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La liberté d'expression est « une liberté-carrefour, qui conditionne l'exercice de bien d'autres libertés ». L'ouvrage proposé présente, dès lors, un intérêt certain pour ceux qui cherchent à instaurer ou à perfectionner une société démocratique.

Le professeur Gérard Cohen-Jonathan a rédigé la préface de cette thèse actualisée. Le sujet, délimité aux sociétés démocratiques, prolonge la recherche du professeur Robert Pinto sur « la liberté d'information et d'opinion en droit international » parue en 1984. L'auteur s'attache aux règles juridiques européennes et internationales pour exposer l'état du droit de la liberté d'information des journalistes. Précisément, ses développements se nourrissent de soft law, de droit international conventionnel et de jurisprudence internationale. En outre, A. Guedj n'hésite pas à prendre position dans la controverse relative à la place du droit international dans l'ordre juridique français en adoptant - de manière péremptoire - la logique moniste.

La problématique adoptée est captivante car elle démontre les deux visages de la liberté d'expression. Elle a, en effet, comme Janus, deux visages. D'un côté, elle accorde des libertés dont la protection est relative ; de l'autre côté, elle implique des responsabilités dont les conséquences juridiques sont, en revanche, lourdes.

La première partie, consacrée aux libertés journalistiques, s'attache, dans un premier titre, à la liberté la plus importante du journaliste : la liberté d'information. L'auteur retrace, tout d'abord, la genèse de la liberté d'information en étudiant les textes déclaratifs et conventionnels de portée universelle et régionale. Reconnue au xviiie siècle, en France notamment, comme une liberté de nature politique appartenant à tout individu, le droit positif n'avait pas alors fixé le statut de bénéficiaires particuliers en l'occurrence celui des journalistes. Ensuite, il démontre que l'interprétation téléologique de la charte internationale des droits de l'Homme et de la convention de Rome de 1950, par les juges international et européen, a permis d'ériger le journaliste « en destinataire privilégié » de la liberté d'information. Dans le soft law, le journaliste est devenu, par nécessité, sujet de droit à la liberté d'information pour assurer la recherche, la communication et la réception des informations et des idées. Mais, Guedj regrette, à raison, le défaut d'inscription des libertés des journalistes dans le droit conventionnel. Certes, la juridictionnalisation prudente par la Cour européenne des droits de l'Homme des libertés journalistiques constitue un progrès, mais la juridicisation lui donnerait un fondement incontestable et constituerait un gage de sécurité juridique. Le juriste déplore le défaut de reconnaissance par le droit positif de la « fonction sociale » assumée par les journalistes, qui justifie selon lui l'existence d'un statut particulier à leur profit. Cette lacune de l'état du droit se retrouve dans le deuxième titre relatif à l'investigation journalistique, qui constitue le « baromètre de la liberté d'information ». Cette deuxième prérogative du journaliste est présentée, à partir de la liberté de recherche des informations et son corollaire le secret des sources journalistiques, seule garantie juridique, d'ailleurs, a avoir été accordée explicitement aux journalistes. Au nom des différences de situations entre les journalistes et les citoyens et en vertu de l'intérêt général, le docteur en droit réclame la reconnaissance de la personnalité juridique du journaliste. Cette exigence est, de surcroît, légitimée par le fait que les libertés journalistiques sont insuffisamment définies alors que les responsabilités des journalistes sont lourdes.

La seconde partie de l'ouvrage traite des responsabilités des journalistes. Pour cette raison, le premier titre explique que la diffusion des informations et des idées ne doit pas attenter à l'intérêt général. Aussi, la liberté de la presse est-elle encadrée par le principe de vérité de l'information et le principe de non-discrimination raciale. Le deuxième titre justifie les limites au droit de la presse fondées sur la sauvegarde des intérêts particuliers, en l'occurrence le respect de la vie privée et la présomption d'innocence. À la lumière de ces éclaircissements, force est de constater que les intérêts particuliers bénéficient d'une meilleure protection.

Dans la conclusion générale, le chercheur plaide pour une définition conventionnelle de la presse afin d'assurer un rééquilibre entre la relative reconnaissance des libertés et le poids des responsabilités assumées par les journalistes. Cette évolution améliorerait le statut des journalistes et consoliderait l'État de droit.

Plus précisément, il conclut à la nécessité de réaliser des progrès en matière de reconnaissance des libertés journalistiques et d'alléger la mise en oeuvre des responsabilités des journalistes.

Sur le fond, le choix du plan aurait certainement mérité de plus longs développements. Il aurait été souhaitable notamment d'éclaircir les notions de « liberté » et de « responsabilité » d'autant que l'absence de fidélité entre le singulier - employé pour le titre du premier de couverture - et le pluriel - des intitulés utilisé dans le corps du livre - désoriente quelque peu le lecteur.

Sur la forme, s'il est loisible de contester l'usage majestueux du « nous », le style est agréable et facile à lire. L'architecture de la thèse est, de plus, solide : elle est soutenue par des introductions et conclusions soignées et des intitulés recherchés. Néanmoins, l'absence de conclusion de la deuxième partie est d'autant plus ressentie que celle de la première partie est longue et structurée. S'agissant de la bibliographie, elle est abondante malgré la sélection affichée. On peut regretter l'absence d'index thématique et de table des jurisprudences commentées.

Toutefois, les praticiens et les universitaires sont vivement invités à consulter ce travail de recherche rigoureux et passionnant.