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Dans ce numéro spécial, les chercheurs du Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité (cepes) de l’Université du Québec à Montréal proposent aux lecteurs d’Études internationales une collection d’articles organisés autour de la problématique de la sécurité et l’identité nationale.
Il s’agit des premiers fruits du cinquième projet collectif du cepes depuis sa création en 1991, entrepris dans le cadre de son thème général de recherche, l’évolution de la politique étrangère et de sécurité des grandes puissances depuis la fin de la guerre froide. Le point de départ du projet est très simple : le constat de l’importance de l’identité nationale dans la formation des intérêts des États, et en particulier, du lien étroit entre la définition de cette identité et la façon dont les dirigeants de l’État en question conçoivent la sécurité. Dans les approches classiques en théorie des relations internationales, en particulier le réalisme et le libéralisme, l’identité nationale est traitée ou bien comme un facteur marginal, voire négligeable, dans l’analyse du comportement des États, ou bien, au mieux, comme une donnée fixe. Quant aux liens entre identité nationale et sécurité, la question n’est presque jamais posée. Les approches néoréalistes et néolibérales, qui dominent la théorie des relations internationales depuis le début des années 1980, du moins en Amérique du Nord, négligent totalement l’identité dans leur modèle de l’État comme acteur unitaire et rationnel.
Depuis l’émergence, au milieu des années 1980, de ce que l’on pourrait appeler le tournant sociologique dans la théorie des relations internationales, l’identité devient une question importante, sinon centrale, dans plusieurs des nouvelles théories des relations internationales. C’est sans doute le constructivisme qui est l’approche théorique la mieux connue parmi celles qui ont mis l’identité au coeur de ses préoccupations ontologiques. Cependant, comme nous le démontrons dans notre introduction, qui propose un tour d’horizon de la problématique identité nationale/sécurité, le constructivisme, lui-même habité par plusieurs courants, est loin d’être la seule approche théorique à mettre l’accent sur le rôle de l’identité dans les relations internationales. Cette question commence même à intéresser certains adeptes des approches traditionnelles. Ainsi, les articles qui constituent ce numéro spécial reflètent ce pluralisme dans les réflexions sur les liens entre identité et sécurité, qui vont d’un positivisme, qui exprime un certain scepticisme sur la question, au constructivisme critique, en passant par un constructivisme plus orthodoxe.
Pour donner une certaine cohérence à des analyses qui empruntent des cadres théoriques assez divers, nous avons décidé de privilégier l’étude de deux situations récentes qui ont affecté profondément la façon de concevoir la sécurité, tout en provoquant de sérieuses réflexions sur l’identité nationale de la part de six États, les États-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Canada. Il s’agit, d’une part, du conflit du Kosovo du printemps et de l’été 1999 et, de l’autre, de la crise provoquée par les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone le 11 septembre 2001. Dans le cas du Kosovo, non seulement les protagonistes ont dû se poser des questions sur les enjeux pour la sécurité européenne, mais aussi, et surtout, sur les valeurs que l’on y défendait, sur la nature des rapports entre les uns et les autres, autrement dit, l’identité se trouvait au coeur des débats à l’intérieur de chacun des États participants et dans les discussions entre eux. En ce qui concerne les événements du 11 septembre, personne ne peut nier le fait que, pour tous les États qui nous intéressent ici, cette date soit devenue pour chacun un point tournant, du moins dans l’imaginaire, dans la façon de concevoir les menaces à la sécurité internationale et à la sécurité nationale. Le 11 septembre devient dès lors un de ces moments historiques auxquels chacun se sent obligé de se définir. Cependant, compte tenu de la signification exceptionnelle du 11 septembre pour un des États traités dans ce projet, les États-Unis, nous avons préféré centrer toute l’attention de l’article touchant ces derniers sur ces événements et leur impact sur l’identité nationale et la conception de la sécurité américaines.
Ce projet n’aurait jamais été possible sans une subvention importante du programme fcar, devenu fqrsc (Fonds québécois de recherche sur la société et la culture), dans le cadre de son volet équipes de recherche, et la subvention quinquennale du Forum sur la sécurité et la défense du ministère de la Défense nationale, qui permet au cepes de fonctionner comme groupe de recherche. Je tiens à saluer en particulier le travail de David Morin, étudiant inscrit au programme doctorat de science politique de l’uqam, qui a agi comme coordonnateur du projet, en rencontrant régulièrement les assistants de recherche, en les conseillant sur tous les aspects théoriques de leur travail, et en assurant le respect des échéances internes.