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Cet ouvrage collectif réunit des contributions qui entrent bien dans le cadre de l’étude des transformations normatives et institutionnelles de la planète. L’objectif est de réunir des contributions autour des liens entre les questions économiques, la mondialisation et les questions de sécurité prises au sens large du terme. L’intérêt est bien de pouvoir embrasser les différentes réponses de certains États et groupes régionaux face au dilemme premier : quelle attitude et quelle approche les États ont-ils ou vont-ils adopter face à la stratégie américaine de réorganisation des relations et des institutions économiques internationales ? Suivre les États-Unis ou s’engager sur une autre voie ? Les analyses sont ici plurielles et les postures différenciées, à partir d’études de cas de pays aussi différents que le Japon, le Mexique, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud ou les entités régionales comme l’Amérique latine et l’Union européenne.

Pour Washington, le régionalisme économique comme le projet de Zone de libre-échange des Amériques (zlea) sert à faire avancer les intérêts des usa sur la scène économique internationale, d’autant que le régionalisme ne peut être dissocié de la mondialisation économique. En d’autres termes, toute stratégie de puissance doit être en interaction avec celle des entreprises transnationales, en maintenant des synergies avec l’Europe et le Japon dans les affaires économiques mondiales. La politique régionale devient dès lors multidimensionnelle et un levier pour avancer dans les négociations commerciales multilatérales.

Néanmoins, cette stratégie américaine ne peut contrôler parfaitement le jeu de la concurrence tandis que les événements du 11 septembre 2001 ont obligé les États-Unis à dissocier la sécurité classique de la sécurité économique, de réaffirmer la vieille stratégie des alliances militaires, politiques et commerciales, tout en associant les menaces non traditionnelles au volet « démocratie ».

En évitant de choisir entre l’approche « géoéconomique » et le concept de « nouvelle diplomatie commerciale », la méthodologie empruntée prend appui sur les deux modèles et laisse aux auteurs le soin de privilégier l’un ou l’autre ou de jouer sur les « deux tableaux ». Mais Deblock et Turcotte ne sont pas dupes que la géoéconomie occulte difficilement une autre réalité qui est que l’État n’est pas toujours rationnel, n’a pas nécessairement de logique d’entreprise alors que la mondialisation n’apporte pas nécessairement de sécurité économique. Quant à l’approche diplomatique sectorielle sur la transnationalisation qui devrait réduire la visibilité étatique, elle laisse dans l’ombre le rôle de l’État au profit d’un économisme rigide et marxisant, tout en occultant un principe de réalité selon lequel l’excès de compétition engendre des demandes institutionnelles de protection.

À partir d’une série d’études de cas, les différents auteurs aboutissent à plusieurs constatations : les États conçoivent leur sécurité économique de manière différente en fonction de leurs ressources et de leur position dans le système international, ce qu’illustre parfaitement la comparaison des politiques brésiliennes et mexicaines. De même que la recherche de sécurité ne passe pas nécessairement par la stabilité économique. On peut aussi troquer la souveraineté nationale contre un certain degré de sécurité économique en tablant sur le régionalisme (alena, apec, ue, mercosur) qui permet de discipliner les groupes privés locaux, gérer les conflits entre factions politiques et renforcer l’autonomie associée à la sécurité économique.

Structuré en trois parties – l’intégration des Amériques, les liens transatlantiques, les rivalités asiatiques – le livre collectif aborde à chaque fois les hypothèses relatives au degré d’intégration économique dans des ensembles plus larges et au degré d’autonomie politique et commerciale face aux grandes puissances économiques mondiales.

Du panaméricanisme aux fondements de l’opposition brésilienne à la zlea, de la politique commerciale mexicaine prise dans les tenailles nord-américaines, du projet d’intégration continentale (Sommet des Amériques) jouant des fortes asymétries économiques du cône Sud en passant par les liens entre démocratie et marché en Amérique latine, la première partie nous dévoile des paysages économiques disparates et des stratégies de contrôle.

Dans la seconde partie, d’autres contributeurs examinent la politique commerciale de l’Union entre l’alignement et l’autonomie où l’intégration se construit à travers les crises, la montée de la politique européenne de sécurité et de défense, avec la mise en évidence de la coopération militaire comme premier processus d’autonomie et de fédéralisation dans le long terme, et enfin la question de la « transatlantisation » de l’industrie de défense où la logique industrielle restreint la marge de manoeuvre des gouvernements assistant à l’approfondissement du fossé technologique transatlantique.

Enfin, la troisième partie analyse les rivalités asiatiques où la Chine joue un rôle international de plus en plus marqué en matière économique en développant une coopération Sud-Sud pour garantir son leadership, au prix d’un jeu ambigu de Pékin vis-à-vis de l’apec et de l’omc. Parallèlement, le nouveau leadership japonais tente de canaliser la politique « impériale » chinoise dans l’économie de l’Asie orientale en soutenant son entrée dans l’omc. Quant à la fragilité économique de la Corée du Sud, elle implique une libéralisation de l’économie et une participation plus active au régionalisme économique asiatique, nonobstant la permanence du relationnel à dépendance asymétrique Corée-usa.

Ouvrage aux contributions disparates comme souvent dans les ouvrages collectifs, la richesse des interprétations reste de mise dans un domaine hautement stratégique. Sans répondre à la question du titre de l’ouvrage, car les trajectoires seront différentes selon les États et les zones économiques régionales, l’exercice entrepris apporte une bonne contribution aux liens qui coexistent entre la sécurité commerciale et la sécurité globale.