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Introduction

Le 25 avril 2013, dans une résolution établissant la nouvelle opération de maintien de la paix (omp) au Mali, le Conseil de sécurité (cs) exige pour la première fois, l’étude des effets de la mission sur l’environnement :

Prie le Secrétaire général d’étudier les effets sur l’environnement des activités menées par la minusma en exécution des tâches qui lui sont prescrites.

cs 2013 : §32

Ne figurant pas dans la Charte des Nations Unies, les omp de l’Organisation des Nations Unies (onu) ont vu le jour en 1948 dans le cadre de la surveillance de la trêve en Palestine, et se sont par la suite construites sur une base ad hoc autour de trois principes fondamentaux : le consentement des parties, l’impartialité et le non-recours à la force (Tardy 2009 : 59). Fondées juridiquement sur les chapitres VI, VII et VIII de la Charte, le droit humanitaire international, les droits de l’homme et les mandats fournis par le Conseil de sécurité (domp et dam 2008 : 13-16), elles constituent le principal outil du maintien de la paix international (Tardy 2009 : 61) et permettent d’assurer la présence de l’organisation sur des terrains difficiles (Daillier, Forteau et Pellet 2009 : 1118). Élément le plus visible de l’action onusienne en matière de paix et de sécurité internationales, les omp ont grandement évolué, notamment en nombre, depuis 1948. Depuis la fin de la guerre froide, les omp ont connu des changements sur les plans quantitatif, géographique et qualitatif, notamment avec le développement des opérations dites multidimensionnelles, caractérisées par une diversification des acteurs et des activités (Tardy 2009 : 63). Aussi, alors que des problématiques d’ingénierie dans le domaine de l’eau, de la pollution de l’air ou encore de la santé ont toujours été soulevées pour les omp, c’est véritablement à partir des années 2000 et de la multiplication des omp – en particulier multidimensionnelles – que les questions environnementales sont devenues bien plus importantes (Entretien 2013r).

Pourtant, les conditions environnementales et climatiques constituent des éléments intemporels de la stratégie militaire. Les questions de topographie des sites et d’accès aux ressources vitales (Schneider 2006), ainsi que de climat et de déroulement des batailles (Pagney 2008) soulignent des liens historiques entre actions militaires et environnement. De même, des recherches scientifiques et militaires ont été menées pour utiliser la nature comme arme, contribuant, par ailleurs, au développement d’un discours alarmiste en matière d’environnement (Hamblin 2013). Toutefois, si les préoccupations des militaires en matière d’environnement et de climat ne sont pas récentes, il est possible d’observer un renouvellement des inquiétudes en matière d’écologie après la fin de la guerre froide et dans un contexte de restriction budgétaire. En effet, à partir des années 1980, et de manière croissante dans les années 1990, les réflexions des états-majors en matière d’environnement, aux États-Unis et au Royaume-Uni en particulier, se sont multipliées (Entretien 2012e). Premièrement, des inquiétudes concernant le risque de prolifération des armes de destruction massive construites dans le cadre de la course à l’armement en urss se développaient (Entretien 2012c). Deuxièmement, la question du nettoyage des actions militaires était soulevée – en ex-urss avec des demandes des pays de l’Europe de l’Est – mais également sur les terrains d’intervention américains comme au Koweït. Troisièmement, les questions d’efficience énergétique commençaient à attirer l’attention des militaires américains (Entretien 2012d), particulièrement ces dernières années en raison de facteurs économiques (Entretien 2012e). De surcroît, les pertes occasionnées par le transport et la livraison des carburants sont extrêmement importantes, motivant l’état-major à trouver d’autres ressources énergétiques. Ainsi, en parallèle des nombreuses publications du Pentagone, mais également du ministère de la défense britannique, des projets en matière d’énergies propres et renouvelables se multiplieraient, tels que ceux fondés sur l’utilisation de l’énergie solaire et l’isolation en Afghanistan. S’il s’agit d’un enjeu traditionnel et particulièrement étudié par les armées américaines (Durant 2007) et britanniques, les préoccupations des Casques bleus dans le cadre des omp sont elles plus récentes.

Dans une perspective de sociologie des organisations internationales (oi) (Barnett et Finnemore 2004 ; Devin et Smouts 2011), qui se caractérise par une étude des multiples configurations d’acteurs qui les composent (Mathiason 2007) et des processus internes de changement (Nay et Petiteville 2011 ; Louis et Maertens 2014), nous nous interrogeons sur les dynamiques dans lesquelles s’inscrit l’intégration tardive des problématiques environnementales dans le travail des Casques bleus. Tout en soulignant les limites du processus, l’article s’interroge davantage sur les pratiques qui incarnent le verdissement des omp, dans la lignée des récents travaux sur les pratiques en relations internationales (Adler et Pouliot 2011 ; Klein, Laporte et Saiget 2015), et les enjeux stratégiques qui découlent des logiques d’appropriation de cette thématique nouvelle, allant ainsi au-delà de la question normative du degré d’intériorisation et de la superficialité du vernis vert apposé aux oi (Morin et Orsini 2015).

Sur le plan méthodologique, nous procédons à cette étude de cas inédite sur l’environnement et les omp à partir des données collectées dans le cadre d’une enquête de trois mois par observation participante au sein de la Division politique, évaluation et formation (dpet) des Départements des opérations de maintien de la paix (domp) et de l’appui aux missions (dam) – structure partagée entre les deux départements –, à laquelle s’ajoute la conduite d’une trentaine d’entretiens auprès de fonctionnaires onusiens et de membres de la société civile. La focale privilégiée dans cet article se concentre ainsi sur le personnel onusien – la « 2eonu » (Weiss et Thakur 2010) –, même si les positions des États membres seront également mentionnées ponctuellement.

