Article body

Comme son titre l’indique, cet ouvrage collectif dirigé par Nicolas Clinchamps et Pierre-Yves Monjal explore les divers enjeux de la défense européenne à partir de l’idée d’autonomie stratégique de l’Union européenne (ue). L’ouvrage rassemble les actes du colloque organisé le 8 novembre 2013 à l’Université Paris 13 sur ce sujet. Ouvrage centré sur une perspective globale qui regroupe les aspects à la fois techniques, économiques, stratégiques et politiques de la défense européenne, l’un des points centraux de celui-ci touche d’ailleurs au concept de l’« Europe puissance » qui remonte déjà aux années 1970. Selon Michel Barnier, ancien commissaire européen, l’« Europe puissance » est dotée de ces quatre piliers : l’économie, la monnaie, la sécurité et la défense. En se questionnant à savoir si l’Europe est vraiment construite sur une idée de puissance, les auteurs de l’ouvrage soulignent une problématique toujours vivante qui encadre les différentes approches des États membres à propos de la notion d’« Europe puissance » et celle de la « défense européenne ». Du fait qu’il s’agit d’une contradiction entre la défense commune de l’Europe et la souveraineté des États, c’est surtout les grands acteurs qui accordent de l’importance à la « défense européenne » face aux autres acteurs pour lesquels il est plutôt préférable de déléguer la défense à une organisation comme l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan). Aux yeux de ces derniers, l’Europe doit plutôt représenter une puissance civile autour d’un rayonnement de son modèle économique et démocratique.

L’ouvrage est ainsi organisé autour de quatre grandes parties intitulées « Le cadre conceptuel et institutionnel de l’autonomie stratégique de l’Union européenne » (I), « L’environnement international de l’autonomie stratégique de l’Union européenne » (II), « Le volet industriel et financier de l’autonomie stratégique de l’Union européenne » (III) et en dernier lieu « Aux frontières de la défense européenne : coopération et comparaison » (IV). Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les menaces contre la sécurité européenne ne cessent de prendre de nouvelles formes tels le terrorisme transnational, la prolifération des armes de destruction massive, la criminalité organisée, les phénomènes migratoires, la cybercriminalité et la sécurité énergétique. Dans ce cadre, l’originalité de cet ouvrage réside dans sa problématique centrale, qui vise à élucider pourquoi et comment la défense européenne devient le symbole même du paradoxe européen. Nicolas Clinchamps, dans son introduction, soutient que la défense reflète un malentendu historique pour l’ue en accentuant la représentation fédérale de la construction européenne et les limites relatives à la défense européenne. Il précise que la défense européenne reste un domaine ambigu en parallèle des autres domaines de l’ue et que celle-ci, dépourvue de sens, reste une compétence régalienne des États et donc, souffre d’une autonomie. Quant à Anne Froment, dans sa contribution intitulée « Le concept de sécurité commune : vers une mise en oeuvre effective ? », elle met l’accent sur le vrai sens de la logique intergouvernementale de la défense commune de l’ue. Selon Froment, il vaut mieux évoquer d’une « stratégie de sécurité conjointe » au lieu d’une « stratégie de sécurité commune » à cause de l’empreinte de la souveraineté des États européens dans ce domaine. D’un côté, le défi provient du fait que ce sont les États qui tendent à traiter les questions de sécurité ce qui engendre une stratégie conjointe de sécurité au sein de l’Union. De l’autre côté, la notion de sécurité commune au niveau européen se pose tout en fragilisant la question de la souveraineté étatique. Donc, la convergence des politiques nationales des États membres en matière de la sécurité commune se heurte à la divergence des mécanismes intergouvernementaux en ce qui concerne la mise en oeuvre de cette sécurité.

Finalement, dans son chapitre de synthèse, Maurice de Langlois vient élucider d’une façon pertinente les multiples paradoxes de l’ue en termes d’ambition stratégique, d’organisation, de capacité et d’industrie. En premier lieu, il s’agit du paradoxe fonctionnel qui découle de l’opposition entre la logique intergouvernementale et la logique communautaire. La logique communautaire de l’ue est basée sur les instruments financiers puissants présents dans les domaines du développement, du commerce, de la réponse aux crises et de l’aide humanitaire. Or, la logique intergouvernementale souffre non seulement des incapacités de gestion surtout en situation d’urgence, mais aussi des moyens financiers. Ensuite, l’auteur souligne le paradoxe de la stratégie. Même si nous pouvons accentuer nombre de difficultés en vue d’une stratégie européenne commune, il est possible également de citer les réussites de l’ue telles l’opération militaire Atalante de lutte contre la piraterie et l’approche globale stratégique dans la Corne de l’Afrique. En second lieu, le paradoxe opérationnel de l’ue en matière de la défense peut être observé, selon Langlois, dans le cas de son abstention d’intervenir militairement à l’est de la République démocratique du Congo en 2008 et par la suite, de la mise en place d’une opération militaire en République centrafricaine en 2014. En outre, le problème de volonté commune européenne et de relative absence de l’Union vis-à-vis des conflits libyen (2011) et malien (2012-2013) est à souligner ici. Quant au paradoxe capacitaire et industriel, l’auteur met l’accent sur la question de l’ouverture des marchés de défense. En dernier lieu, il est question de l’ambiguïté des pays de l’ue en ce qui concerne les relations avec l’otan et les États-Unis, ce qui marque un autre paradoxe. Sur ce point, les intérêts divergents des pays européens, l’absence d’un leadership ou co-leadership et surtout les rapports triangulaires des grands pays qui ont de l’influence à savoir l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (Big Three) constituent des éléments cruciaux. Sur ce point, nous pouvons témoigner d’une bifurcation entre les pays européens dits atlantistes selon lesquels l’otan seule est capable de promouvoir la sécurité européenne et les pays tels la France et l’Allemagne qui accentuent une « mise en synergie » pour la sécurité commune européenne.

En somme, il s’agit d’un ouvrage globalement réussi et bien structuré qui synthétise les diverses perspectives au sujet de la défense européenne. Cet ouvrage sera ainsi d’une grande utilité pour les chercheurs et doctorants en Relations internationales qui ont un intérêt pour les études européennes avec un accent mis sur la politique étrangère, la sécurité et la défense.