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Comme son titre l’indique, cet ouvrage collectif dirigé par Alex Houen déplace l’approche traditionnelle et orthodoxe du terrorisme vers une réflexion critique et pluraliste. Centré sur une analyse constitutive des relations entre les États en guerre contre le terrorisme et les différents états de la guerre à la suite des attentats du 11 septembre 2001, ce livre interdisciplinaire regroupe une nouvelle génération de penseurs en Relations internationales. Conceptualisé en 2010, il coïncide avec plusieurs événements cruciaux, tels que le retrait massif des troupes américaines de l’Irak, l’assassinat d’Oussama ben Laden, le printemps arabe, l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan) en Libye et l’intervention française au Mali. Avec l’émergence des études critiques de sécurité dans la seconde moitié des années 2000, de nombreux analystes tentent de comprendre les nouveaux aspects de la sécurité et de la guerre en tant que concept. Il est donc question, d’une part, de l’élargissement du savoir sur le terrorisme en repensant son champ d’études et, d’autre part, de la contestation des constructions et des images du terrorisme en se basant sur une littérature postpositiviste. De ce point de vue, cet ouvrage explore la façon dont la guerre contre le terrorisme se mêle aux questions liées aux divers états de la guerre qui ont des impacts sur la souveraineté étatique. Les auteurs essaient ainsi d’analyser l’essor de la guerre contre le terrorisme à l’échelle planétaire et de comprendre sa nouvelle structure.

L’originalité de cet ouvrage réside dans sa problématique centrale, qui vise à élucider pourquoi et par quels moyens les États sécurisent leurs propres territoires même en prolongeant les limites de la guerre. Les diverses contributions examinent comment la guerre contre le terrorisme a pris différentes formes, notamment en articulant le militantisme et la militarisation dans différentes régions et contre divers États-nations précédemment constitués. À ce propos, les aspects principaux de la guerre contre le terrorisme sont à souligner, tels que les attaques préventives contre les groupes terroristes dans les États « voyous », la guerre hybride et les nouvelles tactiques de contre- insurrection (véhicules aériens sans pilote appelés également « drones »). Parallèlement, les auteurs de l’ouvrage soulignent l’extension de la guerre contre le terrorisme dans des pays comme Israël, la Russie, l’Éthiopie et l’Ouganda ainsi que la mise en place des nouvelles modalités de guerre comme la propagande et les opérations de la presse, sans oublier la question de la privatisation de la guerre. Parmi ces changements, le cas des attaques de drones ne cesse de susciter de multiples controverses, surtout à l’intérieur des rapports entre le Pakistan et les États-Unis. Les attaques de drones soulèvent de nombreuses questions associées à la souveraineté et à la puissance des États-nations. Partant de ces éléments, la première partie du livre présente de nombreux développements liés à la guerre contre le terrorisme comme elle s’est propagée dans les régions particulières de l’Afghanistan, de l’Irak et du Pakistan. Les auteurs analysent les différents modes de combat, de guerre et de militarisation qui s’y rattache. Dans la seconde partie, ils explorent les ramifications du concept de guerre contre le terrorisme et les questions liées au libéralisme, à la subjectivité, à la citoyenneté, à l’environnement urbain et aux divers états d’exception et de surveillance. Dans cette perspective, les auteurs soulignent les récentes innovations dans le domaine de la guerre, des réseaux et de l’espace de la guerre, de même que celles associées au nouvel urbanisme militaire.

Les différents chapitres du livre n’aboutissent pas à des généralisations sur l’état actuel de la guerre, mais analysent au contraire certains aspects spécifiques de la guerre contre le terrorisme. Sous l’angle des études critiques de terrorisme, on étudie la variété des approches qui traitent des complexités de la guerre et des conditions spécifiques d’ordre national et régional. Le chapitre d’Emma Gilligan intitulé « Russia’s War on Terror : Nationalism, Islam and Chechenization » demeure particulièrement éclairant quant à la situation de la Russie après les attentats du 11 septembre 2001. Gilligan évoque différents aspects de l’alignement du séparatisme tchétchène sur la guerre contre le terrorisme en se concentrant sur les opérations antiterroristes de 1994-1995, la seconde guerre de Tchétchénie (1999-2000) et les relations russo-américaines. L’auteure élucide nombre d’éléments de justification du militantisme russe en Tchétchénie pour instrumentaliser cette question au sein de la lutte contre le terrorisme international. De plus, le chapitre d’Ilan Pappé intitulé « The Inevitable War on Terror : De-terrorising the Palestinians » se révèle remarquable, l’auteur établissant le constat selon lequel la militarisation d’un pays entraîne certaines formes de discours. Pappé se penche sur le conflit israélo-palestinien et analyse comment les universitaires, les politiciens, les membres de la presse et les militaires en Israël perçoivent la résistance palestinienne comme un « phénomène terroriste » et articulent par le fait même un discours de « guerre contre le terrorisme ». Finalement, dans le chapitre intitulé « Recombinant Resilience and the Temptations of Global Interdiction », Martin Coward se concentre sur le network thinking, qui désigne la mondialisation de la guerre contre le terrorisme dans le cadre de la défense d’un « ordre global libéral ». Coward trace à grands traits l’imaginaire politique des réseaux, les nouvelles conceptualisations de sécurité et la gestion de l’espace en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, comme l’illustrent les cas de l’Irak et de l’Afghanistan. En somme, il s’agit d’un ouvrage globalement réussi et bien structuré qui synthétise les diverses recherches sur le sujet. Cet ouvrage sera ainsi d’une grande utilité surtout pour les chercheurs et doctorants en Relations internationales qui s’intéressent aux études critiques de sécurité et de terrorisme.