Nous proposons ainsi d’étudier cette appropriation tardive à travers le verdissement des activités sécuritaires onusiennes, soit les pratiques tentant de réduire l’empreinte écologique des Casques bleus, et le concept de « environnementalisation » de la sécurité. Dans son analyse de la construction du changement climatique comme menace à la sécurité, Maria-Julia Trombetta a montré que, le rapprochement des champs de la sécurité et de l’environnement conduit à des changements de pratiques au sein du secteur sécuritaire. Cette convergence pousse en effet les acteurs du champ de la sécurité à intégrer des logiques relevant classiquement de politiques environnementales – mesures préventives, actions ne relevant pas de la confrontation (Trombetta 2008). Dans la lignée de ces conclusions et inspiré du travail de Stefan Elbe sur la « médicalisation de la sécurité » (Elbe 2010) et d’Angela Oels sur la « climatisation du champ de la sécurité » (Oels 2012), nous définissons le processus d’« environnementalisation » de la sécurité comme la construction de la sécurité comme un enjeu environnemental. Démarche discursive visant à reconnaître les activités sécuritaires comme relevant de la protection de l’environnement, l’environnementalisation de la sécurité repose aussi sur le transfert de pratiques et d’instruments relevant des politiques de l’environnement vers le secteur sécuritaire. Dans un contexte d’intérêt grandissant pour la notion d’« empreinte écologique » (Collins et Flynn 2015), l’environnementalisation peut intervenir dans une perspective de préservation de l’environnement – par exemple, par la mise en évidence des conséquences en matière d’empreinte écologique des activités militaires. Mais il peut également s’agir d’une manoeuvre d’instrumentalisation de l’environnement où l’on construit des problèmes politiques à connotation sécuritaire comme des problèmes environnementaux afin d’encourager la coopération. Il s’agit, dans ce cas, d’une stratégie de contournement, l’environnement et les instruments des politiques environnementales constituant alors une ressource politique pour l’acteur amorçant le processus.

Dans le cas précis des omp, l’appropriation des problématiques environnementales par les Casques bleus s’articule à différents niveaux. Bien que la mise en oeuvre soit confrontée à de nombreuses limites, la dimension stratégique des efforts de verdissement et d’environnementalisation permet, au-delà d’une réduction limitée de l’empreinte écologique des missions, le développement d’une réflexion plus substantielle sur le lien entre environnement et conflit.

I – Des logiques d’appropriation multiniveaux

Tout d’abord, la prise en compte tardive des questions écologiques au sein des omp s’inscrit dans des logiques d’appropriation multiniveaux caractéristiques des oi, constituées d’acteurs variés agissant à de multiples échelles (Weiss et Thakur 2010). Si les inquiétudes croissantes en matière d’environnement touchaient avant tout les acteurs sur le terrain – une dynamique bottom-up –, c’est au niveau du siège que des politiques environnementales ont été développées – une approche top-down. La diffusion de ces politiques a ensuite été portée par une variété d’acteurs parmi le personnel du Secrétariat et les États membres.

A — Des inquiétudes croissantes en marge de l’explosion quantitative et qualitative des omp : une dynamique bottom-up

L’environnement n’a véritablement retenu l’attention au sein des omp qu’à partir des années 2000. Si la mission au Cambodge – la Mission préparatoire des Nations Unies au Cambodge (miprenuc) en 1991-1992 – a marqué le début de préoccupations des Casques bleus à l’égard des ressources naturelles (Entretien 2013l), le développement des préoccupations environnementales des omp relève, tout d’abord, d’un processus bottom-up plus tardif dans la mesure où ce sont les problèmes rencontrés sur le terrain qui ont fait émerger les réflexions au siège. Une fonctionnaire du dam a ainsi expliqué que le domp et le dam avaient véritablement réalisé l’enjeu environnemental des missions vers 2004-2005, avec le déploiement de nouvelles grosses missions – au Darfour (depuis 2004), en Haïti (depuis 2004), puis au Soudan (depuis 2005). De missions à personnel réduit et sur courte durée, on passe à de « très grosses machines » que l’on met en place dans des pays sans infrastructures basiques permettant notamment la gestion des déchets (Entretien 2013h). Le dam et le domp reçoivent de plus en plus de demandes dans ce domaine de la part des missions (Entretien 2013n), comme celle chargée de la surveillance de la trêve en Palestine (onust) qui a sollicité le siège afin de former son personnel sur les questions d’environnement (Observation 2012-2013). De telles préoccupations étaient également soulignées dans les rapports de fin de mission des officiers environnementaux consultés lors de notre enquête. Par exemple, l’ancien officier environnemental de la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (monusco) a souligné les risques sévères pour l’image de l’organisation en cas de mauvaise gestion de ses impacts environnementaux (Observation 2012-2013).

Les raisons de l’intérêt des missions pour leur impact écologique sont donc quelque peu différentes de celles des militaires américains et britanniques mentionnées précédemment. Les inquiétudes ne sont pas celles d’une grande armée selon un membre du Bureau des affaires militaires du domp dans la mesure où le déploiement est relativement léger – peu de gros tanks ou d’avions – (Entretien 2013q) et où on ne peut attribuer de nombreuses pertes causées par le transport des carburants comme pour l’armée américaine (Entretien 2013h). De même, alors que les armées nationales peuvent avoir des perspectives à long terme, les missions de maintien de la paix onusiennes sont avant tout des assemblages de différentes unités et de troupes en provenance de nombreux pays qui ne peuvent donc envisager l’évolution de leurs pratiques et de leurs équipements à long terme. Ainsi, la source principale des préoccupations touche, en dehors des questions financières également soulevées à l’onu, aux questions de réputation de l’organisation et de relations avec les populations locales. En effet, tout comme le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (hcr) se préoccupe de l’empreinte écologique des camps de réfugiés pour la protection du droit d’asile (Entretien 2012a), les omp doivent essuyer les critiques des pays d’accueil (Entretien 2013g). Les missions sont critiquées localement pour la gestion de leurs déchets, ou pour l’utilisation des ressources comme au Darfour en matière d’eau et de bois (Entretien 2013h). Il est ainsi possible d’observer des processus de mobilisation de la population civile pour exiger de l’onu qu’elle soit responsable dans sa gestion de l’environnement local (Entretien 2013l). L’appropriation de l’environnement au sein des omp répond donc à un double besoin de légitimation auprès des populations locales et de l’ordre du sécuritaire : la dégradation écologique survenue dans le cadre des activités onusiennes affecte leur réception par les communautés locales et peut être source de tensions.

L’environnement s’est donc imposé au programme des acteurs sécuritaires onusiens. Toutefois, ce cas montre l’enchevêtrement des facteurs internes et externes dans l’appropriation des questions environnementales par les oi tel qu’identifié par Jean-Frédéric Morin et Amandine Orsini (2015 : 168) : le verdissement des omp répond à des pressions externes, mais s’appuie sur une internalisation des préoccupations environnementales au sein des missions. Pour répondre à la multiplication des inquiétudes de terrain en matière d’empreinte environnementale des omp, le siège a mis en place une série de politiques et de standards : ils contribuent à institutionnaliser un mandat environnemental pour les missions.

