » De ce propos, on note que le soutien du conjoint est implicitement conditionné au respect des valeurs cardinales de la famille.

La résilience des femmes politiques prend ainsi la forme de prise de conscience et de prise en compte dans leurs actes et comportements, la sauvegarde des valeurs et l’honneur de la famille. Dans leurs comportements et attitudes, elles ne doivent pas écorcher ces valeurs, sinon elles verront le soutien familial se retourner contre elles et les amener à démissionner de leur poste politique (électif ou nominatif), voire à abandonner le champ politique. L’aînée d’une famille affirme au sujet de l’épouse politique de son frère : « nous lui faisons confiance et nous la soutenons dans son engagement politique. Nous lui avons dit qu’elle doit garder à l’esprit que l’honneur de cette famille ne sera jamais trahi. Si cela arrive, elle devra en assumer les conséquences ». TZ (ancienne ministre) relate les propos de sa fille de 24 ans dans ce même sens : « ma fille m’a dit “maman, de grâce, fait tout pour qu’un jour, je n’ai pas à baisser le visage parce qu’on parle de ma maman, s’il te plait [pas] comme beaucoup de mes amies le font quand on parle de leurs mamans” ». Messu (2015) parle du poids du symbolisme. En Afrique et plus spécifiquement au Burkina, la question de l’honneur prend un sens particulier. Elle est souvent associée au concept de honte, qui, au-delà de son sens connoté, à une signification profonde, puisqu’elle engendre une crainte qui guide le comportement social de l’individu (Baroin et Cooper, 2018). L’individu, de par son action en marge des normes et valeurs cardinales de sa société, s’attire la honte. Son honneur en est affecté, et même souvent celui de toute la famille en prend un coup à cause du comportement d’un membre. Plusieurs enquêtées se voient donc interpeller par les membres de leur famille, dans le but de leur rappeler cette réalité sociale qui couvre toutes les dimensions de la vie en société.

La politique en dépit des contraintes familiales et des obstacles institutionnelles : les stratégies de résilience

Des contraintes familiales aux stratégies de résilience

L’entrée en politique des femmes enquêtées est marquée par une opposition parfois forte, soit de la famille paternelle ou de celle par alliance. Cette opposition est empreinte de représentations négatives de la politique vue « comme un milieu pourri » puisqu’il est perçu comme le lieu des manigances où tous les moyens peuvent être utilisés pour parvenir à une fin quelconque. Dans cette logique représentative, le milieu politique ne mériterait pas d’être fréquenté par les femmes qui sont dans la conscience collective particulièrement investies d’un rôle de transmission des bonnes mœurs à leurs progénitures.

Souvent, une expérience moins réussie en politique d’un membre de la famille sert de prétexte pour dissuader la « nouvelle entrante » dans le milieu. AK (57 ans, ancienne députée) nous relate les propos de son défunt père, lorsque ce dernier apprend que sa fille s’intéresse à la chose politique : « […] tu sais, même en tant qu’homme, j’ai reçu pas mal de coups durs en politique, même ceux portant atteinte à ma vie privée ». Cette dernière n’a pas cédé au découragement puisqu’elle parviendra non seulement à bien se positionner sur la liste électorale de son parti, mais aussi à se faire élire au parlement. Dans une logique contraire, Rouamba et Descaries (2010) souligne la difficulté pour une femme de se faire élire au conseil municipal de la localité de son mari. Ayant abandonné la sienne au profit de celle du mari à la suite de son mariage, elle y est vue comme faisant désormais partie de la localité de son mari. Cependant, on la voit là-bas comme étrangère, donc non éligible.

De ce fait, on est à même de s’interroger sur la stratégie développée par ces femmes qui ont rencontré ces types de contraintes familiales sur le chemin de leur engagement politique. Plusieurs stratégies ont été mises en œuvre pour s’y maintenir : d’abord la persuasion consistant à convaincre les membres réticents de la famille par un argumentaire fondé sur les liens familiaux et les valeurs de l’entraide familiale ; et ensuite de faire preuve d’une détermination vis-à-vis des réticences persistantes des membres de la famille pour les pousser à finalement s’aligner derrière la décision d’une des leurs, à faire de la politique. Dans cette optique, TL (ancienne parlementaire) témoigne : « À l’époque, lorsque j’ai fait part à mon mari, de mon désir de l’accompagner politiquement, sa réaction a été radicale « tu ne viendras pas dans ce milieu ; même en tant qu’homme, les coups qu’on y donne ne sont pas faciles à supporter, reste s’il te plaît avec les enfants » ; « Ma ténacité et ma grande capacité de convaincre ont permis de l’amener à changer d’avis, et c’est sous la bannière de son parti que j’ai été élue comme député à sa grande satisfaction ».

