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Même si la paradiplomatie n’est pas nouvelle, les acteurs sous-nationaux déploient aujourd’hui une activité accrue dans ce domaine. Leur activité est souvent minimisée, comme si ces entités subétatiques n’étaient pas des acteurs internationaux. Le concept de paradiplomatie, qui signifie la poursuite d’activités étrangères diplomatiques d’États fédérés ou de régions, est lui-même contesté, les termes de microdiplomatie ou de diplomatie à paliers ou à voies multiples lui étant parfois préférés. En fait, il existe plusieurs modes de paradiplomatie, des relations transfrontalières croissantes à la protodiplomatie (qui définit la politique étrangère d’un État subétatique qui entreprend une démarche d’autonomie ou d’indépendance). C’est un phénomène urbain, profond, permanent.

Traditionnellement, les relations internationales font référence à la notion de puissance et de pouvoir. Cette conception perd de sa pertinence dans un monde soumis au processus de la globalisation économique. Les acteurs paradiplomatiques ont une large autonomie et ils agissent plus facilement qu’un État indépendant. Ils peuvent prendre des décisions fermes sur des sujets très délicats, notamment pour défendre le respect des droits de l’homme. Leur gamme d’action est large, à l’exception notable de leur participation dans les organisations internationales et du recours possible à la force militaire. Par contre, les acteurs paradiplomatiques ne sont pas toujours reconnus comme acteurs internationaux par le droit international. Ils doivent négocier avec le pouvoir central pour avoir une place sur un strapontin. Dans ce contexte, la paradiplomatie peut révéler de nombreux conflits internes et des dissonances externes.

« La paradiplomatie met donc en péril la construction westphalienne des relations internationales, construction déjà passablement effondrée, il est vrai, suite aux effets de la mondialisation et de l’accélération des flux transnationaux » (p. 22). L’approche du Two-Level game de Putman met en évidence le fait que, dans de nombreuses situations, l’État négocie souvent simultanément avec les acteurs internationaux et avec les entités subétatiques, notamment dans les pays démocratiques. Dans ce contexte, la paradiplomatie est un facteur de puissance, puisque l’État est conforté par le soutien de ses composantes. Des régions comme le Québec, la Wallonie, la Flandre ou la Catalogne aspirent à une ouverture vers l’extérieur, ce qui n’est pas facile sur une scène internationale dominée par les États-nations.

Dans une première partie, Stéphane Paquin met en évidence trois causes fondamentales à l’activité des entités subétatiques : le commerce international, l’internationalisation et l’intégration régionale et la montée de l’identitaire. La seconde partie aborde l’importance du phénomène paradiplomatique dans les relations internationales, ses effets sur les relations interétatiques contemporaines et les questions de sécurité nationale et internationale.

La stabilité du régime politique en place est un gage de bon fonctionnement du système politique. Elle permet de créer un climat de confiance. Cependant, la paradiplomatie du commerce met en évidence la concurrence entre les territoires, notamment pour l’implantation des firmes. Dans ce contexte, les régions défendent leurs intérêts particuliers, aussi bien face aux acteurs économiques mondiaux que pour les choix des investissements dans les régions d’un même pays. L’intérêt national au niveau économique n’est pas jugé suffisant par les acteurs subétatiques. C’est le cas du Québec, de Montréal même, qui participent à des visites officielles des chefs d’État. L’Alabama a décidé de financer l’implantation de la firme Mercedes-Benz, pour emporter cet investissement au détriment des autres États fédérés candidats. Les firmes multinationales font jouer la concurrence et elles tiennent compte des facteurs culturels et linguistiques. En Europe, les relations entre les régions se multiplient, sans passer par le niveau central. Il en va de même pour les grandes mégapoles qui rassemblent à elles seules 80 % des connaissances scientifiques mondiales et réalisent 90 % des opérations financières et 85 % des échanges mondiaux. Le retour au régionalisme et aux villes commence à limiter le rôle des États. La métropolisation des économies favorise ces relations particulières qui ne bénéficient plus à l’ensemble de la collectivité nationale.

