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Depuis le début des années 1990, le Canada a grandement contribué aux efforts internationaux de reconstruction et de stabilisation en Haïti. Puis en 2004, après le départ d’Aristide et à travers notamment le déploiement d’une force militaire multinationale puis de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), le Canada est devenu l’un des principaux contributeurs à la reconstruction du pays et un partenaire clé sur le terrain pour la stabilité et la sécurité haïtienne. Le Canada a reconnu dès le départ l’importance d’un engagement à long terme et intégré envers Haïti. Plus de dix ans plus tard, bien qu’Haïti demeure officiellement une priorité du gouvernement canadien, son intervention dans le domaine de la sécurité s’est réduite à certains aspects spécifiques de la Police nationale haïtienne (pnh).

La situation sécuritaire s’est certainement améliorée depuis 2004. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire afin de garantir les résultats obtenus jusqu’à maintenant. Le tremblement de terre de janvier 2010, l’épidémie de choléra en 2013 et les crises électorales successives démontrent à quel point Haïti demeure un pays vulnérable aux perturbations de toutes sortes. Haïti n’est toujours pas en mesure d’assurer sa propre stabilité et la sécurité de sa population face aux nombreux défis auxquels le pays est confronté. Un engagement à long terme et une stratégie cohérente de la part du Canada et des autres pays contributeurs sont nécessaires à la relance et à la stabilité en Haïti. Bien que l’appui du Canada s’étende aux différents secteurs de la société haïtienne, incluant l’économie, la santé et la gouvernance démocratique, cet article porte spécifiquement sur le secteur de la sécurité. La discussion qui suit se concentre donc sur une approche intégrée du secteur de la sécurité, telle que conçue par la réforme du secteur de la sécurité (rss). Le secteur de la sécurité d’un pays inclut non seulement les différentes institutions de sécurité et de justice d’un État, soit les forces policières et militaires, les services de renseignement, le système de justice, le système carcéral et les mécanismes d’imputabilité, mais également les acteurs et institutions non étatiques tels que les mécanismes de justice informels, néo-coutumiers et tribaux. De ce fait, la rss suppose une approche intégrée à travers l’ensemble du secteur de la sécurité afin de prendre en compte toutes les institutions et tous les mécanismes jouant un rôle dans la prestation de la sécurité et de la justice.

Au cours de la dernière décennie, l’intervention du Canada dans le secteur de la sécurité s’est principalement concentrée sur les aspects techniques du renforcement de l’État haïtien. Comme plusieurs autres contributeurs, le Canada a privilégié le renforcement des capacités et le développement professionnel de la pnh. La réforme de la pnh représente une première étape cruciale vers la stabilité. Néanmoins, l’évolution du contexte sécuritaire en Haïti suggère que la solution à la stabilisation du pays est avant tout politique, nécessitant plus d’initiatives au niveau local, au-delà du rayonnement de l’État.

L’argument présenté ici est double. L’intervention canadienne pour la stabilisation et la sécurité en Haïti depuis 2004 a été significative et a certainement contribué au progrès accompli jusqu’à présent. Toutefois, l’accent mis sur les aspects techniques de la réforme de la police, l’absence d’une stratégie claire guidant l’intervention canadienne dix ans après l’élaboration de l’approche intégrée (diplomatie, défense et développement) sous le premier ministre Paul Martin, une redéfinition des priorités guidant la distribution de l’aide internationale par le Canada après 2010 et l’incertitude face à l’avenir de la présence des Nations Unies en Haïti, tout cela a ralenti les efforts canadiens.

Cet article présente d’abord un survol de l’engagement du Canada envers Haïti dans le domaine de la sécurité et de la justice depuis le début des années 1990. J’examine ensuite la contribution canadienne à la Minustah et aux autres initiatives de stabilisation mises de l’avant de 2004 à 2010, caractérisée principalement par une approche pangouvernementale. Ces efforts ont contribué à une amélioration significative de la situation sécuritaire en Haïti au cours de cette période. Par la suite, l’article analyse le réalignement de l’appui canadien à Haïti après le tremblement de terre de 2010, car malgré les résultats prometteurs de l’approche canadienne au cours des années 2000, des changements institutionnels et politiques ont influencé le soutien d’Ottawa à Haïti après le séisme. Ces changements se sont traduits par une réduction du soutien canadien à l’ensemble du secteur de la sécurité, de même que par l’absence d’une nouvelle vision à long terme cohérente de la stabilité et de la sécurité.

I – Choix théoriques et méthodologie

L’objectif ultime de la rss est de réduire la violence et la criminalité afin de permettre le développement politique, économique et social des sociétés visées par ces programmes (oecd-dac 2007 : 12). De plus, d’après l’Onu, les gens sont censés se sentir plus en sécurité à la suite d’une rss (Onu 2012). Ainsi ces réformes ne devraient pas seulement chercher à renforcer les capacités de l’État, elles devraient également prendre en compte leur impact sur la sécurité et le développement des sociétés d’accueil, de même que sur les différents groupes au sein de la population, y compris les femmes. L’un des principaux outils à travers lesquels la rss peut atteindre ces objectifs est l’approche intégrée, qui prend en compte l’ensemble de la société d’accueil et non pas seulement les institutions étatiques. Bien que cet article n’adopte pas une approche explicitement féministe dans son analyse, il considère l’effet de la rss sur l’ensemble de la société haïtienne. Par exemple, nous savons déjà que l’aide internationale qui ne prend pas en compte les rapports de force entre les genres est généralement moins en mesure de rejoindre les femmes et leur famille (Horton 2012).

