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Depuis l’adoption du Traité de Maastricht, les États membres de l’Union européenne s’efforcent de définir et de mettre en oeuvre une politique étrangère et de sécurité commune (pesc). S’appuyant sur les atouts économiques et commerciaux de l’Europe, cette politique intègre une dimension sécurité/défense et vise à transformer l’Union en puissance agissante. Si le 11 septembre 2001 a ouvert une période de crises et d’incertitudes qui rend plus difficile l’affirmation de la pesc, la perspective d’une montée en puissance d’une Europe politique et militaire reste conforme à la logique de l’histoire.
Le but de cet ouvrage est d’établir à quel stade de son développement la pesc est parvenue, en faisant le bilan de ses réalisations après presque dix années de mise en oeuvre du traité de l’ue. Durant cette période les pays européens ont accompli des progrès, modestes selon Terpan, mais réels. S’il est excessif de conclure à l’inexistence de la pesc, l’affirmation de l’Europe sur la scène internationale reste épisodique et d’envergure limitée. Une réforme institutionnelle et organisationnelle de l’Union et de son pilier politique étrangère peut apporter des solutions. Fabien Terpan s’interroge sur la volonté politique de tous les États membres à améliorer la pesc et souligne le fait que le développement de l’Europe, en tant qu’acteur international, passe encore trop souvent après la défense des intérêts nationaux et des liens transatlantiques.
Ce livre s’inscrit dans le débat qui oppose les États européens partisans d’une politique étrangère et de défense autonome de celle des États-Unis et ceux qui ne souhaitent pas remettre en cause le lien existant. Fabien Terpan fait en quelque sorte le bilan de ces positions et s’interroge sur la capacité de l’Europe à devenir un acteur politique de premier plan dans le monde.
L’ouvrage est divisé en deux grandes parties. La première, divisée en trois sous-parties et sept chapitres, traite de l’affirmation de l’Union européenne en tant que puissance. L’auteur commence par aborder le thème de la connexion des politiques externes et la voie empruntée vers l’affirmation d’une puissance globale. Il constate une polarisation croissante des relations extérieures de l’ue mais ce phénomène conduit à terme à cette conclusion : si l’éclatement de l’ue en piliers ne répond pas à la logique d’une politique extérieure unifiée sans barrières économiques, politiques ou militaires, les pratiques de connexion des politiques externes interviennent pour compenser l’essence d’une unité normative et institutionnelle.
Une puissance globale ne saurait être complète sans sa dimension sécurité/défense traitée dans la deuxième sous-partie. Ce thème inclut notamment la prévention et la gestion des conflits et le constat des lacunes européennes à combler. La nouvelle architecture de sécurité communautaire devra également résoudre le problème des relations avec les États-Unis. Les Américains ayant une position réservée, voire hostile à une autonomie européenne en matière de défense. Pour Terpan, l’ue devrait être en mesure de s’affirmer non pas comme une puissance sélective bornée à l’économie et au commerce, mais comme une puissance véritablement globale, y compris militaire, capable d’établir les connexions indispensables à la conduite d’une politique extérieure efficace.
La troisième sous-partie analyse la dimension opérationnelle de la pesc notamment par une description des déclarations et des positions communes et par une analyse critique des actions extérieures menées par l’ue, notamment en Bosnie ou au Proche-Orient. L’Europe devrait faire à l’avenir une utilisation plus rationnelle des différents instruments à sa disposition. L’auteur différencie la diplomatie du verbe, par laquelle l’Union entend affirmer des intérêts mondiaux par une coopération systématique des déclarations et au besoin des positions communes (chap. 1), et la diplomatie de l’action, dans le cadre de laquelle l’Union se réserve la possibilité, lorsqu’elle l’estime nécessaire, de mener une action opérationnelle en usant des instruments appropriés (chap. 2).
La deuxième partie de l’ouvrage, divisée en deux sous-parties et quatre chapitres, décortique le fonctionnement de la pesc et évalue la capacité de l’ue d’agir en tant que puissance globale. Fabien Terpan commence par décrire la capacité d’action extérieure offerte par la pesc à l’Europe, notamment sa capacité d’élaboration et sa capacité d’exécution. Il souligne également la crise du cadre institutionnel actuel qui a pour effet de bloquer les décisions unanimes favorisant une incapacité à parler d’une seule voix à l’extérieur. Confrontés à une crise majeure, comme celle que nous avons connue pendant la guerre américaine en Iraq, la pesc joue un rôle effacé et a montré ses propres limites.
Dans la deuxième sous-partie, le nécessaire renforcement de la capacité d’action extérieure est ainsi souligné. Il s’agit d’abord d’un renforcement institutionnel : les améliorations apportées par les traités d’Amsterdam et de Nice se révèlent déjà insuffisantes et la règle de la majorité devra s’imposer sur la règle de l’unanimité. L’institutionnalisation de la pesc n’aura servi à rien, selon Terpan, si les États membres ne font pas usage des moyens nouveaux dont ils se sont dotés. Si le renforcement de l’action extérieure peut passer par des solutions institutionnelles, il repose en grande partie sur la volonté commune, qui devra favoriser l’intérêt commun au détriment des intérêts nationaux.
En conclusion, ce volume, très complet, recèle nombre d’analyses et d’informations pertinentes et variées sur le fonctionnement de la politique étrangère européenne qui intéressera les chercheurs qui suivent l’évolution de la construction européenne. Si l’ue n’est pas encore une superpuissance politique sur le modèle américain, pour Terpan, elle se rapproche du but. L’évolution, forcément à long terme, serait selon lui irrémédiable. Sa position, volontariste et convaincante, contient aussi des éléments de faiblesse dans l’analyse : l’auteur parle de manque de volonté politique, mais ne s’attarde guère sur la volonté réelle des Européens à vouloir construire une puissance rivale de celle des États-Unis, comme si celle-ci allait de soi. Les sociétés post-modernes européennes actuelles souhaitent-elles ainsi davantage se rassembler autour d’un projet d’Europe/puissance à l’américaine ou autour d’un projet plus avant-gardiste de paix collective et de bien-être partagé ?