B — Développement de politiques environnementales au siège : une approche top-down

Face à la multiplication des préoccupations de terrain en matière d’environnement, le domp et le dam ont pris une série de mesures pour diminuer l’empreinte écologique des missions. Dans une approche que nous pouvons qualifier de top-down, ils ont mis en place une politique environnementale globale, engagé des officiers environnementaux et soutenu le projet de partenariat initié par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (pnue). Ces efforts d’appropriation de l’environnement au sein des omp institutionnalisent ainsi les activités des Casques bleus en matière d’environnement.

Revenons tout d’abord sur la mise en place de la politique environnementale du domp et du dam. Signée en 2009, la politique environnementale du domp et du dam, document interne que nous avons pu consulter dans le cadre de notre enquête (Observation 2012-2013), s’inspire de diverses initiatives mises en place quelques années auparavant qui ont ainsi préparé la mise en oeuvre d’une telle politique. En effet, selon un ancien membre du domp aujourd’hui au Département des affaires économiques et sociales (daes), dès le début des années 2000, une unité technique a été mise en place au sein de la section ingénierie afin de proposer des lignes directives et des standards environnementaux (Entretien 2013r). Alors que l’institutionnalisation des standards officiels a été tardive, il a mentionné une série d’interventions dès 2004-2005, portant notamment sur le traitement des eaux usées et sur les conditions sanitaires. Grâce aux encouragements du Secrétaire général de l’onu qui a poussé l’ensemble des organisations onusiennes à réduire leur empreinte écologique (Entretien 2013i), une première version de la politique environnementale a été proposée à l’ensemble des directeurs du domp et du dam en 2007 (entretien sous couvert d’anonymat). Bien qu’ayant reçu un bon accueil, notamment auprès du directeur du domp de l’époque, Jean-Marie Guéhenno, il aura fallu attendre deux ans avant l’adoption officielle à la suite des remarques d’un des responsables de division au sujet des aspects juridiques de la politique (entretien sous couvert d’anonymat). L’officier environnemental, à son arrivée au dam, a ainsi travaillé en collaboration avec le Bureau des affaires légales responsable de donner des conseils juridiques auprès du secrétariat et des organes de l’onu en matière de droit international public et privé afin de permettre la signature de la politique (Entretien 2013o). Le processus d’appropriation de l’environnement au sein des omp a donc requis des efforts sur plusieurs années au niveau du siège du domp et du dam.

Concentrée avant tout sur les pratiques et le comportement des Casques bleus, plus que sur les technologies et questions d’équipement (Entretien 2012f), la politique environnementale du domp et du dam constitue le cadre légal en termes de responsabilité environnementale et touche à différents sujets : déchets solides et dangereux, énergie, eau et gestion des eaux usées, animaux et plantes sauvages, lieux culturels et historiques. En vigueur depuis le 1er juin 2009, elle requiert que chaque mission établisse une politique environnementale – Environmental baseline study, environmental action plan, emergency preparedness plan – avec des objectifs et des mesures de contrôle, et que l’ensemble du personnel suive ses recommandations ainsi que celles des lignes directives environnementales qui l’accompagnent[1]. Selon l’organisation, il s’agit à la fois de réduire les impacts environnementaux et d’améliorer la santé et la sécurité du personnel onusien et des communautés locales. En parallèle, la politique environnementale est accompagnée de documents annexes permettant de compléter les lignes directives : des fiches directives touchant à la gestion des déchets, des substances dangereuses et aux enjeux de pollution de l’air, de l’eau, des sols et sonore. Elles sont diffusées sur une base de données alimentée par l’officier environnemental, en parallèle d’autres documents comme les rapports du pnue, les rapports de mission et des manuels produits par le ministère de la Défense de différents pays (États-Unis, Finlande, Royaume-Uni, Suède) (Observation 2012-2013).

Parallèlement au développement d’une politique environnementale, le dam a créé un poste d’officier environnemental responsable des problématiques d’empreinte écologique des missions. Mis en place avant l’adoption de la politique environnementale – qu’il a même facilitée –, le poste d’officier environnemental a été intégré au dam au sein de la Division soutien logistique. Bien que l’appartenance à une division technique nuise au développement de travaux plus substantiels (Observation 2012-2013) et limite le champ d’action de l’officier environnemental tout en montrant que l’organisation en possède un, elle constitue un choix stratégique dans la mesure où le dam prend de nombreuses décisions en matière d’allocation du budget, nécessaires à l’application de la politique environnementale (Entretien 2013m). Plusieurs missions lui sont attribuées : (i) l’officier environnemental est responsable de la base de données présentée précédemment et de la gestion des informations à diffuser sur l’intranet et sur le site Internet ; (ii) il doit encourager la diffusion de la politique environnementale au sein du siège et assurer la dissémination des problématiques environnementales dans les politiques et les publications ; (iii) il doit présenter auprès des États membres l’état de l’application de la politique environnementale ; (iv) il doit gérer une communauté de pratiques, mise en place afin de faciliter les échanges avec le personnel intéressé et plus particulièrement les officiers environnementaux en mission dont les tâches sont évoquées dans la section suivante (Observation 2012-2013).

Enfin, initié en parallèle de la publication d’un rapport du pnue consacré aux Casque bleus, un projet de partenariat entre le dam et le pnue propose un cadre conceptuel de cinq ans permettant la mise en oeuvre de la politique environnementale de 2009. Cinq dimensions sont à retenir : le développement d’outils et de recommandations opérationnels, la mise en oeuvre de la politique sur le terrain, le développement et la mise en oeuvre de programmes de formation, de surveillance, et d’évaluation, la rédaction de rapports sur les objectifs de la politique, mais aussi la communication et le plaidoyer. Pour cela, le pnue propose notamment de travailler à la dissémination systématique de standards environnementaux au sein des procédures standards d’opération pour effectuer le travail de diffusion évoqué précédemment (Observation 2012-2013). Le projet constitue une première forme d’institutionnalisation de la collaboration entre le programme environnemental et les omp, que le pnue aspire à poursuivre sur des enjeux plus substantiels (entretien sous couvert d’anonymat).