En ce qui a trait à la méthodologie, cet article se base d’une part sur une analyse détaillée des politiques canadiennes concernant le renforcement du secteur de la sécurité haïtien. D’autre part, j’ai mené des recherches de terrain à Port-au-Prince en 2014, durant plus de cinq mois, afin d’évaluer les conséquences de la rss sur l’ordre public et la violence. Mon identité, en tant que femme caucasienne, canadienne et francophone, a certainement influencé les données que j’ai été en mesure d’amasser à travers des entrevues avec des intervenants locaux et internationaux, notamment parce qu’elle m’a limitée dans ma capacité à mener des entrevues dans les quartiers populaires de Port-au-Prince. Pour des raisons de sécurité et afin d’établir une relation de confiance avec la population locale, je me suis donc associée avec l’organisation non gouvernementale (ong) Viva Rio Haiti qui est active dans le grand Bel Air et Cité Soleil. À travers les activités de Via Rio, j’ai été en mesure d’interagir avec les habitants de ces quartiers, d’observer leurs habitudes de vie et de mieux comprendre leur réalité. Par conséquent, j’ai développé une compréhension plus fine de la sécurité au quotidien dans les quartiers les plus vulnérables de la capitale. J’ai également mené des entrevues avec des membres du personnel de la Minustah, des représentants de la société civile haïtienne, des fonctionnaires du gouvernement haïtien, ainsi que des membres de la communauté diplomatique basés à Port-au-Prince.

II – Survol de l’intervention internationale et de la violence en Haïti (1986-2004)

La chute de Jean-Claude Duvalier, en 1986, inaugura un long et tortueux processus de démocratisation. En 2004, le président Jean-Bertrand Aristide se vit contraint à l’exil par la montée en force d’une rébellion et la forte pression exercée par les États-Unis, la France et le Canada. En février de la même année, le Conseil de sécurité autorisa le déploiement de la Minustah. Rédigé sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le mandat de la mission incluait initialement trois principaux objectifs : stabiliser la situation sécuritaire au niveau national, réformer la pnh et organiser des élections présidentielles avant la fin de 2005.

Le déploiement de la Force multinationale intermédiaire (fmi) en mars 2004 puis de la Minustah au cours de la même année n’améliora toutefois pas immédiatement la sécurité dans le pays. Les années 2004 et 2005 furent caractérisées par un état général d’insécurité et de désordre en raison de la présence de groupes armés opposés à Aristide et des manifestations quotidiennes des partisans du président déchu sur les Champs-de-Mars. La nomination d’un gouvernement de transition perçu comme n’ayant aucune légitimité nationale ainsi que l’absence d’une force de police fonctionnelle contribuèrent également à l’instabilité (Amnesty International 2004).

En novembre 2004, la frustration populaire se transforma en un soulèvement violent, appelé Opération Bagdad, au coeur de Port-au-Prince (Lunde 2012). La situation sécuritaire était alors particulièrement difficile : entre mars 2004 et décembre 2005, plus de 35 000 personnes furent agressées sexuellement et au delà de 8 000 homicides furent perpétrés à Port-au-Prince seulement (Kolbe et Hutson 2006). Il fallut plus de 12 mois à la pnh et à la Minustah pour remédier à la situation. L’approche répressive de la pnh, combinée au manque de légitimité du gouvernement de transition, nourrissait la méfiance populaire envers l’État haïtien. La Minustah, quant à elle, était perçue comme une force d’occupation. La situation ne s’améliora qu’après les élections générales de février 2006, remportées par René Préval, qui était alors considéré comme un candidat de compromis. Opération Bagdad démontra à la communauté internationale la nécessité de développer une approche novatrice afin de contrer la violence et le désordre à Port-au-Prince. Pour ce faire, le gouvernement de René Préval et la Minustah élaborèrent une stratégie de désarmement et de réintégration adaptée au contexte local, ainsi qu’un plan de réforme des institutions de sécurité et de justice.

III – Évolution de l’approche canadienne envers Haïti

En parallèle, le gouvernement canadien dirigé par Paul Martin présenta en 2005 ses priorités en matière de politique étrangère dans l’Énoncé de politique internationale du Canada. Le document identifie les États en déroute ou défaillants comme une menace contre la la sécurité canadienne. D’après le document, il est nécessaire d’adopter une stratégie d’appui intégrée et à long terme afin de répondre à la menace potentielle que représentent ces États pour la sécurité du Canada et la stabilité internationale. Les critiques formulées après l’intervention initiale du Canada en Afghanistan considéraient que la faiblesse des résultats était due au manque de coordination et de cohésion entre les différentes agences canadiennes. En réaction, l’énoncé de 2005 stipule que pour répondre aux besoins des États fragiles, il est nécessaire de passer par une approche holistique incluant les secteurs de la diplomatie, de la défense et de l’aide au développement (Gouvernement du Canada 2005 : 13). L’approche intégrée fut donc conçue pour articuler de façon coordonnée et cohérente la réponse canadienne aux nouveaux défis posés par des environnements d’intervention complexes tels qu’Haïti et l’Afghanistan. Dans le secteur de la sécurité, cela signifiait notamment de combiner les programmes de pacification aux efforts de renforcement des capacités de l’État et de stabilisation.

La nouvelle politique internationale du Canada mena à la création du Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction, mieux connu sous son acronyme anglophone de start[2], et à l’établissement du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales (fpsm) afin d’appuyer les initiatives de start dans les États fragiles comme Haïti. Sous l’égide du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (maeci), start avait au départ pour mandat de coordonner l’approche intégrée envers les États fragiles entre les agences et ministères canadiens (Gouvernement du Canada 2005).