Certaines femmes interrogées ont évoqué comme stratégie de résilience, le recours à des membres influents de la famille pour convaincre les membres sceptiques. Enfin, la stratégie de mise devant le fait accompli a également été relevée. Elle consiste à anticiper sur la réaction négative de la famille, en la contournant au début de l’engagement politique, de sorte que toute information pouvant l’alerter sur l’intérêt du membre pour la politique lui est soigneusement cachée. Dans cette perspective, RT (30 ans, candidate aux élections législatives de 2020) atteste :

« […] Lorsqu’à ma qualité de militante dans un mouvement politique, j’ai été consultée pour me voir proposer la responsabilité de la section provinciale du mouvement. J’ai tout de suite accepté sans demander l’avis de la famille, surtout de mes deux parents, car connaissant bien ma famille, j’étais convaincue que la réponse serait un non radical. J’ai donc travaillé en cachette pendant un certain temps […], jusqu’au jour où une grosse activité politique que j’ai réalisée soit médiatisée à outrance […] ».

Des obstacles institutionnels aux obstacles inhérents à la famille politique, quelles stratégies de résilience ?

En plus des contraintes familiales, la recherche révèle que les femmes burkinabè en politique sont confrontées à d’autres types de difficultés qui ne sauraient être éludées dans la compréhension de leur parcours politique.

Un des pans de ces difficultés non familiales est relatif à la perception et à la mise en œuvre de certains textes visant à encourager l’accès des femmes au pouvoir politique. Ces textes au Burkina Faso visent davantage l’implication des femmes à la vie politique ou aux prises de décisions politiques et bénéficient d’une mise en application de façade parce qu’ils apparaissent comme imposés. Ainsi, la subvention des partis politiques par l’État est conditionnée par le respect du quota de genre. Dans un tel contexte, l’appropriation de ces textes n’est pas acquise. Dans des « familles politiques », on assiste à des calculs stratégiques qui frisent le contournement des textes tout en profitant de la subvention de l’État, comme le relève TZ (ancienne ministre) :

« […] des femmes sont tête de liste des élections, mais on les positionne dans des localités où le parti n’est pas sûr de remporter les élections ; ou dans des régions à faibles enjeux pour le parti. Le choix des candidats du parti n’est pas forcément lié aux compétences intellectuelles, mais plutôt au capital économique, pour “acheter” les consciences lors des votes […] ».

L’analyse de DB (ancienne ministre) va dans le même sens. Elle souligne que du code des personnes et de la famille à la loi portant fixation du quota de genre en passant par les modalités de positionnement des candidats aux élections législatives et municipales au Burkina Faso, l’égalité des chances et des droits reste un mirage. Elle préconise qu’avec les résistances au changement, il faut un leadership affirmé au niveau de la classe dirigeante pour faire évoluer la situation, bousculer les tabous et donner les mêmes chances, tant aux filles et aux femmes qu’aux garçons et aux hommes. Elle estime qu’on ne peut pas demander aux femmes de se positionner dans une course alors qu’elles ne sont pas sur la même ligne de départ que les hommes. Elle conclut que « fort heureusement », on note des progrès et des avancées en matière d’éducation des filles et des droits des femmes.

En outre, les résultats de terrain permettent de constater que dans la « famille politique » (Muxel, 2018), le parcours politique des enquêtées est émaillé d’autres difficultés émanant des membres du même parti politique. Certains hommes ne parviennent pas à se détacher de leur entre-soi masculin et assument mal qu’une femme puisse obtenir des responsabilités politiques supérieures aux leurs. On assiste souvent à des détractions reposant sur des logiques « féodales ou égocentriques ». DB (ancienne ministre) le confirme :

« Il y a [des] détracteurs qui vous vilipendent par ignorance ou simplement par méchanceté ; sans oublier les “guerres” de positionnement menées par certains cadres du parti qui considèrent qu’ils ont “mouillé le maillot” pour que le parti accède au pouvoir et que votre poste devrait leur revenir de plein droit […] Il y a également certains qui ne veulent toujours pas que le parti soit représenté par une femme aux élections ».