C — Des efforts de diffusion par une nébuleuse d’acteurs

Les efforts d’appropriation de l’environnement au sein des omp sont portés par une nébuleuse d’acteurs tant internes qu’externes au domp et au dam. Tout d’abord, des membres au siège du domp et du dam ont diffusé la politique de 2009 en participant au développement de directives environnementales. D’une part, la section ingénierie poursuit ses efforts d’institutionnalisation des pratiques notamment en poussant à l’intégration des questions de gestion des déchets au sein de la nouvelle version du manuel en matière d’équipement décidée en Assemblée générale – Contingent-owned equipment (coe) – (Entretien 2013g). D’autre part, dpet s’efforce de poursuivre la dynamique de collecte des « leçons apprises » dans le domaine (Entretien 2013f). Ensuite, la politique environnementale est également diffusée dans le cadre du mouvement général de verdissement des activités onusiennes (programme « onu – Du Bleu au vert » mis en place en 2007 à la demande de Ban Ki-moon) et par son inclusion au sein d’autres documents, en particulier des productions écrites du Secrétaire général (sg) et du pnue. Alors que le Secrétaire général mentionne la politique dans son rapport sur le travail de l’organisation (sg 2012) et évoque de nouveau l’empreinte écologique des missions dans son rapport sur la Stratégie globale d’appui aux missions (sg 2010), le pnue a basé une partie de son rapport Greening the Blue Helmets sur l’évaluation de la mise en oeuvre de la politique environnementale (unep 2012). Le rapport diffuse aussi les « bonnes pratiques », à la fois guides pour l’action de l’organisation et outils de légitimation (Klein, Laporte et Saiget 2015 : 31), en matière d’efficience énergétique et a permis le développement d’une formation en ligne en partenariat avec l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (unitar) sur l’environnement et le maintien de la paix (Observation 2012-2013). À travers ces nombreuses publications, le Secrétaire général et le pnue se positionnent comme acteurs moteurs du verdissement et de l’environnementalisation des omp.

Ensuite, les États membres se sont exprimés à plusieurs reprises depuis 2011 pour encourager l’atténuation de l’impact environnemental des omp. Alors que le Rapport du Comité consultatif pour les questions administratives et budgétaires de 2011 mentionne la diminution de l’empreinte écologique des missions (Comité consultatif sur les questions administratives et budgétaires 2011 : §73), celui de 2012 incite le domp et le dam à collaborer avec le pnue (Comité consultatif sur les questions administratives et budgétaires 2012 : §146). De même, en 2012, l’Assemblée générale (ag) a demandé au Secrétaire général de fournir les informations sur la mise en oeuvre de la politique environnementale du domp et du dam (ag 2012 : § 53) et le Comité spécial des opérations de maintien de la paix (ou C-34) a souhaité être informé du plan de mise en oeuvre de la politique sur le terrain (Comité spécial des opérations de maintien de la paix 2012 : §288). En outre, au sein du Conseil de sécurité, les États membres ont également reconnu l’impact des missions en matière d’environnement à deux niveaux. D’une part, dès 2007, le Conseil met en évidence dans une Déclaration du président le rôle des omp dans la restauration des systèmes de gestion des ressources naturelles (cs 2007). D’autre part, comme mentionné en introduction, en 2013, le Conseil de sécurité exige pour la première fois, l’étude, en amont de la création d’une omp, des impacts écologiques de la mission mise en oeuvre au Mali (cs 2013 : §32). Les États membres peuvent donc soutenir les efforts d’appropriation de l’environnement au sein des omp.

La diffusion des politiques environnementales s’incarne concrètement dans l’engagement d’officiers environnementaux, mais aussi dans des initiatives locales de la part de certaines missions. Responsables de la diffusion et de l’application de la politique environnementale, les officiers environnementaux ont une double fonction. D’une part, ils démontrent, de manière presque symbolique, que le domp et le dam prennent en considération l’impact environnemental de leurs missions ; d’autre part, ils facilitent la mise en place de projets environnementaux sur le terrain. Concrètement, selon un membre du domp anciennement basé en mission au Liban, il s’agit d’un rôle de leadership afin de sensibiliser les membres de la mission ayant déjà de nombreuses tâches à remplir (Entretien 2013c). Sous l’impulsion des officiers environnementaux, dans le cadre d’une unité environnementale ou suivant une initiative individuelle d’un membre de la mission, on compte divers projets visant à réduire l’empreinte écologique des missions. En Haïti (Entretien 2013b) et au Kosovo (Entretien 2013e), des projets de gestion de la pollution et des déchets de la mission, mais également des communautés ont été mis en oeuvre. Des activités plus larges touchant à la gestion des ressources ont été développées au Darfour (Entretien 2013l), en Haïti (Entretien 2013j) et au Sahara occidental (Entretien 2013a). Même s’ils peuvent sembler relever de l’anecdote, les différents projets, qu’ils s’inscrivent dans le cadre de projets à impact rapide[2], de projets collectifs ou d’efforts individuels, révèlent une évolution des pratiques qui peuvent, à terme, se diffuser et s’institutionnaliser. En effet, selon un membre du dam, les missions ont une marge de manoeuvre non négligeable et peuvent apprendre entre elles, par la mobilité du personnel, notamment celle des officiers responsables de collecter les meilleures pratiques, et par les échanges au sein de la communauté de pratiques des officiers environnementaux (Entretien 2013h).

En répondant aux demandes du terrain et poussés par le Secrétaire général et par le pnue, le domp et le dam ont mis en place une série de mesures en matière de gestion de l’environnement pour leurs missions. Outre la variété des acteurs concernés, ce cas met en évidence les jeux d’échelles qui caractérisent l’appropriation de l’environnement par des oi non mandatées pour des questions environnementales. En effet, bien que la mise en évidence du problème relève avant tout d’une dynamique bottom-up, l’expérience sur le terrain permettant d’informer le personnel du siège des enjeux rencontrés, la réponse proposée repose, quant à elle, sur une dynamique top-down, le secrétariat tentant d’institutionnaliser des politiques environnementales pour le terrain. Cependant, la mise en oeuvre des politiques environnementales s’avère finalement inégale.

II – Les limites institutionnelles de la mise en oeuvre du verdissement des omp

En dépit d’une montée des préoccupations en provenance des opérations de terrain, la diffusion des politiques décidées au siège n’est pas systématique, révélant les limites institutionnelles auxquelles sont confrontés les efforts de verdissement des oi.

