La normalisation des relations entre le Canada et la République populaire de Chine vue par les diplomates français (1968-1970)[Record]

  • Bernard Krouck

C’est dès le printemps 1968 que le premier ministre, Pierre Elliott Trudeau, a affirmé sa volonté de mettre un terme à la situation, anormale à ses yeux, qui prévalait entre la Chine et le Canada. Comme en témoignent les archives diplomatiques françaises sur lesquelles cet article se fonde, le chemin vers la reconnaissance par Ottawa du régime de Pékin et l’établissement de relations diplomatiques pleines et entières fut long et ardu. Pourtant, Pierre Elliott Trudeau avait laissé entendre dès le départ que sa politique serait volontariste et qu’elle avait pour but de s’insérer dans un processus de détente internationale. Le Canada et la Chine Populaire ne s’ignoraient pas, du reste. Quand le « Grand bond en avant » lancé à l’initiative de Mao avait tourné à la catastrophe humanitaire, entraînant la plus grave famine de l’histoire humaine, les dirigeants chinois avaient fini par se résoudre à acheter des céréales à l’étranger, particulièrement au Canada, le commerce avec les États-Unis étant impossible pour des raisons politiques. De même, il existait au Canada une petite communauté chinoise, plutôt favorable il est vrai à la Chine nationaliste... C’est le 10 mai 1968 que le premier ministre Trudeau prononce une allocution devant le Conseil des industries forestières de la Colombie-Britannique, réuni à l’hôtel Bayshore de Vancouver. Le choix de l’auditoire et du lieu n’est pas indifférent. Trudeau veut le soutien des influents milieux d’affaires de la côte ouest, intéressés par l’élargissement de leurs exportations vers l’Asie et le Pacifique. « J’ai parlé en maintes occasions de nos relations avec la Chine continentale. La situation actuelle où un gouvernement qui représente le quart de la population du globe est isolé diplomatiquement des pays mêmes avec lesquels il fait des échanges commerciaux est évidemment peu satisfaisante », déclare le Premier ministre. Et il ajoute : « Je serais en faveur de toutes mesures, y compris la reconnaissance officielle à des conditions appropriées, qui pourraient intensifier les contacts entre nos deux pays et ainsi normaliser nos relations et contribuer au maintien de l’ordre et de la stabilité internationale. » À la fin du mois de mai 1968, alors que la France n’est pas encore vraiment sortie des « évènements », l’Ambassadeur du Canada à Paris entreprend une démarche concernant le problème des relations avec la Chine Populaire. Jules Léger est reçu sur sa demande le 28 mai 1968 par le directeur d’Asie-Océanie, Étienne Manac’h. Celui-ci explique dans un compte rendu : Ce qui intéresse par-dessus tout l’émissaire canadien, c’est de savoir si Ottawa pourrait obtenir « que des relations diplomatiques puissent être concurremment aménagées avec Pékin et Taipei », car le Canada entretient alors des relations diplomatiques avec la Chine de Chiang Kaï-chek. Le diplomate français ne laisse guère d’espoir à son interlocuteur : « Une telle initiative ne comportait aucune chance de succès. La Chine Populaire était opposée à la conception des deux Chine et les gouvernements des deux parties de la Chine avaient prétention l’un et l’autre à représenter juridiquement l’ensemble chinois. » Sur ce, Pierre Elliott Trudeau précise et affine son propos. Le 31 mai 1968, il affirme que l’objectif demeure de « reconnaître le gouvernement de la République populaire de Chine aussitôt que possible et de permettre à ce gouvernement d’occuper le siège de la Chine aux Nations Unies sans oublier qu’il y a un gouvernement à Taïwan ». À Ottawa, l’Ambassadeur de France a ce commentaire : « Il semble que la netteté de ce propos conduira le Canada à voter pour la première fois en faveur de l’admission de Pékin lors de la prochaine Assemblée générale de l’onu …

Appendices