Comptes rendus : Théories, méthode et idées

Argument and Change in World Politics. Ethics, Decolonization and Humanitarian Intervention.Crawford, Neta. Cambridge, Cambridge University Press, 2002, pp. xv + 466[Record]

  • Andrew Linklater

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  • Andrew Linklater
    University of Wales, Aberstwyth

Les débats entourant ce que Crawford appelle « les possibilités d’une politique mondiale basée sur l’éthique » (p. 435) constituent des éléments fondamentaux de l’étude universitaire des relations internationales. Les théories réalistes et néo-réalistes du système auto-régulateur ont joui d’une influence considérable, mais les études néolibérales institutionnalistes, en abordant les perspectives de coopération dans une situation d’anarchie, ont semé des embûches importantes à l’endroit du scepticisme réaliste. En outre, les analyses de l’École anglaise portant sur la souveraineté, les droits de la personne et les interventions humanitaires ont exploré dans quelle mesure les considérations relatives à la justice ont façonné l’évolution de la société internationale. Les approches constructivistes et de théories critiques ont pu mettre en évidence les possibilités d’une démarche morale face à des contraintes structurelles réputées immuables. Les efforts visant à rétablir une telle démarche se sont rajoutés à la recherche des réexamens des notions de raison, d’éthique et de progrès dans le contexte de la politique mondiale. Toutefois, un intérêt prononcé face à des perspectives de versions plus humaines de gouvernance mondiale a pénétré la plupart des développements théoriques les plus importants des vingt dernières années, en dépit de désaccords et de divergences continus sur la signification de « politique mondiale basée sur l’éthique ». Crawford ne défend pas une quelconque version de réductionnisme éthique. Son analyse explore plusieurs causes et elle reconnaît justement dans quelle mesure la complexité des interactions entre les facteurs sociaux, économiques et politiques influence le rôle causal des engagements éthiques. Ce dernier aspect profite cependant d’un niveau important d’autonomie relative dans l’argumentation de l’auteure. Les idéologies coloniales dominantes de la première vague d’expansion coloniale ont mis en évidence des contrastes prononcés entre les chrétiens européens civilisés et les païens barbares. Le droit de coloniser et de brutaliser a été réclamé selon le principe d’une cosmologie religieuse qui n’a jamais été scellée hermétiquement, puisque les défendeurs des peuples nouvellement découverts ont mis en évidence les similarités humaines, ainsi que le « sous-développement » moral et culturel de ces peuples. Au cours des siècles suivants, l’attention des auteurs religieux et des réformateurs moraux est passée de la cruauté de la main-d’oeuvre forcée à l’horreur de l’esclavage humain, pour ensuite tourner à l’injustice de l’exploitation coloniale et du règne impérial. Les changements à long terme dans le fondement du raisonnement éthique se sont produits, du moins en partie, grâce à une dynamique particulière au domaine de l’argumentation. Crawford souligne l’importance du raisonnement analogique (p. 99) et du « cohérentisme » (p. 113). En somme, les acteurs sociaux ont subi une certaine pression pour se conformer aux mêmes principes moraux dans des circonstances assez similaires. En effet, selon Crawford, le changement éthique s’est produit, dans la plupart des cas, parce que de nouvelles orientations sociales semblaient être entièrement conséquentes par rapport aux principes moraux déjà enracinés – et même exigées par ceux-ci. Les réformateurs religieux et moraux se sont opposés à la cruauté de la main-d’oeuvre forcée et se sont immiscés dans le processus afin de faire reconnaître les notions d’égalité entre les humains. Les efforts visant d’abord à délégitimer les pratiques dominantes ont réussi, puisque les idées morales dominantes pouvaient être exploitées à cette fin. Mais les affronts à l’esclavage, à la main-d’oeuvre esclave et à la domination impériale n’ont pas seulement triomphé en raison d’une réaction sociale accrue par rapport à la notion d’Habermas de « la force non provoquée du meilleur argument ». Le changement s’est aussi opéré grâce au rôle des émotions. Les chefs moraux et religieux sont passés de la défense du colonialisme à l’argumentation d’une plus grande empathie à l’endroit …