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Très à propos cette collection de 11 essais présentés lors d’un colloque organisé conjointement en 2002 par le Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité de l’uqam (cepes) et du Groupe de recherches et d’études en sécurité internationale (gersi) de l’Université de Montréal. L’ouvrage, paru en 2003, présente les enjeux politiques, administratifs et militaires de la défense des frontières après les événements du 11 septembre 2001. L’objectif poursuivi par ceux qui ont dirigé la collection était de comprendre la magnitude des changements survenus dans la gestion de la sécurité autant en Europe de l’Ouest qu’en Amérique du Nord, afin de mieux appréhender les défis présentés pour un pays comme le Canada.

L’ouvrage représente une riche collection, qui réunit des contributions de spécialistes reconnus internationalement, d’autant plus impressionnante que se côtoient des anglophones et des francophones. En tout, onze contributions sont répertoriées, avec deux parties principales. La première, portant sur l’Amérique du Nord, regroupe des analyses de la défense et la lutte contre le terrorisme (King), la gestion des frontières (Andreas) et la dynamique frontières-immigration (Heynen). La deuxième partie reprend une logique semblable pour l’Europe, avec toutefois l’accent mis sur la sécurité interne et les frontières (Deighton, Bigo, Crépeau) et un chapitre sur les questions de défense (Howorth). Un chapitre d’ouverture, par Albert Legault, pose les enjeux du terrorisme globalisant pour la conception et les stratégies de protection et de sécurité. Un dernier chapitre, celui de David Haglund, s’interroge sur la position et la stratégie du Canada dans le contexte actuel de continentalisation de la défense. Certaines des contributions se font remarquer, non seulement en raison de la notoriété des spécialistes sur le plan international (Bigo, Andreas, Legault, Crépeau), mais surtout pour la justesse de leur analyse. Didier Bigo par exemple développe dans son chapitre la thèse selon laquelle des espaces de pouvoir bureaucratique se concrétisent au fur et à mesure que la coopération policière prend de l’ampleur et élargit ses domaines d’action. Des archipels ou réseaux de coopération entre divers services de police émergent et constituent un pouvoir important influençant les développements de la coopération européenne en matière de sécurité. La conséquence principale de l’émergence de ces réseaux consiste à « dé-différencier » les univers policiers et militaires de la sécurité, les domaines interne et externe. Peter Andreas souligne la coexistence d’une logique économique et d’une autre, sécuritaire, entourant la gestion de la frontière en Amérique du Nord. Enfin Jeff Heynen souligne le nouveau paradigme de la gestion du risque qui s’est implanté aux États-Unis et les défis posés par cette nouvelle approche.

La profondeur de certaines des analyses permet de compenser un défaut véniel de l’ouvrage, à savoir l’immédiateté de l’information fournie qui risque d’être rapidement dépassée par les événements. La collection offre ainsi une foule de renseignements importants pour ceux et celles qui suivent de près les développements de politiques dans le domaine de la défense et de la gestion des frontières, que ce soit les politiques mises en place dans le cadre des accords entre le Canada et les États-Unis sur la coordination de leurs frontières ou les développements récents de l’Union européenne en matière de contrôle des frontières. Les directeurs de la collection ont visé juste en présentant à la fin de l’ouvrage deux chronologies sommaires portant respectivement sur le périmètre de sécurité nord-américain depuis 1999 et sur la sécurité en Europe depuis 1992. Ce bref retour en arrière permettra à l’ouvrage de rester pertinent plus longtemps.

Cet ouvrage a deux qualités majeures. D’abord, toutes les contributions sont publiées en français, même celles qui étaient en anglais à l’origine. Une source inestimable pour les enseignants soucieux d’offrir à leurs étudiants des références en français sur les questions de sécurité, de frontière et de terrorisme. Ensuite, l’ouvrage offre des analyses très diversifiées s’attachant tant à la documentation des changements survenus qu’à des questionnements plus critiques par rapport aux stratégies déployées par les États. Certaines contributions s’adressent plutôt aux praticiens, telle celle de Michel Fortmann en introduction qui s’interroge sur la capacité pour le Canada de conserver l’initiative en matière de défense dans le contexte de la continentalisation de la sécurité de part et d’autre de l’Atlantique. Haglund reprend le même type de questionnement. D’autres analyses vont dans des directions différentes, plus critiques ou théoriques. La contribution de Crépeau par exemple insiste sur les dérapages en termes de droit de la personne, de la criminalisation de la frontière. Bigo quant à lui déconstruit les politiques de surveillance et de contrôles criminels pour en faire ressortir les nouveaux lieux de pouvoir émergent. Enfin, les chapitres portant sur les missions de Petersberg qui se trouvent au coeur d’une éventuelle politique de défense de l’Union européenne (Deighton et Howorth) ou sur les politiques frontalières américaines (Heynen) offrent une documentation importante des récents développements et de leur mise en contexte.

La diversité des contributions est toutefois insuffisamment mise en relief par ceux qui ont dirigé l’ouvrage, dans la mesure où la vue d’ensemble qu’ils tentent d’offrir dans l’avant-propos, mais aussi dans les chapitres d’introduction et de conclusion, se situe beaucoup plus sur le plan des enjeux concrets pour les praticiens au Canada.

Les praticiens pourraient être un public cible de cet ouvrage, l’élément de comparaison avec l’Europe étant en ce sens un apport important de réflexion. Il est dommage cependant que la comparaison ne soit pas étendue aux Amériques. Dans une conjoncture où même l’Organisation des États américains en est à réfléchir sur la sécurité continentale, un chapitre sur les développements et les enjeux de la sécurité dans l’hémisphère occidental aurait été opportun.

Si l’autre public cible est sans conteste les étudiants francophones du Canada et d’ailleurs voulant suivre de près et en français les développements dans le domaine de la sécurité, ils seront sans doute ennuyés par les traductions souvent approximatives et parfois incongrues d’expressions consacrées ou de nom d’organismes. Ainsi global agenda est traduit par « ordre du jour mondial » plutôt que par question centrale ou dominante. Le nom de l’organisme créé au lendemain du 11 septembre, la Coalition for Trade Efficient Borders, est traduit par Coalition pour des frontières sûres et propices à l’efficacité commerciale (p. 60) ou encore par Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces (p. 84). Un travail de révision plus serré des traductions aurait été bénéfique.