A — Débats autour de la formation des Casques bleus et de la collecte des leçons à retenir

Dans son rapport sur les Casques bleus, le pnue recommande d’intégrer l’environnement aux formations de prédéploiement et d’arrivée en mission (unep 2012 : 82). Si la recommandation semble logique pour les membres du pnue, son application s’avère toutefois complexe compte tenu du fonctionnement du système de formation consacré aux omp (Observation 2012-2013). Pilotée au siège par le Service de formation intégrée (its), service au sein de la division partagée entre le domp et le dam, la formation du personnel en mission de maintien de la paix de l’onu est en réalité sous la responsabilité du domp et du damet des États membres fournisseurs de troupes (Entretien 2013p). Or dans les deux cas, des obstacles à l’intégration des problématiques environnementales sont notables.

its est tout d’abord responsable de la formation des civils avant leur déploiement en mission. Si, selon son directeur, le service porte mal son nom dans la mesure où il ne conduit que très peu des formations en question – les formations de prédéploiement sont conduites à Brindisi dans la base logistique de l’onu, et les formations en mission sont dispensées par les centres intégrés de formation sur le terrain –, its est responsable de soutenir les centres de formation, de produire la documentation et de former les formateurs (Observation 2012-2013). Or, ils se sont montrés réticents à intégrer l’environnement aux formations, comme suggéré par le pnue, pour deux raisons principales. Premièrement, le domp et le dam ne sont pas clairement mandatés par les États membres pour conduire de telles formations et le directeur d’its note une forme de saturation : on ne peut pas faire des formations sur tout (Entretien 2013p). Dans un contexte de compétition entre les thématiques à traiter dans le temps imparti aux formations, l’environnement ne constitue pas une priorité (Entretien 2013f). Deuxièmement, its est sceptique à l’égard de l’intégration l’environnement dans ses programmes de formation, car il s’agit, selon ses membres, davantage d’un enjeu de sensibilisation que de formation. Ainsi, its n’envisage pas, pour l’instant, d’inclure l’environnement de manière systématique dans les programmes de formation de prédéploiement ou d’arrivée en mission. Pour qu’une formation soit obligatoire, elle doit relever d’une question de survie (Observation 2012-2013).

De même, la formation du personnel militaire à la charge de chacun des pays fournisseurs de troupes n’aborde pas de manière systématique les questions environnementales. L’équipe de Brindisi a ainsi expliqué qu’elle conseillait les pays fournisseurs de troupes et distribuait les ressources – notamment les présentations PowerPoint – nécessaires à la formation de prédéploiement, mais qu’il leur était très difficile de mesurer leur mise en oeuvre (Observation 2012-2013). Or selon un membre du dam, si certains États peuvent voir un bénéfice à la formation de leurs soldats aux questions environnementales, ils peuvent également y être opposés de peur de susciter des critiques sur les pratiques usuelles dans le pays une fois le Casque bleu rentré de mission (Entretien 2013g). Ainsi, le domp et le dam n’étant pas directement impliqués dans la formation des Casques bleus, la sensibilisation aux questions environnementales relève du pouvoir discrétionnaire de chacun des pays fournisseurs de troupes.

Enfin, la mise en oeuvre inégale des politiques environnementales du domp et du dam résulte également des limites du système de collecte des leçons apprises ou des « bonnes pratiques »[3]. Le constat d’Alex Bellamy et de Paul Williams, qui soulèvent les problèmes persistants en matière d’apprentissage en dépit du renforcement de l’unité du domp consacrée aux leçons apprises mise en place en 1995 (Bellamy et Williams 2010 : 52-53), se retrouve précisément dans le cas des politiques environnementales. D’une part, dans la mesure où le domp et le dam ainsi que le Département des affaires politiques (dap) ont des fonctions par essence temporaires (Entretien 2013g), la collecte des leçons est limitée. D’autre part, selon un membre du dam, le domp et le dap donnent peu de visibilité quant à ce qu’ils font de bien (comme à ses erreurs) (Entretien 2013h), et les services de bonnes pratiques touchent peu à des questions techniques. En effet, bien que la Division politique, évaluation et formation (dpet), responsable de la collecte des bonnes pratiques, soit un service partagé entre le domp – mandat substantiel – et le dam – mandat de support –, la division se focalise davantage sur des pratiques substantielles (Entretien 2013o). La diffusion de pratiques participant à la réduction de l’empreinte écologique des missions n’est donc pas facilitée.

En outre, les efforts de verdissement des omp sont inégalement répartis entre les missions dont les différences en termes de budgets et de troupes approfondissent les inégalités dans la mise en oeuvre des politiques environnementales.

B — Des missions inégalement dotées

L’inégale mise en oeuvre des politiques environnementales s’explique en grande partie par les nombreuses différences entre les missions qui ne sont ni dotées du même budget ni constituées des mêmes troupes et qui n’évoluent pas dans des contextes locaux homogènes.

Le financement des missions de maintien de la paix onusiennes est de la responsabilité collective des États membres (ag 2001). Le Conseil de sécurité décide, quant à lui, de la taille des missions qui varie en fonction de l’étendue du conflit. Les missions n’ont donc, par essence, pas accès aux mêmes ressources financières pour accomplir leur mandat. Or, dans un contexte de crise financière globale restreignant l’ensemble du budget de l’onu (Entretien 2013o), la mise en oeuvre des politiques environnementales s’avère compliquée. D’une part, compte tenu de la situation financière globale, l’environnement n’est simplement pas perçu comme une priorité selon plusieurs membres du Secrétariat. Il ne s’agit pas d’un problème immédiat pour certaines missions qui considèrent alors l’environnement comme annexe (Entretien 2013a). Ainsi, ce ne sont pas nécessairement les missions les plus dotées en matière de budget qui mènent les efforts les plus considérables dans la mise en oeuvre des politiques environnementales, et ce, d’autant plus que les missions aux budgets les plus élevés ont souvent les mandats les plus larges et donc, de nombreuses tâches à réaliser. D’autre part, même si l’empreinte environnementale de la mission est effectivement reconnue comme un enjeu pertinent que la mission souhaiterait traiter, elles manquent de ressources pour le faire selon plusieurs membres du domp et ne possèdent d’ailleurs pas toutes un officier environnemental à plein temps. Ainsi, étant donné les enjeux locaux liés à la gestion des désastres en Haïti, la mission désirerait s’investir dans des projets en lien avec la gestion environnementale, mais elle n’a pas le financement nécessaire pour s’y consacrer (Entretien 2013b). De même, alors que des projets d’énergie solaire ont pu être mis en place en Serbie, le directeur politique du Bureau exécutif du Secrétaire général a souligné son échec à reproduire le même type de projets à Bagdad ou au Soudan du Sud, notamment par manque de financement (Entretien 2013e).