Haïti représentait à l’époque une belle opportunité pour Ottawa de mettre en pratique sa nouvelle approche. En effet, l’énoncé soulignait le rôle de premier plan joué par le Canada dans le renforcement des capacités policières à Haïti (Gouvernement du Canada 2005 : iii). En ce sens, Haïti devint en 2005 le second plus grand récipiendaire de l’aide canadienne et la priorité d’Ottawa dans les Amériques. Un engagement à long terme et une approche intégrée étaient perçus comme essentiels à la paix et à la stabilité en Haïti : « de récents exemples, comme Haïti, illustrent que les droits humains et la sécurité humaine demeurent des buts inatteignables sans la présence de structures étatiques stables[3] » (Gouvernement du Canada 2005 : 20).

L’élection de Stephen Harper en 2006 fut suivie par une réévaluation de l’aide internationale et la mise à l’écart progressive de l’approche intégrée développée sous Paul Martin. Le manque de progrès et de résultats tangibles de l’aide canadienne en Afrique et en Afghanistan faisait l’objet de sévères critiques (Brown 2012, 2007). En 2007, malgré l’absence de stratégie claire en matière de développement, le gouvernement annonça que l’Amérique latine remplacerait l’Afrique en tant que priorité régionale et qu’il adopterait une « approche intégrée envers un hémisphère plus prospère, sécuritaire et démocratique »[4] (dfatd 2015b). Haïti demeura un pays cible et le plus grand bénéficiaire de l’aide canadienne dans les Amériques. Toutefois, la redéfinition des priorités canadiennes, passant de la sécurité et la stabilité à des objectifs économiques et commerciaux, les exigences de résultats tangibles à courte échéance et les doutes envers l’efficacité de l’Agence canadienne du développement international (Acdi) influencèrent certainement l’appui canadien à la stabilisation et à la reconstruction d’Haïti dans les années qui suivirent (Brown 2012).

IV – La contribution canadienne à la sécurité et la stabilité en Haïti, 2004-2010

Dès 2004 et jusqu’au tremblement de terre de janvier 2010, la stratégie canadienne envers Haïti privilégiait la stabilisation, conformément au mandat de la Minustah et aux objectifs des autres pays contributeurs. Cette approche, misant d’abord et avant tout sur la sécurité, mettait de l’avant la gestion de l’ordre public et la stabilisation du pays grâce à la présence de troupes militaires et à la rss dont la priorité était le renforcement de la pnh. La rss incluait également la réforme des institutions judiciaires et du système pénal. Ces efforts étaient principalement techniques, portant surtout sur la formation du personnel et le renforcement des capacités des différentes institutions haïtiennes dans le domaine de la sécurité et de la justice.

Le Canada se présentait alors comme le champion de l’effort multilatéral de stabilisation en Haïti, puisqu’il avait dirigé vers ce domaine la plus grande partie de sa contribution par l’intermédiaire de la Minustah. De plus, depuis 2006, Haïti a reçu plus de 1,4 milliard de dollars en aide canadienne au développement et humanitaire, incluant 850 millions de dollars depuis 2010 (dfatd 2015a). Start et le fpsm ont également appuyé des initiatives bilatérales et multilatérales visant le renforcement des capacités de l’État, la stabilisation de l’environnement de sécurité et la mise en oeuvre de programmes de réduction de la violence. Jusqu’en 2010, cela permit au gouvernement canadien de diversifier son assistance à travers différentes facettes de la sécurité haïtienne, tout en mettant de l’avant l’approche intégrée. À travers Start, le Canada investit plus de 80 millions de dollars en Haïti entre 2006 et 2010 (dfatd 2012).

A — Le renforcement de la pnh

L’essentiel de l’effort canadien dans le secteur de la sécurité haïtien portait sur le renforcement des capacités de la pnh. La pnh fut créée en 1995 sous l’impulsion de l’Onu. Toutefois, après le retrait de l’Onu en 2000, la pnh s’affaiblit rapidement. En 2004, la jeune force de police ne comptait plus que 2 500 agents, la majorité de ses installations étaient inutilisables et elle n’avait plus aucune capacité institutionnelle (Fortin et Pierre 2008). De plus, moins de dix ans après sa création, la pnh était considérée comme corrompue par la majorité de la population haïtienne. En effet, durant son second mandat présidentiel, Aristide avait politisé la pnh en nommant ses partisans à des postes clés au sein du commandement de la police, sans se soucier de leur niveau d’expérience ou de compétence. En parallèle, Aristide prônait la « tolérance zéro » envers les éléments criminels, soutenant ainsi une justice extrajudiciaire qui encourageait la création de milices composées de policiers en civil. Ces milices visaient ses opposants politiques et des éléments criminels gênants. Pour ces raisons, la réforme et la professionnalisation de la pnh s’avéraient dès 2004 essentielles à la stabilité du pays.

Le gouvernement canadien autorisa le déploiement de 100 policiers civils (unpol) sous l’égide de la Minustah. Provenant principalement de la grc et des corps de police québécois municipaux et provincial, ces policiers détenaient un avantage comparatif en termes d’expertise et de qualifications par rapport à d’autres contingents nationaux. De plus, dès le début de la mission, la compréhension langagière avait été identifiée comme un problème important nuisant à la formation et à la collaboration avec la pnh. En ce sens, un contingent policier francophone professionnel représentait une contribution importante à la Minustah.

