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La réémergence de la Chine comme grande puissance mondiale est l’un des faits les plus extraordinaires des trente dernières années. Ce livre traite précisément du rôle contemporain de la Chine en Asie-Pacifique et en Asie centrale, prenant en tant qu’axe d’action politique et économique l’Organisation de coopération de Shanghai (ocs). L’ouvrage est divisé en deux parties ; la première contient 23 chapitres où sont analysés le rôle et l’impact régional de l’ocs et des pays qui la composent, selon leur statut dans l’Organisation. La deuxième partie, composée de quatre chapitres, aborde les caractéristiques des relations diplomatiques entre les membres, ainsi que les programmes de coopération et d’institutionnalisation de l’organisation.

Cet ouvrage est une réflexion sur l’importance d’une institutionnalisation multilatérale et sur l’intégration à travers la coopération. L’ocs rassemble le « coeur » de l’Asie centrale cinq nouvelles républiques indépendantes – Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan – ainsi que de grands acteurs contemporains, à savoir la Chine à l’est, la Russie au nord, l’Inde au sud, l’Iran et la Turquie, voire une partie du Moyen-Orient, à l’ouest.

L’ocs a été créée en 2001. Héritière du « Groupe de Shanghai » fondé en 1996, elle est perçue comme contribuant à la construction d’une région au lourd passé de conflits et de tensions d’origines et de nature diverses.

Selon Chabal, l’ocs représentait un effort de structurer la nouvelle Asie à la fin de la guerre froide. Les transitions économiques réussies après la crise de 1997, les bouleversements dans le domaine nucléaire après les essais indiens et pakistanais de 1998 et le programme iranien exigeaient aussi une structure de cette sorte. Les conflits en Afghanistan et des conflits internes (1992-1997) au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Kirghizstan auraient été apaisés par cette nouvelle organisation. L’Asie centrale, le coeur et la raison d’être de l’ocs, se situe aussi à la croisée des intérêts stratégiques des puissances mondiales. En ce sens, « si le 21e siècle doit être régional, il sera en grande partie centre-asiatique ».

Au-delà des différends et des conflits qui ont construit l’histoire de la région jusqu’à la fin de la guerre froide, l’ocs apparaît comme le partenaire grâce auquel la coopération devient possible entre ces États nations, indépendamment de leur état d’achèvement, et comme un espace régional de coopération où les petits et les grands États pourraient partager la puissance militaire et stratégique de la Russie ou la puissance économique de la Chine. Cependant, la charte de 2002, qui enjoint à ses membres de développer leurs interrelations, tend à renforcer la position des grands dans la mesure où ils ont plus de ressources et de capacités pour faire basculer les équilibres en leur faveur.

Les intérêts des États à intégrer l’ocs sont très divers : acquérir la liberté diplomatique pour la Mongolie, assurer son approvisionnement en énergie pour l’Inde, sortir de l’isolement ouest-asiatique pour l’Iran et, pour tous, favoriser une situation de pragmatisme vis-à-vis des grands voisins (Inde, Chine, Russie). Le Pakistan, quant à lui, veut maintenir la coopération sino-russe en acceptant les défis qu’impose la concurrence pour l’influence régionale, une dimension sectorielle subsumant les tensions régionales derrière un intérêt commun.

L’objectif de l’ocs est le multilatéralisme régional. Malgré cela persiste le bilatéralisme, dont l’énergie est l’un des axes majeurs. Ainsi, le thème énergétique révèle le vrai dessein et la vraie nature de l’ocs. Mais ce qui importe le plus, c’est l’impact sur la sécurité mondiale, car dans cette région du monde convergent cinq des neuf pays détenteurs de l’arme nucléaire.

Quelques réflexions permettent une synthèse des contributions des auteurs. Tout d’abord, l’ocs montre que la construction de régions dans le monde reste la plus grande dynamique d’attraction sur des pays qui font partie d’un même espace géographique.

La présence d’acteurs si distincts et divers dans leurs dimensions, ressources, capacités et potentialités rend nécessaire le consensus lors de la prise de décisions au sein de l’Organisation. Aucun transfert de souveraineté ou de compétence n’est envisageable, contrairement aux tendances intégrationnistes ou fédéralistes de plusieurs organisations internationales à l’ouest de l’Oural. Mais, d’après Chabal, l’ocs a su évoluer, en neuf ans, grâce à un raisonnement ambitieux : transformer la stabilisation des frontières en échanges transfrontaliers, évoluer vers une régionalisation capable de structurer les visions communes des enjeux, des dangers et des moyens d’y faire face. Il convient de souligner que la coopération a pacifié cette région qui n’a plus connu ni guerres, ni tensions militaires sérieuses, ni aucune instabilité réelle lors des vingt dernières années.

Pour cela, les relations entre l’ocs et la cica (Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie) sont fondamentales, car elles ont permis la création de relations nouvelles au plan qualitatif, c’est-à-dire au niveau de la coopération économique et de la sécurité militaro-politique.

Certains auteurs adoptent des approches pessimistes, en particulier envers la Chine, ce qui est un paradoxe en soi : bien que la Chine ait été le principal mentor de l’ocs, elle est perçue comme une grande puissance aux aspirations hégémoniques.

Le livre est important par deux aspects principaux. D’une part, il offre à l’Occident un regard sur les intérêts des pays de cet espace géographique envers leur environnement immédiat. D’autre part, il fournit une information succincte et à jour sur la situation de chaque pays membre de l’ocs qui englobe l’Asie centrale et l’Asie-Pacifique. Il nous offre ainsi une vue d’ensemble sur une organisation régionale peu connue.