En outre, l’inégale mise en oeuvre des efforts de verdissement propulsés au siège provient en grande partie des différences en termes de composition de troupes. Chacune des missions est constituée de troupes différentes en provenance de plusieurs pays. Or ces disparités affectent la conduite des missions (Edström et Gyllensporre 2013 : 50-51). D’une part, la provenance des Casques bleus affecte le matériel utilisé et donc l’empreinte écologique, et, d’autre part, des enjeux culturels y sont rattachés et influent sur les pratiques du personnel en mission. Ainsi, les missions, majoritairement fournies de troupes en provenance de pays en développement n’ayant pas les moyens de financer l’achat de matériel plus durable (Entretien 2013g), auront une empreinte écologique plus forte. Les plus importants États contributeurs de troupes sont même particulièrement méfiants vis-à-vis de l’officier environnemental au siège et aux projets de standardisation du matériel (Entretien 2013o). Aussi, l’exemple de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (finul), souvent mentionnée pour illustrer les efforts du domp et du dam pour réduire leur impact environnemental, n’est pas, en réalité, un bon exemple selon un membre de dpet : les troupes alimentant la finul viennent souvent de pays plus riches ayant du matériel plus écologique ; or ce modèle ne peut être reproduit à l’ensemble des missions (Observation 2012-2013). En effet, alors que sur la totalité des missions, 6,98 % du total du personnel militaire et policier viennent de pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde), 39,04 % des troupes de la finul sont fournis par des États membres de l’ocde[4]. La finul est la seule mission de plus de 5000 officiers militaires et policiers ayant plus de 10 % de son personnel en provenance des pays de l’ocde. A contrario, les plus importantes missions comme la monusco et l’Opération hybride de l’Union africaine et des Nations Unies au Darfour (minuad) ont moins de 1 % de leurs troupes en provenance des pays les plus développés.

Les disparités entre les missions en termes de troupes conduisent à des inégalités en matière de matériel, mais aussi de pratiques. La politique environnementale est commune à l’ensemble des missions, mais les troupes viennent de régions du monde très différentes avec des habitudes et des rapports à l’environnement différents (Entretien 2013l). Selon un membre de dpet, les différentes mentalités ne permettent pas nécessairement une même application de la stratégie de « do no harm » (Entretien 2013f). En effet, si l’état des connaissances en matière de gestion environnementale du personnel militaire et policier diffère d’un pays fournisseur à l’autre, un responsable du dam a précisé qu’il s’agissait d’une question profondément individuelle et culturelle. Selon lui, la mise en oeuvre de la politique environnementale dépend de l’intérêt des Casques bleus ; il a notamment mentionné un projet au Timor au début des années 2000 mené par des troupes intéressées par la question de l’élimination des déchets (Entretien 2013l). A contrario, un autre fonctionnaire de l’organisation a souligné qu’il était difficile d’exiger de Casques bleus issus de pays où la gestion des déchets est extrêmement limitée de suivre des règles de recyclage basiques pour des militaires des forces armées des pays les plus développés (Entretien 2013g), et ce, d’autant plus qu’ils ne sont pas formés par le domp et le dam.

Enfin, les enjeux culturels ne se limitent pas aux troupes, mais renvoient aussi au contexte local qui diffère d’une mission à l’autre. D’une part, les acteurs locaux peuvent être réticents au développement de projets environnementaux. Au Soudan par exemple, les compagnies nationales ont craint d’être exclues des concessions minières lors de projets de la mission dans le domaine de la gestion des ressources naturelles (Entretien 2013f). D’autre part, le contexte dans lequel évoluent les missions affecte leur verdissement dans la mesure où elles peuvent avoir un accès limité ou au contraire facilité à des structures leur permettant une réduction de leur empreinte écologique. Un membre du dam a ainsi souligné que les missions manquaient souvent de solutions concrètes accessibles (Entretien 2013h), l’importation de matériel nécessaire, pour l’élimination des déchets par exemple, étant souvent coûteuse (Observation 2012-2013). Outre le manque d’expertise, le manque de structures locales limite le verdissement uniforme de missions, également freiné par l’absence de système d’évaluation interne efficace.

C — Absence de système d’autosurveillance efficace

Bien qu’il existe différents mécanismes censés permettre un suivi de la mise en oeuvre de la politique environnementale, notamment à la demande de l’Assemblée générale (Observation 2012-2013), le système d’autosurveillance – soit le système par lequel le siège vérifie la bonne application de ses politiques par les missions, ou plus généralement le contrôle par la hiérarchie de la mise en oeuvre de ses directives – s’avère inefficace, contribuant à un verdissement inégal entre les missions.

Le Bureau des services de contrôle interne (bsci) a conduit un audit sur la gestion des déchets du dam et de ses opérations de terrain en se basant sur la politique environnementale pour évaluer si ses standards étaient bien appliqués (Observation 2012-2013). Il a ainsi conclu que la gestion des déchets ne suivait pas l’ensemble des recommandations de la politique environnementale, comme l’exemple de l’épidémie de choléra en Haïti le suggère. En effet, une illustration des échecs du verdissement des missions concerne l’épidémie de choléra partiellement attribuable à la mauvaise gestion des eaux usées par la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (minustah) :

Une enquête approfondie par un Groupe d’experts indépendants a depuis conclu que l’épidémie de choléra a été causée par un concours de circonstances, y compris par les mauvaises conditions d’assainissement de l’eau en Haïti et l’utilisation généralisée de l’eau de la rivière pour la lessive, l’hygiène personnelle et l’approvisionnement en eau de boisson. Selon l’enquête, les conditions sanitaires dans le camp de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (minustah) à Mirebalais n’étaient pas suffisantes pour prévenir la contamination des cours d’eau locaux par les matières fécales humaines[5].

unep 2012 : 8-9

Les règles permettant une bonne gestion des eaux usées étaient déjà élaborées dans les différents documents du dam mentionnés précédemment, mais leur application n’avait pas été contrôlée. Ainsi, comme l’a souligné un responsable du dam, avoir une politique environnementale et la mettre en oeuvre sont deux choses différentes (Entretien 2013l), et l’absence d’un système d’autosurveillance efficace participe au développement de telles catastrophes environnementales et sanitaires. En outre, les défaillances de ce système conduisent aussi au risque de greenwashing selon plusieurs fonctionnaires de l’onu qui soulignent une sélection dans les informations notifiées, notamment par les missions auprès du siège. L’organisation choisit de donner de la visibilité à certaines actions participant à une environnementalisation des missions et illustrant des efforts de réduction de leur empreinte écologique, et de taire ses échecs. En effet, un membre du dam a noté qu’il était compliqué pour l’organisation d’exposer ses erreurs, par risque de nuire à la perception du travail de l’onu et à ses rapports avec les acteurs locaux – comme le pnue l’a souligné au sujet des réactions en Haïti – et qu’il était donc difficile d’informer les États membres des défaillances du système pour avoir leur accord pour la mise en oeuvre de projets de compensation ou d’amélioration et pour obtenir le financement de ces activités (Entretien 2013g). L’organisation a donc tendance à mettre l’accent sur quelques projets valorisants qu’elle a accomplis dans le cadre de sa politique environnementale comme la campagne de reforestation qui a été mentionnée à de nombreuses reprises pendant notre enquête (Observation 2012-2013), plutôt que de contrôler le respect de sa politique environnementale dans l’ensemble de ses missions.