Toutefois, les unpols canadiens n’étaient pas toujours utilisés de manière à maximiser leur contribution sur le terrain, étant donné la nécessité pour l’Onu d’assurer un équilibre entre les différents contingents nationaux et de respecter le caractère multinational de la Minustah. Certains eurent l’impression qu’ils n’étaient pas utilisés à leur plein potentiel et qu’ils étaient relégués à des activités inférieures à leur rang ou à leurs compétences. Nombre de policiers canadiens se percevaient également comme plus qualifiés que des unpols d’autres nationalités (Saint-Pierre et Tanner 2012). Néanmoins, les membres du contingent canadien ont participé à la formation et à la supervision des nouvelles recrues, de même qu’à l’examen des dossiers des agents de la pnh. Ils ont également occupé des postes importants au sein de la Minustah, tels que commissaire de police de la Minustah, commissaire adjoint, commandant régional et chef du développement et de la planification stratégique.

Au niveau financier, de 2006 à 2008, la majorité des fonds provenant du fpsm ciblait la pnh à travers quatre projets, pour un total d’environ 14 millions de dollars. Ces projets incluaient le déploiement d’experts policiers au sein de la Minustah, la rénovation de l’école de police et de commissariats, ainsi que le renforcement des capacités du bureau de l’Inspection générale de la pnh (dfait 2009). De plus, l’Acdi finançait le développement de l’académie de police pour la formation des officiers. Bien que le projet ait été autorisé en 2008, la construction de l’académie n’avait toujours pas débuté en 2014 (Berthiaume 2014). Les cadres de la pnh sont tout de même formés dans des installations temporaires adjacentes à l’École nationale de police en charge de la formation des nouveaux agents.

Après un faux départ en 2005, la composante policière de la Minustah élabora le plan de réforme avec la contribution limitée du commandement de la pnh. René Préval approuva finalement le plan de réforme en 2006, donnant à la pnh et à la Minustah l’appui politique nécessaire afin de pouvoir aller de l’avant. La pnh fit d’importants progrès jusqu’au tremblement de terre de janvier 2010, malgré l’absence de réformes dans le système judiciaire et pénal et en dépit d’une Constitution désuète ralentissant tout processus politique. Les capacités de la pnh augmentèrent progressivement, atteignant 9 000 policiers à la fin de 2009. Bien que ces chiffres fussent bien en deçà de l’objectif initial de 14 000 agents pour 2010, ils représentaient un net progrès dans un contexte difficile.

B — La stabilisation de l’environnement sécuritaire

À travers ses contingents policier et militaire, le Canada contribua également à la stabilisation du pays après 2004. Ottawa déploya d’abord 500 militaires à travers l’opération Halo afin de contribuer à la fmi et d’assurer la transition sous la Minustah. Après le déploiement de la mission de l’Onu, deux officiers supérieurs furent intégrés à l’État-major de la Minustah sous l’opération Hamlet. Cette contribution fut augmentée à trois officiers en 2005, puis à cinq en 2010.

En plus des activités de formation et de renforcement de la pnh décrites dans la section précédente, les unpols canadiens participèrent également à des opérations policières aux côtés de la pnh dans les quartiers à haut risque de Port-au-Prince. En 2005 et 2006, la Minustah mena une série d’opérations contre les gangs dans les secteurs les plus dangereux de la capitale, incluant le grand Bel Air et Cité Soleil. Toutefois, comme ces opérations n’avaient pas clairement le soutien du gouvernement de transition, elles ne contribuèrent qu’à renforcer l’opposition populaire à la Minustah et la méfiance envers la pnh. À l’été 2006, le président Préval annonça que les bandes armées devraient déposer les armes, sans quoi leurs membres seraient éliminés. Cette position claire du nouveau gouvernement haïtien permit à la Minustah de prêter main-forte à la pnh dans une série d’opérations militaires et policières d’envergure dans les zones problématiques de Port-au-Prince. L’ordre public fut rétabli à la fin de 2007, ce qui se traduisit par une réduction du nombre d’homicides et d’enlèvements (Dorn 2009). Cette tendance se maintint jusqu’au tremblement de terre de janvier 2010.

À travers ces opérations, et grâce à l’appui militaire et policier de la Minustah, la pnh put intensifier sa présence dans les quartiers contrôlés précédemment par les bandes armées, les groupes criminels et les organisations paramilitaires. Bien qu’allant dans le sens de la stratégie du Canada et de celle des autres pays donateurs, ces efforts n’étaient toutefois pas suffisants pour assurer la stabilité à long terme du pays. L’approche priorisant la sécurité et le renforcement des capacités de la pnh tenait pour acquis que la violence et le désordre public résultaient directement du vide sécuritaire causé par la faiblesse de la police haïtienne. Cependant, bien souvent, les troubles et la violence à Port-au-Prince étaient de nature politique. Les opérations menées par la Minustah et la pnh ignoraient ce phénomène et minimisaient le besoin d’un dialogue constructif avec les acteurs locaux en dehors de la mainmise de l’État. De ce point de vue, encore aujourd’hui, les relations entre l’État et la société haïtienne sont presque inexistantes dans plusieurs communautés (Kivland 2012).

En 2008, malgré l’amélioration de la situation, le Conseil de sécurité reconnut que la pnh n’était toujours pas en mesure d’assurer seule le maintien de l’ordre public (Conseil de sécurité de l’Onu 2008). La Minustah fut donc restructurée afin de mieux répondre aux besoins sur le terrain ; le personnel militaire fut réduit alors que le nombre d’unpols et d’unités de police constituées fut accru. De plus, plusieurs pays contributeurs, dont le Canada, commencèrent à financer des initiatives locales afin d’améliorer la sécurité, de renforcer les institutions étatiques et d’intensifier la présence de la pnh dans les communautés où l’État était peu présent.

