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Publié dans la collection « Routledge Studies in European Security and Strategy », l’ouvrage The EU and Military Operations rejoint l’abondante production scientifique consacrée au volet militaire de la politique extérieure de l’Union européenne (ue). L’attention du lecteur sera attirée par le parcours de l’auteure, Katarina Engberg, qui a alterné les séjours dans l’univers universitaire et les engagements dans divers services gouvernementaux et diplomatiques suédois. Nul doute que l’ouvrage bénéficie grandement de ce profil hybride en proposant un contenu équilibré, la théorie et la conceptualisation se voyant richement illustrées par des éléments empiriques de première main.

Le livre se présente comme une étude comparative qui vise à comprendre dans quelles circonstances l’ue entreprend des opérations militaires. À cette fin, l’auteure examine les dynamiques sous-jacentes à l’usage de la force par l’ue et situe l’Union dans le contexte d’une division globale des tâches en matière de gestion militaire des crises internationales. Engberg centre son étude sur deux cas principaux, à savoir la non-participation de l’ue au renforcement de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (Finul) au Liban en 2006 et la décision inverse de lancer l’opération de l’ue en République démocratique du Congo (eufor rdc) la même année. En s’appuyant sur les résultats de ces deux études de cas, l’auteure élabore un cadre analytique novateur basé sur les techniques de planification de défense (« defence planning »).

Engberg prend le parti de ne se lier à aucun paradigme, aucune théorie, aucun cadre conceptuel particuliers et elle n’hésite pas à mettre en question des grilles analytiques bien établies. Elle montre ainsi les limites de l’analyse coût-bénéfice des interventions militaires et souligne la grande élasticité de la notion d’intérêt.

Tout en s’intéressant au pourquoi (la cause) et au pour quoi (le but) des interventions, Engberg en analyse également le comment (les modalités) en mobilisant les théories et concepts de la sécurité collective pour en élucider la dimension organisationnelle. En ce sens, l’ouvrage présente une vraie originalité dans la mesure où il refuse la dichotomie du pourquoi (l’explication) et du comment (le processus). Non pas que cette distinction soit non pertinente, mais elle néglige l’étroite interaction entre les deux termes du binôme. Autrement dit, l’explication par la volonté politique ne peut suffire à rendre compte des décisions prises par l’ue en matière d’opérations militaires ; pas plus qu’une vision selon laquelle, lorsque la volonté politique existe, il n’y aurait plus d’obstacles matériels à sa mise en oeuvre, comme si les ressources nécessaires étaient disponibles en quantités illimitées. C’est précisément pour cette raison que l’analyse des interactions entre la volonté politique et les contraintes de ressources figurent au coeur de l’étude proposée par Katarina Engberg.

L’introduction des techniques de planification de défense représente sans doute l’apport le plus original de l’ouvrage sur le plan méthodologique. En complément aux concepts issus de la littérature universitaire, l’auteure fait appel ici à une ressource d’usage courant dans les cercles militaires et les ministères de la Défense. Cet outil analytique sert ici au traitement des données empiriques collectées et présentées dans les chapitres trois à huit de l’ouvrage. Sa mise en oeuvre permet de sélectionner des indicateurs et de mener une analyse dynamique des interactions entre les différents facteurs. Chacun des facteurs internes et externes est ainsi analysé afin de déterminer son rôle moteur ou, au contraire, inhibiteur dans la décision de recourir à l’intervention militaire.

L’étude conclut que l’ue sera plus susceptible de recourir à l’intervention armée lorsque le conflit est vu comme une opportunité plutôt que comme un défi, tant en termes d’intérêts en jeu qu’en termes de tâches à accomplir sur le terrain. La probabilité qu’elle intervienne augmente également lorsque des États membres ont déjà montré la voie de l’intervention dans le conflit en cause. Un autre paramètre d’importance est le consentement des parties locales. La présence de ce dernier accroît fortement la probabilité d’une opération militaire de l’ue. Bien entendu, la disponibilité des ressources influence la décision, en particulier en ce qui concerne les arrangements relatifs au commandement et au contrôle de l’opération. À l’inverse, lorsque les ressources apparaissent surutilisées, la probabilité d’une intervention en est affectée. Enfin, la division internationale des tâches en matière d’opérations multilatérales et de sécurité collective joue un rôle important. L’étude montre ainsi que l’ue est plus susceptible d’agir lorsque ses efforts apparaissent comme complémentaires à ceux d’autres acteurs (par exemple l’Organisation des Nations Unies, l’Union africaine, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

Le livre se lit aisément et comble un vide dans la mesure où il existait peu ou pas de travaux s’attachant à élucider le lien entre la fin politique et les moyens militaires en ce qui concerne les opérations extérieures de l’ue. Ce déficit peut s’expliquer par le manque de porosité entre les univers militaires, universitaires et ceux de la décision politique. L’ouvrage de Katarina Engberg présente dès lors un intérêt évident pour les étudiants, chercheurs et spécialistes dans le domaine de la sécurité européenne, des études européennes en général et des études de sécurité ainsi que dans celui des Relations internationales.