Article body

La construction européenne contribue-t-elle à la paix ? Pour répondre à cette question, l’auteur compare les discours antagonistes des européistes et des eurosceptiques et il les analyse de manière didactique, dans le but de dégager une « position médiane » afin que chacun se forge une opinion éclairée. Outre la fluidité et la clarté de cette démarche, le lecteur appréciera les définitions et clarifications des concepts employés, au premier rang desquels la paix. En effet, la notion même de paix est appréhendée différemment selon les courants. À l’heure du regain protectionniste et du retour des murs, ce petit livre explique et démontre l’intérêt d’une union d’États soucieux de préserver la paix et de « démonétiser » les nationalismes.

Les disciplines de la science politique et des Relations internationales ne sont pas oubliées et chacune des visions est mise en perspective avec les théories réaliste, fonctionnaliste, libérale, etc., offrant ainsi au lecteur une grille de repères scientifiques. Un détour par les facteurs économiques de la construction européenne met également en exergue « le lien dialectique » entre coopération économique et paix. C’est l’occasion de rappeler que les européistes ne sont pas des utopistes, car ils n’oublient pas que la volonté de faire l’Europe participe aussi de celle de lui faire retrouver sa place sur la scène mondiale et dans l’économie globale. Ils sont réalistes, mais promeuvent des méthodes d’intégration différentes de celles des sceptiques. Aspirations généreuses et ambitions iréniques, calculs économiques et considérations géopolitiques, la réponse est sans doute dans la prise de conscience que l’ue est l’oeuvre d’hommes d’État dont les motivations sont complexes.

La structure de l’ouvrage permet de puiser facilement l’information, tandis que le lecteur pressé et déjà informé pourra se rendre directement aux pages de synthèse qui ont le mérite de faire le bilan des succès et des échecs de la construction européenne, ramenés au prisme de l’actualité. Des questions émergent ainsi à la faveur d’une lecture stimulante : pourquoi la « routinisation de la concertation » n’a-t-elle pas autant de succès lorsqu’elle est mise en oeuvre hors de l’ue, dans les Balkans par exemple ? Pourquoi la présence de troupes américaines, hier facteur de stabilisation, a-t-elle aujourd’hui perdu son effet pacificateur ?

Après deux chapitres consacrés aux fondamentaux, l’auteur se penche sur la dynamique d’ouverture de l’Europe, et c’est là que le titre prend toute sa pertinence. Les élargissements ont-ils été motivés par un désir de paix et ont-ils contribué à la stabilisation du continent ? Les stratégies communautaires déployées dans son voisinage favorisent-elles la paix et la stabilité ? Car la construction européenne, c’est aussi l’intégration de nouveaux membres et la prise en compte de son étranger proche. Même si l’Europe à 28 subit de nombreuses critiques, rappeler les enjeux des élargissements successifs est salutaire. Le tableau reste succinct (sur le litige frontalier de la baie de Piran ou la présence européenne au Kosovo, par exemple), sans doute en raison de la contrainte imposée par le petit format, mais les pistes sont ouvertes. Même bémol quant à la dimension technocratique de l’ue. Facteur d’intégration politique ou d’érosion démocratique, elle participe au développement d’une « communauté épistémique », volet qui mériterait quelques références bibliographiques (en particulier à l’oeuvre de Peter Haas), car il s’agit là d’un sujet clé des études démocratiques.

Mais l’auteur préfère s’attarder sur les différents atouts de l’ue en matière de paix, sur sa politique de voisinage au sud et à l’est, ainsi que sur les thématiques de puissance civile, normative et douce. Si cette dimension suscite le débat, l’auteur se permet à raison un peu d’uchronie : que seraient les pays d’Europe centrale et orientale s’ils n’avaient adhéré à l’ue et que seraient les Balkans sans perspective européenne ? Surtout, dans un monde globalisé, quel État membre pourrait assurer le rôle, si imparfait qu’il soit, que tient l’ue dans son voisinage ?

Parfait petit manuel pour l’étudiant qui souhaite commencer ses recherches et poursuivra ses lectures en utilisant une bibliographie bienvenue, le livre favorise ainsi les questionnements. Il donne une vision d’ensemble à qui souhaite rafraîchir ses connaissances et les actualiser, mais aussi à qui cherche des réponses face aux évènements qui se précipitent ces dernières années : le retrait du Royaume-Uni ou « Brexit », la tentation populiste, les revendications séparatistes, la reconstruction des frontières.