C — L’amélioration de la sécurité communautaire à travers la réduction de la violence

L’allocation des ressources du fpsm démontre clairement que la priorité du Canada dans le secteur de la sécurité haïtien était le renforcement de la pnh. Toutefois, à travers l’approche intégrée, le Canada reconnaissait également l’importance de contribuer à la sécurité communautaire et le besoin de prévenir la « gangstérisation » de certains quartiers à travers le développement de programmes de réduction de la violence (dfatd 2009 : 62). Ottawa fit cependant preuve de prudence dans l’appui offert à ces initiatives, considérant que, pour parachever la réforme de la pnh, les efforts au niveau local devaient être conçus de manière à constituer un point d’entrée pour le renforcement des relations entre la police et la communauté.

Entre 2006 et 2008, start alloua plus de 2 millions de dollars à trois projets de réduction de la violence communautaire. Ces projets variaient énormément en termes d’envergure et d’approche, ce qui reflétait peut-être un manque de vision dans la définition des objectifs et des stratégies à favoriser par start. Ces variations suggèrent également un manque de coordination avec la Minustah et avec les autres partenaires internationaux afin de bien comprendre le contexte d’intervention et d’assurer une articulation efficace de l’effort multinational au niveau local. Néanmoins, ces projets représentaient un pas dans la bonne direction. Trop souvent, les donateurs tendent à miser de façon excessive sur les élites politiques et économiques nationales, ignorant en grande partie les projets menés par des acteurs locaux et qui émanent de façon plus ou moins directe des communautés concernées (Shamsie 2008).

À titre d’exemple, le maeci finança à travers le fpsm un projet élaboré et mené par Viva Rio Haiti, une ong brésilienne active à Port-au-Prince depuis 2006. L’organisation devait développer une méthodologie de police communautaire, basée d’une part sur son expérience dans les favelas de Rio de Janeiro depuis les années 1990, et d’autre part sur les stratégies adoptées par la brigade brésilienne de la Minustah lors des opérations de stabilisation à Cité Soleil et Bel Air en 2006 et 2007. Travaillant en étroite collaboration avec la Commission nationale pour le désarmement, le démantèlement et la réintégration (cnddr), cette ong jouait un rôle crucial dans la médiation d’accords de paix locaux entre bandes rivales. Ces accords réduisirent de façon importante la violence dans plusieurs quartiers de la capitale. Pour chaque mois sans homicide, Viva Rio organisait une tombola pour la communauté concernée et ses leaders. Les prix comprenaient initialement des bourses d’étude, puis des prix professionnels et des motocyclettes pour les leaders communautaires. L’ong organisait également des activités éducatives et culturelles dans les communautés concernées. Des sondages menés par Viva Rio suggèrent que la violence a diminué de façon significative après la mise en oeuvre des accords de paix. Toutefois, à la suite d’un audit externe exigé par le maeci en 2010 et malgré une bonne évaluation en 2009 (dfatd 2009 : 63) start reporta d’abord, puis décida de ne pas renouveler le financement accordé à Viva Rio (Viva Rio Haiti 2011). Outre que cette décision eut des conséquences négatives pour les activités de l’ong, elle déstabilisa également certaines communautés étant donné le rôle central joué par Viva Rio dans la prestation de services et d’emplois.

Pour résumer, de 2004 à janvier 2010, l’intervention canadienne dans le secteur de la sécurité haïtien mit l’emphase sur le renforcement de la pnh à travers une série d’initiatives bilatérales et multilatérales. Une attention particulière fut également accordée aux questions de sécurité communautaire, reconnaissant la faiblesse et bien souvent l’absence de l’État au niveau local. Ces initiatives eurent plus ou moins de succès, mais elles démontrèrent la volonté du Canada de favoriser une approche intégrée allant au-delà d’une réponse purement technique et centrée sur les institutions régaliennes. Toutefois, ces programmes n’étaient pas toujours cohérents ou basés sur une vision à long terme, conditions pourtant essentielles à des résultats durables.

V – La réponse canadienne au tremblement de terre

Le 12 janvier 2010, un violent séisme frappa Haïti, tuant 200 000 personnes et en déplaçant 2,3 millions d’autres, soit plus de 20 % de la population du pays (Amnesty International 2014). Cette catastrophe naturelle déstabilisa l’équilibre fragile qui avait été instauré à travers le pays et en particulier à Port-au-Prince. Tout d’abord, les infrastructures et les capacités administratives nouvellement acquises du gouvernement haïtien furent durement touchées (Zanotti 2010). Deuxièmement, le tremblement de terre provoqua des mouvements migratoires importants depuis le centre-ville de Port-au-Prince, sévèrement touché, vers des camps de déplacés puis finalement vers de nouvelles zones habitables au nord de la capitale. Troisièmement, pendant un bon moment la pnh et la Minustah furent incapables d’assurer la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur des camps, particulièrement en ce qui avait trait à la violence sexuelle et de genre (Gerntholtz et Rhoad 2010). Enfin, les dommages causés au pénitencier de Port-au-Prince permirent une évasion massive des prisonniers ; plusieurs avaient été arrêtés durant les opérations de stabilisation de 2007 à 2009. Certains de ces individus retournèrent dans leur communauté d’origine, altérant le nouvel ordre établi. Ces changements influencèrent la sécurité et la stabilité dans plusieurs secteurs de la capitale, incluant Bel Air et Cité Soleil. Cela se traduisit par une augmentation de la criminalité, et de la violence sexuelle notamment, au cours des deux années qui suivirent (Muggah et Kolbe 2012 ; Kolbe et Muggah 2012).