En réaction à l’ensemble de ces obstacles à leur engagement politique, l’état d’esprit de chaque femme politiquement engagée fait la différence. Ainsi, il ressort des propos de la plupart d’entre elles, le fait de se focaliser sur les aspects qui peuvent leur permettre d’avancer politiquement. Les propos de TZ (ancienne ministre) illustrent bien cette réalité : « lorsque vous êtes une personne à conviction, qui pense que la position de leadership vous permet d’impacter et de laisser un héritage, vous devez garder votre motivation et votre engagement intacts. J’évitais de m’attarder sur ce qui m’empêchait d’avancer… ».

En définitive, l’entrée en politique des enquêtées est caractérisée par une variété de parcours marquée par une diversité non seulement de contraintes face auxquelles elles ont développé des stratégies de résilience, mais aussi de contextes familiaux favorables à l’entrée politique pour certaines d’entre elles, et ce, grâce à une socialisation familiale et/ou politique propice. La section suivante analyse les stratégies développées par les femmes politiquement engagées, pour concilier leur vie politique avec leur statut social d’épouse, de mère, de membre de la famille ou de la communauté.

Conciliation entre responsabilités politiques, familiales et sociales

Les résultats de la recherche montrent que la conciliation par les femmes enquêtées, de la vie politique avec celle familiale et sociale n’est pas « un long fleuve tranquille ». L’engagement politique, comme le souligne cette ancienne ministre de 52 ans, « signifie de longues absences, de multiples réunions, parfois à des heures indues », ce qui est susceptible d’installer un climat de suspicion d’infidélité de la femme politique. Pour pallier cette suspicion, la majorité des enquêtées affirment avoir eu recours à la stratégie de la mise en confiance de leur époux et de leur famille. Elle a consisté, avant l’engagement actif dans la politique, à s’entendre dans le couple sur les principes de bases à ne pas transgresser. Parmi lesquels, la franchise et l’ouverture d’esprit au sein du couple. Le couple s’accorde à ne rien cacher sur leur vie. Partager les difficultés rencontrées par la femme dans sa vie politique et celles auxquelles l’époux est confronté du fait de la vie politique de l’épouse, dans le but d’envisager des solutions respectives et consensuelles. Certaines femmes interrogées soulignent la mise en œuvre d’une stratégie de communication basée sur l’information exhaustive du mari sur les activités politiques impliquant son épouse, leur lieu et leur durée ainsi que toutes les modifications éventuelles de dernière minute. Les propos de DZ (conseillère municipale) illustrent cela : « […] Lorsque le conseil municipal convoque une rencontre extraordinaire sur un sujet d’urgence, je prends toujours le soin d’informer mon mari avant de m’y rendre. Qu’il soit présent ou en mission. C’est une règle réciproque que nous avons instituée lui et moi […] ».

D’après l’enquêtée, cette stratégie de communication semble « assujettissante », mais elle permet d’installer « la sérénité dans le couple ». Une autre enquêtée, également ancienne ministre, renchérit : « Pour les cérémonies comme les invitations, les réceptions, j’ai toujours demandé deux cartes, une pour moi, l’autre pour mon époux, pas qu’il ait exigé cela, mais parce que cela nous permettait de garder une certaine complicité entre nous, et par ricochet, la confiance ». Des mesures similaires pourraient s’observer au niveau de tout couple dont l’activité professionnelle amène au moins l’un des membres à s’absenter de la famille pendant des heures non convenues par le couple. Nos résultats de terrain mettent en évidence la particularité des couples avec des épouses menant des activités politiques, en particulier les stéréotypes, voire les perceptions négatives, entourant le champ politique et les femmes y étant.

En outre, la conciliation de la vie politique et de la vie de couple apparaît comme une constante mise à jour durant tout le parcours politique. Comme le souligne l’ancienne ministre, « […] l’engagement politique, ça vous met dans un système et parfois, sans vous rendre compte, vous oubliez vos obligations familiales et conjugales […] ».