Les insuffisances du système d’autosurveillance trouvent leurs origines à deux niveaux. Premièrement, il existe un profond décalage entre le siège qui a mis en place la politique environnementale et les missions censées la mettre en oeuvre. D’un côté, il n’y aurait pas d’intériorisation des recommandations par les membres en mission ayant à leur charge des tâches déjà nombreuses et complexes, et de l’autre, il est difficile pour le siège de surveiller l’application (Entretien 2013h). La politique environnementale est certes obligatoire, mais, n’étant pas sujette aux lois nationales, elle ne conduit à aucune conséquence en termes de pénalités ou même d’amendes en cas de non-mise en oeuvre. En d’autres termes, c’est une politique sans dents (Entretien 2013g). En outre, selon l’officier environnemental à New York, la communauté de pratiques est peu utilisée et les officiers environnementaux et points focaux en mission n’ont pas nécessairement le sentiment qu’ils doivent faire un rapport de leurs activités auprès du siège (Entretien 2013o). Certains le font spontanément, mais l’officier au siège doit relancer la grande majorité à de nombreuses reprises, y compris au sein de la base logistique de Brindisi. Il n’est pas hiérarchiquement responsable des officiers sur le terrain ; or, la décentralisation des missions leur attribue beaucoup de puissance et d’autonomie, ne contribuant pas au fonctionnement efficace du système d’autosurveillance. Ensuite, l’inefficacité du système d’autosurveillance réside aussi dans la place ambigüe des problématiques environnementales entre les services substantiels et de support. Si l’environnementalisation touche principalement à la partie support du travail des missions, les officiers environnementaux peuvent être localisés dans différents services, limitant alors leur champ d’action. Selon l’ingénieur en chef de la Division soutien logistique du dam, il est difficile de savoir où placer les officiers environnementaux dans la mesure où il est question de gestion du matériel nécessitant du savoir technique, mais que, selon lui, un ingénieur n’est pas nécessairement approprié pour saisir la portée de ces enjeux pour la mission en termes de transport, de gestion des déchets, de matériel, mais également de santé (Entretien 2013i). Ainsi, si des équipes des services substantiels, par exemple au sein des affaires civiles, souhaitent participer à des efforts de verdissement par une campagne de reforestation avec les acteurs locaux, l’accompagnement par l’officier environnemental ne sera pas facilité s’il est membre des services d’appui.

Cette partie a ainsi identifié les différentes pratiques qui incarnent l’appropriation des enjeux environnementaux par le domp et le dam. Or les manoeuvres de verdissement des omp sont confrontées à diverses limites concernant leur mise en oeuvre. Cependant, la place ambigüe des problématiques environnementales constitue un instrument de diffusion entre les services logistiques et les services substantiels, permettant de mettre l’environnement à l’agenda des omp, révélant la dimension stratégique de l’environnementalisation. En d’autres termes, le verdissement superficiel des missions facilite une environnementalisation plus complexe des activités sécuritaires de l’onu.

III – Les stratégies de l’environnementalisation : l’environnement comme ressource politique

En parallèle de l’analyse de l’étendue du verdissement des omp, limitée en raison des divers obstacles mentionnés, il importe de montrer la dimension stratégique de la construction des enjeux de sécurité comme des problématiques environnementales – processus d’environnementalisation. Au lieu d’évoquer un possible greenwashing qui dissimulerait des activités non durables par quelques efforts en matière d’écologie, nous proposons de conclure sur les fonctions politiques de l’environnementalisation. La littérature sur les oi distingue les « décisions programmatiques » (programme decisions) et les « décisions opérationnelles » (operational decisions), les secondes, auxquelles correspondent les décisions prises en matière d’environnementalisation des activités, étant plus faciles à faire accepter auprès des États membres (Rittberger et Zangl 2006 : 97). Dans le domaine de la sécurité et de l’environnement, cette distinction permet à l’onu d’utiliser les efforts d’environnementalisation à des fins stratégiques de rapprochements des enjeux de sécurité et d’environnement. L’environnementalisation des omp permet ainsi de dissimuler des décisions programmatiques derrière des décisions opérationnelles. Cet exemple illustre ainsi la dimension stratégique de l’appropriation de l’environnement par les oi et le large spectre d’instruments – du verdissement à l’environnementalisation – à disposition des acteurs.

A — L’environnement comme passerelle entre low et high politics

Tout d’abord, le processus d’environnementalisation crée une passerelle entre les enjeux de low politics et de high politics, utilisant ainsi l’environnement pour traiter de problématiques sécuritaires. D’un côté, la littérature évoque l’environnement comme étant moins important sur l’agenda politique et permettant davantage de coopération (Maas, Carius et Wittich 2013 : 104). De l’autre, il existe dans l’imaginaire collectif des fonctionnaires onusiens rencontrés dans le cadre de nos enquêtes la perception de l’environnement comme étant au coeur de la tension entre low – politiques ayant peu d’enjeux, touchant souvent à des aspects techniques et de régulation – et high politics – politiques considérées de la plus haute importance. Au hcr, les enjeux qui concernent l’opérationnel et le technique, à savoir l’empreinte environnementale des camps de réfugiés, sont clairement séparés des débats plus normatifs et politiques concernant le lien entre migration forcée et problématiques environnementales, dont le changement climatique (Entretien 2012b). Cette division se retrouve dans le domaine du maintien de la paix. Les organisations au siège en charge de gérer les omp de l’onu sont effectivement divisées selon la même l’idée : le domp est responsable des questions substantielles – high politics – alors que le dam est responsable de la partie support et des questions opérationnelles – low politics. Toutefois, si l’environnement a été spécifiquement intégré en premier lieu aux activités du dam, il s’agit d’un sujet « entre les deux » (Entretien 2013l), l’environnement constituant finalement une passerelle entre l’opérationnel et le substantiel.

En effet, si l’aspect opérationnel de l’empreinte environnementale des activités onusiennes, et a fortiori de sécurité, constitue une problématique de low politics, l’environnement en soi est davantage perçu comme un instrument de liaison, passant par l’opérationnel pour atteindre le politique. Plusieurs raisons sont avancées par les acteurs pour expliquer l’utilisation de l’environnement comme passerelle entre des enjeux opérationnels et des problématiques plus politiques. Tout d’abord, selon un membre du hcr, alors que l’opérationnel peut coûter cher, il est moins politiquement controversé (Entretien 2012b). De même, un membre de l’unité jointe entre domp et dam a aussi souligné que même si les coûts pouvaient poser problème, il est souvent plus facile de parler d’enjeux techniques en premier lieu, d’évoquer ensuite leur dimension stratégique et conduire ainsi progressivement la conversation vers des high politics (Entretien 2013f).