Après la catastrophe, le Canada accrut considérablement l’aide humanitaire envers Haïti. Du côté militaire, Ottawa fit passer à dix officiers son contingent destiné à l’État-major de la Minustah et déploya l’opération Hestia afin de fournir de l’aide humanitaire immédiate et pour une période de trois mois. Le nombre de policiers canadiens fut également augmenté de 50 %, autorisant le déploiement de 150 unpols canadiens au sein de la Minustah. Finalement, start finança le remplacement des infrastructures et du matériel de la pnh détruits lors de la catastrophe. Malgré certains délais dans le rétablissement de la sécurité, les efforts concertés de la communauté internationale permirent le rétablissement général du pays. La situation demeura tout de même difficile dans les camps de réfugiés et les communautés plus isolées du grand Port-au-Prince où des bandes armées continuèrent de s’imposer et de régenter la vie quotidienne des habitants.

VI – Contraintes et incertitudes entourant l’aide canadienne à Haïti, 2012-2014

À partir de 2012, la contribution canadienne envers Haïti diminua de façon significative. Tout d’abord, l’aide humanitaire répondant au tremblement de terre prit progressivement fin. Par ailleurs, la redéfinition des priorités du gouvernement de Stephen Harper en matière d’aide au développement influença également la contribution canadienne à la paix et la stabilité en Haïti. Le Canada annonça en 2012 que l’aide à Haïti serait réévaluée afin d’en assurer l’efficacité (Mackrael 2013 ; Fantino 2012a), décision qui fut critiquée tant du côté canadien que haïtien (De Grandpré 2013a ; Clark 2013 ; Hoffman 2012). De plus, l’appui au secteur de la sécurité haïtien se concentra davantage sur les éléments techniques de la réforme de la pnh. Le financement des programmes de prévention et de réduction de la violence communautaire fut suspendu ou annulé, ce qui nuisit dans plusieurs cas aux partenaires locaux et aux communautés concernées. Entre 2012 et 2014, la contribution de start à Haïti fut seulement de 9 millions de dollars, réduction significative comparativement à la période précédente.

Deux principaux facteurs expliquent cette réduction de l’effort canadien. Premièrement, une série de changements politiques et institutionnels à Ottawa influencèrent de façon importante la contribution canadienne à la paix et à la sécurité en Haïti. Deuxièmement, l’incertitude entourant l’avenir de la Minustah et la présence de l’Onu au-delà de 2016 expliquent en partie l’absence d’une stratégie canadienne renouvelée et claire envers Haïti. Ces deux éléments suggèrent une certaine lassitude du Canada et des autres pays contributeurs après dix ans d’efforts en Haïti.

A — La poursuite des efforts de renforcement de la pnh

Malgré le tremblement de terre, la pnh a fait d’importants progrès depuis 2004. En outre, elle a été en mesure de surmonter les conséquences du séisme, ce qui démontre une résilience accrue. En 2012, faisant suite au Plan de réforme de la pnh (2007-2011), le Plan quinquennal de développement de la pnh (2012-2016) fut approuvé par le Conseil supérieur de la Police nationale, présidé par le premier ministre Laurent Lamothe. Les délais dans la nomination d’un nouveau premier ministre après l’élection du président Michel Martelly en 2011 ralentirent la poursuite de la réforme de la pnh. Néanmoins, certains sondages suggèrent que la population faisait de plus en plus confiance à l’institution policière (International Security Sector Advisory Team 2013).

Il reste toutefois plusieurs défis à relever. Le lynchage demeure une pratique courante, ce qui indique que la population préfère encore parfois se faire justice elle-même plutôt que de s’en remettre au système judiciaire étatique (Minustah 2013). Par ailleurs, implanter intégralement l’ambitieux Plan de développement de la pnh s’avéra impossible en raison des capacités financières limitées de l’État haïtien. Bien que la pnh ait élaboré un nouveau plan quinquennal pour assurer son développement et sa professionnalisation au-delà de 2016, la mise en oeuvre de celui-ci dépendra de la capacité du gouvernement haïtien de soutenir politiquement et financièrement la pnh. De plus, alors que l’objectif était d’atteindre 15 000 policiers au début 2016, le Secrétaire général de l’Onu affirme dans son dernier rapport présenté au Conseil de sécurité que la pnh comptait 13 200 policiers en août 2016 (Conseil de sécurité de l’Onu 2016). Ces chiffres demeurent en-deçà des normes internationales en ce qui a trait au ratio d’agents de police pour 100 000 habitants. À la fin 2016, l’État haïtien n’était donc toujours pas en mesure de fournir les ressources nécessaires au développement et au déploiement de la pnh à travers le pays. Au moment d’écrire ces lignes, les commissariats de police des différentes provinces sont souvent peu équipés et le nombre d’agents est insuffisant. La majorité des ressources se concentreen fait à Port-au-Prince.