Au regard de tout ce qui précède, installer un climat de confiance et le nourrir joue un rôle primordial, permettant aux femmes de conduire leur vie politique tout en sauvegardant celle conjugale. « Éluder cette étape, c’est exposer son couple à la dislocation, car en politique, toutes les stratégies sont bonnes pour casser politiquement son adversaire ; même celles concernant des allégations portant atteintes à la vie intime. Malheureusement, certaines femmes l’ont appris à leurs dépens, à telle enseigne que sur dix femmes politiques, on peut facilement avoir sept qui vivent sans mari » (AD, député, 32 ans, entretien réalisé le 9 septembre 2023). Rouamba et Descaries (2010) ont fait allusion à une femme ministre qui a dû, sous la pression de son époux, démissionner pour préserver son foyer. Elles montrent d’ailleurs que même élues à des hautes sphères de la gouvernance politique, les femmes sont obligées de prendre des dispositions pour que leur vie familiale ne prenne pas un grand coup. Même si les époux approuvent l’engagement politique de leurs épouses, il apparaît qu’ils tiennent toujours à certaines responsabilités familiales qu’ils veulent les voir jouer. Ces responsabilités qui ne sont pas délégables d’après eux, outre la sexualité, varient d’un époux à l’autre et restent intimément liées à leur système de représentation. Pour certains maris interrogés, une femme doit, sauf dans des cas de forces majeures (maladie, voyage), toujours servir à manger à leur mari, faire le lit conjugal, être à ses côtés pour le soutenir moralement, voire matériellement, en cas de problème ou de besoin (maladie, difficultés au travail, évènements sociaux, etc.). Selon eux, cela contribuerait à consolider les liens conjugaux.

Si certaine femmes élues interrogées affirment respecter toujours la « ligne rouge » de la vie conjugale à ne pas franchir, c’est-à-dire les principes de bases établis par le couple ou la famille, d’autres reconnaissent la grande difficulté à pouvoir constamment concilier ces responsabilités conjugales et familiales, avec les activités politiques. Par conséquent, la solution relevée de part et d’autre par les femmes enquêtées reste la voie de la communication, qui consiste à communiquer davantage dans le couple sur les empêchements ou les absences suscitées par la responsabilité ou les activités politiques des épouses. Cette stratégie de communication peut fonctionner pendant un temps plus ou moins long, mais pourrait par moment se fragiliser dû à la routine. L’époux d’une ancienne femme parlementaire est de cet avis : « […] Il est vrai que certaines absences ou certains retards sont justifiés et compréhensibles, mais quand cela est très fréquent, il y a des motifs d’inquiétudes, car ça fait penser à des subterfuges pour fuir certaines de leurs responsabilités dans la famille […] ».

Par ailleurs, l’un des enjeux liés à leur statut social est la place centrale que la société burkinabé leur confère en matière de socialisation des enfants. Selon cette perception, les enfants sont censés passer la plus grande partie des premiers instants décisifs auprès de leur mère afin qu’elle leur transmette les valeurs et normes familiales de base. Ainsi, leur absence prolongée de la famille est une contrainte qu’elles affirment avoir à affronter, tel que le souligne cette mère (67 ans) d’une femme politique : « nous sommes dans une société qui admet les absences répétées de l’homme dans la famille, mais pas celles de la femme qui doit constamment veiller sur l’éducation et la bonne moralité de ses enfants ». OT, ancienne conseillère municipale et ex-maire de 38 ans, nous confie à propos de la stratégie palliative qu’elle a mise en œuvre dans sa famille :

« […] J’avoue que ce n’est pas du tout simple, mais je me rappelle que lorsque j’étais encore aux affaires, l’une de mes stratégies consistait à responsabiliser l’aînée de mes enfants, elle avait 23 ans à l’époque. Elle était chargée de veiller sur ces deux frères. Quand je ne suis pas en déplacement, chaque soir lorsque je rentrais, je les réunissais et leur faisais faire le bilan de leur journée ; après quoi, je leur prodiguais des conseils en stimulant leur responsabilité. »

Les propos de cette enquêtée mettent la lumière sur la lourde responsabilité des femmes de veiller sur la bonne éducation des enfants dans les familles africaines. Cette responsabilité reste difficile à relever, car la vie politique les contraint à être moins présentes auprès de leurs enfants. Dans certains cas, les maris sont eux aussi constamment absents du ménage. Par conséquent, les filles aide-ménagère s’occupent des enfants avec toutes les implications que cela peut avoir sur leur éducation. Selon leur capital social et/ou leur capital économique, les femmes interrogées tendent à trouver une alternative à leurs constantes absences. Elles optent soit pour les garderies d’enfants (écoles maternelles), ou pour les grand-mères ou mères inactives, dans le but de veiller sur leurs progénitures pendant leurs absences. Quand elles sont présentes, les mères affirment essayer de rattraper « ce qui peut encore l’être » en termes d’affection et d’éducation. Le plus dur, selon elles, est quand l’enfant est en très bas âge. Elles soulignent être parfois obligées avec le consentement de leur époux, d’amener l’enfant et la nourrice à leurs différentes activités politiques. Les propos de cette enquêtée, secrétaire générale d’un parti politique, illustrent bien cet état de fait : « […] lorsqu’elles sont en politique, on a vu des femmes qui sont venues à des réunions avec leurs bébés. On n’a pas de problème avec ça, seulement, il faut que le mari accepte. En général ça ne cause pas de problème au mari parce que justement son problème est que la femme laisse l’enfant à la maison et parte […] ».