La diplomatie régionale peut, dans certains cas, poser des problèmes aux législations nationales et internationales. Ainsi, le gouvernement de l’Ontario a contesté la constitutionnalité de l’alena qui remettait en cause ses compétences dans les secteurs du travail, de l’environnement, des services et des institutions financières. Il existe des organismes qui défendent les intérêts régionaux au-delà même des compétences nationales et ils sont souvent représentés dans les instances communautaires. Dans certains cas, la Flandre agit selon la logique d’un État souverain. Et les États membres ne monopolisent plus la scène communautaire.

La paradiplomatie identitaire fait référence au nationalisme, en vue du renforcement de la nation minoritaire. Les régions mènent alors des politiques spécifiques et autonomes qui dépassent les frontières nationales. Le Québec n’a pas endossé le libre-échange en dépit de son nationalisme, mais plutôt à cause de celui-ci. La Catalogne se bat pour sa langue et pour que l’étranger sache que cette région n’est pas l’Espagne. Dans ce cadre, les actions des entités subétatiques profitent de la mondialisation ou de l’européanisation pour souligner, sauvegarder et défendre leur identité.

L’importance internationale de la paradiplomatie dépend des pays : elle peut être minimale au Danemark ou en Grèce, mineure en France et aux États-Unis, majeure en Allemagne et en Autriche avec les Länder, maximale lorsqu’elle fait référence à une identité spécifique (Catalogne ou Québec) et protodiplomatique lorsqu’il s’agit d’un stade transitoire vers un État souverain (ce qui pourrait arriver en Belgique).

Les États souverains ont perdu le monopole de la conduite des relations internationales. En effet, les régions et les grandes villes ont des relations économiques, politiques et culturelles spécifiques, qui ne répondent pas nécessairement aux desiderata du gouvernement central. Ainsi, les Länder ont développé d’importantes politiques de coopération transfrontalière et transrégionale. En Belgique, il y a trois types de traité : ceux qui sont de la compétence exclusive du gouvernement, ceux qui relèvent des compétences communautaires ou régionales et qui sont conclus par les communautés ou les régions et ceux qui impliquent l’accord commun entre les autorités centrales et les unités subétatiques. Le Québec conteste parfois la suprématie d’Ottawa en matière de politique étrangère et il souhaite pour le moins un partage des responsabilités.

Enfin, dans le domaine militaire, certaines villes américaines se sont déclarées opposées aux guerres des États-Unis à l’étranger, à la suite de référendums. Les désaccords sur la politique avec l’Union soviétique, le Honduras, la Libye ou Cuba ont été aussi l’occasion de conflits. Cependant, la Cour suprême a toujours donné raison au Président américain. Les exemples sont nombreux sur ces conflits, qui témoignent de la nécessité d’une nouvelle réflexion de la législation internationale sur ce thème.

Le livre de Stéphane Paquin, produit lié de sa thèse, est à la fois bien écrit et intéressant. On peut certes lui reprocher d’ouvrir souvent des portes déjà ouvertes depuis longtemps, mais il est vrai que dans le monde en mutation d’aujourd’hui il est souvent préférable d’éviter l’expression « cela va sans dire ». L’ouvrage nous donne un éclairage intéressant sur le rôle accru des régions dans le concert international. Il n’insiste pas suffisamment cependant sur le pouvoir croissant des villes, qui, grâce à la procédure économique de la métropolisation, « monopolise » l’action gouvernementale pour faire valoir leurs seuls intérêts. Au fond, tout le processus de paradiplomatie n’est qu’un élément de la lutte pour le pouvoir qui s’exprime à l’intérieur d’une nation. Il est clair que Moscou ne va pas revendiquer ses valeurs régionales à partir du moment où celles-ci sont défendues par le niveau national, au détriment parfois des autres régions. Cette influence dans l’État des acteurs subétatiques est assez mal rendue dans ce livre, ce qui déséquilibre un peu le propos. Il n’en reste pas moins que ce livre donne des informations intéressantes sur cette dimension des relations internationales.