Pour ce qui est des programmes de soutien à la professionnalisation de la pnh, il est intéressant de noter que ces initiatives furent souvent mises en oeuvre dans des zones plus stables. Par exemple, l’unité de police communautaire de la pnh, financée et entraînée en partie par le Canada, est principalement active à Pétionville, l’une des municipalités les plus prospères du grand Port-au-Prince et qui est également la seule à être qualifiée de « zone verte » par la Minustah. Les besoins en matière de police communautaire sont certainement plus urgents dans les zones populaires de Port-au-Prince, là où les relations entre la police et la population demeurent très limitées. Dans ces quartiers, la pnh est moins visible, ses effectifs sont dispersés et la Minustah continue d’assurer en grande partie la stabilité et la sécurité. Malgré ces besoins, l’accent mis sur la nécessité d’obtenir des résultats rapides explique pourquoi ces programmes sont souvent mis en oeuvre dans des zones moins problématiques.

Par ailleurs, l’absence de progrès significatif dans la réforme du système judiciaire nuit à la professionnalisation complète de la pnh. Sans véritable État de droit, et considérant que les juges de paix demeurent peu formés et souvent corrompus, les agents de la pnh ont peu d’incitatifs à remplir leurs fonctions. Une force de police, si professionnelle, efficace et responsable qu’elle soit, ne peut survivre dans un environnement où il n’y a pas d’État de droit ou de garanties judiciaires pour tous. Les prochaines années seront donc cruciales dans le développement de la pnh afin d’assurer que l’institution pourra maintenir la sécurité et l’ordre public à travers le pays.

B — Changements dans la contribution canadienne à la sécurité en Haïti

À partir de 2012, le resserrement de l’appui du Canada au secteur de la sécurité haïtien s’est fait au détriment d’une vision claire des besoins et de la réalité sur le terrain. Bien que ces efforts aient découlé de l’avantage comparatif du Canada en matière d’expertise policière, la durabilité de la réforme de la pnh requiert une approche holistique qui prenne en considération le contexte politique et social dans lequel évolue la police haïtienne. Toutefois, puisque l’Énoncé de politique internationale du Canada de 2005 n’a pas été remplacé par une politique étrangère claire, et en raison du réalignement des priorités dictant la distribution de l’aide au développement et de l’incertitude concernant l’avenir de la Minustah, le Canada a été incapable au cours des dernières années sous la gouverne conservatrice de maximiser sa contribution à la sécurité et à la stabilité d’Haïti.

C — La politique étrangère canadienne : de la sécurité à la prospérité économique

L’élection d’un gouvernement conservateur en 2006 et une série de rapports sur l’inefficacité de l’aide canadienne menèrent à une transformation des motivations canadiennes en matière d’aide et d’intervention internationale. Ce changement fut particulièrement notoire sous le deuxième mandat du gouvernement Harper. Ottawa mit effectivement de côté les questions de sécurité et de stabilité, choisissant de mettre de l’avant la prospérité économique et l’intérêt national à travers la promotion du secteur privé canadien et de son rôle dans le développement international : « beyond the security imperative, there is an economic imperative to our development work » (Fantino 2012b).

Reflétant cette réalité, l’évolution de l’aide canadienne à Haïti au cours de la première moitié des années 2010 années suggère un désengagement du Canada, ou du moins un manque de vision pour ce qui est d’assurer la sécurité et la stabilité du pays à long terme. Premièrement, la réévaluation de l’aide au développement exigée en 2012 par le ministre du Développement international de l’époque, Julian Fantino, eut un impact sur le montant disponible pour appuyer le développement d’Haïti. L’aide canadienne au développement est généralement distribuée à travers des mécanismes multilatéraux, ce qui influence dans une certaine mesure la possibilité de démontrer des résultats rapides et concrets. Néanmoins, lors d’une entrevue accordée au journal La Presse en décembre 2012, le ministre Fantino dénonça le manque de progrès réalisé par Haïti depuis le tremblement de terre, donnant comme exemple les piles de déchets jonchant les rues de Port-au-Prince lors de sa visite en novembre de la même année (De Grandpré 2013b). Cette déclaration démontra l’impatience de Fantino devant le manque de résultats et de progrès attendus. Ses propos furent mal reçus par le gouvernement haïtien et provoquèrent un froid entre les deux pays (Clark 2013). Les États-Unis et l’Onu dénoncèrent également les propos du ministre. Le Canada ne reconfirma d’ailleurs son engagement envers Haïti qu’à l’automne 2014, et une nouvelle stratégie d’engagement de cinq ans fut annoncée en juin 2015.

Deuxièmement, la fusion de l’Acdi et du maeci en 2013 mit de facto un terme au programme start en Haïti. Les sévères critiques visant l’inefficacité de l’aide canadienne administrée par l’Acdi au cours des années précédentes contribuèrent certainement à la fusion de l’agence avec le maeci. Cette fusion eut un effet significatif sur la contribution canadienne au secteur de la sécurité haïtien. En 2013-2014, seuls quelques petits projets furent financés à travers start. Ce faisant, le Canada perdit un moyen de collaborer avec les autres principaux pays donateurs et les institutions haïtiennes à travers le développement de programmes à impact rapide sur le terrain. La plupart des initiatives de réduction de la violence étaient en effet financées à travers start, tout comme plusieurs projets bilatéraux visant les secteurs de la sécurité et de la justice. La fusion de l’Acdi et du maeci pourrait, en fin de compte, accroître la coordination et la coopération de l’aide canadienne ; toutefois, pour l’instant, cela s’est traduit par une réduction de l’appui à la sécurité et au développement d’Haïti.