Concrètement l’utilisation de l’environnement comme passerelle s’incarne dans une mise en évidence du lien entre opérationnel et politique. Par exemple, lors d’un séminaire informel organisé par un membre du pnue, ancien ingénieur fonctionnaire au bureau du pnue basé au Soudan, tout le personnel de la mission consacrée au Darfour a été invité à une réunion de sensibilisation selon un membre du domp/dam. Le représentant du pnue a ainsi expliqué que les briques utilisées pour construire le camp de la mission, commandées auprès de la population locale afin de favoriser l’économie locale et le travail des femmes, avaient requis une cuisson au feu de bois, contribuant à la déforestation de la zone. En partant de l’aspect très concret de l’impact écologique de la mission – low politics –, il a pu ensuite faire le lien entre la déforestation provoquée par la demande en briques, la désertification dans la région et le conflit – high politics – pour laquelle la mission est mandatée (Observation 2012-2013). En informant sur les enjeux opérationnels de la mission, le pnue a pu contribuer à diffuser un lien plus global entre environnement et sécurité.

B — Un outil de mise à l’agenda

Ensuite, alors que la sensibilisation des Casques bleus aux enjeux d’empreinte écologique conduit à mettre l’environnement à l’agenda des omp de manière mécanique, la construction de la sécurité comme enjeu environnemental avant tout technique peut conduire à la mise à l’agenda de l’environnement auprès des acteurs du champ très politisé de la sécurité internationale à l’onu. Deux éléments expliquent tout d’abord les stratégies d’environnementalisation. Premièrement, selon l’ancienne directrice de la dpet, bien qu’il ne soit pas simple de traiter de l’impact environnemental des missions de maintien de la paix, il s’agit d’une problématique plus « pratique » à gérer (Entretien 2013d). Deuxièmement, pour des raisons d’approbation gouvernementale, l’environnementalisation peut permettre d’évoquer, par contournement, le lien substantiel entre environnement et maintien de la paix (Entretien 2013o), comme le rapport Greening the Blue Helmets (unep 2012) l’illustre parfaitement.

Publié en 2012 au sein d’une série de quatre rapports politiques justifiant le travail du Service post-conflit et gestion des catastrophes du pnue et plus particulièrement de son unité de coopération environnementale et consolidation de la paix, ce rapport est divisé en deux parties qui sont présentées comme logiquement connectées. Pourtant, sur le terrain, elles ne concernent ni les mêmes problématiques ni les mêmes acteurs et ne requièrent pas les mêmes types de solution. La première partie est consacrée à l’empreinte écologique des missions alors que la seconde touche aux ressources naturelles, aux conflits et au maintien de la paix. Le choix d’associer deux problématiques si différentes relève de la stratégie de mise à l’agenda. Dans la mesure où les fortes divisions au sein du Conseil de sécurité n’auraient pas permis de publier un rapport entièrement consacré aux conséquences des problématiques environnementales sur la sécurité internationale et le maintien de la paix, le pnue, suivant les conseils de l’officier environnemental du dam, a choisi de combiner la question à un sujet moins polémique, à savoir l’impact écologique des missions (Observation 2012-2013). N’ayant qu’une petite fenêtre d’opportunité et souhaitant avant tout traiter de maintien de la paix et d’environnement dans une perspective politique, ils ont opté pour un rapport liant les deux thématiques. L’empreinte écologique des Casques bleus permet ainsi la mise à l’agenda de la dimension sécuritaire des problématiques environnementales.

Enfin, les efforts de mise à l’agenda de l’environnement auprès des omp procèdent d’une dynamique de sélection et de cadrage de ce que les acteurs onusiens considèrent comme relevant de la sphère environnementale. Dans le cas des omp, nous observons la prédominance d’une vision anthropocentrée de l’environnement à travers les ressources qu’il fournit à la société et les mécanismes de transformation que lui imposent les activités humaines. L’environnementalisation des activités sécuritaires de l’onu fixe ainsi une définition de l’environnement restreinte principalement aux enjeux de ressources naturelles et de changement climatique.

Conclusion

Cet article s’est interrogé sur l’intégration des problématiques environnementales au sein des activités sécuritaires de l’onu, et plus spécifiquement de ses opérations de maintien de la paix. Dans un contexte favorable de verdissement des programmes de l’onu (Entretien 2013k), des efforts d’appropriation de l’environnement au sein des omp contribuent à diffuser, au siège du domp et du dam, mais également sur le terrain, des préoccupations environnementales. En identifiant les différentes pratiques qui permettent l’appropriation des problématiques environnementales, l’étude montre également que les processus de verdissement et d’environnementalisation relèvent de logiques d’appropriation multiniveaux et multiacteurs. Si l’article met en évidence que l’intégration institutionnelle est toutefois limitée, principalement en raison d’une inégale mise en oeuvre entre les missions, il souligne également la dimension stratégique de l’appropriation des questions environnementales, et la manière dont le vernis vert, superficiel ou non, constitue un instrument politique au sein des oi.

Les manoeuvres d’environnementalisation ne sont pas sans conséquence et répondent en effet à des objectifs stratégiques de mise à l’agenda de l’environnement auprès des acteurs du champ de la sécurité et de mise en relation de la dimension sécuritaire des questions environnementales – high politics – par le biais de la dimension environnementale des activités sécuritaires – low politics. En d’autres termes, les efforts d’environnementalisation tendent à surmonter le paradoxe selon lequel : « les questions environnementales engendrent l’action globale, l’interdépendance et la coopération internationale alors que le concept de sécurité engendre des idées telles que la souveraineté et le nationalisme »[6] (Dinar 2010 : 61). Dans le cas onusien, ils pourraient principalement constituer, in fine, des stratégies permettant la réalisation du mandat originel de l’onu en matière de paix et de sécurité internationales – l’environnement n’est pas mentionné dans la Charte des Nations Unies et sa protection n’est venue que tardivement dans les missions de l’organisation. Ces manoeuvres contribuent toutes à renouveler le multilatéralisme onusien face au développement de thématiques transversales comme les enjeux de sécurité et d’environnement et permettent l’appropriation des problématiques environnementales par des acteurs non directement mandatés pour les traiter.