Un autre défi relevé par les femmes politiques est celui du social, constitué essentiellement d’évènements heureux et malheureux du vivre ensemble. Au Burkina Faso, les membres de la société sont assez regardants sur la présence ou l’absence des autres membres directement concernés par un évènement impliquant la communauté ou la société. Ainsi, « on dira d’une tierce personne qu’elle est toujours présente ou absente aux évènements sociaux. Par conséquent, le retour de l’échelle lui est renvoyé tel le don suscitant un contre-don ». La plupart des femmes de l’échantillon d’enquête soulignent que le social, quelle que soit sa nature, est un évènement politique par excellence. Le social est une occasion de se faire remarquer positivement par sa présence et à travers quelques dons, qui pourrait d’une manière ou d’une autre favoriser l’adhésion de certaines personnes à leur cause politique.

Pour les femmes engagées en politique, la conciliation de leur statut de femmes politiques avec celui social est soumise à des contraintes multiformes qu’elles affrontent au quotidien afin de s’exprimer et de s’affirmer politiquement, là où d’autres femmes sont susceptibles d’abandonner ou de s’autocensurer.

Conclusion

Les femmes politiques burkinabés sont écartelées entre l’entre-soi masculin en politique ou dans la famille et les représentations socioculturelles à caractère sexiste. Pouvoir résister à tous ces facteurs relève d’une résilience construite et entretenue par ses femmes afin de se frayer une place dans l’arène politique. Les logiques qui les amènent en politique sont diverses. Toutefois, les facteurs déclencheurs restent essentiellement la socialisation familiale/politique et le militantisme politique auprès des proches ou hérité d’eux. La famille devient un ressort ou un obstacle à l’émergence politique des femmes au Burkina Faso, puisque la sauvegarde des valeurs familiales y est visée. La politique apparaît comme une arène trop « dure » pour les femmes qui doivent s’occuper de l’équilibre de la famille. Au nom des valeurs qu’incarnent les liens familiaux, des concessions sont parfois faites pour s’unir autour d’un membre féminin dans l’intérêt familial. La vie politique des femmes ne fait pas l’exception quant aux difficultés qui s’invitent dans leurs parcours politiques, souvent empreints de relent sexiste. En dépit d’une politique de genre*, les femmes semblent toujours reléguées au second plan en politique. Entre la loi sur le quota de genre et les stratégies d’acteurs politiques, il se dégage une logique d’évitement dans un contexte d’entre-soi masculin.

Les résultats de la recherche laissent toutefois entrevoir un changement de comportement. On note une évolution des mentalités dans la compréhension et l’acceptation des textes en faveur des femmes, même si leur application objective traine encore le pas. Ce papier a eu le mérite de remettre en question ce pan de la réalité politique burkinabé des femmes qui « refusent » d’être poussées directement ou indirectement à l’autocensure politique. Le défi de la conciliation de la vie politique avec leur statut de femme au foyer et les attentes sociales afférentes restent un enjeu majeur. Si certaines parviennent à construire des stratégies pour y parvenir, d’autres se laissent « piéger » par leur passion politique et finissent par perdre leur mari. Les familles monoparentales causées par la politique n’ont pas été à ce jour quantifiées. Elles nécessitent que des études s’y penchent en vue d’analyser l’impact sur l’éducation des enfants ainsi que les implications sociales d’un tel phénomène. En outre, l’étude n’a pas pu mettre en évidence l’influence de la polygamie sur la vie politique des femmes. En dépit de nos efforts de diversification de l’échantillon, toutes nos enquêtées étaient des femmes en couple monogame. Une analyse sociologique pourrait vérifier l’éventuel rapport entre l’engagement politique et la polygamie. Il en est de même pour le célibat des femmes politiques qui n’a pas pu être mis en exergue dans notre recherche.