Le Canada identifia à nouveau Haïti comme un pays prioritaire en 2014 mais l’aide au développement est maintenant attribuée en fonction de nouvelles priorités, telles que la santé maternelle et la croissance économique (dfatd 2015a). Cependant, il reste beaucoup à accomplir dans le secteur de la sécurité. Bien que le pays soit maintenant stabilisé, la situation demeure fragile et instable, comme le démontrent les violences entourant les reports successifs des élections législatives et présidentielles (Granitz 2014).

D — Incertitude entourant la présence multinationale en Haïti

L’incertitude entourant la présence de la Minustah et de l’Onu plus largement au-delà de 2016 contribue certainement à l’absence d’une stratégie canadienne claire et renouvelée envers Haïti. La lassitude croissante qu’éprouvent les principaux pays donateurs, tout comme les autres enjeux internationaux pressants, pourraient mener à un désengagement de la communauté internationale envers Haïti. En juin 2015, le Canada a tout de même renouvelé son engagement pour une période de cinq ans. À travers un accord-cadre avec le gouvernement haïtien, le Canada continuera de prioriser les questions de la primauté du droit et de la sécurité, aux côtés de la croissance économique, de la gouvernance démocratique et de la santé (dfatd 2015c). Toutefois, la crise politique actuelle créée par les nombreux reports puis l’annulation des élections présidentielle et législatives pourrait nuire à la mise en oeuvre de la stratégie canadienne, ce qui pourrait en fin de compte avoir des conséquences néfastes sur le développement durable de la pnh, et sur le secteur de la sécurité dans son ensemble. Le dénouement de la crise politique actuelle aura des conséquences cruciales sur l’avenir du pays. Les leçons apprises à la suite du retrait hâtif de l’Onu en 2000 devraient être prises en compte afin de prévenir une détérioration de la situation politique et sécuritaire à un niveau tel que cela exigerait une nouvelle intervention militaire internationale.

En somme, le secteur de la sécurité haïtien a beaucoup progressé depuis 2004, mais la réforme de la pnh ne représente que le premier pas vers la stabilité. Il est nécessaire de consacrer davantage d’efforts au niveau local afin d’accroître le capital social, d’assurer le développement du pays et de fournir une solution durable aux crises politiques cycliques qui ont marqué l’histoire récente d’Haïti. De plus, la sécurité est un prérequis essentiel pour pouvoir atteindre les autres objectifs de développement qui ont été privilégiés au cours des dernières années par le Canada. Le nouveau gouvernement canadien devrait donc promouvoir un engagement renouvelé de la communauté internationale envers Haïti.

Conclusion

Depuis 2004, le Canada a été un important partenaire d’Haïti sur les plans de la sécurité et de la stabilité. Ottawa a su se positionner comme l’un des principaux pays donateurs et un champion des efforts multilatéraux de reconstruction. De 2004 à 2010, l’approche intégrée a guidé l’intervention canadienne dans une certaine mesure et a su contribuer à la réforme du secteur de la sécurité haïtien et plus particulièrement de la pnh. Ce faisant, le Canada a également développé une expertise précieuse dans les missions policières internationales et la réforme des services de police.

Toutefois, l’engagement initial du Canada envers une approche intégrée dans le domaine de la sécurité a été progressivement abandonné. De plus, le fait d’avoir réaligné les priorités en matière de politique étrangère sans avoir au préalable formulé une stratégie nationale claire d’aide au développement, l’accent mis sur la nécessité d’obtenir rapidement des résultats tangibles et les changements institutionnels après 2012 ont réduit l’impact des efforts du Canada en Haïti. Cette situation a été dénoncée à maintes reprises par plusieurs partenaires, y compris le gouvernement haïtien. Considérant la situation actuelle entourant l’avenir politique d’Haïti et la présence internationale dans le pays, le Canada a besoin d’une nouvelle stratégie envers ce petit pays des Caraïbes afin d’assurer les progrès accomplis jusqu’à présent et d’éviter de commettre à nouveau les erreurs du passé.

L’engagement du Canada envers les États fragiles suggère que la rss est un projet de longue haleine. Un retrait prématuré de la présence internationale lors d’opérations de paix et d’interventions militaires peut en fait être contre-productif. Lorsqu’elle avait quitté Haïti en 2000, l’Onu avait laissé derrière elle une force de police jeune et inexpérimentée, finalement incapable d’assurer la sécurité et de maintenir l’ordre public. Quatre ans plus tard, Haïti était retombée dans une situation d’insécurité et d’instabilité chronique. La communauté internationale avait dû alors faire face à un défi encore plus grand et retourner à la case départ.

Haïti n’a pas réussi à atteindre les objectifs fixés par la communauté internationale. Cependant, il est important de noter que d’important progrès ont tout de même été accomplis et qu’Haïti constitue un cas particulièrement complexe du fait de sa longue histoire marquée par des échecs successifs d’édification de l’État. Les attentes des acteurs internationaux envers ce qui peut être réalisé à court et à moyen terme doivent donc être modérées. Réformer la pnh est une première étape cruciale vers la sécurité, la stabilité et le développement. Cette réforme est un processus de longue haleine qui exige un engagement important et clair de la part des principaux partenaires nationaux et étrangers. Le Canada a certainement acquis des compétences dans ce domaine et cela ne doit pas être ignoré. Toutefois, le renouvellement des efforts envers le secteur de la sécurité haïtien devrait aller au-delà de l’aide technique et inclure l’ensemble des institutions de sécurité formelles et informelles afin de contribuer à la sécurité et à la stabilité de l’ensemble du pays. En somme, c’est une vision cohérente et à long terme qui devrait guider les efforts canadiens envers le secteur de la sécurité haïtien.